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17/03/2020 | BELGIQUE | N°P.20.0078.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 17 mars 2020, P.20.0078.N


N° P.20.0078.N
L. B.,
requérante en renvoi d'un tribunal à un autre pour cause de suspicion légitime,
Me Kris Luyckx, avocat au barreau d'Anvers,
en cause de
1. L. B., précitée,
mère d'un mineur d'âge,
2. K. J.,
père d'un mineur d'âge,
Me Patrick Jackers, avocat au barreau de Louvain,
3. G. J.,
mineur d'âge,
Me Evelien Beyens, avocat au barreau du Limbourg.
I. ANTÉCÉDENTS DE LA PROCÉDURE
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 15 janvier 2020, la requérante a sollicité que le tribunal de première instance du Limbourg soit

dessaisi, pour cause de suspicion légitime, de la cause pendante auprès du tribunal de la jeunesse du Limbour...

N° P.20.0078.N
L. B.,
requérante en renvoi d'un tribunal à un autre pour cause de suspicion légitime,
Me Kris Luyckx, avocat au barreau d'Anvers,
en cause de
1. L. B., précitée,
mère d'un mineur d'âge,
2. K. J.,
père d'un mineur d'âge,
Me Patrick Jackers, avocat au barreau de Louvain,
3. G. J.,
mineur d'âge,
Me Evelien Beyens, avocat au barreau du Limbourg.
I. ANTÉCÉDENTS DE LA PROCÉDURE
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 15 janvier 2020, la requérante a sollicité que le tribunal de première instance du Limbourg soit dessaisi, pour cause de suspicion légitime, de la cause pendante auprès du tribunal de la jeunesse du Limbourg, division Hasselt, inscrite au rôle de cette juridiction sous le numéro 131.M.2018, HA.42.98.367/18, précédemment pendante auprès du tribunal de la jeunesse du Limbourg, division Tongres, sous le numéro 108.M.2018, TG 43.97.291/18. Cette requête est annexée au présent arrêt et en fait partie intégrante.
2. Par arrêt du 11 février 2020, la Cour :
- a décidé qu'il n'y avait pas lieu de rejeter immédiatement la requête comme étant manifestement irrecevable ;
- a ordonné que l'arrêt ainsi que la requête qui y est annexée et les pièces jointes soient communiqués dans les huit jours au président du tribunal de première instance du Limbourg afin qu'il fasse, dans le mois suivant la date de l'arrêt et après concertation avec les membres de cette juridiction, la déclaration sur l'expédition dudit arrêt, prescrite à l'article 545, alinéa 4, 1°, du Code d'instruction criminelle ;
- a ordonné la communication des pièces précitées aux parties non requérantes à la cause, sous la mention que leurs conclusions devaient être déposées au greffe de la Cour dans le mois suivant la date de l'arrêt ;
- a fixé la cause pour comparution devant cette chambre de la Cour, à l'audience du 17 mars 2020 à 9h30 ;
- a dit que le conseiller Filip Van Volsem fera rapport à l'audience du 17 mars 2020 ;
- a réservé la décision sur les dépens.
3. Le 6 mars 2020, le greffe de la Cour a reçu la déclaration prescrite par l'article 545, alinéa 4, 1°, du Code d'instruction criminelle, établie par le président de la juridiction, en concertation avec les membres concernés de cette juridiction.
4. Des conclusions de la partie non requérante K. J. ont été reçues au greffe de la Cour le 10 mars 2020.
II. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport.
L'avocat général Els Herregodts a conclu.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
5. La requête en dessaisissement du tribunal de première instance du Limbourg de la cause précitée, pour cause de suspicion légitime, est recevable.
6. Cette requête ne peut être déclarée fondée que si tous les juges du tribunal de première instance du Limbourg ne sont pas en mesure de se prononcer de manière indépendante et impartiale sur l'affaire précitée ou s'il devait exister un doute raisonnable à cet égard dans le chef des parties, de tiers ou même dans l'opinion publique.
7. À l'appui de sa requête, la requérante invoque
- l'ensemble d'incidents survenus au moment et à la suite du « déménagement », de la division Tongres vers la division Hasselt du tribunal de première instance du Limbourg, du dossier de situation inquiétante concernant la fille de la requérante et, en particulier, l'envoi non contradictoire de ce dossier à Hasselt, le 5 juin 2018, par le président du tribunal à l'intervention et au su de différents magistrats, de même que la communication confuse et contradictoire autour du motif de cet envoi ;
- les communications effectuées sur le dossier de la requérante entre et par différents magistrats près le tribunal de première instance du Limbourg ;
- la lenteur du traitement, après sa transmission, du dossier de situation inquiétante par la division Hasselt ;
- les incidents et le déroulement du dossier de situation inquiétante devant le tribunal de la jeunesse, division Hasselt, après sa transmission ;
- les « interrelations » entre certaines parties ;
- les propos que le président de la division Hasselt a tenus envers la requérante à l'occasion de l'entretien qui s'est déroulé, à la demande de celle-ci, le 27 mai 2019 et les communications ultérieures réalisées dans ce cadre.
8. Il appartient à la requérante d'étayer suffisamment les motifs qui fondent sa requête en dessaisissement pour cause de suspicion légitime. De simples allégations ne suffisent pas à cette fin. Dans la mesure où elles ne sont pas corroborées par les pièces soumises à la Cour, voire contredites par celles-ci, les allégations formulées par la requérante ne peuvent, en aucun cas, fonder sa requête en dessaisissement.
9. Dans la mesure où ils ressortent des pièces soumises à la Cour, les éléments présentés dans la requête ne permettent pas, en eux-mêmes et même lus conjointement, de considérer que tous les juges du tribunal de première instance du Limbourg ne seraient pas en mesure de se prononcer de façon indépendante et impartiale sur l'affaire précitée ou qu'il existerait un doute raisonnable à cet égard dans le chef des parties, de tiers ou même dans l'opinion publique. Les éléments allégués, dans la mesure où ils ressortent à suffisance des pièces soumises à la Cour, ne démontrent pas une apparence de partialité de nature institutionnelle et organisationnelle.
10. Il n'apparaît pas des pièces soumises à la Cour que
- les magistrats dont la requérante fait mention dans sa requête se seraient laissés guider, dans leur décision ou dans leur attitude, par des informations qui auraient été portées unilatéralement à leur connaissance par la famille J. ou que « des communications auraient eu lieu en coulisse » ;
- le traitement de la cause par la division Hasselt du tribunal de première instance du Limbourg a été particulièrement lent ;
- Me Patrick Jackers n'est pas réellement le conseil de K. J., mais qu'il s'agirait plutôt de Me Elke Jackers, à savoir la sœur de K. J., laquelle aurait des liens avec le tribunal de première instance du Limbourg.
11. Il ne ressort pas davantage des pièces soumises à la Cour que, dans le cadre du traitement de l'affaire, le juge de la jeunesse, en la personne de Mme C. Corstens, aurait fait preuve « d'une hostilité caractérisée » envers la requérante ou que son attitude, ses propos et ses décisions, notamment en ce qui concerne la présence du mineur à une audience, pourraient constituer une cause de suspicion légitime. Il convient de constater dans ce contexte que la demande en récusation que la requérante a introduite contre ce juge de la jeunesse a été déclarée partiellement irrecevable pour cause de tardiveté et, pour le surplus, non fondée par un arrêt rendu le 22 janvier 2019 par la cour d'appel d'Anvers.
12. Ni l'ordonnance du 5 juin 2018 par laquelle le président du tribunal de première instance du Limbourg a dessaisi un juge du tribunal de la jeunesse, division Tongres, du dossier de situation inquiétante concernant la fille de la requérante pour le confier à un juge du tribunal de la jeunesse, division Hasselt, ni les circonstances dans lesquelles ce renvoi est intervenu ne fondent à suffisance un dessaisissement pour cause de suspicion légitime. Il existe un fondement légal à cette ordonnance, à savoir l'article 90 du Code judiciaire, lequel ne prévoit pas de procédure contradictoire. En outre, les pièces soumises à la Cour ne font pas apparaître que la requérante a invoqué, devant le tribunal de la jeunesse, division Hasselt, un incident de répartition tel que visé à l'article 88 du Code judiciaire. Du reste, le seul fait que l'ordonnance du 5 juin 2018 ne trouve pas un fondement adéquat dans l'article 90 du Code judiciaire ne constituerait pas, en tant que tel, une cause de suspicion légitime.
13. Ne saurait fonder une requête en dessaisissement pour cause de suspicion légitime la circonstance que les juges attachés à une juridiction sont tenus, dans le cadre de la mise en œuvre d'une directive édictée par leur président, d'informer celui-ci si un avocat plaidant régulièrement devant ladite juridiction est impliqué en tant que partie dans une affaire et que cette situation risque de compromettre le traitement impartial et indépendant de la cause, de manière à ce que les mesures nécessaires puissent être prises le cas échéant. Pareille directive, de même que sa mise en œuvre, en ce compris les communications échangées entre les juges, les greffiers et le président par la voie hiérarchique et les contacts éventuels entretenus dans ce cadre entre le président, les juges et le bâtonnier visent, au contraire, à garantir que la justice soit rendue en toute indépendance et impartialité. Le fait que ces communications n'aient pas été préalablement soumises à la requérante ne constitue pas davantage une cause de suspicion légitime.
14. Les pièces soumises à la Cour révèlent que les communications qui ont eu lieu entre les magistrats mentionnés du tribunal de première instance du Limbourg, les greffiers, le président et le bâtonnier résultent de l'attitude même de la requérante et visaient exclusivement à assurer un traitement indépendant et impartial de l'affaire. Il ne peut se déduire une cause de suspicion légitime du contenu de ces communications ou du fait que, selon la requérante, celles-ci comporteraient des informations inexactes.
15. Il ne ressort pas davantage des pièces soumises à la Cour que la concertation à laquelle ont pris part la présidente de la division Hasselt, le bâtonnier, la requérante elle-même et son conseil, après le rejet de la demande en récusation du juge de la jeunesse C. Corstens, introduite par la requérante, qui faisait également état des faits imputés à la présidente de division, de même que les communications effectuées dans ce cadre constituent une quelconque cause de suspicion légitime.
16. Enfin, il ne saurait se déduire une cause de suspicion légitime du fait que des contacts particuliers existeraient ou existent entre certains greffiers et juges du tribunal de première instance du Limbourg et la famille J. et, en particulier E. J., précitée.
17. Pour le surplus, la Cour n'a pas égard aux considérations développées par la requérante dans sa requête, et par K. J. dans ses conclusions, en ce qui concerne le fond de l'affaire et les procédures accessoires aux plans pénal et civil qui, selon la Cour, sont sans pertinence pour l'appréciation de la requête en dessaisissement du tribunal de première instance du Limbourg.
18. La requête en dessaisissement pour cause de suspicion légitime n'est pas fondée.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette la requête en dessaisissement du tribunal de première instance du Limbourg, pour cause de suspicion légitime, de la cause pendante auprès du tribunal de la jeunesse du Limbourg, division Hasselt, inscrite au rôle de cette juridiction sous le numéro 131.M.2018, HA.42.98.367/18, précédemment pendante auprès du tribunal de la jeunesse du Limbourg, division Tongres, sous le numéro 108.M.2018, TG 43.97.291/18 ;
Condamne la requérante aux frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Antoine Lievens, Erwin Francis, Ilse Couwenberg et Eric Van Dooren, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-sept mars deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l'avocat général Els Herregodts, avec l'assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.


Synthèse
Formation : Chambre 2n - tweede kamer
Numéro d'arrêt : P.20.0078.N
Date de la décision : 17/03/2020
Type d'affaire : Autres

Analyses

Une requête en dessaisissement ne peut être déclarée fondée que lorsque tous les juges du tribunal ne sont pas en mesure de de se prononcer de manière indépendante et impartiale sur l'affaire ou s'il devait exister un doute raisonnable à cet égard dans le chef des parties, de tiers, ou même dans l'opinion publique (1). (1) Cass. 21 juin 2015, RG P.15.0813.N, Pas. 2015, n° 432; Cass. 20 février 2014, RG C.12.0053.N et C.12.0054.N, Pas. 2014, n° 191.

RENVOI D'UN TRIBUNAL A UN AUTRE - GENERALITES - Demande en dessaisissement - Suspicion légitime - Fondement - Condition [notice1]


Références :

[notice1]

Code d'instruction criminelle - 17-11-1808 - Art. 542 - 30 / No pub 1808111701


Composition du Tribunal
Président : VAN VOLSEM FILIP
Greffier : VANDEN BOSSCHE KRISTEL
Ministère public : HERREGODTS ELS
Assesseurs : LIEVENS ANTOINE, FRANCIS ERWIN, BERNEMAN SIDNEY, COUWENBERG ILSE, VAN DOOREN ERIC

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-03-17;p.20.0078.n ?

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