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09/05/2022 | BELGIQUE | N°C.17.0709.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 09 mai 2022, C.17.0709.N


N° C.17.0709.N
M. C.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. N. M. F.,
2. E. A. N.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 17 octobre 2017 par la cour d’appel de Bruxelles.
Par ordonnance du 11 juin 2020, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le 11 juin 2020, l’avocat général Henri Vanderlinden a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Koen Mestdagh a fait rapport et le premier avocat général Ria Mortier a conclu.> II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée...

N° C.17.0709.N
M. C.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. N. M. F.,
2. E. A. N.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 17 octobre 2017 par la cour d’appel de Bruxelles.
Par ordonnance du 11 juin 2020, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le 11 juin 2020, l’avocat général Henri Vanderlinden a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Koen Mestdagh a fait rapport et le premier avocat général Ria Mortier a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
1. Conformément à l’article 348-3, alinéa 2, du Code civil, lorsque la filiation d’un enfant n’est établie qu’à l’égard d’un de ses auteurs, seul celui-ci doit consentir à l’adoption.
Suivant l’article 348-8, alinéa 1er, 2°, de ce code, toute personne dont le consentement à l’adoption est requis, l’exprime par acte passé devant un notaire de son choix ou devant le juge de paix de son domicile.
L’article 348-8, dernier alinéa, du même code dispose que le retrait du consentement n’est possible que jusqu’au prononcé du jugement et, au plus tard, six mois après le dépôt de la requête en adoption et doit être établi dans la même forme que celle requise pour le consentement à l’adoption.
2. L’article 348-11, alinéa 1er, dispose que, lorsqu’une personne qui doit consentir à l’adoption en vertu des articles 348-2 à 348-7 refuse ce consentement, l’adoption peut cependant être prononcée à la demande de l’adoptant, des adoptants ou du ministère public s’il apparaît au tribunal de la famille que ce refus est abusif.
Le deuxième alinéa de cet article prévoyait, avant son remplacement par l’article 8, 1°, de la loi du 20 février 2017 modifiant le Code civil, en ce qui concerne l’adoption que, lorsque le refus émane du père ou de la mère d’un enfant, le tribunal ne peut prononcer l’adoption, sauf s’il s’agit d’une nouvelle adoption, que s’il apparaît, au terme d’une enquête sociale approfondie, que cette personne s’est désintéressée de l’enfant ou a compromis la santé, la sécurité ou la moralité de celui-ci.
Dans son arrêt n° 93/2012 du 12 juillet 2012, la Cour constitutionnelle a dit pour droit que les articles 348-3 et 348-11 du Code civil violent les articles 10, 11, 22 et 22bis, de la Constitution, combinés avec les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce qu’ils ne permettent au juge chargé de prononcer une adoption d’écarter le refus de la mère à consentir à cette adoption que dans l’hypothèse où elle s’est désintéressée de l’enfant ou a compromis la santé, la sécurité ou la moralité de celui-ci, dans les circonstances où le candidat à l’adoption est une femme avec qui la mère était mariée au moment de la naissance de l’enfant et du dépôt de la requête en adoption, qui avait signé avec elle une convention conformément à l’article 7 de la loi du 6 juillet 2007 relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes, et qui a suivi la préparation à l’adoption prévue à l’article 346-2 du Code civil, cette adoption concernant un enfant dont il est établi qu’un lien familial effectif existe et persiste depuis la séparation des épouses.
Dans son arrêt n° 94/2015 du 25 juin 2015, la Cour constitutionnelle a dit pour droit que les articles 348-3 et 348-11 du Code civil violent les articles 22 et 22bis de la Constitution, combinés avec les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce qu’ils ne permettent, au tribunal invité à prononcer une adoption, d’écarter le refus de la mère à consentir à cette adoption que lorsqu’elle s’est désintéressée de l’enfant ou a compromis la santé, la sécurité ou la moralité de celui-ci, dans les circonstances suivantes :
- la mère a signé, avec la femme qui introduit la demande en adoption simple, une convention conformément à l’article 7 de la loi du 6 juillet 2007 relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes ;
- la mère de l’enfant et cette femme avaient, à tout le moins, une relation affective au moment de la naissance de l’enfant et se sont ensuite mariées ;
- la mère de l’enfant et la femme qui en demande l’adoption simple étaient mariées au moment de l’introduction de la demande en adoption ;
- il existe, entre l’enfant et la demanderesse en adoption, un lien familial effectif qui a persisté après la séparation des épouses, entre autres par un accord sur le droit de visite ratifié par le juge de paix.
Afin de remédier aux inconstitutionnalités constatées par la Cour constitutionnelle, le législateur a remplacé l’article 348-11, alinéa 2, du Code civil par l’article 8 de la loi du 20 février 2017 modifiant le Code civil, en ce qui concerne l’adoption, et ajouté un troisième alinéa à cet article.
L’article 348-11 du Code civil dispose actuellement en ses deuxième et troisième alinéas :
« Toutefois, si ce refus émane de la mère ou du père de l’enfant, le tribunal ne peut prononcer l’adoption, que s’il apparaît, au terme d’une enquête sociale approfondie, que cette personne s’est désintéressée de l’enfant ou a compromis la santé, la sécurité ou la moralité de celui-ci, sauf lorsqu’il s’agit d’une nouvelle adoption ou lorsqu’il s’agit de l’adoption de l’enfant ou de l’enfant adoptif d’un époux, d’un cohabitant ou d’un ancien partenaire à l’égard duquel un engagement parental commun existe.
Pour apprécier le caractère abusif du refus de consentement, le tribunal tient compte de l’intérêt de l’enfant. »
3. Il suit de la rédaction de l’article 348-11 du Code civil, dans sa version actuelle, et de la genèse de la loi que, lorsque la mère de l’enfant refuse de consentir à l’adoption ou retire son consentement et qu’il n’apparaît pas qu’elle s’est désintéressée de l’enfant ou a compromis la santé, la sécurité ou la moralité de celui-ci, le juge de l’adoption ne peut écarter le refus de consentement au motif qu’il est abusif, eu égard à l’intérêt de l’enfant, que lorsqu’il s’agit d’une nouvelle adoption ou qu’il s’agit de l’adoption de l’enfant ou de l’enfant adoptif d’un époux, d’un cohabitant ou d’un ancien partenaire à l’égard duquel un engagement parental commun existe.
Le moyen, qui, en cette branche, suppose que l’article 348-11 du Code civil peut être lu en ce sens que, même lorsque la mère ne s’est pas désintéressée de l’enfant et n’a pas compromis la santé, la sécurité ou la moralité de celui-ci, le juge de l’adoption peut passer outre au refus du consentement de la mère, eu égard à l’intérêt de l’enfant, en toutes circonstances, repose sur un soutènement juridique incorrect.
Le moyen, en cette branche, manque en droit.
Quant à la deuxième branche :
4. Le demandeur soutient que l’article 348-11 du Code civil viole les articles 22 et 22bis de la Constitution dans la mesure où cette disposition légale n’autorise le juge de l’adoption à écarter le refus de la mère de consentir à l’adoption que dans le cas où elle s’est désintéressée de l’enfant ou lorsqu’elle a compromis la santé, la sécurité ou la moralité de celui-ci, et ne permet donc pas au juge de l’adoption d’écarter le refus de la mère de consentir à l’adoption lorsque l’enfant a été placé, une semaine après sa naissance, chez la personne dont émane la demande d’adoption et qu’il a, depuis lors, grandi pendant plus de dix-huit mois au sein de son foyer, parce que, dans ces circonstances, il n’est pas dans l’intérêt de l’enfant de le soustraire à l’environnement stable dans lequel il grandit.
Il invite la Cour à poser une question préjudicielle à ce sujet à la Cour constitutionnelle.
5. Dans les arrêts n° 93/2012 du 12 juillet 2012 et n° 94/2015 du 25 juin 2015, précités, la Cour constitutionnelle a limité son examen de l’article 348-11 du Code civil, dans la version applicable avant sa modification par la loi du 20 février 2017, précitée, aux circonstances décrites respectivement aux considérants B.1.2 et B.17 de ces arrêts, qui ne sont pas présentes en l’espèce.
Il y a lieu de poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle énoncée ci-après au dispositif.
Quant à la troisième branche :
6. Le demandeur soutient par ailleurs que l’article 348-11 du Code civil viole les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où il distingue la situation dans laquelle un parent refuse de consentir à l’adoption de l’enfant, auquel cas le juge ne peut apprécier l’intérêt de l’enfant, de la situation dans laquelle une autre personne qui est légalement tenue de consentir à l’adoption de l’enfant refuse ce consentement, auquel cas le juge doit tenir compte de l’intérêt de l’enfant.
Il invite la Cour à poser une question préjudicielle à ce sujet à la Cour constitutionnelle.
7. Il y a également lieu de poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle énoncée ci-après au dispositif.
Par ces motifs,
La Cour
Sursoit à statuer jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle ait répondu aux questions préjudicielles suivantes :
« L’article 348-11 du Code civil, tel qu’il a été modifié par l’article 8 de la loi du 20 février 2017 modifiant le Code civil, en ce qui concerne l’adoption viole-t-il les articles 22 et 22bis de la Constitution, dans la mesure où, sauf dans les cas prévus au deuxième alinéa, il n’autorise le juge de l’adoption à écarter le refus de la mère de consentir à l’adoption que lorsqu’elle s’est désintéressée de l’enfant ou a compromis la santé, la sécurité ou la moralité de celui-ci, et ne permet donc pas au juge de l’adoption d’écarter le refus de la mère de consentir à l’adoption, lorsque l’enfant a été placé peu après sa naissance chez la personne dont émane la demande d’adoption et qu’il a, depuis lors, longtemps grandi au sein de son foyer, parce que, dans ces circonstances, il ne serait pas dans l’intérêt de l’enfant de le soustraire à l’environnement dans lequel il grandit ? »
« L’article 348-11 du Code civil, tel qu’il a été modifié par l’article 8 de la loi du 20 février 2017 modifiant le Code civil, en ce qui concerne l’adoption viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où il distingue la situation dans laquelle un parent refuse de consentir à l’adoption de l’enfant, auquel cas le juge ne peut apprécier, en règle, l’intérêt de l’enfant, de la situation dans laquelle une autre personne qui est légalement tenue de consentir à l’adoption de l’enfant refuse ce consentement, auquel cas le juge de l’adoption doit tenir compte de l’intérêt de l’enfant ? »
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Koen Mestdagh, président, les conseillers Antoine Lievens, Bart Wylleman, Maxime Marchandise et Sven Mosselmans, et prononcé en audience publique du sept septembre deux mille vingt par le président de section Koen Mestdagh, en présence du premier avocat général Ria Mortier, avec l’assistance du greffier Mike Van Beneden.
Traduction établie sous le contrôle du président de section Mireille Delange et transcrite avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Formation : Chambre 3n - derde kamer
Numéro d'arrêt : C.17.0709.N
Date de la décision : 09/05/2022
Type d'affaire : Droit civil - Droit constitutionnel

Analyses

Il suit de la rédaction de l'article 348-11 du Code civil et de la genèse de la loi que, lorsque la mère de l'enfant refuse de consentir à l'adoption ou retire son consentement et qu'il n'apparaît pas qu'elle s'est désintéressée de l'enfant ou a compromis la santé, la sécurité ou la moralité de celui-ci, le juge de l'adoption ne peut écarter le refus de consentement au motif qu'il est abusif, eu égard à l'intérêt de l'enfant, que lorsqu'il s'agit d'une nouvelle adoption ou qu'il s'agit de l'adoption de l'enfant ou de l'enfant adoptif d'un époux, d'un cohabitant ou d'un ancien partenaire à l'égard duquel un engagement parental commun existe (1). (1) Voir les concl. du MP publiées à leur date dans AC.

ADOPTION - Parent - Refus - Retrait du consentement - Caractère abusif - Conditions - Intérêt de l'enfant - Conséquence

Il est soutenu que l'article 348-11 du Code civil viole les articles 22 et 22bis de la Constitution dans la mesure où cette disposition légale n'autorise le juge de l'adoption à écarter le refus de la mère de consentir à l'adoption que dans le cas où elle s'est désintéressée de l'enfant ou lorsqu'elle a compromis la santé, la sécurité ou la moralité de celui-ci, et ne permet donc pas au juge de l'adoption d'écarter le refus de la mère de consentir à l'adoption, lorsque l'enfant a été placé, une semaine après sa naissance, chez la personne dont émane la demande d'adoption et qu'il a, depuis lors, grandi pendant plus de dix-huit mois au sein de son foyer, parce que, dans ces circonstances, il n'est pas dans l'intérêt de l'enfant de le soustraire à l'environnement stable dans lequel il grandit; il y a lieu de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle: « L'article 348-11 du Code civil, tel qu'il a été modifié par l'article 8 de la loi du 20 février 2017 modifiant le Code civil, en ce qui concerne l'adoption viole-t-il les articles 22 et 22bis de la Constitution dans la mesure où, sauf dans les cas prévus au deuxième alinéa, il n'autorise le juge de l'adoption à écarter le refus de la mère de consentir à l'adoption que lorsqu'elle s'est désintéressée de l'enfant ou a compromis la santé, la sécurité ou la moralité de celui-ci, et ne permet donc pas au juge de l'adoption d'écarter le refus de la mère de consentir à l'adoption, lorsque l'enfant a été placé peu après sa naissance chez la personne dont émane la demande d'adoption et qu'il a, depuis lors, longtemps grandi au sein de son foyer, parce que, dans ces circonstances, il ne serait pas dans l'intérêt de l'enfant de le soustraire à l'environnement dans lequel il grandit?» (1). (1) Voir les concl. du MP publiées à leur date dans AC.

ADOPTION - Refus - Retrait du consentement - Parent - Caractère abusif - Circonstances - Distinction - Intérêt de l'enfant - Violation des articles 10 et 11 de la Constitution - Question préjudicielle - COUR CONSTITUTIONNELLE - Question préjudicielle - Adoption - Refus - Retrait du consentement - Parent - Caractère abusif - Circonstances - Distinction - Intérêt de l'enfant - Violation des articles 10 et 11 de la Constitution

Il est soutenu que l'article 348-11 du Code civil viole les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où il distingue la situation dans laquelle un parent refuse de consentir à l'adoption de l'enfant, auquel cas le juge ne peut apprécier l'intérêt de l'enfant, de la situation dans laquelle une autre personne qui est légalement tenue de consentir à l'adoption de l'enfant refuse ce consentement, auquel cas le juge doit tenir compte de l'intérêt de l'enfant; il y a lieu de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle: « L'article 348-11 du Code civil, tel qu'il a été modifié par l'article 8 de la loi du 20 février 2017 modifiant le Code civil, en ce qui concerne l'adoption viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, dans la mesure où il distingue la situation dans laquelle un parent refuse de consentir à l'adoption de l'enfant, auquel cas le juge ne peut apprécier, en règle, l'intérêt de l'enfant, de la situation dans laquelle une autre personne qui est légalement tenue de consentir à l'adoption de l'enfant refuse ce consentement, auquel cas le juge de l'adoption doit tenir compte de l'intérêt de l'enfant ? »

ADOPTION - Refus - Retrait du consentement - Parent - Autre personne - Caractère abusif - Distinction - Intérêt de l'enfant - Violation des articles 10 et 11 de la Constitution - Question préjudicielle - COUR CONSTITUTIONNELLE - Question préjudicielle - Adoption - Refus - Retrait du consentement - Parent - Autre personne - Caractère abusif - Distinction - Intérêt de l'enfant - Violation des articles 10 et 11 de la Constitution


Composition du Tribunal
Président : MESTDAGH KOEN
Greffier : VAN BENEDEN MIKE
Ministère public : VANDERLINDEN HENRI
Assesseurs : LIEVENS ANTOINE, WYLLEMAN BART, COUWENBERG ILSE, MOSSELMANS SVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-05-09;c.17.0709.n ?

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