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08/09/2020 | BELGIQUE | N°P.20.0388.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 septembre 2020, P.20.0388.N


N° P.20.0388.N
F. C. C. B.,
prévenu,
demandeur en cassation,
Me Sahil Malik, avocat au barreau d’Anvers.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 12 mars 2020 par la cour d’appel d’Anvers, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Sidney Berneman a fait rapport.
L'avocat général Alain Winants a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
1. Le moyen, en c

ette branche, est pris de la violation des articles 6, § 1er, et 6, § 3, d, de la Convention de sauvegarde ...

N° P.20.0388.N
F. C. C. B.,
prévenu,
demandeur en cassation,
Me Sahil Malik, avocat au barreau d’Anvers.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 12 mars 2020 par la cour d’appel d’Anvers, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Sidney Berneman a fait rapport.
L'avocat général Alain Winants a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
1. Le moyen, en cette branche, est pris de la violation des articles 6, § 1er, et 6, § 3, d, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 14, § 1er, et 14, § 3, e, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que de la méconnaissance des principes généraux du droit relatifs au droit à un procès équitable et au droit à la contradiction : l’arrêt qui, en se fondant sur la nature des faits mis à charge et de l’environnement criminel dans lequel ils s’inscrivent, décide qu’il existe des raisons fondées de ne pas entendre le témoin J.W. (ci-après : le témoin), auteur de déclarations incriminant le demandeur au stade de l'instruction, n’est pas légalement justifié ; le juge est tenu de s’assurer que la crainte exprimée est toujours présente au moment de l’examen de la cause, que cette crainte est justifiée sur la base d’éléments de preuve précis et qu’il n’existe pas d’alternatives permettant de néanmoins garantir le droit d’interroger ou de faire interroger des témoins ; les juges d’appel ont omis de constater ces éléments.
2. Il résulte de l’article 6, § 1er, de la Convention et du droit à un procès équitable qui s’y trouve consacré, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, que l’absence d’une raison valable de ne pas entendre un témoin ayant fait une déclaration incriminant le prévenu est en soi insuffisante pour conclure à la violation de cette disposition conventionnelle, mais qu’elle constitue un élément important pour parvenir à une telle conclusion.
3. Il appartient au juge d'examiner s'il existe une raison valable pouvant justifier qu’un témoin ayant fait une déclaration incriminant le prévenu ne soit pas entendu à l’audience. La crainte qu'un tel témoin prétend éprouver pour son intégrité physique peut constituer une telle raison de ne pas l’auditionner. Toutefois, il ne suffit pas que le témoin soit habité par un sentiment tout à fait subjectif à cet égard. Le juge doit examiner s'il existe des éléments objectifs, donc étayés par des éléments de preuve, expliquant cette crainte et s'il n'existe pas d'alternatives réalistes.
4. Par adoption des motifs du jugement entrepris (...) et par motifs propres (...), l’arrêt constate que :
- le témoin a fait cinq déclarations dans le cadre de ce dossier, il a également été entendu dans le cadre d'une demande d'entraide judiciaire adressée aux Pays-Bas et le dossier contient également une lettre manuscrite mentionnant son nom ;
- le témoin a clairement indiqué, au stade de l'information, qu'il refusait de coopérer davantage à l'enquête et que ce refus était motivé par la crainte d'éventuelles représailles s’il venait encore à faire de nouvelles déclarations ou des déclarations complémentaires ;
- le témoin a indiqué à un certain moment qu'il ne voulait plus faire de déclarations et il peut être inféré du dossier répressif que cette attitude s’explique par la crainte de représailles ;
- la crainte que le témoin prétend éprouver est raisonnablement justifiée et résulte de la nature des faits qu'il a dénoncés, à savoir une séquestration et une extorsion dans le milieu des stupéfiants ;
- il est manifeste que le demandeur fait complètement abstraction des faits très violents dont le témoin a été victime et qui sont indiscutables compte tenu des blessures qui ont été constatées et du sac qui a été retrouvé et qui contenait, entre autres, l'élastique avec lequel il a été ligoté ;
- cette crainte est en outre étayée par les informations policières du 21 avril 2016 et par la découverte d'une réplique de grenade à main sur le siège passager d'une camionnette garée devant l'adresse du témoin à Anvers, le 2 août 2016 ;
- il ne peut être perdu de vue que ces faits s'inscrivent manifestement dans l'environnement criminel du trafic international de stupéfiants ;
- compte tenu du refus non équivoque du témoin de coopérer davantage, toute convocation à venir témoigner devant le juge du fond aurait un caractère purement formel ;
- compte tenu des circonstances susmentionnées, il est évident que la crainte de représailles demeure présente au moment de l’arrêt.
5. Il s'ensuit que les juges d'appel ont effectivement examiné s'il existe des informations objectives, étayées par des éléments de preuve, qui justifient la crainte du témoin pour son intégrité physique, qu’ils ont répondu à cette question par l’affirmative et qu'ils ont effectivement constaté l’inexistence d'alternatives réalistes à l’audition du témoin sous serment. Ainsi, la décision est légalement justifiée.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
6. Le moyen, en cette branche, est pris de la violation des articles 6, § 1er, et 6, § 3, d, de la Convention, 14, § 1er, et 14, § 3, e, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que de la méconnaissance des principes généraux du droit relatifs au droit à un procès équitable et au droit à la contradiction : l'arrêt refuse, à tort, d'écarter des débats les déclarations incriminantes du témoin et fonde la déclaration de culpabilité du demandeur sur les éléments cruciaux de celles-ci, à savoir le fait que le témoin a été victime d’une séquestration, d’un vol avec violences et d’une extorsion, puis qu’il a identifié le demandeur sur des photographies ; l'absence d'audition du témoin à l’audience aurait dû être compensée par des garanties devant permettre d'apprécier la fiabilité de ses déclarations ; le seul fait d’accorder une valeur probante réduite aux déclarations incriminantes est insuffisant ; en outre, ces déclarations contiennent des ambiguïtés et des contradictions, sans que les juges d’appel aient examiné les tenants et aboutissants de celles-ci.
7. Pour apprécier si l'absence d'audition sous serment, à l’audience, d'un témoin qui a fait une déclaration à charge du prévenu est constitutive de violation du droit de ce prévenu à un procès équitable consacré par l'article 6 Convention, pris dans son ensemble, l’existence de facteurs compensateurs suffisants, en ce compris de solides garanties procédurales, constitue un critère important.
8. De tels facteurs compensateurs peuvent consister notamment dans le fait d’accorder une valeur probante réduite à de telles déclarations, dans l'existence d'un enregistrement vidéo de l’audition réalisée au stade de l’information, lequel permet d’apprécier la fiabilité des déclarations, dans l'existence d’éléments de preuve étayant ou corroborant le contenu des déclarations faites au stade de l’information, dans la possibilité de poser au témoin des questions écrites, dans la possibilité qui fut offerte au prévenu d’interroger ou de faire interroger le témoin au stade de l’information et dans la possibilité offerte au prévenu de donner son point de vue quant à la fiabilité du témoin ou de souligner les contradictions internes dans ses déclarations ou avec les déclarations d’autres témoins.
Dans la mesure où il allègue que la valeur probante réduite accordée aux déclarations incriminantes d'un témoin qui n’a pas été entendu sous serment à l’audience ne saurait en aucun cas constituer un facteur compensateur, le moyen, en cette branche, manque en droit.
9. L’arrêt (...) énonce les considérations suivantes :
- lors de son audition du 22 avril 2016, le témoin a incontestablement identifié le demandeur comme étant l'un des auteurs des faits, et cette déclaration a manifestement orienté la suite de l'enquête ;
- compte tenu de certaines ambiguïtés et contradictions, dont l’existence a été reconnue, dans les déclarations successives du témoin, ni ces déclarations ni la reconnaissance photographique en tant que telle n'ont déterminé à elles seules l'issue de cette affaire ;
- les mesures nécessaires ont été prises, au stade de l'information, pour vérifier la qualité des déclarations qui ont été faites ;
- les déclarations du témoin ont été mises en regard d’éléments objectifs et les mesures nécessaires ont été prises pour interroger le témoin en détail concernant les observations formulées par le demandeur ;
- la cour d’appel se fonde avant tout sur la découverte du sac alors que celui-ci était en possession d'un coprévenu, l’enquête téléphonique, les conversations mises sur écoute entre A. et G., d'une part, et la conversation entre A. et le demandeur, d'autre part, dont il est en fin de compte ressorti que le demandeur était manifestement impliqué dans cette affaire ;
- l’existence d’ambiguïtés et de contradictions dans les déclarations successives du témoin, soulevée par le demandeur, a été reconnue et il en a été tenu compte ;
- les déclarations du témoin ne sont donc pas déterminantes pour convaincre les juges d'appel de l'implication du demandeur, mais seulement les éléments cruciaux de celles-ci, à savoir le fait que le témoin a été victime d’une séquestration, d’un vol avec violences et d’une extorsion, puis qu’il a identifié le demandeur sur des photographies, soit autant d’éléments admis comme preuve au même titre que les autres éléments de preuve, en particulier les conversations mises sur écoute.
Ainsi, les juges d'appel ont décidé, en guise de facteur compensateur, de ne pas prendre en considération à titre de preuve à part entière les déclarations incriminantes faites par le témoin, mais de les considérer uniquement comme des éléments venant étayer d'autres éléments de preuve avec lesquels ils doivent être lus conjointement. Cette décision, aux termes de laquelle les juges d'appel n’étaient pas tenus de mentionner explicitement la raison pour laquelle les déclarations du témoin contenaient des ambiguïtés et des contradictions, est légalement justifiée.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
10. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
(…)
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Peter Hoet, Antoine Lievens, Erwin Francis et Sidney Berneman, conseillers, et prononcé en audience publique du huit septembre deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Alain Winants, avec l’assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Frédéric Lugentz et transcrite avec l’assistance du greffier Tatiana Fenaux.


Synthèse
Formation : Chambre 2n - tweede kamer
Numéro d'arrêt : P.20.0388.N
Date de la décision : 08/09/2020
Type d'affaire : Droit international public

Analyses

Il résulte de l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du droit à un procès équitable qui s’y trouve consacré, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, que l’absence d’une raison valable de ne pas entendre un témoin ayant fait une déclaration incriminant le prévenu est en soi insuffisante pour conclure à la violation de cette disposition conventionnelle, mais qu’elle constitue un élément important pour parvenir à une telle conclusion; il appartient au juge d’examiner s’il existe une raison valable pouvant justifier qu’un témoin ayant fait une déclaration incriminant le prévenu ne soit pas entendu à l’audience et la crainte qu’un tel témoin prétend éprouver pour son intégrité physique peut constituer une telle raison de ne pas l’auditionner; toutefois, il ne suffit pas que le témoin soit habité par un sentiment tout à fait subjectif à cet égard et le juge doit examiner s’il existe des éléments objectifs, donc étayés par des éléments de preuve, expliquant cette crainte et s’il n’existe pas d’alternatives réalistes (1). (1) CEDH (Grande Chambre) 15 décembre 2011, Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni, T. Strafr. 2012, liv. 1, 48, R.W. 2013-2014, liv. 21, 835.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 1er - Droit à un procès équitable - Audition de témoins - Justification de l’absence d’audition d’un témoin - Crainte que le témoin éprouve pour son intégrité physique - Portée - Conséquence - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 3 - Article 6, § 3, d - Droit à un procès équitable - Audition de témoins - Justification de l’absence d’audition d’un témoin - Crainte que le témoin éprouve pour son intégrité physique - Portée - Conséquence

Pour apprécier si l’absence d’audition sous serment, à l’audience, d’un témoin qui a fait une déclaration à charge du prévenu est constitutive de violation du droit de ce prévenu à un procès équitable consacré par l’article 6 Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, pris dans son ensemble, l’existence de facteurs compensateurs suffisants, en ce compris de solides garanties procédurales, constitue un critère important; de tels facteurs compensateurs peuvent consister notamment dans le fait d’accorder une valeur probante réduite à de telles déclarations, dans l’existence d’un enregistrement vidéo de l’audition réalisée au stade de l’information, lequel permet d’apprécier la fiabilité des déclarations, dans l’existence d’éléments de preuve étayant ou corroborant le contenu des déclarations faites au stade de l’information, dans la possibilité de poser au témoin des questions écrites, dans la possibilité qui fut offerte au prévenu d’interroger ou de faire interroger le témoin au stade de l’information et dans la possibilité offerte au prévenu de donner son point de vue quant à la fiabilité du témoin ou de souligner les contradictions internes dans ses déclarations ou avec les déclarations d’autres témoins (1). (1) Cass. 26 février 2019, RG P.18.1028.N, Pas. 2019, n° 117.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 1er - Droit à un procès équitable - Audition de témoins - Justification de l’absence d’audition d’un témoin - Facteurs compensateurs - Portée - Conséquence - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 3 - Article 6, § 3, d - Droit à un procès équitable - Audition de témoins - Justification de l’absence d’audition d’un témoin - Facteurs compensateurs - Portée - Conséquence


Composition du Tribunal
Président : VAN VOLSEM FILIP
Greffier : VANDEN BOSSCHE KRISTEL
Ministère public : WINANTS ALAIN
Assesseurs : HOET PETER, LIEVENS ANTOINE, FRANCIS ERWIN, VAN DOOREN ERIC, VAN OVERBEKE STEVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-09-08;p.20.0388.n ?

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