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07/01/2020 | BELGIQUE | N°P.19.0705.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 07 janvier 2020, P.19.0705.N


N° P.19.0705.N
1. G. V.G.,
2. E. L.,
3. D. V.A.,
prévenus,
demandeurs en cassation,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
ÉTAT BELGE, SPF FINANCES,
partie poursuivante,
défendeur en cassation,
Mes Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, et Stefan De Vleeschouwer, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 19 juin 2019 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre correctionnelle, statuant comme juridiction de renvoi ensuite de l'arrêt de la Co

ur du 28 juin 2016.
Les demandeurs invoquent deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt...

N° P.19.0705.N
1. G. V.G.,
2. E. L.,
3. D. V.A.,
prévenus,
demandeurs en cassation,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
ÉTAT BELGE, SPF FINANCES,
partie poursuivante,
défendeur en cassation,
Mes Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, et Stefan De Vleeschouwer, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 19 juin 2019 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre correctionnelle, statuant comme juridiction de renvoi ensuite de l'arrêt de la Cour du 28 juin 2016.
Les demandeurs invoquent deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Erwin Francis a fait rapport.
L'avocat général délégué Bart De Smet a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
1. Le moyen est pris de la violation des articles 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1315 du Code civil, 870 et 871 du Code judiciaire, ainsi que de la méconnaissance du principe général du droit consacrant le droit à la preuve : les juges d'appel ont apprécié le bien-fondé de l'action civile dirigée par le défendeur contre les demandeurs, tendant au paiement des intérêts de retard sur les droits à l'importation et les accises éludés pour la période allant du 22 juin 2006 au 21 avril 2009, sans avoir fait droit à la demande formulée par les demandeurs visant à ordonner au défendeur de produire le règlement transactionnel qu'il a conclu avec leur employeur ; les juges d'appel se sont bornés à considérer que le décompte, fourni par le défendeur, des impôts et intérêts déjà payés par l'employeur des demandeurs était correct ; par conséquent, les demandeurs ne sont pas en mesure d'apprécier le bien-fondé de la demande introduite par le défendeur, bien qu'elle soit directement liée au contenu de ce règlement transactionnel et que les demandeurs aient donc le droit d'en prendre connaissance ; l'arrêt aurait, à tout le moins, dû vérifier si le règlement transactionnel ne portait pas sur les intérêts de retard ou constater que cette pièce n'était pas pertinente pour apprécier le bien-fondé de la demande introduite par le défendeur ; l'arrêt ne peut se fonder simplement, nonobstant la défense exposée par les demandeurs, sur le contenu du règlement transactionnel tel que le défendeur le présente et qui, selon l'allégation de ce dernier, ne portait pas sur les intérêts de retard réclamés ; les motifs de l'arrêt ne sont pas pertinents pour justifier légalement la décision précitée.
2. Il n'existe pas de principe général du droit relatif au droit à la preuve.
Dans la mesure où il est pris de la méconnaissance d'un tel principe général du droit, le moyen manque en droit.
3. L'article 263 de la loi générale du 18 juillet 1977 sur les douanes et accises dispose : « Il pourra être transigé par l'administration ou d'après son autorisation, en ce qui concerne l'amende, la confiscation, la fermeture des fabriques, usines ou ateliers, sur toutes infractions à la présente loi, et aux lois spéciales sur la perception des accises, toutes et autant de fois que l'affaire sera accompagnée de circonstances atténuantes, et qu'on pourra raisonnablement supposer que l'infraction doit être attribuée plutôt à une négligence ou erreur qu'à l'intention de fraude préméditée ».
4. Selon cet article, l'administration peut conclure une convention de transaction avec un suspect, dont l'exécution par ce dernier entraîne en principe l'extinction de l'action publique. Bien qu'il ne puisse être transigé sur l'impôt en tant que tel, le paiement de cet impôt a valeur de condition du règlement définitif du litige et fait donc partie intégrante de la convention.
5. Les dispositions d'une telle convention sont confidentielles. Cette confidentialité découle tant du fait que ladite convention règle l'exercice de l'action publique à l'encontre du suspect que de son appartenance au champ d'application de l'article 320 de la loi générale du 18 juillet 1977, suivant lequel tout fonctionnaire de l'administration des douanes et accises est tenu de garder le secret le plus absolu au sujet de tout ce dont il a eu connaissance par suite de l'exécution de sa mission, sauf lorsqu'il agit dans l'exercice de sa fonction selon les modalités précisées audit article.
6. En outre, l'administration des douanes et accises est présumée agir de manière loyale tant en sa qualité de partie poursuivante qu'en celle d'administration en charge de cette mission d'intérêt général qu'est la perception d'impôts, sauf lorsqu'il est rendu plausible que cela n'a pas été le cas.
7. Il s'ensuit que, dans le cadre de l'appréciation du bien-fondé d'une demande en paiement de droits de douane ou d'accises dirigée contre un prévenu, celui-ci n'est pas nécessairement en droit d'exiger que l'administration produise la convention visée en l'espèce. Le juge apprécie souverainement et en tenant compte de ce qui précède si, dans le cas concret, la production de cette convention est, en tant que telle, nécessaire pour garantir le droit du prévenu à un procès équitable, ou si le décompte et les explications fournis par l'administration sur la base de cette convention sont suffisants. La Cour vérifie toutefois si le juge ne déduit pas de ses constatations des conséquences qui leur sont étrangères ou qu'elles ne sauraient justifier.
8. L'arrêt considère ce qui suit :
- dès lors que l'administration des douanes et accises tient compte des circonstances atténuantes et de la négligence lors de la conclusion d'une transaction, une telle transaction ne peut être conclue qu'à titre personnel ;
- en outre, une transaction peut uniquement porter sur l'amende, la confiscation et la fermeture des fabriques, usines ou ateliers, et non sur les impôts ou les intérêts de retard ;
- la cour d'appel n'estime, dès lors, pas nécessaire de demander l'exécution de devoirs d'enquête complémentaires concernant ce règlement transactionnel. En effet, la production de ce dernier n'est pas nécessaire pour statuer sur les points restants. Le refus de demander l'accomplissement de devoirs d'enquête complémentaires n'apparaît donc pas comme un élément violant le droit des demandeurs à se défendre de manière adéquate devant la cour d'appel ;
- le paiement de l'impôt a, certes, toujours figuré dans la proposition de transaction de l'administration et a valeur de condition du règlement définitif du litige en matière de douane ou d'accises ;
- toutefois, le défendeur produit un aperçu de l'impôt et des intérêts déjà acquittés dans le cadre de la transaction, de même qu'un décompte ;
- la cour d'appel constate que le décompte du défendeur est correct et que les intérêts réclamés n'ont pas encore été payés dans le cadre de la transaction ;
- la cour d'appel constate que le défendeur a soustrait du montant de sa demande les intérêts de retard déjà payés, de manière à ce qu'ils ne soient pas portés en compte une seconde fois.
Par ces motifs, l'arrêt peut légalement statuer sur le bien-fondé de l'action civile du défendeur sans demander la production du règlement transactionnel en tant que tel, conclu avec l'employeur des demandeurs.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
9. Pour le surplus, le moyen critique l'appréciation souveraine des faits par l'arrêt ou impose à la Cour un examen des faits pour lequel elle est sans pouvoir, et est irrecevable.
Sur le second moyen :
10. Le moyen est pris de la violation des articles 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 10 et 11 de la Constitution : les juges d'appel ont rejeté la demande formulée par les demandeurs, visant à modérer le paiement de la contre-valeur des biens confisqués, au motif qu'ils sont sans compétence en la matière ; or la condamnation à un tel paiement doit être qualifiée de confiscation par équivalent, dont le juge peut réduire le montant en application de l'article 43bis, alinéa 7, du Code pénal afin de ne pas infliger au condamné une peine déraisonnablement lourde ; par conséquent, les juges d'appel ont soumis les demandeurs à un traitement différent de celui des personnes condamnées à une confiscation ou une confiscation par équivalent sur la base du droit pénal commun.
Le demandeur demande que soit posée à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante : « Les articles 220 § 1er, 221, § 1er, et 257, § 3, de l'arrêté royal du 18 juillet 1977 portant coordination des dispositions générales en matière de douanes et accises, lus conjointement avec les articles 1382 et 1383 du Code civil et avec les articles 44 et 50 du Code pénal, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, lus conjointement avec les articles 6, § 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans l'interprétation selon laquelle le juge répressif est sans compétence pour, à l'égard des personnes condamnées pénalement, du chef d'une violation de ces articles, à la confiscation des biens non saisis et condamnées dans le même temps au paiement de la contre-valeur de ces biens en cas de non-représentation de ceux-ci, modérer cette condamnation au paiement de la contre-valeur de ces biens sur la base de circonstances atténuantes ou de la situation financière des personnes condamnées, alors qu'en droit pénal commun, le juge répressif a bel et bien, en vertu des articles 42, 43 et 43 bis du Code pénal, le pouvoir de modérer non seulement la condamnation à une confiscation mais aussi la condamnation à une confiscation par équivalent sur la base de telles circonstances ? ».
11. En vertu des articles 42, 1°, et 3°, et 43bis, alinéas 2 et 7, du Code pénal, le juge peut, afin de ne pas soumettre le condamné à une peine déraisonnablement lourde, diminuer le montant ou la valeur monétaire des choses qui ont servi ou qui ont été destinées à commettre l'infraction et des choses qui constituent l'avantage patrimonial tiré de l'infraction. Ces dispositions ont uniquement trait à des sanctions pénales.
12. Dans son arrêt n° 16/2019 du 31 janvier 2019, la Cour constitutionnelle a jugé que les articles 220, § 1er, 221, § 1er, et 257, § 3, de la loi générale du 18 juillet 1977 sur les douanes et accises, 1382 du Code civil, 44 et 50 du Code pénal, 10 et 11 de la Constitution, 6, § 1er, de la Convention et 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lus conjointement, ne requièrent pas que le juge dispose du pouvoir de modérer la condamnation au paiement de la contre-valeur des biens confisqués parce que cette condamnation ne constitue pas une sanction pénale mais une obligation de payer des dommages-intérêts, et qu'il relève de l'essence même de dommages et intérêts que leur montant corresponde au dommage subi par la victime. Ainsi, la Cour constitutionnelle a certainement et nécessairement statué sur la nature de la condamnation ici visée et sur la conséquence qui en résulte.
13. Il s'ensuit, d'une part, que la condamnation au paiement de la contre-valeur des choses confisquées ne peut être qualifiée de confiscation par équivalent, dès lors que cette dernière constitue une sanction pénale dont il n'est pas question en la cause et, d'autre part, que, sauf dans des cas qui ne s'appliquent pas au présent litige, le juge n'a pas le pouvoir de réduire le montant de dommages-intérêts, en cause en l'espèce, sur la base de la situation financière du condamné ou d'autres circonstances qu'il constate.
Déduit d'une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
14. La question préjudicielle, qui se fonde sur une conception juridique erronée, n'est pas posée.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne les demandeurs aux frais de leur pourvoi.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Antoine Lievens, Erwin Francis, Sidney Berneman et Eric Van Dooren, conseillers, et prononcé en audience publique du sept janvier deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l'avocat général délégué Bart De Smet, avec l'assistance du greffier délégué Ayse Birant.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Eric de Formanoir et transcrite avec l'assistance du greffier Tatiana Fenaux.


Synthèse
Formation : Chambre 2n - tweede kamer
Numéro d'arrêt : P.19.0705.N
Date de la décision : 07/01/2020
Type d'affaire : Droit international public - Droit fiscal - Droit pénal

Analyses

Les dispositions d'une convention de transaction conclue entre un coprévenu et l'administration des douanes et accises sont confidentielles compte tenu de l'article 320 de la loi générale du 18 juillet 1977 sur les douanes et accises, suivant lequel tout fonctionnaire de cette administration est tenu de garder le secret le plus absolu au sujet de tout ce dont il a eu connaissance par suite de l'exécution de sa mission, sauf lorsqu'il agit dans l'exercice de sa fonction; en outre, l'administration des douanes et accises est présumée agir de manière loyale tant en sa qualité de partie poursuivante qu'en celle d'administration en charge de cette mission d'intérêt général qu'est la perception d'impôts, sauf lorsqu'il est rendu plausible que cela n'a pas été le cas; il s'ensuit que, dans le cadre de l'appréciation du bien-fondé d'une demande en paiement de droits de douane ou d'accises dirigée contre un prévenu, celui-ci n'est pas nécessairement en droit d'exiger la production de la convention de transaction conclue avec un coprévenu; le juge apprécie souverainement si la production de cette convention est nécessaire pour garantir le droit du prévenu à un procès équitable, ou si le décompte et les explications fournis par l'administration sur la base de cette convention sont suffisants.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 1er - Droit au contradictoire - Transaction conclue entre un coprévenu et l'administration des douanes et accises - Droit du prévenu de consulter la convention de transaction - Appréciation par le juge du fond - Conditions - DOUANES ET ACCISES - Transaction - Caractère confidentiel de la convention - Droit d'un coprévenu au contradictoire [notice1]

Les articles 42, 1°, et 3°, et 43bis, alinéas 2 et 7, du Code pénal, selon lesquels le juge répressif peut, afin de ne pas soumettre le condamné à une peine déraisonnablement lourde, diminuer le montant ou la valeur monétaire des choses qui ont servi ou qui ont été destinées à commettre l'infraction et des choses qui constituent l'avantage patrimonial tiré de l'infraction, ont uniquement trait à des sanctions pénales; dans son arrêt n° 16/2019 du 31 janvier 2019, la Cour constitutionnelle a considéré que le juge répressif ne dispose pas du pouvoir de modérer la condamnation au paiement de la contre-valeur de biens confisqués parce que cette condamnation ne constitue pas une sanction pénale mais implique une obligation de payer des dommages-intérêts qui correspondent au dommage subi par la victime; il s'ensuit que la condamnation au paiement de la contre-valeur des choses confisquées ne peut être qualifiée de confiscation par équivalent et que, sauf dans des cas qui ne s'appliquent pas au litige en cause, le juge n'a pas le pouvoir de réduire le montant de dommages-intérêts sur la base de la situation financière du condamné ou d'autres circonstances qu'il constate.

PEINE - AUTRES PEINES - Confiscation - Condamnation au paiement de la contre-valeur des choses confisquées - Pas de confiscation par équivalent - Dommages-intérêts - Pas de pouvoir de modération du juge répressif - Effet [notice3]


Références :

[notice1]

Traité ou Convention internationale - 04-11-1950 - Art. 6, § 1er - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

Loi - 18-07-1977 - Art. 263 et 320 - 31 / No pub 1977071850

[notice3]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 42, 43bis, 44 et 50 - 01 / No pub 1867060850 ;

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 1382 et 1383 - 30 / No pub 1804032150


Composition du Tribunal
Président : VAN VOLSEM FILIP
Greffier : VANDEN BOSSCHE KRISTEL
Ministère public : DE SMET BART
Assesseurs : HOET PETER, LIEVENS ANTOINE, FRANCIS ERWIN, BERNEMAN SIDNEY, VAN DOOREN ERIC

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-01-07;p.19.0705.n ?

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