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07/01/2020 | BELGIQUE | N°P.19.0671.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 07 janvier 2020, P.19.0671.N


N° P.19.0671.N
I. SINDER, société en commandite simple,
prévenue,
demanderesse en cassation,
Me Joachim Meese, avocat au barreau de Gand,
II. 1. J. S.,
2. S. B.,
prévenus,
demandeurs en cassation,
Me Joachim Meese, avocat au barreau de Gand,
tous les pourvois contre
ÉTAT BELGE, SPF FINANCES,
partie poursuivante,
défendeur en cassation,
Me Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, et Stefan De Vleeschouwer, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le

5 juin 2019 par la cour d'appel de Gand, chambre correctionnelle.
Les demandeurs invoquent deux moyens dan...

N° P.19.0671.N
I. SINDER, société en commandite simple,
prévenue,
demanderesse en cassation,
Me Joachim Meese, avocat au barreau de Gand,
II. 1. J. S.,
2. S. B.,
prévenus,
demandeurs en cassation,
Me Joachim Meese, avocat au barreau de Gand,
tous les pourvois contre
ÉTAT BELGE, SPF FINANCES,
partie poursuivante,
défendeur en cassation,
Me Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, et Stefan De Vleeschouwer, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 5 juin 2019 par la cour d'appel de Gand, chambre correctionnelle.
Les demandeurs invoquent deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Erwin Francis a fait rapport.
L'avocat général Marc Timperman a conclu.
Le 20 décembre 2019, les demandeurs ont déposé au greffe de la Cour une note par application de l'article 1107, alinéa 3, du Code judiciaire.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
1. Le moyen est pris de la violation des articles 204 et 210, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle : à la différence du jugement entrepris, l'arrêt considère que l'audition du demandeur II.1 du 3 juillet 2006 n'est pas nulle et doit être maintenue dans les débats ; seuls les demandeurs ont formulé des griefs relatifs à la procédure et à la culpabilité ; par conséquent, les juges d'appel étaient sans compétence pour réformer le jugement entrepris en ce qui concerne la régularité de l'audition visée ; en effet, un prévenu ne peut interjeter un appel recevable ou formuler des griefs contre une décision qui ne lui porte pas préjudice.
2. Les éléments suivants ressortent des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard :
- après avoir déclaré nulle la déclaration du demandeur II.1 du 3 juillet 2016 et l'avoir écartée des débats, le jugement entrepris acquitte la demanderesse I du chef des préventions B et C et la condamne du chef des préventions A, acquitte le demandeur II.1 du chef de la prévention B et le condamne du chef des préventions A et C, et condamne le demandeur II.2 du chef des préventions A ;
- les demandeurs ont interjeté appel de ce jugement et ont formulé des griefs concernant la procédure, la culpabilité et le taux de la peine ;
- le défendeur a également interjeté appel de ce jugement, mais a limité ses griefs à la peine et à l'action civile ;
- le ministère public a également fait appel de ce jugement et a mentionné comme griefs, en ce qui concerne les demandeurs II, qu'il suit leur appel et vise également le taux de la peine ;
- l'arrêt en déduit que les juges d'appel ont été saisis de l'ensemble de l'affaire au pénal et au civil, à l'exception des acquittements précités. Il considère que la déclaration du demandeur II.1 du 3 juillet 2016 n'est pas nulle et doit être maintenue dans les débats. Il condamne les demandeurs du chef des mêmes préventions qu'en première instance.
3. Un grief au sens de l'article 204 du Code d'instruction criminelle est l'indication spécifique par l'appelant d'une décision distincte du jugement entrepris, dont il demande la réformation par le juge d'appel.
4. Lorsque le ministère public mentionne dans son formulaire de griefs qu'il suit l'appel du prévenu, il indique qu'il invoque contre le jugement dont appel les mêmes griefs que le prévenu.
5. Il en résulte que, lorsqu'un prévenu interjette appel et coche un grief dirigé contre la décision rendue par le premier juge sur la procédure, l'appel du ministère public qui a le même grief pour objet confère au juge d'appel le pouvoir juridictionnel de réformer la décision par laquelle le premier juge a considéré qu'un élément de preuve est nul et doit être écarté des débats en application de l'article 32 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, et de considérer que ledit élément n'est pas nul et doit être maintenu dans les débats.
Déduit d'une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
Sur le second moyen :
6. Le moyen est pris de la violation des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 10 et 11 de la Constitution, 1 et 3 de la loi du 7 juin 1969 fixant le temps pendant lequel il ne peut être procédé à des perquisitions, visites domiciliaires ou arrestations : l'arrêt considère que la perquisition pratiquée le 2 juillet 2016 dans l'entrepôt de Gand, ... est régulière et que le recueil de la preuve sur les lieux, à savoir la réserve de boissons visuellement relevée par les verbalisateurs, était régulier ; toutefois, cet entrepôt était un lieu non ouvert au public, de sorte que les verbalisateurs auraient dû disposer d'un consentement donné par écrit préalablement à leur perquisition, comme le prévoient les articles 1, alinéa 2, 3°, et 3 de la loi du 7 juin 1969 ; les verbalisateurs disposaient seulement du consentement donné oralement par un associé présent pour pénétrer dans l'entrepôt ; ainsi, la perquisition était irrégulière ; l'arrêt considère, à tort, que le consentement prévu à l'article 3 de la loi du 7 juin 1969 n'est requis que s'agissant d'un domicile au sens de l'article 15 de la Constitution ; ce consentement est toutefois requis pour tout lieu non ouvert au public ; en effet, il vise à éviter les problèmes en matière de preuve ; en outre, un tel lieu bénéficie de la protection consacrée à l'article 8 de la Convention, de sorte qu'y pratiquer une perquisition requiert une disposition légale telle que visée à l'article 8, § 2, de la Convention.
Les demandeurs sollicitent à tout le moins que soit posée à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante : « Les articles 1 et 3 de la loi du 7 juin 1969 fixant le temps pendant lequel il ne peut être procédé à des perquisitions, visites domiciliaires ou arrestations, interprétés en ce sens qu'une perquisition nécessite, pour pouvoir être pratiquée dans un lieu non ouvert au public qui représente un domicile au sens de l'article 15 de la Constitution avec le consentement de la personne qui a la jouissance effective de ce lieu, que ce consentement soit donné par écrit et préalablement à la perquisition, alors qu'un consentement donné oralement est suffisant pour pouvoir pratiquer une perquisition dans un lieu qui n'est pas ouvert au public et qui n'est pas un domicile au sens de l'article 15 de la Constitution mais un local utilisé à des fins professionnelles ou commerciales, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution ? ».
7. L'article 8 de la Convention dispose :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice (de ce droit) que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».
8. L'article 14 de loi du 5 août 1992 sur la fonction de police dispose que, dans l'exercice de leurs missions de police administrative, les services de police veillent au maintien de l'ordre public, en ce compris le respect des lois et règlements de police, la prévention des infractions et la protection des personnes et des biens. À cet effet, ils assurent, entre autres, une surveillance générale et des contrôles dans les lieux qui leur sont légalement accessibles.
9. Aux termes de l'article 1er, alinéa 1er, de la loi du 7 juin 1969, aucune perquisition ni visite domiciliaire ne peut être faite dans un lieu non ouvert au public avant cinq heures du matin et après neuf heures du soir. L'alinéa 2, 3°, du même article prévoit une exception à cette règle en cas de réquisition ou de consentement de la personne qui a la jouissance effective du lieu. Ces dispositions, qui s'appliquent indépendamment de l'heure à laquelle la perquisition ou la visite domiciliaire se déroule, confèrent une base légale à la pratique d'une perquisition dans un lieu non ouvert au public.
10. Selon l'article 3 de la loi du 7 juin 1969, la réquisition ou le consentement doit être donné par écrit, préalablement à la perquisition ou à la visite domiciliaire. Cette condition particulière est prévue parce que cette réquisition ou ce consentement équivaut à une renonciation au droit à l'inviolabilité du domicile consacré par la Constitution. Par conséquent, elle ne s'applique pas aux lieux qui ne bénéficient pas d'une telle protection, tels les sites d'activité économique qui, même s'ils ne sont pas ouverts au public, ne peuvent, en raison de leur nature ou des activités qui y sont exercées, être considérés comme un domicile ou une annexe à celui-ci. Le fait que des sites d'activité économique puissent relever de la protection consacrée à l'article 8 de la Convention, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'Homme, et la circonstance que l'article 3 de la loi du 7 juin 1969 vise à éviter des problèmes de preuve, sont sans incidence à cet égard.
11. Dans la mesure où il procède d'autres prémisses juridiques, le moyen manque en droit.
12. L'arrêt considère que :
- le 2 juin 2016, les verbalisateurs ont pris part à une action administrative coordonnée contre la criminalité de rue, la criminalité liée à la drogue et les nuisances à Gand ;
- à 19h45, ils ont constaté, dans ..., qu'un homme, qui se hâtait et regardait sans cesse nerveusement autour de lui, chargeait des boissons dans une camionnette à hauteur du numéro ... ;
- ils ont interpellé cet homme et l'ont identifié comme étant S.P., lequel a déclaré à plusieurs reprises être étranger à tout cela ;
- après avoir obtenu le consentement oral de cette personne, ils sont entrés dans un grand entrepôt où ils ont relevé visuellement une énorme réserve de boissons alcoolisées, de spiritueux et de sodas, avant de faire une recherche concernant la personne et le véhicule dans les fichiers de police ;
- les éléments du dossier répressif indiquent que S.P. était un associé gérant de la demanderesse I ;
- l'entrepôt en question n'est pas un domicile au sens de l'article 15 de la Constitution, mais un lieu non ouvert au public ;
- compte tenu du consentement donné oralement par S.P., les verbalisateurs étaient en droit de pénétrer dans l'entrepôt sans consentement écrit préalable au sens de l'article 3 de la loi du 7 juin 1969, dès lors que cette condition ne s'applique pas à un lieu qui ne bénéficie pas de la protection du domicile consacrée par la Constitution.
Ainsi, l'arrêt justifie la décision selon laquelle les verbalisateurs ont pénétré dans l'entrepôt et y ont fait des constatations de manière régulière.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
13. Un local protégé par l'inviolabilité du domicile consacrée par l'article 15 de la Constitution ne peut être comparé à un local qui n'est pas protégé par cette inviolabilité, que lesdits locaux soient ouverts au public ou non. Par conséquent, la question préjudicielle proposée ne concerne pas des situations juridiques identiques que la loi traite différemment.
Il n'y a pas lieu de poser la question préjudicielle.
Le contrôle d'office
14. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne les demandeurs aux frais de leur pourvoi.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Peter Hoet, Antoine Lievens, Erwin Francis et Eric Van Dooren, conseillers, et prononcé en audience publique du sept janvier deux mille vingt par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l'avocat général délégué Bart De Smet, avec l'assistance du greffier délégué Ayse Birant.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Eric de Formanoir et transcrite avec l'assistance du greffier Tatiana Fenaux.


Synthèse
Formation : Chambre 2n - tweede kamer
Numéro d'arrêt : P.19.0671.N
Date de la décision : 07/01/2020
Type d'affaire : Droit pénal - Droit international public - Droit constitutionnel

Analyses

Lorsque le ministère public mentionne dans son formulaire de griefs qu'il suit l'appel du prévenu, il indique qu'il invoque contre le jugement dont appel les mêmes griefs que le prévenu; il en résulte que, lorsqu'un prévenu interjette appel et coche un grief dirigé contre la décision rendue sur la procédure, l'appel du ministère public qui a le même grief pour objet confère au juge d'appel le pouvoir juridictionnel de réformer la décision par laquelle le premier juge a considéré qu'un élément de preuve est nul et doit être écarté des débats, et de considérer que ledit élément n'est pas nul et doit être maintenu dans les débats.

APPEL - MATIERE REPRESSIVE (Y COMPRIS DOUANES ET ACCISES) - Effets. Compétence du juge - Appel suivi par le ministère public - Appréciation en appel de la régularité de la preuve - Portée [notice1]

L'article 14 de loi du 5 août 1992 sur la fonction de police, qui prévoit que, dans l'exercice de leurs missions de police administrative, les services de police veillent au maintien de l'ordre public en vue de la prévention des infractions et de la protection des personnes et des biens, permet aux services de police d'assurer, entre autres, une surveillance générale et des contrôles dans les lieux qui leur sont légalement accessibles.

POLICE - Missions de police administrative - Contrôles réalisés dans certains lieux - Etendue [notice2]

L'interdiction de pratiquer une perquisition dans un lieu non ouvert au public avant cinq heures du matin et après neuf heures du soir, prévue à l'article 1er, alinéa 1er, de la loi du 7 juin 1969 fixant le temps pendant lequel il ne peut être procédé à des perquisitions, visites domiciliaires ou arrestations, ainsi que l'exception à cette règle en cas de réquisition ou de consentement de la personne qui a la jouissance effective du lieu, prévue à l'article 1er, alinéa 2, 3°, de la loi du 7 juin 1969, confèrent une base légale à la pratique d'une perquisition dans un lieu non ouvert au public; la condition particulière prévue à l'article 3 de la loi du 7 juin 1969, selon lequel la réquisition ou le consentement doit être donné préalablement à la perquisition ou à la visite domiciliaire, ne s'applique pas aux sites d'activité économique qui, même s'ils ne sont pas ouverts au public, ne peuvent, en raison de leur nature ou des activités qui y sont exercées, être considérés comme un domicile ou une annexe à celui-ci; le fait que des sites d'activité économique puissent relever de la protection consacrée à l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'Homme, et la circonstance que l'article 3 de la loi du 7 juin 1969 vise à éviter les problèmes de preuve, sont sans incidence à cet égard.

INSTRUCTION EN MATIERE REPRESSIVE - INFORMATION - Actes d'information - Perquisition pour laquelle un consentement a été donné - Notion de domicile - Sites d'activité économique - Etendue - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 8 - Droit au respect de la via privée - Perquisition - Perquisition pour laquelle un consentement a été donné - Notion de domicile - Sites d'activité économique - Etendue - CONSTITUTION - CONSTITUTION 1994 (ART. 1 A 99) - Article 15 - Inviolabilité du domicile - Sites d'activité économique - Etendue [notice3]


Références :

[notice1]

Code d'instruction criminelle - 17-11-1808 - Art. 204 - 30 / No pub 1808111701 ;

Titre préliminaire du Code de procédure pénale - 17-04-1878 - Art. 32 - 01 / No pub 1878041750

[notice2]

Loi - 05-08-1992 - Art. 14 - 52 / No pub 1992000606

[notice3]

Traité ou Convention internationale - 04-11-1950 - Art. 8 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

Constitution 1994 - 17-02-1994 - Art. 15 - 30 / No pub 1994021048 ;

Loi - 07-06-1969 - Art. 1 et 3 - 30 / No pub 1969060701


Composition du Tribunal
Président : VAN VOLSEM FILIP
Greffier : VANDEN BOSSCHE KRISTEL
Ministère public : DE SMET BART
Assesseurs : HOET PETER, LIEVENS ANTOINE, FRANCIS ERWIN, BERNEMAN SIDNEY, VAN DOOREN ERIC

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-01-07;p.19.0671.n ?

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