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05/05/2021 | BELGIQUE | N°P.21.0042.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 05 mai 2021, P.21.0042.F


N° P.21.0042.F
SOCIETE FIDUCIAIRE NATIONALE D’EXPERTISE COMPTABLE, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, avenue Louise, 148, prévenue,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Adrien Masset, avocat au barreau de Verviers,
contre
1. Maître Eric Biar, avocat au barreau de Liège, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Campine, 157,
2. Maître Isabelle Biemar, avocat au barreau de Liège, dont le cabinet est établi à Liège, quai de Rome, 25,
agissant en leur qualité de curateurs à la faillite de la société anonyme P

izzeria,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le po...

N° P.21.0042.F
SOCIETE FIDUCIAIRE NATIONALE D’EXPERTISE COMPTABLE, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, avenue Louise, 148, prévenue,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Adrien Masset, avocat au barreau de Verviers,
contre
1. Maître Eric Biar, avocat au barreau de Liège, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Campine, 157,
2. Maître Isabelle Biemar, avocat au barreau de Liège, dont le cabinet est établi à Liège, quai de Rome, 25,
agissant en leur qualité de curateurs à la faillite de la société anonyme Pizzeria,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 17 décembre 2020 par la cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle.
La demanderesse invoque quatre moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le président chevalier Jean de Codt a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l’action publique exercée à charge de la demanderesse :
Sur le premier moyen :

Le moyen est pris de la violation des articles 6.1 et 6.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de la méconnaissance des principes généraux du droit relatifs à la présomption d’innocence et à la charge de la preuve.
La demanderesse s’est vue poursuivre notamment du chef de, comme auteur ou co-auteur, faux et usage de faux dans les comptes annuels d’une société de restauration ressortissant au portefeuille d’une autre fiduciaire dont elle avait racheté la clientèle tout en lui en déléguant la gestion.
Dans ses conclusions d’appel, la demanderesse a opposé, à ces poursuites, l’existence de la délégation de pouvoirs convenue entre elle et la fiduciaire cédante. Elle a soutenu que cet acte avait transféré à sa co-contractante la responsabilité pénale associée à la tenue de la comptabilité de la clientèle cédée. Elle en a déduit que les infractions mises à sa charge ne lui étaient pas imputables.
L’arrêt décide que la délégation invoquée n’exonère pas la demanderesse de sa responsabilité pénale dès lors qu’elle a agi par le biais de personnes physiques mandatées à l’effet de signer et déposer, au nom de ses clients, leurs pièces et déclarations destinées aux administrations.
La demanderesse fait valoir que la délégation de pouvoirs constitue « une cause de non-imputabilité d’infractions éventuellement commises par d’autres », et qu’elle a invoqué l’existence de cette cause avec vraisemblance. Elle en déduit qu’il appartenait à la partie poursuivante d’en démontrer l’inexistence. Elle reproche à l’arrêt de ne pas appliquer cette règle.
Il y a délégation de pouvoirs lorsqu’une personne transfère à une autre une tâche de direction, de surveillance ou d’exécution qui lui est confiée et dont le non-respect est sanctionné pénalement, telle la tenue d’une comptabilité commerciale.
La délégation de pouvoirs a pour conséquence que le délégataire doit répondre de son comportement fautif. Elle ne met pas à sa charge la responsabilité des infractions commises par le délégant. Il ne s’agit pas, en effet, d’une convention d’exonération de la responsabilité pénale.
Sauf si la loi en dispose autrement, l’entreprise qui n’a pris aucune part personnelle à la réalisation de l’infraction peut déplacer la responsabilité pénale encourue, si elle établit avoir délégué ses devoirs et ses pouvoirs à une personne munie de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires.
Ce transfert de responsabilité n’est admissible que lorsqu’il est autorisé, fût-ce implicitement, par le législateur ou l’autorité réglementaire, à charge pour le délégant de prouver la délégation opérée sur la tête du tiers qu’il prétend tenu de remplir certaines obligations à sa décharge.
Revenant à soutenir qu’une délégation de pouvoirs invoquée avec suffisamment de vraisemblance exonère le prévenu de sa responsabilité pénale, au titre d’une présomption de non-imputabilité qu’il appartient à la partie poursuivante de renverser, le moyen manque en droit.
Sur le deuxième moyen :
En tant qu’il est pris de la violation des principes généraux du droit relatifs à la présomption d’innocence et à la charge de la preuve, ainsi que des articles 6.1 et 6.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sans indiquer en quoi l’arrêt méconnaît ces règles et principes, le moyen est irrecevable à défaut de précision.
La demanderesse reproche à l’arrêt de ne pas répondre à son argumentation contestant l’élément moral des infractions, à savoir la connaissance qu’elle aurait eue de leur perpétration par le délégataire, et la volonté de s’y associer.
Elle a soutenu que les dénonciations faites à la Cellule de traitement des informations financières, relatives à la gestion de la clientèle cédée, ne sauraient accréditer l’existence de cet élément moral dès lors qu’« on peut imaginer qu’il aurait été désastreux pour le cédant de remettre copie de [ces dénonciations] à la [demanderesse] sous peine de risquer [ … ] en tout état de cause une réduction du prix de la cession ».
Ne reposant que sur une hypothèse, pareille assertion ne constitue pas un moyen appelant réponse.
La demanderesse a également fait valoir
- qu’elle n’avait pas eu connaissance de l’instruction relative à la société de restauration dont la comptabilité s’est avérée fausse ou incomplète,
- que l’existence de cette instruction ne devait pas spécialement l’alerter puisque la société, déclarée en faillite, a disparu de son portefeuille en 2010,
- que les membres du personnel, entendus comme témoins, n’étaient pas obligés de lui communiquer les faits relatés dans leurs auditions,
- que c’est la demanderesse qui a mis fin anticipativement à la gestion de la clientèle cédée par sa cocontractante, ce qui prouve qu’elle contrôlait l’exécution des tâches du délégataire.
A cette défense, l’arrêt oppose les éléments différents ou contraires suivants.
- La demanderesse invoque la convention de sous-traitance indépendante passée le 18 juin 2007 entre elle et la fiduciaire cédante. La prévenue s’est cependant engagée, par un contrat distinct également daté du 18 juin 2007, à exécuter à son compte, pour les clients cédés, les travaux et contrats en cours, et ce en utilisant le personnel, le mobilier et le matériel d’exploitation de sa co-contractante. Pour faciliter l’exécution de ses obligations, la demanderesse a convenu que lui seraient communiquées, le 1er juillet 2007, les clauses des contrats passés avec ces différents clients, la situation des travaux en cours, toutes les pièces comptables et déclarations desdits clients, ainsi que la correspondance échangée avec eux.
- Cette convention n’accrédite pas la notion d’un transfert nécessaire, à la fiduciaire cédante, de la gestion de la clientèle rachetée à celle-ci.
- En ce qui concerne la société de restauration dont la comptabilité s’est avérée irrégulière, il ressort des courriers échangés avec cette société qu’elle avait pour interlocuteur principal, encore après la reprise de ce client par la demanderesse, une personne physique faisant partie de son personnel salarié.
- C’est au travers des prestations de cet employé que la prévenue a géré ladite société de restauration, et ce pendant toute la durée des relations contractuelles connues avec la fiduciaire cédante.
- L’employé susdit soutient avoir agi sous la responsabilité de la demanderesse. Il a presté en tant que préposé de celle-ci, pour son compte et sans être délégataire du pouvoir de surveillance et de décision.
- Le manque de surveillance de la prévenue révèle son intention : intéressée par le maintien du client dans son fonds de commerce, elle a permis la perpétuation des agissements délictueux de son salarié ainsi que du travailleur indépendant qui prestait pour elle.
Ces considérations répondent aux conclusions de la demanderesse.
A cet égard, le moyen manque en fait.
Sur le troisième moyen :
L’arrêt constate que le jugement entrepris a condamné la demanderesse, notamment, au payement de cinq pour cent des frais de l’action publique.
L’arrêt confirme ce jugement notamment en tant qu’il la condamne à payer « un cinquième » desdits frais.
Selon le moyen, un cinquième étant l’équivalent de vingt pour cent, il y va d’une contradiction donnant ouverture à cassation au titre de l’article 149 de la Constitution.
Mais il n’existe ni doute ni contradiction quant au fait que les juges d’appel ont entendu confirmer la décision du tribunal relative à la part des frais de l’action publique à mettre à charge de la demanderesse.
L’énonciation suivant laquelle le jugement entrepris est confirmé en ce qu’il a condamné la prévenue à un cinquième des frais ne procède donc que d’une lecture inexacte de la décision confirmée et n’a, partant, d’autre portée que celle d’une erreur matérielle qu’il est au pouvoir de la Cour de rectifier d’office, conformément à l’article 794 du Code judiciaire.
Le moyen ne peut, dès lors, être accueilli.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision qui, rendue sur l’action civile exercée par les défendeurs, statue sur
1. le principe de la responsabilité :
La demanderesse n’invoque aucun moyen spécifique.
2. l’étendue du dommage :
La demanderesse se désiste de son pourvoi.
Et il n’y a pas lieu d’avoir égard au quatrième moyen de la demanderesse, dirigé contre la décision visée par le désistement.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Décrète le désistement du pourvoi en tant qu’il est dirigé contre la décision qui, rendue sur l’action civile exercée par les défendeurs, statue sur l’étendue du dommage ;
Rectifiant l’arrêt attaqué, dit qu’à la page trente-sept, première ligne, les mots « condamné ces prévenus à un cinquième des frais de l’action publique » doivent être remplacés par les mots « condamné ces prévenus à cinq pour cent des frais de l’action publique » ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt rectifié ;
Condamne la demanderesse aux frais.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de deux cent cinquante-sept euros quarante-sept centimes dont cent septante-neuf euros nonante et un centimes dus et septante-sept euros cinquante-six centimes payés par cette demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Benoît Dejemeppe, président de section, Françoise Roggen, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du cinq mai deux mille vingt et un par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.21.0042.F
Date de la décision : 05/05/2021
Type d'affaire : Droit pénal - Droit international public

Analyses

Il y a délégation de pouvoirs lorsqu'une personne transfère à une autre une tâche de direction, de surveillance ou d'exécution qui lui est confiée et dont le non-respect est sanctionné pénalement, telle la tenue d'une comptabilité commerciale; la délégation de pouvoirs a pour conséquence que le délégataire doit répondre de son comportement fautif; elle ne met pas à sa charge la responsabilité des infractions commises par le délégant; il ne s'agit pas, en effet, d'une convention d'exonération de la responsabilité pénale; sauf si la loi en dispose autrement, l'entreprise qui n'a pris aucune part personnelle à la réalisation de l'infraction peut déplacer la responsabilité pénale encourue, si elle établit avoir délégué ses devoirs et ses pouvoirs à une personne munie de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires; ce transfert de responsabilité n'est admissible que lorsqu'il est autorisé, fût-ce implicitement, par le législateur ou l'autorité réglementaire, à charge pour le délégant de prouver la délégation opérée sur la tête du tiers qu'il prétend tenu de remplir certaines obligations à sa décharge (1). (1) Voir F. KUTY, Principes généraux du droit pénal belge - T. III : l'auteur de l'infraction pénale, 2ème éd., 2020, pp. 180-188, nos 1826-1839, qui, quant à la charge de la preuve, cite Cass. 11 novembre 1901, Pas. 1902, I, p. 36 (sommaire) : « le propriétaire d'un véhicule laissé la nuit sur la voie publique sans être éclairé reste pénalement responsable de la contravention s'il n'établit pas la culpabilité du tiers prétendument tenu d'éclairer le véhicule à sa décharge ». Le MP a fait valoir en ce sens que contrairement aux causes d'excuse ou de justification, la cause d'exonération de la responsabilité pénale que constitue le cas échéant la délégation de pouvoirs entraîne un « transfert du risque pénal », susceptible d'engager la responsabilité pénale du délégataire. Il ne suffit donc pas que le délégant l'invoque avec vraisemblance, il faut qu'il la prouve. En juger autrement reviendrait à renverser la charge de la preuve au préjudice du délégataire.

INFRACTION - IMPUTABILITE - Personnes morales - INFRACTION - IMPUTABILITE - Divers - PREUVE - MATIERE REPRESSIVE - Charge de la preuve. Liberté d'appréciation - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 1er [notice1]


Références :

[notice1]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 6, § 1er - 30 / Lien DB Justel 19501104-30


Composition du Tribunal
Président : DE CODT JEAN
Greffier : GOBERT FABIENNE
Ministère public : NOLET DE BRAUWERE MICHEL
Assesseurs : DEJEMEPPE BENOIT, ROGGEN FRANCOISE, LUGENTZ FREDERIC, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-05-05;p.21.0042.f ?

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