N° P.20.0240.N
1. S. N.,
partie civile,
2. L. N.,
partie civile,
3. G. N.,
partie civile,
4. B. N.,
partie civile,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseil Me Joris Van Cauter, avocat au barreau de Gand,
contre
5. J. C. L. V. H.,
accusé,
représenté par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à 1170 Bruxelles, rue de la Hulpe, 177/7, où le défendeur 1 fait élection de domicile,
6. F. A. R. D. G.,
accusé,
7. G. M. C. T.,
accusé,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre :
- l’arrêt rendu le 12 décembre 2019 par le président de la cour d’assises de la province de Flandre orientale (audience préliminaire, arrêt n° 2019/25) (arrêt I) ;
- l’arrêt rendu le 31 janvier 2020 par la cour d’assises de la province de Flandre orientale (déclaration de culpabilité et motivation, arrêt n° 2020/3) (arrêt II) ;
- l’arrêt rendu le 12 février 2020 par la cour d’assises de la province de Flandre orientale (intérêts civils, arrêt n° 2020/4) (arrêt III)
- le procès-verbal de l’audience tenue par cette cour d’assises le 17 janvier 2020 et la décision qui s’y trouve actée de ne pas autoriser le demandeur 3 ni une autre partie civile à donner lecture de leur acte de constitution de partie civile (arrêt IV).
Les demandeurs invoquent deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 29 juillet 2020, l’avocat général Bart De Smet a déposé des conclusions au greffe.
À l’audience du 15 septembre 2020, le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur la recevabilité des pourvois
1. Selon l’article 278, § 4, du Code d’instruction criminelle, l’arrêt du président de la cour d’assises visé à l’article 278 dudit code n’est susceptible d’aucun recours.
Dans la mesure où ils sont dirigés contre l’arrêt I, les pourvois sont irrecevables.
2. Conformément à l’article 412 du Code d’instruction criminelle, la partie civile ne peut former un pourvoi contre une ordonnance d’acquittement ou un arrêt d’absolution. Suivant l’article 359, alinéa 3, du Code d’instruction criminelle, la partie civile ne peut se pourvoir que quant aux dispositions relatives à ses intérêts civils.
Il s’ensuit que la partie civile ne peut introduire de pourvoi contre la décision rendue par la cour d’assises sur l’action publique.
Dans la mesure où ils sont dirigés contre l’arrêt II, les pourvois sont irrecevables.
Sur le premier moyen :
3. Le moyen est pris de la violation des articles 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 334 du Code d’instruction criminelle : l’arrêt III considère, à tort, que la cour d’assises n’est pas compétente pour statuer sur les actions civiles exercées par les demandeurs, compte tenu de l’acquittement des défendeurs du chef des faits mis à leur charge ; l’arrêt II motive cet acquittement par la considération qu’il peut être raisonnablement mis en doute que le défendeur 1 n’a pas respecté les conditions et procédures prévues par la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie ; la cour d’assises ne précise pas en quoi un tel doute est permis et omet ainsi de mentionner les principales raisons pour lesquelles les préventions ne sont pas déclarées établies ; la simple constatation qu’un doute existe ne permet pas aux demandeurs de comprendre la décision, empêche la Cour d’exercer son contrôle de légalité et ne justifie pas légalement l’acquittement du défendeur 1.
4. Le droit à un procès équitable consacré par l’article 6, § 1er, de la Convention implique que la décision rendue sur l’action publique mette en avant les considérations ayant convaincu le juge de la culpabilité ou de l’innocence du prévenu ou de l’accusé et qu’elle indique au moins les principales raisons pour lesquelles la prévention a été déclarée établie ou non. Le respect du caractère équitable du procès requiert que tant la partie civile que l’opinion publique soient en mesure de comprendre la décision du jury, ce qui signifie que cette décision doit être motivée.
L’article 334, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle requiert que le collège formule les principales raisons sur lesquelles repose la décision du jury, sans qu’il doive répondre à l’ensemble des conclusions déposées.
5. Il s’ensuit que l’énoncé des principales raisons, tel qu’il est requis par ces dispositions, doit mettre en avant les considérations ayant convaincu le jury de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé et que doivent y figurer les raisons pour lesquelles une réponse positive ou négative a été apportée à chacune des questions posées aux membres du jury.
6. L’arrêt II acquitte le défendeur 1 au seul motif que « Après avoir contrôlé les conditions et la procédure prévues par la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie, la cour (d’assises) en arrive à la conclusion que le non-respect de celles-ci par [le défendeur 1] peut être raisonnablement mis en doute. L’enquête réalisée ne permet pas de constater avec le degré de certitude requis par la loi que [le défendeur 1] a méconnu les conditions ou la procédure légalement prescrites. Le doute profite à l’accusé ».
Par ces motifs, même lus conjointement avec l’acte d’accusation et les motifs énoncés dans l’arrêt II concernant l’appréciation de la culpabilité des défendeurs 2 et 3, la cour d’assises n’indique pas les principales raisons qui ont convaincu le jury de l’innocence du défendeur 1 et qui devraient permettre aux demandeurs de comprendre cette décision. N’est, dès lors, pas légalement justifiée la décision de l’arrêt III par laquelle, sur la base de l’acquittement prononcé par l’arrêt II, la cour d’assises se déclare incompétente pour connaître des actions civiles dirigées par les demandeurs contre le défendeur 1.
Le moyen est fondé.
Sur les autres griefs :
7. Il n’y a pas lieu de répondre aux griefs qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l’arrêt III en tant que la cour d’assises de la province de Flandre orientale se déclare incompétente pour statuer sur les actions civiles dirigées par les demandeurs contre le défendeur 1, compte tenu de l’acquittement de ce dernier ;
Ordonne que le présent arrêt sera transcrit sur les registres de la cour d’assises de la province de Flandre orientale et que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt III partiellement cassé ;
Rejette les pourvois pour le surplus ;
Condamne les demandeurs aux deux tiers des frais de leur pourvoi ;
Réserve la décision sur le surplus des frais afin qu’il soit statué sur celui-ci par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, au tribunal de première instance de Flandre orientale.
(...)
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Peter Hoet, Antoine Lievens, Erwin Francis et Eric Van Dooren, conseillers, et prononcé en audience publique du quinze septembre deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Bart De Smet, avec l’assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Frédéric Lugentz et transcrite avec l’assistance du greffier Fabienne Gobert.