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17/03/2020 | BELGIQUE | N°P.19.1136.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 17 mars 2020, P.19.1136.N


N° P.19.1136.N
W. R.,
prévenu,
demandeur en cassation,
Me Lore Arnou, avocat au barreau de Flandre occidentale.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 11 octobre 2019 par le tribunal correctionnel de Flandre occidentale, division Bruges, statuant en degré d'appel.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Erwin Francis a fait rapport.
L'avocat général Els Herregodts a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
1. Le

moyen est pris de la violation des articles 9, 19 et 20 de la Convention des Nations Unies du 1...

N° P.19.1136.N
W. R.,
prévenu,
demandeur en cassation,
Me Lore Arnou, avocat au barreau de Flandre occidentale.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 11 octobre 2019 par le tribunal correctionnel de Flandre occidentale, division Bruges, statuant en degré d'appel.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Erwin Francis a fait rapport.
L'avocat général Els Herregodts a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
1. Le moyen est pris de la violation des articles 9, 19 et 20 de la Convention des Nations Unies du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées : le jugement attaqué condamne le demandeur pour avoir garé son véhicule dans une zone, à savoir le centre-ville de Bruges où, conformément au règlement local, seuls des véhicules d'une masse inférieure à celle de son véhicule sont autorisés ; en imposant une interdiction générale de garer des véhicules tels celui du demandeur dans le centre-ville, la ville de Bruges prive de facto le demandeur du droit de garer son véhicule adapté à son handicap dans le quartier où se trouve son domicile ; cette situation implique une violation des droits garantis par les dispositions conventionnelles précitées, qui impliquent l'adoption de toutes les mesures efficaces et adéquates pour permettre aux personnes handicapées de bénéficier pleinement desdits droits ; la Convention relative aux droits des personnes handicapées a un effet direct ; le jugement attaqué ne peut condamner le demandeur sur la base d'un règlement contraire à cette Convention.
2. Dans la mesure où il requiert un examen des faits pour lequel la Cour est sans pouvoir, le moyen est irrecevable.
3. La Convention relative aux droits des personnes handicapées dispose :
« Article 9 : Accessibilité
1. Afin de permettre aux personnes handicapées de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie, les États Parties prennent des mesures appropriées pour leur assurer, sur la base de l'égalité avec les autres, l'accès à l'environnement physique, aux transports, à l'information et à la communication, y compris aux systèmes et technologies de l'information et de la communication, et aux autres équipements et services ouverts ou fournis au public, tant dans les zones urbaines que rurales. Ces mesures, parmi lesquelles figurent l'identification et l'élimination des obstacles et barrières à l'accessibilité, s'appliquent, entre autres :
a) aux bâtiments, à la voirie, aux transports et autres équipements intérieurs ou extérieurs, y compris les écoles, les logements, les installations médicales et les lieux de travail ; (...) » ;
« Article 19 : Autonomie de vie et inclusion dans la société
Les États Parties à la présente Convention reconnaissent à toutes les personnes handicapées le droit de vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes, et prennent des mesures efficaces et appropriées pour faciliter aux personnes handicapées la pleine jouissance de ce droit ainsi que leur pleine intégration et participation à la société, notamment en veillant à ce que :
a) les personnes handicapées aient la possibilité de choisir, sur la base de l'égalité avec les autres, leur lieu de résidence et où et avec qui elles vont vivre et qu'elles ne soient pas obligées de vivre dans un milieu de vie particulier ;
b) les personnes handicapées aient accès à une gamme de services à domicile ou en établissement et autres services sociaux d'accompagnement, y compris l'aide personnelle nécessaire pour leur permettre de vivre dans la société et de s'y insérer et pour empêcher qu'elles ne soient isolées ou victimes de ségrégation ;
c) les services et équipements sociaux destinés à la population générale soient mis à la disposition des personnes handicapées, sur la base de l'égalité avec les autres, et soient adaptés à leurs besoins ».
« Article 20 : Mobilité personnelle
Les États Parties prennent des mesures efficaces pour assurer la mobilité personnelle des personnes handicapées, dans la plus grande autonomie possible, y compris en :
a) facilitant la mobilité personnelle des personnes handicapées selon les modalités et au moment que celles-ci choisissent, et à un coût abordable ;
b) facilitant l'accès des personnes handicapées à des aides à la mobilité, appareils et accessoires, technologies d'assistance, formes d'aide humaine ou animalière et médiateurs de qualité, notamment en faisant en sorte que leur coût soit abordable ;
c) dispensant aux personnes handicapées et aux personnels spécialisés qui travaillent avec elles une formation aux techniques de mobilité ;
d) encourageant les organismes qui produisent des aides à la mobilité, des appareils et accessoires et des technologies d'assistance à prendre en compte tous les aspects de la mobilité des personnes handicapées ».
4. Ces dispositions imposent aux parties contractantes l'obligation de prendre des mesures appropriées et efficaces pour atteindre les objectifs énoncés auxdits articles. Bien qu'elles ne s'adressent pas à une autorité locale, il résulte de ces dispositions, lues conjointement avec l'article 4.1 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, qu'il est interdit à une autorité locale d'exercer une discrimination à l'encontre d'une personne handicapée lors de l'élaboration d'une politique de mobilité et de stationnement.
5. Il revient au juge d'apprécier souverainement si, au regard des circonstances concrètes de la cause, l'autorité locale qui instaure une interdiction d'accès au centre-ville pour certains véhicules, exerce une discrimination à l'encontre d'un résident handicapé qui vit dans le centre-ville et souhaite se garer à proximité de son domicile.
6. La Cour vérifie si le juge ne déduit pas de ses constatations des conséquences qui y sont étrangères ou qu'elles ne sauraient justifier.
7. Le jugement attaqué considère, entre autres, comme suit :
- le demandeur conteste la prévention et estime que l'acquittement s'impose sur la base de l'article 159 de la Constitution et de la Convention relative aux droits des personnes handicapées ;
- le 12 août 2017, le demandeur a conduit ou garé un camping-car de type Mercedes 6150 dans la Philipstockstraat, à Bruges, méconnaissant ainsi le panneau C21 qui avertit d'une interdiction d'accès aux conducteurs de véhicules dont la masse en charge dépasse celle indiquée ;
- selon le procès-verbal, le véhicule conduit par le demandeur avait une tare de 5.400 kg. De tels véhicules sont interdits dans le centre-ville de Bruges ;
- le demandeur ne conteste pas la présence du panneau C21 annonçant une limitation de tonnage à 3,5 tonnes. Il affirme que la ville de Bruges viole les articles 9, 19 et 20 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées en ne prévoyant pas d'exception pour les personnes handicapées disposant d'un véhicule adapté ;
- l'interdiction d'accès à une zone pour les véhicules de plus de 3,5 tonnes est en vigueur dans le centre-ville de Bruges et vise à assurer la fluidité du trafic. Une exception à cette règle est possible moyennant l'obtention d'une autorisation et des horaires sont prévus pour le chargement et le déchargement ;
- le demandeur affirme à tort que le règlement de la ville de Bruges est illégal. En effet, le demandeur, qui réside à Bruges, dispose des mêmes possibilités de vivre dans la ville de Bruges qu'une personne non handicapée. Comme tout un chacun, il est libre de choisir son domicile et de se garer dans la ville. Il n'est pas question d'une quelconque discrimination, et il n'y a donc pas non plus de violation de la Convention relative aux droits des personnes handicapées ;
- il n'est pas autorisé de se garer ou de circuler dans le centre-ville de Bruges avec un camping-car de plus de 3,5 tonnes et cette règle s'applique aussi à toute personne non handicapée, sauf si elle dispose d'une autorisation à cet effet (or le demandeur n'en possède pas) ou si elle doit effectuer des chargements et déchargements pendant les horaires prévus à cette fin ;
- le demandeur dispose bel et bien de possibilités de prendre ses dispositions en conformité avec les règles de la circulation et le règlement précisant les horaires. En tant qu'habitant de la ville de Bruges souffrant d'un handicap, le demandeur aurait pu opter pour un véhicule à moteur de moins de 3,5 tonnes pour rejoindre son domicile ; à partir du moment où il a opté pour un camping-car, il doit se conformer aux règles de circulation en vigueur sur place ;
- d'ailleurs, le premier juge a constaté à juste titre que, même en choisissant malgré tout d'utiliser un camping-car, le demandeur a la possibilité de ranger son camping-car dans son garage, situé en dehors de la petite ceinture de Bruges, et de rejoindre ensuite son domicile avec son scooter électrique ;
- les arrêtés et règlements locaux sont conformes à la législation, de sorte que l'exception d'illégalité est soulevée à tort ;
- la comparaison avec la dame de nationalité suédoise qui a aménagé une piscine n'est pas pertinente. Dans cet autre cas, la dame en question n'a eu d'autre choix que d'aménager une piscine dans son habitation pour pouvoir suivre sa thérapie. Or en l'espèce, le demandeur a bel et bien le choix entre différents types de véhicules dont le tonnage n'excède pas le maximum autorisé et dans lesquels son scooter pourrait être installé.
8. Sur la base de ces constatations, le jugement attaqué peut considérer que l'interdiction enfreinte par le demandeur n'est pas illégale et il justifie légalement cette décision.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
(...)
Le contrôle d'office
11. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
(...)
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Antoine Lievens, Erwin Francis, Ilse Couwenberg et Eric Van Dooren, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-sept mars deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l'avocat général Els Herregodts, avec l'assistance du greffier Kristel Vanden Bossche


Synthèse
Formation : Chambre 2n - tweede kamer
Numéro d'arrêt : P.19.1136.N
Date de la décision : 17/03/2020
Type d'affaire : Droit international public - Droit pénal - Droit civil

Analyses

Le juge apprécie souverainement si, au regard des circonstances concrètes de la cause, l’autorité locale qui instaure une interdiction d’accès au centre-ville pour certains véhicules, exerce une discrimination à l’encontre d’un résident handicapé qui vit dans le centre-ville et souhaite se garer à proximité de son domicile.

TRAITES ET ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX - Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées - Article 4.1 - Article 9 - Article 19 - Article 20 - Code de la route - Interdiction d'accès à certains véhicules - Résident handicapé - Stationnement - Effet - ROULAGE - CODE DE LA ROUTE DU 01-12-1975 - DISPOSITIONS REGLEMENTAIRES - Article 68 - Interdiction d'accès à certains véhicules - Résidents handicapés - Stationnement - Portée - HANDICAPES - Code de la route - Interdiction d'accès à certains véhicules - Résident handicapé - Stationnement - Motifs [notice1]


Références :

[notice1]

Convention du 13 décembre 2006 - 13-12-2006 - Art. 4.1, 9, 19 et 20 - 54 / Lien DB Justel 20061213-54 ;

La Constitution coordonnée 1994 - 17-02-1994 - Art. 159 - 30 / No pub 1994021048


Composition du Tribunal
Président : VAN VOLSEM FILIP
Greffier : VANDEN BOSSCHE KRISTEL
Ministère public : HERREGODTS ELS
Assesseurs : LIEVENS ANTOINE, FRANCIS ERWIN, BERNEMAN SIDNEY, COUWENBERG ILSE, VAN DOOREN ERIC

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-03-17;p.19.1136.n ?

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