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08/09/2020 | BELGIQUE | N°P.20.0837.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 septembre 2020, P.20.0837.N


N° P.20.0837.N
A. K.,
requérante.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le 30 juin 2020, la requérante a déposé au greffe de la Cour une requête portant l’intitulé « requête en dessaisissement pour cause de suspicion légitime (art. 648, 2° C. jud.) ».
Cette requête est annexée au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport.
L’avocat général Alain Winants a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
1. La Cour pense pouvoir inférer de la requête, en résumé, que la demande en dessaisissement porte

sur le dossier répressif actuellement pendant devant la cour d'appel d'Anvers, référencé sous le numér...

N° P.20.0837.N
A. K.,
requérante.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le 30 juin 2020, la requérante a déposé au greffe de la Cour une requête portant l’intitulé « requête en dessaisissement pour cause de suspicion légitime (art. 648, 2° C. jud.) ».
Cette requête est annexée au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport.
L’avocat général Alain Winants a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
1. La Cour pense pouvoir inférer de la requête, en résumé, que la demande en dessaisissement porte sur le dossier répressif actuellement pendant devant la cour d'appel d'Anvers, référencé sous le numéro 2019/PGA/1192, dans lequel la requérante a la qualité de prévenue et K.V.B. celle de partie civile, et que cette demande est essentiellement fondée sur les éléments suivants :
- les citations émises par le parquet d'Anvers sont nulles parce que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Bruxelles le 21 février 2018 est lui-même nul en raison de l'absence de signature de cet arrêt par l'un des conseillers, cette nullité ne pouvant être régularisée ;
- le 18 septembre 2015, puis à des dates ultérieures, la requérante et sa mère ont déposé « plainte avec constitution de partie civile BR n° BR53.98.1592-17/D1, du chef de harcèlement procédural, faits de harcèlement et privation de revenus », entre autres auprès du parquet général d'Anvers, et cette plainte désigne en tant que suspects plusieurs membres du siège et du parquet général de la cour d'appel d'Anvers, magistrats du siège et du parquet près le tribunal de première instance du Limbourg, greffiers de cette juridictions, magistrats du tribunal de première instance d'Anvers et fonctionnaires de police, lesquels ne seraient pas à même de statuer de manière objective, impartiale et, par conséquent, juridiquement correcte sur les dossiers dénués de complexité dont ils ont été saisis ;
- des plaintes additionnelles reprochent par ailleurs aux suspects des faits d’association de malfaiteurs, de participation à une organisation criminelle, de détournement de fonds publics et de biens ainsi que d’usage de faux ;
- en refusant d’examiner les plaintes, des membres du parquet général d’Anvers se sont rendus coupables de torture et de traitement inhumain ;
- les plaintes concernées ont également été déposées auprès de la Cour de cassation et du parquet près cette cour ;
- le parquet général d’Anvers a transmis la cause au parquet général de Bruxelles, alors que les plaintes désignaient en tant que suspects le procureur général et un avocat général près cette cour d’appel ;
- les plaintes avec constitution de partie civile précitées, déposées par la requérante et sa mère et qui concernent manifestement aussi des procédures civiles et disciplinaires, ont également été dirigées contre plusieurs conseillers effectifs et suppléants de la cour d'appel d’Anvers, un greffier, des membres du conseil de discipline, des bâtonniers et des fonctionnaires de police, étant entendu qu’elles portent également sur le suivi réservé aux demandes en récusation introduites par la requérante ;
- il existerait, entre la cour d’appel d’Anvers, le parquet général, les barreaux et les cabinets d'avocats, des liens qui compromettent leur indépendance et leur impartialité ;
- il résulterait également des plaintes précitées que la requérante est innocente dans le cadre de la procédure actuellement pendante devant la cour d'appel d'Anvers, référencée sous le numéro 2019/PGA/1192 et qu'elle est poursuivie sur la base d'un dossier répressif habilement orchestré et entièrement composé de pièces et de procès-verbaux entachés de faux, tant sur la forme que sur le fond ;
- la chambre correctionnelle devant laquelle la procédure engagée à charge de la requérante est pendante a fixé des délais pour conclure, alors qu'elle aurait dû constater que la nullité de l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles ne pouvait être régularisée, puis renvoyer la cause à la Cour de cassation.
2. En outre, la requérante fait valoir dans sa requête que seule la Cour de cassation serait compétente pour instruire la cause compte tenu de l’implication des magistrats d'une cour d’appel. Selon la requérante, pour être en mesure de statuer sur la suspicion légitime alléguée, la Cour de cassation doit examiner les plaintes déposées par sa mère et elle.
3. Les éléments suivants apparaissent des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard :
- par un arrêt du 21 février 2018, la cour d'appel de Bruxelles a déclaré la requérante coupable d'avoir volontairement infligé des coups ou des blessures à K.V.B. à Bruxelles, le 4 novembre 2014, tout en suspendant le prononcé de la condamnation du chef de ces faits pour une durée de cinq ans et a confirmé, en ce qui concerne l'action civile, la décision du premier juge condamnant la requérante au versement à la partie civile de 250,00 euros de dommages-intérêts à majorer des intérêts ainsi qu’au paiement d’une indemnité de procédure ;
- sur le pourvoi de la requérante, la Cour de cassation, par arrêt P.18.0298.N du 12 mars 2019, a cassé l'arrêt précité de la cour d'appel de Bruxelles du 21 février 2018, sauf en ce qui concerne la décision de déclarer les appels recevables et de ne pas prononcer la déchéance de ces appels, et a renvoyé la cause, ainsi limitée, à la cour d'appel d'Anvers ;
- le procureur général près la cour d'appel d'Anvers a cité les parties à comparaître à l’audience du 28 juin 2019 ;
- le 27 juin 2019, la requérante a déposé les actes en récusation ;
- le 28 juin 2019, la chambre C1 de la cour d'appel d'Anvers a constaté que, compte tenu de la demande en récusation, toutes opérations étaient suspendues ;
- par l'arrêt C.19.0504.N du 21 novembre 2019, la Cour de cassation a considéré que la demande en récusation était en réalité une demande en dessaisissement du juge et que, la requête n'ayant pas été déposée au greffe de la Cour de cassation, elle était manifestement irrecevable :
- le procureur général près la cour d'appel d'Anvers a ensuite convoqué les parties à l’audience du 6 mars 2020 ;
- il ressort du procès-verbal de l’audience du 6 mars 2020 que les délais pour conclure ont été fixés et que la cause a été fixée à l’audience du 16 septembre 2020 en vue de son examen.
4. Il ne résulte pas de l'article 4 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale que la Cour et son parquet soient tenus d’instruire les plaintes déposées par la requérante et sa mère avant de pouvoir statuer sur une éventuelle irrecevabilité manifeste de la requête en dessaisissement du juge pour cause de suspicion légitime.
5. Selon le libellé de la requête, la demande en dessaisissement est fondée sur la suspicion légitime visée à l’article 648, 2°, du Code judiciaire.
6. L’article 648, 2°, du Code judiciaire n’est pas applicable en matière criminelle. Toutefois, en matière criminelle, selon l’article 542, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle, toute partie intéressée peut demander le renvoi d'un tribunal à un autre pour cause de suspicion légitime.
7. La requérante doit fonder sa demande de renvoi à un autre tribunal, visée à l’article 542, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle, sur des faits probants et précis qui, s'ils s'avèrent être exacts, peuvent faire naître, à l’égard de l’ensemble des magistrats composant la juridiction concernée, une suspicion légitime quant à leur indépendance et leur impartialité, lesquelles sont présumées.
8. La circonstance que la manière dont un magistrat exerce ou a exercé ses fonctions dans une ou plusieurs affaires déterminées déplaise à une partie et que celle-ci dépose des plaintes contre ce magistrat pour cette raison, ne constitue pas en soi un motif de suspicion légitime au sens de l’article 542, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle. Statuer autrement aurait pour effet de rendre complètement impossible l’administration de la justice.
Dans cette mesure, la requête en dessaisissement est manifestement irrecevable.
9. Il ne peut se déduire ni des éléments contenus dans la requête, ni de ceux auxquels elle fait référence, qu’aucun magistrat de la cour d’appel d’Anvers puisse encore connaître de l’affaire référencée sous le numéro 2019/PGA/1192 en raison d’un manque d’indépendance ou d’impartialité ou de l’apparence d’un tel manque.
Dans cette mesure, la demande en dessaisissement est, elle aussi, manifestement irrecevable.
10. Dans la mesure où la requête doit être comprise comme une dénonciation faite à la Cour, la Cour n'est pas compétente pour recevoir cette dénonciation. En effet :
- dans la mesure où la dénonciation concerne des crimes ou des délits commis hors de leurs fonctions par des magistrats d’un parquet près une cour d’appel ou du siège d’une cour d’appel et, par connexité, par d’autres magistrats ou non-magistrats, il convient de suivre la procédure prévue aux articles 481 et 482 du Code d’instruction criminelle. La circonstance que la requérante ou sa mère désigne en tant que suspects le ministre de la Justice et les fonctionnaires du ministère public qui auraient déjà pu recevoir de telles dénonciations, n’a pas pour conséquence que la procédure prévue aux articles 481 et 482 du Code d’instruction criminelle puisse être ignorée et qu’une dénonciation puisse être faite directement à la Cour. Il n’apparait pas que le ministre de la Justice ait transmis quelque dénonciation que ce soit à la Cour ;
- dans la mesure où la dénonciation concerne des crimes commis dans leurs fonctions par un ou plusieurs membres d’une cour d’appel ou par le procureur général ou ses substituts près une telle cour et, par connexité, par d’autres magistrats ou non-magistrats, il convient de suivre la procédure prévue aux articles 485 et 486 du Code d’instruction criminelle. Il n’apparait pas que le ministre de la Justice ait transmis quelque dénonciation que ce soit à la Cour. Il n’apparait pas davantage que les personnes qui se prétendent lésées par le crime aient pris le juge à partie. Enfin, une dénonciation incidente n'est pas possible non plus dès lors qu’elle aurait dû pouvoir exercer une incidence sur la décision rendue en la cause dans laquelle elle est faite et que la Cour a considéré, ci-dessus, la requête en dessaisissement comme irrecevable.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette la requête.
Condamne la requérante aux frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Peter Hoet, Antoine Lievens, Erwin Francis et Sidney Berneman, conseillers, et prononcé en audience publique du huit septembre deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Alain Winants, avec l’assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Frédéric Lugentz et transcrite avec l’assistance du greffier Fabienne Gobert.


Synthèse
Formation : Chambre 2n - tweede kamer
Numéro d'arrêt : P.20.0837.N
Date de la décision : 08/09/2020
Type d'affaire : Autres - Droit pénal

Analyses

En matière répressive, toute partie intéressée peut requérir le renvoi d’un tribunal à un autre pour cause de suspicion légitime, cette demande de renvoi devant être fondée sur des faits probants et précis qui, s'ils s'avèrent être exacts, peuvent faire naître, à l’égard de l’ensemble des magistrats composant la juridiction concernée, une suspicion légitime quant à leur indépendance et leur impartialité, lesquelles sont présumées; la circonstance que la manière dont un magistrat exerce ou a exercé ses fonctions dans une ou plusieurs affaires déterminées déplaise à une partie et que celle-ci dépose des plaintes contre ce magistrat pour cette raison, ne constitue pas en soi un motif de suspicion légitime au sens de l’article 542, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle (1). (1) La requérante avait fondé sa demande sur la suspicion légitime visée à l’article 648, 2°, du Code judiciaire, qui n’est pas applicable en matière répressive.

RENVOI D'UN TRIBUNAL A UN AUTRE - MATIERE REPRESSIVE - Suspicion légitime - Conditions - Portée

Une requête en renvoi d’un tribunal à un autre relative à des crimes ou des délits potentiellement commis hors de leurs fonctions par des magistrats d’un parquet général près une cour d’appel ou du siège d’une cour d’appel et, par connexité, par d’autres magistrats ou non-magistrats, ne peut être comprise comme une dénonciation faite à la Cour et la Cour n'est donc pas compétente pour recevoir cette dénonciation, dès lors qu’il convient de suivre la procédure prévue aux articles 481 et 482 du Code d’instruction criminelle; la circonstance que le requérant désigne en tant que suspects le ministre de la Justice et les fonctionnaires du ministère public qui auraient déjà pu recevoir de telles dénonciations, n’a pas pour conséquence que la procédure prévue aux articles 481 et 482 du Code d’instruction criminelle puisse être ignorée et qu’une dénonciation puisse être faite directement à la Cour (1). (1) WINANTS, A., « Beschouwingen over het voorrecht van rechtsmacht », in F. DERUYCK (ed.), Strafrecht in/uit balans*, die Keure, 2020, 138-141; R. DECLERCQ, Beginselen van strafrechtspleging, Kluwer, Malines, 2014, 6e édition, 647-651. En l’espèce, il n’y a pas eu de dénonciation par le ministre de la Justice.

PRIVILEGE DE JURIDICTION - Magistrats d’une cour d’appel - Crimes ou délits commis hors de leurs fonctions - Procédure - Dénonciation par le ministre de la Justice - Requête en renvoi d’un tribunal à un autre - Matière répressive - Suspicion légitime - Portée - Conséquence

Une requête en renvoi d’un tribunal à un autre relative à des crimes potentiellement commis dans leurs fonctions par un ou plusieurs membres d’une cour d’appel ou par le procureur général ou ses substituts près une telle cour et, par connexité, par d’autres magistrats ou non-magistrats, ne peut être comprise comme une dénonciation faite à la Cour et la Cour n'est donc pas compétente pour recevoir cette dénonciation, dès lors qu’il convient de suivre la procédure prévue aux articles 485 et 486 du Code d’instruction criminelle; une dénonciation à la Cour n’est pas possible non plus lorsqu’il n’apparait pas que les personnes qui se prétendent lésées par le crime aient pris le juge à partie; une dénonciation incidente n’est pas davantage possible lorsque la requête en dessaisissement est irrecevable dès lors qu’une telle dénonciation doit pouvoir avoir une incidence sur la décision rendue en la cause dans laquelle elle est faite (1). (1) WINANTS, A., « Beschouwingen over het voorrecht van rechtsmacht », in F. DERUYCK (ed.), Strafrecht in/uit balans*, die Keure, 2020, 138-141; R. DECLERCQ, Beginselen van strafrechtspleging, Kluwer, Malines, 2014, 6e édition, 647-651. En l’espèce, il n’y a pas eu de dénonciation par le ministre de la Justice.

PRIVILEGE DE JURIDICTION - Magistrats d’une cour d’appel - Crimes commis dans leurs fonctions - Procédure - Dénonciation par le ministre de la Justice - Requête en renvoi d’un tribunal à un autre - Matière répressive - Suspicion légitime - Portée - Conséquence


Composition du Tribunal
Président : VAN VOLSEM FILIP
Greffier : VANDEN BOSSCHE KRISTEL
Ministère public : WINANTS ALAIN
Assesseurs : HOET PETER, LIEVENS ANTOINE, FRANCIS ERWIN, VAN DOOREN ERIC, VAN OVERBEKE STEVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-09-08;p.20.0837.n ?

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