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27/10/2020 | BELGIQUE | N°P.20.0520.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 27 octobre 2020, P.20.0520.N


N° P.20.0520.N
I. H.C.,
partie civile,
demandeur en cassation,
Me Milan Heimans, avocat au barreau de Gand,
II. LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D’APPEL DE GAND,
demandeur en cassation,
III. H.D.,
partie civile,
demanderesse en cassation,
Me Frédéric Noseda, avocat au barreau de Flandre occidentale,
les pourvois I, II et III contre
D.V.
prévenu,
défendeur en cassation,
Me Benjamin Gillard, avocat au barreau de Louvain.
III. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 1e

r avril 2020 par la cour d’appel de Gand, chambre correctionnelle.
Le demandeur I invoque un grief dans un mé...

N° P.20.0520.N
I. H.C.,
partie civile,
demandeur en cassation,
Me Milan Heimans, avocat au barreau de Gand,
II. LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D’APPEL DE GAND,
demandeur en cassation,
III. H.D.,
partie civile,
demanderesse en cassation,
Me Frédéric Noseda, avocat au barreau de Flandre occidentale,
les pourvois I, II et III contre
D.V.
prévenu,
défendeur en cassation,
Me Benjamin Gillard, avocat au barreau de Louvain.
III. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 1er avril 2020 par la cour d’appel de Gand, chambre correctionnelle.
Le demandeur I invoque un grief dans un mémoire.
Le demandeur II invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le demandeur III n’invoque aucun moyen.
Le conseiller Erwin Francis a fait rapport.
L’avocat général Dirk Schoeters a conclu.
IV. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur la fin de non-recevoir opposée au pourvoi II :
1. Le défendeur invoque que le pourvoi est irrecevable parce qu’il ne ressort pas des pièces de la signification que l’acte contenant le pourvoi du demandeur II ait été signifié dans son intégralité au défendeur.
2. Dans l’exploit de signification, l’huissier de justice indique qu’il a signifié et laissé au défendeur copie “de l’extrait des minutes se trouvant au greffe de la cour d’appel de Gand, greffe correctionnel, contenant la déclaration de pourvoi en cassation déposée en date du 14/04/2020 par le requérant précité, et ce, contre l’arrêt rendu par la cour d’appel de Gand, troisième chambre, en date du 01/04/2020, arrêt C/431/2020, relatif au requérant”, et aussi que “la copie, accompagnée des documents contresignés, a été remise ou laissée conformément aux dispositions légales susmentionnées.”
3. De ces mentions authentiques, non arguées de faux, de l’exploit de signification, il ressort que l’acte contenant le pourvoi du demandeur a été signifié au défendeur dans son intégralité.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Sur le moyen, pris d'office, de la violation des articles 21, 22, 23 et 26 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale :
4. Lorsque plusieurs infractions procèdent d'une même intention délictueuse, la prescription de l'action publique prend cours à dater du dernier fait punissable, à la condition que, sauf interruption ou suspension de la prescription, aucun des faits antérieurs ne soit séparé du fait ultérieur par un laps de temps plus long que le délai de prescription.
5. Si ces infractions se situent dans le temps dans une période déterminée, sans autre précision, cela implique que les faits qui en sont l'objet ont été commis à tout moment durant cette période. Dans ce cas, pour déterminer le point de départ de la prescription de l’action publique, le juge doit situer le plus précisément possible dans le temps le dernier fait commis. Ce n’est que s’il constate que c’est impossible et qu’un point de départ précis de la prescription ne peut être établi, que le juge peut prendre en considération la date la plus favorable au prévenu.
6. En matière correctionnelle et de police, la décision de renvoi de la juridiction d'instruction ou la citation à comparaître devant la juridiction de jugement saisit la juridiction de jugement non pas de la qualification qui y figure, mais des faits tels qu'ils ressortent des pièces de l’instruction et qui fondent l’acte de saisine. Cette qualification est provisoire et il incombe à la juridiction de jugement de donner aux faits leur qualification exacte. Il s'agit notamment aussi de déterminer le plus précisément possible la date ou la période à laquelle ces faits auraient eu lieu.
7. En se basant sur les termes de l'acte de saisine, la juridiction de jugement détermine de manière souveraine quels faits font l'objet de cet acte. Pour apprécier la portée de l'acte de saisine, cette juridiction doit également tenir compte des pièces auxquelles la prévention mentionnée dans cet acte fait expressément référence. Cela n’implique toutefois pas que la juridiction soit toujours tenue par ces pièces.
8. Pour le surplus, les données produites par l'instruction peuvent, au besoin, servir à interpréter la teneur de l'acte de saisine. Cela n’empêche toutefois pas que cette interprétation puisse requérir l’adaptation de la période d'incrimination ou de la date de la prévention figurant dans cet acte.
9. Dès lors, si dans un acte de saisine une prévention d'abus de confiance est qualifiée uniquement sur la base d’un montant global qui aurait été détourné ou dilapidé durant une période globale d'incrimination, de sorte qu’il est impossible de situer précisément dans le temps les faits constitutifs de cette prévention pour calculer la prescription de l’action publique, la juridiction de jugement ne peut refuser de prendre en considération les données complémentaires qui lui sont soumises par les parties pour situer ces faits de manière précise dans le temps, au motif que ces données ne correspondent pas à la période d'incrimination indiquée dans l'acte de saisine ou découlent uniquement de pièces autres que celles auxquelles cet acte renvoie expressément.
10. L’arrêt énonce les considérations suivantes :
- le juge ne peut statuer que sur les faits dont il est régulièrement saisi. Il ne peut se saisir lui-même de faits autres que ceux contenus dans l’acte introductif ;
- pour chaque prévention, l'acte introductif vise une somme d'argent déterminée en tant qu’objet de l’infraction et mentionne une période d'incrimination bien définie, étant entendu que, pour chaque prévention, les faits sont supposés avoir été commis « à différents moments » durant cette période. Pour chaque prévention, l'acte introductif renvoie en outre aux pièces spécifiques du dossier répressif qui doivent permettre de préciser quelles sont les transactions spécifiques qui sont qualifiées de suspectes et visées comme étant punissables, et qui, prises ensemble, représenteraient la somme d’argent détournée ou dilapidée retenue pour chaque prévention. La cour d'appel doit tenir compte de ces pièces lorsqu’elle apprécie la portée de l’acte introductif ;
- la cour d'appel ne peut prendre en considération les arguments du demandeur II tels qu’ils sont formulés dans ses conclusions de synthèse, étant donné qu’en comparaison avec l’acte introductif, ce demandeur, de manière cumulative pour chaque prévention (1) renvoie à d'autres pièces ou procès-verbaux du dossier répressif, (2) adapte, réduit ou allonge la période d'incrimination mentionnée et (3) vise une somme d'argent beaucoup plus élevée comme objet de l’infraction dans le but d’entraîner une appréciation de faits totalement autres alors que, comme mentionné ci-avant, la cour d’appel – pour ce qui concerne les faits, et notamment l’objet de l’infraction et la période d’incrimination – est liée par l'acte introductif ;
- les pièces mentionnées dans l'acte introductif n’apportent aucune précision quant aux dates précises auxquelles les transactions qualifiées de suspectes, regroupées par prévention, auraient été effectuées, ces transactions ne sont pas détaillées et les dates de début et de fin ne correspondent pas aux périodes d'incrimination respectives ;
- lorsque, à l’audience, le demandeur II renvoie à nouveau aux autres pièces ou procès-verbaux précités du dossier répressif, qui permettraient de déterminer quelles transactions précises sont qualifiées de suspectes et punissables, la cour d'appel constate qu'il n'est pas précisé quelles transactions qualifiées de suspectes ne sont pas prises en considération, ni pour quels motifs, étant donné que la somme d'argent détournée ou dilapidée indiquée dans l'acte introductif pour chaque prévention est substantiellement inférieure. En outre, ici aussi, les dates de début et de fin des transactions qualifiées de suspectes ne correspondent pas aux dates de début et de fin des périodes incriminées des préventions 1 à 5, d'autant plus que ces dernières dates n’apparaissent même pas dans la liste des transactions qualifiées de suspectes. Par ailleurs, la cour d’appel constate que, même après avoir inclus les transactions qualifiées de suspectes dans les périodes d’incrimination indiquées pour chaque prévention, le total calculé respectivement ne correspond pas à la somme d’argent détournée ou dilapidée indiquée pour chaque prévention ;
- dans les circonstances de la cause, il s'est avéré impossible pour les juges d'appel, sur la base de l'ensemble des pièces du dossier répressif, de situer dans le temps la dernière transaction punissable avérée, et donc de déterminer le point de départ de la prescription, si bien qu’a été prise en considération la date la plus favorable au défendeur, à savoir la dernière date de début des périodes d'incrimination mentionnées dans l’acte introductif pour les préventions 1 à 5.
Il ressort de ces motifs que les juges d'appel ont refusé de prendre en considération les pièces complémentaires ainsi que l’argumentation du demandeur II basée sur celles-ci, visant à situer plus précisément dans le temps les faits d’abus de confiance mis à charge du défendeur, au motif qu’ils se sont estimés liés par les périodes d’incrimination mentionnées dans l’acte de saisine et par les pièces auxquelles renvoie expressément cet acte. Ainsi, ils n'ont pas légalement justifié la décision.
Sur le moyen du demandeur II :
11. Eu égard à la cassation à prononcer ci-après, il n’y a pas lieu de répondre au moyen.
Sur l'étendue de la cassation :
12. La cassation de l'arrêt en tant qu’il statue sur l'action publique entraîne l'annulation des décisions de l'arrêt de déclarer irrecevables les actions civiles des demandeurs I et III, qui en sont la conséquence.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur l’action publique et sur les actions civiles des demandeurs I et III.
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé.
Rejette les pourvois pour le surplus.
Condamne les demandeurs I et III aux frais de leur pourvoi.
Laisse un dixième des frais du pourvoi II à charge de l’État.
Réserve le surplus des frais du pourvoi II afin qu’il soit statué sur celui-ci par le juge de renvoi.
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d’appel d’Anvers.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Antoine Lievens, Erwin Francis, Ilse Couwenberg et Eric Van Dooren, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Dirk Schoeters, avec l’assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Eric de Formanoir et transcrite avec l’assistance du greffier Tatiana Fenaux.


Synthèse
Formation : Chambre 2n - tweede kamer
Numéro d'arrêt : P.20.0520.N
Date de la décision : 27/10/2020
Type d'affaire : Droit pénal

Analyses

Lorsque l'intention délictueuse identique dont procèdent plusieurs infractions se situe dans le temps dans une période déterminée, sans que des dates aient été précisées, cela implique que les faits qui en sont l'objet ont été commis à tout moment durant cette période, auquel cas, pour déterminer le point de départ de la prescription de l'action publique, le juge doit situer le plus précisément possible dans le temps le dernier fait commis; ce n'est que s'il constate que c'est impossible et qu'un point de départ précis de la prescription ne peut être établi, que le juge peut prendre en considération la date la plus favorable au prévenu (1). (1) Cass. 20 décembre 2016, RG P.16.0382.N, Pas. 2016, n° 739.

PRESCRIPTION - MATIERE REPRESSIVE - Action publique - Généralités - Infractions - Unité d'intention - Période sans autre précision - Point de départ de la prescription - Conséquence

En matière correctionnelle et de police, la décision de renvoi de la juridiction d'instruction ou la citation à comparaître devant la juridiction de jugement ne saisit pas la juridiction de jugement de la qualification qui y figure, mais des faits tels qu'ils ressortent des pièces de l'instruction et qui fondent l'acte de saisine; cette qualification est provisoire et il incombe à la juridiction de jugement de donner aux faits leur qualification exacte, et il s'agit notamment aussi de déterminer le plus précisément possible la date ou la période à laquelle ces faits auraient eu lieu (1). (1) Cass. 21 novembre 2017, RG P.17.0180.N, Pas. 2017, n° 666.

TRIBUNAUX - MATIERE REPRESSIVE - Action publique - Saisine du juge pénal - Acte de saisine - Qualification des faits - Date des faits - Devoir du juge - Etendue - ACTION PUBLIQUE - Saisine du juge pénal - Acte de saisine - Période d'incrimination - Objet

En se basant sur les termes de l'acte de saisine, la juridiction de jugement détermine quels faits font l'objet de cet acte et, pour apprécier la portée de celui-ci, cette juridiction doit également tenir compte des pièces auxquelles la prévention mentionnée dans cet acte fait expressément référence (1); cela n'implique toutefois pas que le juge soit toujours tenu par ces pièces. (1) Cass. 21 novembre 2017, RG P.17.0180.N, Pas. 2017, n° 666.

TRIBUNAUX - MATIERE REPRESSIVE - Action publique - Acte de saisine - Détermination par le juge - Portée

Les éléments découlant de l'instruction peuvent, au besoin, servir à interpréter la teneur de l'acte de saisine, ce qui n'empêche pas que cette interprétation puisse requérir l'adaptation de la période d'incrimination ou de la date de la prévention figurant dans cet acte; dès lors, le juge ne peut refuser de prendre en considération les éléments complémentaires qui lui sont soumis par les parties pour situer ces faits dans le temps avec précision, au motif que ces éléments ne correspondent pas à la période d'incrimination indiquée dans l'acte de saisine ou découlent uniquement de pièces autres que celles auxquelles cet acte renvoie expressément.

ACTION PUBLIQUE - Saisine du juge pénal - Acte de saisine - Éléments de l'instruction - Détermination par le juge - Modalités - TRIBUNAUX - MATIERE REPRESSIVE - Action publique - Acte de saisine - Éléments de l'instruction - Détermination par le juge - Portée


Composition du Tribunal
Président : JOCQUE GEERT
Greffier : VANDEN BOSSCHE KRISTEL, BIRANT AYSE
Ministère public : SCHOETERS DIRK
Assesseurs : VAN VOLSEM FILIP, HOET PETER, LIEVENS ANTOINE, FRANCIS ERWIN, BERNEMAN SIDNEY, COUWENBERG ILSE, VAN DOOREN ERIC, VAN OVERBEKE STEVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-10-27;p.20.0520.n ?

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