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07/09/2020 | BELGIQUE | N°C.19.0034.N-C.19.0118.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 07 septembre 2020, C.19.0034.N-C.19.0118.N


N° C.19.0034.N
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique,
Me Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation,
contre
DOCPHARMA, s.r.l.,
Me Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation,
II.
N° C.19.0118.N
DOCPHARMA, s.r.l.,
Me Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique,
Me Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Les pourvois en cassation sont diri

gés contre l’arrêt rendu le 5 février 2018 par la cour d’appel de Bruxelles.
Par ordonnance du 21 avril...

N° C.19.0034.N
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique,
Me Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation,
contre
DOCPHARMA, s.r.l.,
Me Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation,
II.
N° C.19.0118.N
DOCPHARMA, s.r.l.,
Me Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique,
Me Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Les pourvois en cassation sont dirigés contre l’arrêt rendu le 5 février 2018 par la cour d’appel de Bruxelles.
Par ordonnance du 21 avril 2020, le premier président a renvoyé les causes devant la troisième chambre.
Le président de section Koen Mestdagh a fait rapport.
Le premier avocat général Ria Mortier a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la cause C.19.0034.N, le demandeur présente un moyen dans la requête en cassation jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme.
Dans la cause C.19.0118.N, la demanderesse présente un moyen dans la requête en cassation jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme.
III. La décision de la Cour
A. Jonction
1. Les pourvois en cassation formés dans les causes C.19.0034.N et C.19.0118.N sont dirigés contre le même arrêt.
Il y a lieu de les joindre.
B. Cause C.19.0034.N
Sur la recevabilité du moyen :
2. La défenderesse oppose au moyen deux fins de non-recevoir déduites de ce que :
- le moyen fait grief aux juges d’appel de s’être déclarés incompétents en tant que juge des saisies pour apprécier la question de l’abus de droit commis par le créancier lors du recouvrement des astreintes, sans invoquer, à cet égard, la violation de l’article 1498 du Code judiciaire ;
- le moyen est dénué d’intérêt, dans la mesure où il reproche aux juges d’appel de ne pas avoir tenu compte, dans la phase d’exécution, des circonstances invoquées par le demandeur concernant l’abus de droit commis par la défenderesse lors du recouvrement des astreintes, dès lors que la décision des juges d’appel selon laquelle ils ne sont pas compétents pour statuer sur l’existence de cet abus de droit suffit à fonder la décision relative à la débition des astreintes.
3. L’allégation de la méconnaissance du principe général du droit de l’interdiction de l’abus de droit, que le juge des saisies est également tenu d’appliquer dans l’appréciation du recouvrement d’une astreinte, suffit pour entraîner la cassation.
La première fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
4. L’examen de la seconde fin de non-recevoir est indissociable de celui du moyen.
La seconde fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Sur le fondement du moyen :
5. Le régime de l’astreinte est fondé sur une stricte répartition de compétences entre le juge qui prononce l’astreinte, le juge de l’astreinte, et le juge qui décide si l’astreinte est encourue, soit le juge des saisies.
Dès lors qu’il est compétent pour connaître de toutes les difficultés d’exécution, le juge des saisies est également compétent pour apprécier si le recouvrement de l’astreinte donne lieu, dans le cas d’espèce, à un abus de droit.
6. L’abus de droit consiste à exercer un droit d’une manière qui excède manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit par une personne diligente et prudente.
La sanction d’un tel abus n’est pas la déchéance de ce droit mais la réduction de celui-ci à son exercice normal ou la réparation du dommage que l’abus a causé. La réduction du droit à son exercice normal peut aller jusqu’à priver son titulaire de la possibilité de s’en prévaloir dans le cas d’espèce.
7. Il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que :
- par un arrêté ministériel du 21 octobre 2003, le demandeur a reconnu une intervention pour le médicament Docsimvasta de la défenderesse, moyennant un contrôle a posteriori par le médecin conseil ;
- le demandeur a retiré cet arrêté, avant même son entrée en vigueur, par un arrêté ministériel du 19 novembre 2003, en vertu duquel une intervention pour le médicament Docsimvasta n’était possible que moyennant une autorisation a priori du médecin conseil ;
- le Conseil d’État a annulé les deux arrêtés ministériels, sur requête de la défenderesse ;
- la défenderesse a introduit parallèlement une procédure en référé à l’issue de laquelle le juge a décidé, par ordonnance du 19 décembre 2003, que l’arrêté ministériel du 19 novembre 2003 était illégal et a condamné le demandeur à la publication, au Moniteur belge, du retrait de cet arrêté ministériel dans les 72 heures de la signification de l’ordonnance, sous peine d’une astreinte de 10.000 euros par jour de retard avec un maximum de 5.000.000 euros ;
- la demande formée par la défenderesse devant les juges d’appel tendait à entendre condamner le demandeur à payer un montant de 1.650.000 euros d’astreintes encourues dans la période du 28 décembre 2003 au 10 juin 2004 ;
- devant les juges d’appel, le demandeur soutenait que la défenderesse a commis un abus de droit en poursuivant le recouvrement des astreintes, dès lors qu’elle visait, par le retrait de l’arrêté ministériel du 19 novembre 2003, l’application de l’arrêté ministériel du 21 octobre 2003, mais a demandé parallèlement au Conseil d’État d’annuler rétroactivement l’arrêté cité en dernier lieu, de sorte que cet arrêté n’aurait jamais dû trouver à s’appliquer et qu’en vertu d’un arrêté de réparation du 8 juin 2009, elle a obtenu rétroactivement les interventions visées pour ses médicaments Docsimvasta pour la période durant laquelle les astreintes avaient été encourues.
Les juges d’appel ont considéré que :
- c’est dans le cadre de la procédure en référé, le cas échéant en degré d’appel, que le demandeur aurait dû invoquer ses moyens relatifs au bien-fondé des astreintes imposées, et que ceux-ci ont perdu toute pertinence dans la procédure actuelle, dans laquelle la cour d’appel agit au seul titre de juge de l’exécution ;
- le juge de l’exécution n’est pas compétent en la matière ;
- un arrêté de réparation promulgué par un débiteur ne peut avoir pour effet que des astreintes déclarées encourues soient annulées par une mesure législative rétroactive prise par ce même débiteur ;
- le demandeur fait valoir, en outre, que la défenderesse a détourné l’astreinte de sa finalité légale, non seulement en menant une procédure en référé concernant l’arrêté ministériel du 19 novembre 2003, mais en introduisant en outre, devant le Conseil d’État, une procédure en annulation de l’arrêté ministériel du 21 octobre 2003 ;
- en l’espèce, la cour d’appel agit au seul titre de juge de l’exécution et est seulement tenue de vérifier si le débiteur a correctement respecté la condamnation principale.
8. Les juges d’appel n’ont donc pas vérifié si, dans les circonstances susmentionnées, la défenderesse a, dans la phase d’exécution de la condamnation à une astreinte, abusé de son droit de poursuivre le recouvrement de cette astreinte en exerçant ce droit d’une manière manifestement déraisonnable. En décidant, sur la base de ces motifs, que le demandeur est débiteur des astreintes dont le recouvrement est poursuivi, ils n’ont pas légalement justifié leur décision.
Le moyen est fondé.
Sur l’étendue de la cassation :
9. La cassation de la décision rendue sur la débition des astreintes s’étend à la décision relative aux intérêts judiciaires dus sur le montant de ces astreintes, en raison du lien existant entre ces décisions.
C. Cause C.19.0118.N
10. Eu égard à la décision rendue dans la cause C.19.0034.N, le moyen est dénué d’intérêt.
Par ces motifs,
La Cour
Joint les causes C.19.0034.N et C.19.0118.N ;
Casse l’arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d’appel de Gand.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Koen Mestdagh, président, les conseillers Antoine Lievens, Bart Wylleman, Maxime Marchandise et Sven Mosselmans, et prononcé en audience publique du sept septembre deux mille vingt par le président de section Koen Mestdagh, en présence du premier avocat général Ria Mortier, avec l’assistance du greffier Mike Van Beneden.
Traduction établie sous le contrôle du président de section Mireille Delange et transcrite avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Formation : Chambre 3n - derde kamer
Numéro d'arrêt : C.19.0034.N-C.19.0118.N
Date de la décision : 07/09/2020
Type d'affaire : Autres - Droit civil

Analyses

Le régime de l'astreinte est fondé sur une stricte répartition de compétences entre le juge qui prononce l'astreinte, le juge de l'astreinte, et le juge qui décide si l'astreinte est encourue, soit le juge des saisies; dès lors qu'il est compétent pour connaître de toutes les difficultés d'exécution, le juge des saisies est également compétent pour apprécier si le recouvrement de l'astreinte donne lieu, dans le cas d'espèce, à un abus de droit (1). (1) Cass. 19 décembre 2019, RG C.19.0127, Pas. 2019, n° 683, avec concl. de M. VAN INGELGEM, avocat général, publiées à leur date dans AC.

COMPETENCE ET RESSORT - GENERALITES - Astreinte - Astreinte prononcée et encourue - Répartition de compétences entre le juge des saisies et le juge de l'astreinte - Notion - Compétences - ABUS DE DROIT [notice1]

L'abus de droit consiste à exercer un droit d'une manière qui excède manifestement les limites de l'exercice normal de ce droit par une personne diligente et prudente (1). (1) Cass. 19 décembre 2019, RG C.19.0127, Pas. 2019, n° 683, avec concl. de M. VAN INGELGEM, avocat général, publiées à leur date dans AC.

ABUS DE DROIT - Notion - PRINCIPES GENERAUX DU DROIT - Abus de droit - Notion [notice3]

La sanction de l'abus de droit n'est pas la déchéance de ce droit mais la réduction de celui-ci à son exercice normal ou la réparation du dommage que l'abus a causé; la réduction du droit à son exercice normal peut aller jusqu'à priver son titulaire de la possibilité de s'en prévaloir dans le cas d'espèce (1). (1) Cass. 19 décembre 2019, RG C.19.0127, Pas. 2019, n° 683, avec concl. de M. VAN INGELGEM, avocat général, publiées à leur date dans AC.

ABUS DE DROIT - Sanction - Etendue - PRINCIPES GENERAUX DU DROIT - Interdiction de l'abus de droit - Sanction - Etendue [notice5]


Références :

[notice1]

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 1385bis, al. 1er, 1385quater, 1385quinquies, 1395, al. 1er, 1396 et 1498 - 01 / No pub 1967101052

[notice3]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 1134, al. 3 - 30 / No pub 1804032150 ;

Principe général du droit qui prohibe l'abus de droit

[notice5]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 1134, al. 3 - 30 / No pub 1804032150 ;

Principe général du droit relatif à l'abus de droit


Composition du Tribunal
Président : MESTDAGH KOEN
Greffier : VAN BENEDEN MIKE
Ministère public : VANDERLINDEN HENRI
Assesseurs : LIEVENS ANTOINE, WYLLEMAN BART, COUWENBERG ILSE, MOSSELMANS SVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-09-07;c.19.0034.n.c.19.0118.n ?

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