N° P.20.1144.N
I. G. V.,
prévenu, détenu,
demandeur en cassation,
Me Joris Van Cauter, avocat au barreau de Gand,
contre
F. V.W.,
C. S.,
B. D.S.,
’T VOSSENHOL, société en nom collectif dont le siège est établi à Anzegem, Tiegemberg, 22,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
II. P. V.,
prévenu, détenu,
demandeur en cassation,
Me Maarten Vandermeersch, avocat au barreau de Flandre occidentale,
contre
1. F. V.W., mieux qualifié ci-dessus,
C. S., mieux qualifié ci-dessus,
M. E.Y.,
S. E.H.,
B. D.S., mieux qualifié ci-dessus,
’T VOSSENHOL, mieux qualifiée ci-dessus,
C. B.,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
III. A. V.,
prévenue,
demanderesse en cassation,
Me Maarten Vandermeersch, avocat au barreau de Flandre occidentale,
contre
2. B. D.S., mieux qualifié ci-dessus,
’T VOSSENHOL, mieux qualifiée ci-dessus,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 16 octobre 2020 par la cour d’appel de Gand, chambre correctionnelle.
Le demandeur I invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie conforme.
Le demandeur II invoque six moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
La demanderesse III invoque quatre moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Erwin Francis a fait rapport.
L’avocat général Dirk Schoeters a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le deuxième moyen du demandeur I :
7. Le moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution ainsi que de la méconnaissance du principe de légalité consacré par les articles 7, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 14 de la Constitution et 2, alinéa 1er, du Code pénal : l’arrêt ne pose pas à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle proposée par le demandeur I concernant la discrimination entre la réduction de la peine en cas de constatation du dépassement du délai raisonnable et la réduction de peine à la suite de l’admission de circonstances atténuantes ; il considère, à tort, que les deux situations juridiques ne sont pas comparables ; la réduction de peine à la suite de l’admission de circonstances atténuantes est objective et contrôlable, tandis que la réduction de la peine basée sur l’article 21ter du titre préliminaire du Code d’instruction criminelle est subjective et ne saurait faire l’objet d’un contrôle.
À titre subsidiaire, le moyen invite la Cour à poser la question préjudicielle suivante à la Cour constitutionnelle : « L’article 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée et le principe de légalité (tel qu’il est consacré à l’article 7, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, à l’article 14 de la Constitution coordonnée et à l’article 2, alinéa 1er, du Code pénal), en ce que cette disposition n’indique pas l’effet d’un dépassement du délai raisonnable, au sens de l’article 6, § 1er, de la Convention, sur le taux de la peine, tandis que les articles 79 à 85 du Code pénal indiquent très précisément l’effet de l’admission de circonstances atténuantes sur le taux de la peine ? ».
8. Les circonstances atténuantes sont des circonstances propres à l’infraction ou à la personnalité de l’auteur, dont l’admission oblige le juge à réduire la peine fixée conformément aux articles 79 à 85 du Code pénal.
L’article 6, § 1er, de la Convention oblige le juge qui constate le dépassement du délai raisonnable dans lequel doivent s’exercer les poursuites pénales à accorder une réparation adéquate.
L’article 21ter, alinéa 1er, du titre préliminaire du Code de procédure pénale dispose : « Si la durée des poursuites pénales dépasse le délai raisonnable, le juge peut prononcer la condamnation par simple déclaration de culpabilité ou prononcer une peine inférieure à la peine minimale prévue par la loi ». Cette disposition énonce ainsi une possibilité de réparation au sens de l’article 6, § 1er, de la Convention.
9. Il s’ensuit que les figures juridiques des circonstances atténuantes et du délai raisonnable des poursuites pénales règlent des situations juridiques différentes, de telle sorte que ces figures juridiques et leurs conséquences juridiques ne sont pas comparables.
Déduit d’une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
10. D’une part, le juge qui applique l’article 21ter du titre préliminaire du Code d’instruction criminelle doit réduire la peine à infliger au prévenu, éventuellement même en prononçant une peine inférieure à la peine minimale prévue par la loi, la condamnation par déclaration de culpabilité simple étant la limite inférieure. En outre, s’il prononce encore une peine conformément à cet article, le juge doit la réduire de manière réelle et claire par rapport à la peine qu’il aurait infligée s’il n’avait pas constaté la durée excessive de la procédure.
D’autre part, lors de la détermination de l’étendue de la réparation à accorder à la suite du dépassement du délai raisonnable, le juge doit certes tenir compte de la gravité de ce dépassement et du préjudice causé à l’auteur de ce fait, mais il peut également prendre en compte d’autres éléments tels que la nature, la gravité et le nombre de faits déclarés établis et la personnalité de l’auteur. Il appartient au juge d’inclure tous ces éléments dans son appréciation.
11. Il s’ensuit que la réduction de peine visée à l’article 21ter susmentionné n’est ni subjective ni incontrôlable, mais que cet article prévoit des sanctions minimales et maximales précises entre lesquelles le juge doit opérer un choix sur la base des faits qu’il constate souverainement. Ainsi, l’article 21ter susvisé ne méconnaît manifestement pas le principe de légalité.
Dans cette mesure, le moyen manque également en droit.
12. L’arrêt, qui statue dans le sens énoncé, justifie légalement sa décision.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
13. Il n’y a pas lieu de poser la question préjudicielle.
(…)
Sur le deuxième moyen des demandeurs II et III :
18. Le moyen est pris de la violation des articles 6, § 1er, et 6, § 3, d, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 190, aliéna 3, et 211 du Code d’instruction criminelle, ainsi que de la méconnaissance des principes généraux du droit relatifs au droit à un procès équitable et au respect des droits de la défense : l’arrêt n’accède pas aux demandes par lesquelles les demandeurs II et III sollicitent d’être confrontés à différents témoins à l’audience ; il les prive de la sorte de la possibilité de contester activement des déclarations qui ont contribué à leur déclaration de culpabilité ; l’arrêt n’utilise pas les critères développés dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.
19. Conformément à l’article 190, alinéa 3, du Code d’instruction criminelle, les témoins à charge et à décharge sont entendus à l’audience, s’il y a lieu.
Cette disposition ne comporte pas, pour la juridiction de jugement, d’obligation d’entendre des témoins à l’audience mais se borne à lui laisser le soin d’en apprécier souverainement l’opportunité.
Dans la mesure où il invoque la violation de cette disposition, le moyen manque en droit.
20. Le prévenu qui souhaite être confronté avec certaines personnes à l’audience doit en faire la demande claire, précise et non équivoque au juge. L’allégation du prévenu selon laquelle, lors de l’information pénale ou devant le premier juge, il n’a pas été confronté, à tort, avec certaines personnes n’implique pas en tant que telle une demande formulée au juge d’appel ou une obligation pour celui-ci d’organiser lui-même de telles confrontations.
Dans la mesure où il est déduit d’une autre prémisse juridique, le moyen manque également en droit.
21. Par la défense exposée dans le moyen, les demandeurs II et III ont critiqué l’instruction judiciaire dans leurs conclusions en degré d’appel parce qu’elle a été menée unilatéralement à charge et ne comporte pas de confrontations entre eux et un certain nombre de personnes, particulièrement parce que le juge d’instruction a refusé d’ordonner ces confrontations à titre de devoir complémentaire, en violation de leurs droits de défense. Cette défense mentionne également que le jugement entrepris a considéré pour des motifs incompréhensibles que les confrontations n’étaient pas nécessaires à la manifestation de la vérité. Il ne ressort cependant pas des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que les demandeurs II et III aient demandé aux juges d’appel d’être confrontés avec des personnes précises à l’audience. La seule mention dans les conclusions d’appel du demandeur II qu’« Il demeure judicieux pour [le demandeur II] de citer des témoins sur la base de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (...) » ne suffit pas à cette fin.
Dans cette mesure, le moyen manque en fait.
22. En réponse à la défense susmentionnée des demandeurs II et III, l’arrêt (...) constate que le demandeur II allègue dans les deux instances que l’instruction judiciaire est nulle et a seulement été menée à charge parce que son droit à un procès équitable et le principe général du droit relatif à l’égalité des armes auraient été méconnus par le refus systématique de confrontations nécessaires à la manifestation de la vérité. Par adoption des motifs du jugement entrepris, l’arrêt a statué comme suit à ce sujet :
- il ressort de l’instruction judiciaire assez étendue que tous les intéressés potentiels ont à chaque fois été entendus, même ceux qui avaient collaboré avec le demandeur II (les demandeurs I et II, D.S. et M.D.). Le demandeur II a en outre toujours eu la faculté de produire lui-même des pièces, ce qu’il a d’ailleurs fait. Le demandeur II n’indique pas la plus-value que des confrontations auraient eu à cet égard, sinon confronter les autres parties avec ce qui a été couché contractuellement sur papier, ce qui a cependant été fait dans le cadre de diverses auditions de ces parties adverses par la police judiciaire fédérale ;
- le demandeur II indique lui-même que K.D. a refusé la confrontation. Dans ce cas, le juge d’instruction n’a pas le pouvoir d’y contraindre cette personne. D’autres personnes se trouvaient toujours en relation contractuelle avec le demandeur II. Les parties civiles et les personnes lésées signalent aussi à chaque fois la manière dont, à leur avis, elles ont été manipulées par les demandeurs I et II en vue de signer un contrat précis, de telle sorte qu’il est compréhensible qu’elles n’aient pas été très avides d’être confrontées avec le demandeur II ;
- le demandeur II a eu la possibilité d’introduire à ce sujet une demande de complément d’instruction, ce qu’il a d’ailleurs fait le 11 juin 2015. Le juge d’instruction a refusé cette requête sur certains points de manière motivée, par ordonnance rendue le 2 juillet 2015. Dans la mesure où la demande a été refusée, ce refus a été confirmé par la chambre des mises en accusation. La loi a donc été appliquée correctement, à savoir que l’inculpé pouvait demander un acte d’instruction, mais que le juge d’instruction, qui dirige toujours l’instruction, peut refuser cette demande de manière motivée. Il convient de noter à cet égard, ce que le demandeur II passe sous silence, qu’il a été fait suite à sa demande sur de très nombreux points et que divers actes d’instruction ont bien été ordonnés à sa demande par le juge d’instruction. C’est précisément parce que ces actes d’instruction ont été ordonnés que les confrontations ont par ailleurs été considérées comme vaines ;
- les motifs énoncés par le juge d’instruction peuvent être adoptés en l’espèce. Les droits de la défense n’ont pas été méconnus de ce fait puisque le demandeur II a pu formuler toutes ses observations dans le cadre de son audition, ainsi qu’à l’audience, où il pouvait toujours confronter les parties civiles aux pièces qu’elles ont signées.
Ainsi, en réponse à la défense visée par le demandeur, l’arrêt rejette l’allégation selon laquelle l’instruction judiciaire est irrégulière et mentionne les motifs concrets pour lesquels des confrontations ne sont plus requises. Cette décision est légalement justifiée, sans que l’arrêt n’ait encore dû répondre à la défense non autrement précisée du demandeur II selon laquelle il demeurait judicieux de convoquer des témoins.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la deuxième branche :
34. Le moyen, en cette branche, est pris de la violation des articles 6, § 1er, 6, § 3, et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 15 de la Constitution et 89bis du Code d’instruction criminelle, ainsi que de la méconnaissance des principes généraux du droit relatifs au droit à un procès équitable et aux droits de la défense : l’arrêt considère, à tort, que le mandat de perquisition du 5 mai 2011 est régulier alors que, pas davantage que les autres perquisitions exécutées à la demande du juge d’instruction, il ne mentionne que le juge d’instruction ne pouvait lui-même procéder à ces devoirs ni n’énonce les motifs sur lesquels se fondent les délégations respectives.
35. L’obligation pour le juge d’instruction de motiver la délégation de l’exécution de la perquisition sur la base de l’article 89bis, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle a un caractère purement formel. Son inobservation n’est pas sanctionnée.
Le moyen qui, en cette branche, procède d’une autre prémisse juridique, manque en droit.
(…)
Le contrôle d’office
61. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
Sur l’arrestation immédiate :
62. Eu égard au rejet des pourvois I et II, l’arrêt acquiert force de chose jugée. Il s’ensuit que, dans la mesure où ils sont dirigés contre les mandements d’arrestation immédiate des demandeurs I et II, ces pourvois sont sans objet.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne les demandeurs aux frais de leur pourvoi.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Peter Hoet, Antoine Lievens, Erwin Francis et Eric Van Dooren, conseillers, et prononcé en audience publique du neuf mars deux mille vingt et un par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Dirk Schoeters, avec l’assistance du greffier Ayse Birant.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Eric de Formanoir et transcrite avec l’assistance du greffier Tatiana Fenaux.