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10/03/2020 | BELGIQUE | N°P.20.0242.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 10 mars 2020, P.20.0242.N


N° P.20.0242.N
C. K.,
personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt européen,
demandeur en cassation,
Me Joris Van Cauter, avocat au barreau de Gand.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 24 février 2020 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Ilse Couwenberg a fait rapport.
L'avocat général Bart De Smet a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :r>1. Le moyen est pris de la violation des articles 1er, alinéa 3, 5, 6, alinéa 1er, de la Décisio...

N° P.20.0242.N
C. K.,
personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt européen,
demandeur en cassation,
Me Joris Van Cauter, avocat au barreau de Gand.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 24 février 2020 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Ilse Couwenberg a fait rapport.
L'avocat général Bart De Smet a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
1. Le moyen est pris de la violation des articles 1er, alinéa 3, 5, 6, alinéa 1er, de la Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la Décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil du 26 février 2009, et 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen : l'arrêt refuse, à tort, de reporter la décision à rendre sur la remise du demandeur jusqu'à l'obtention, de la part des autorités françaises, d'informations complémentaires excluant que le demandeur fera l'objet de traitements inhumains ou dégradants ; l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme n° 9671/15 du 30 janvier 2020 contient pourtant des informations objectives, fiables, précises et dûment actualisées qui laissent présumer la réalité de défaillances systémiques et fondamentales affectant les conditions de détention en France ; les juges d'appel ont dès lors conclu, à tort, à l'inexistence, en l'espèce, d'éléments concrets justifiant de demander des informations complémentaires aux autorités françaises parce que la problématique des conditions de détention contraires à la dignité humaine constatée dans l'arrêt précité concerne uniquement les prisons situées en Martinique, à Nouméa, en Guadeloupe, à Nîmes, à Nice et à Fresnes et que le demandeur sera, par définition, mis en prison à Lyon.
2. Dans l'arrêt n° 9671/15 du 30 janvier 2020 (J.M.B. et consorts c. France), la Cour européenne des droits de l'Homme a considéré que les conditions de détention au sein de six prisons françaises s'analysent en un traitement dégradant au sens de l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La Cour européenne des droits de l'Homme a par ailleurs ordonné à l'État français de prendre des mesures générales permettant de rendre ces conditions de détention conformes à l'article 3 de la Convention. Un recours préventif doit, en outre, être établi afin de permettre aux victimes d'obtenir, en combinaison avec un recours indemnitaire, une réparation effective et de prévenir les violations futures.
Dans la mesure où il est déduit de la prémisse que l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme concerne l'ensemble des prisons françaises, le moyen se fonde sur une lecture erronée de l'arrêt et manque en fait.
3. La juridiction d'appel ne considère pas que le demandeur sera, par définition, mis en prison à Lyon, mais que le mandat d'arrêt européen ne tend pas à la remise du demandeur dans l'un des lieux visés par l'arrêt n° 9671/15 de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Dans la mesure où il s'appuie sur une lecture erronée de l'arrêt, le moyen manque également en fait.
4. L'article 1er, alinéa 3, de la Décision-cadre du 13 juin 2002 dispose : « La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l'obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu'ils sont consacrés par l'article 6 du Traité sur l'Union européenne ».
L'article 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003, qui introduit cette disposition dans l'ordre juridique belge, dispose : « L'exécution d'un mandat d'arrêt européen est refusée dans les cas suivants : 5° s'il y a des raisons sérieuses de croire que l'exécution du mandat d'arrêt européen aurait pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne concernée, tels qu'ils sont consacrés par l'article 6 du Traité sur l'Union européenne ».
5. Il ressort de l'arrêt de la Cour de justice du 5 avril 2016, n° C-404/15 (Pál Aranyosi) et C-659/15 (Câldâru), que le juge belge :
- qui dispose d'éléments attestant d'un risque réel de traitement inhumain ou dégradant des personnes détenues dans l'État membre d'émission, est tenu d'apprécier l'existence de ce risque avant de décider de l'exécution d'un mandat d'arrêt européen ;
- doit, pour cette appréciation, se fonder sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés concernant les conditions de détention dans l'État membre d'émission et laissant présumer la réalité de défaillances soit systémiques ou fondamentales, soit touchant certains groupes de personnes, soit encore certains centres de détention. Ces éléments peuvent résulter de décisions judiciaires internationales, tels les arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme ;
- doit vérifier, de manière concrète et précise, s'il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée par l'exécution d'un mandat d'arrêt européen courra, en raison des conditions de sa détention dans cet État membre, un risque réel de traitement inhumain ou dégradant en cas de remise à cet État membre ;
- doit, au besoin, demander à cette fin la fourniture d'informations complémentaires à l'autorité judiciaire d'émission et reporter sa décision sur la remise de la personne concernée jusqu'à ce qu'elle obtienne ces informations.
6. Il ressort du considérant (10) du préambule de la Décision-cadre du 13 juin 2002 que le mécanisme du mandat d'arrêt européen repose sur un degré de confiance élevé entre les États membres. Ce degré de confiance élevé entre États membres implique une présomption de respect par l'État d'émission des droits fondamentaux visés à l'article 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003.
7. Le juge apprécie souverainement si les éléments circonstanciés invoqués indiquant un danger manifeste pour les droits fondamentaux de la personne concernée suffisent à renverser la présomption précitée. La Cour se borne à vérifier si le juge ne déduit pas de ses constatations des conséquences qui y sont étrangères ou qu'elles ne sauraient justifier.
8. Par la considération que les éléments factuels allégués par le demandeur ne concernent que six prisons françaises et que le mandat d'arrêt européen ne tend pas à la remise du demandeur dans l'un de ces lieux, les juges d'appel ont légalement justifié leur décision de rejeter le motif de refus invoqué.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
(...)
Le contrôle d'office
13. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Peter Hoet, Antoine Lievens, Erwin Francis et Ilse Couwenberg, conseillers, et prononcé en audience publique du dix mars deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l'avocat général Bart De Smet, avec l'assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.


Synthèse
Formation : Chambre 2n - tweede kamer
Numéro d'arrêt : P.20.0242.N
Date de la décision : 10/03/2020
Type d'affaire : Droit pénal - Autres

Analyses

Il ressort du considérant (10) du préambule de la Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, que le mécanisme du mandat d’arrêt européen repose sur un degré de confiance élevé entre les États membres; ce degré de confiance élevé implique une présomption de respect par l’État d’émission des droits fondamentaux visés à l’article 4, 5°, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d’arrêt européen; le juge apprécie souverainement si les éléments circonstanciés invoqués indiquant un danger manifeste pour les droits fondamentaux de la personne concernée suffisent à renverser la présomption précitée; la Cour de cassation se borne à vérifier si le juge ne déduit pas de ses constatations des conséquences qui y sont étrangères ou qu’elles ne sauraient justifier.

MANDAT D'ARRET EUROPEEN - Mécanisme reposant sur un degré de confiance élevé entre les États membres - Présomption de respect des droits fondamentaux par l’État d’émission - Appréciation par le juge de l’État d’exécution - Conséquence - APPRECIATION SOUVERAINE PAR LE JUGE DU FOND - Mandat d'arrêt européen - Motif de refus - Défense invoquant l’existence d’un danger manifeste pour les droits fondamentaux - Renversement de la présomption de respect des droits fondamentaux dans l’État d’émission - Appréciation - Motif de refus - Défense invoquant l’existence d’un danger manifeste pour les droits fondamentaux - Renversement de la présomption de respect des droits fondamentaux dans l’État d’émission - Appréciation - Compétence de la Cour de cassation - Appréciation marginale - CASSATION - DE LA COMPETENCE DE LA COUR DE CASSATION - Divers - Mandat d'arrêt européen - Motif de refus - Défense invoquant l’existence d’un danger manifeste pour les droits fondamentaux - Renversement de la présomption de respect des droits fondamentaux dans l’État d’émission - Appréciation - Compétence de la Cour de cassation - Appréciation marginale - JURIDICTIONS D'INSTRUCTION - Mandat d'arrêt européen - Motif de refus - Défense invoquant l’existence d’un danger manifeste pour les droits fondamentaux - Renversement de la présomption de respect des droits fondamentaux dans l’État d’émission - Appréciation - Portée [notice1]


Références :

[notice1]

Décision-cadre 2002/584/JAI du 13 juin 2002 - 13-06-2002 - Préambule ;

L. du 19 décembre 2003 relative au mandat d'arrêt européen - 19-12-2003 - Art. 4, 5° - 32 / No pub 2003009950


Composition du Tribunal
Président : VAN VOLSEM FILIP
Greffier : VANDEN BOSSCHE KRISTEL
Ministère public : DE SMET BART
Assesseurs : HOET PETER, LIEVENS ANTOINE, FRANCIS ERWIN, BERNEMAN SIDNEY, COUWENBERG ILSE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-03-10;p.20.0242.n ?

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