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19/11/2019 | BELGIQUE | N°P.19.0758.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 19 novembre 2019, P.19.0758.N


N° P.19.0758.N
I. et II. J. S.,
prévenu,
demandeur en cassation,
Me Cavit Yurt, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi I est dirigé contre un jugement rendu le 10 décembre 2018 par le tribunal d'arrondissement francophone et néerlandophone de l'arrondissement de Bruxelles, siégeant en assemblée réunie (ci-après : le jugement attaqué I).
Le pourvoi II est dirigé contre un jugement rendu le 20 juin 2019 par le tribunal correctionnel néerlandophone de Bruxelles, statuant en degré d'appel (ci-après : le jugement attaqué II).<

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N° P.19.0758.N
I. et II. J. S.,
prévenu,
demandeur en cassation,
Me Cavit Yurt, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi I est dirigé contre un jugement rendu le 10 décembre 2018 par le tribunal d'arrondissement francophone et néerlandophone de l'arrondissement de Bruxelles, siégeant en assemblée réunie (ci-après : le jugement attaqué I).
Le pourvoi II est dirigé contre un jugement rendu le 20 juin 2019 par le tribunal correctionnel néerlandophone de Bruxelles, statuant en degré d'appel (ci-après : le jugement attaqué II).
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport.
L'avocat général Henri Vanderlinden a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
1. Le moyen est pris de la violation de l'article 23 de la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire : les circonstances énoncées par le jugement attaqué I ne peuvent être considérées comme des circonstances objectives et propres à la cause pouvant justifier le rejet d'une demande de changement de langue ; ni la simplicité de la cause, ni la possibilité d'être assisté d'un interprète, ni la perte de temps et le retard qu'engendrerait le dessaisissement du « juge naturel » de la cause ne constituent de telles circonstances ; il en va de même du risque de prescription et du caractère éventuellement dilatoire de la demande ; le défaut de comparution relève de l'exercice des droits de la défense et une demande de changement de langue ne peut être rejetée que si elle a été formulée à des fins dilatoires incontestables ; d'ailleurs, la prescription de l'action publique ne sera atteinte que fin 2021, au plus tôt.
2. Suivant l'article 23, alinéa 2, de la loi du 15 juin 1935, le prévenu qui ne connaît que le français ou s'exprime plus facilement dans cette langue et qui est traduit devant un tribunal de police où la procédure est faite en néerlandais, peut demander que celle-ci ait lieu en français. Selon l'article 23, alinéa 4, de la même loi, le tribunal ordonne, le cas échéant, le renvoi à la juridiction de même ordre la plus rapprochée où la procédure est faite dans la langue demandée par le prévenu, mais le tribunal peut décider qu'il ne peut faire droit à la demande du prévenu en raison des circonstances de la cause.
3. Ces dispositions confèrent, en principe, à un prévenu le droit de voir sa cause renvoyée, dans les cas visés audit article 23, à une autre juridiction, où la procédure est faite dans la langue que connaît le prévenu ou dans laquelle il s'exprime le plus facilement.
Le juge peut toutefois rejeter la demande de changement de langue s'il existe des circonstances objectives propres à la cause justifiant qu'il statue lui-même.
Le juge apprécie souverainement en fait l'existence de telles circonstances. La Cour vérifie toutefois si le juge ne déduit pas de ses constatations des conséquences qui y sont étrangères ou qu'elles ne sauraient justifier.
4. Le jugement attaqué I confirme le rejet par le tribunal de police de Vilvorde de la demande de changement de langue formulée par le demandeur en se fondant sur les circonstances suivantes :
- il s'agit d'une affaire simple : le dossier se compose uniquement d'un procès-verbal et d'une déclaration faite par le demandeur en français et signée par lui, dont il appert que le demandeur comprend quelle infraction est mise à sa charge ;
- le demandeur peut être présent en personne à l'audience du tribunal et s'y exprimer en français ;
- le renvoi devant un autre tribunal engendrerait une perte de temps considérable et donc un retard dans l'examen de la cause au fond, associé à une augmentation des frais de procédure (transmission du dossier, organisation d'une nouvelle audience, nouvelle citation, instruction du dossier par un nouveau magistrat de parquet et un nouveau magistrat du siège), et aurait pour conséquence que l'affaire serait soustraite à son « juge naturel », à savoir le juge qui, compte tenu du lieu de l'infraction, est normalement compétent pour connaître de l'affaire ;
- il existe un risque de prescription et le demandeur a peut-être formulé sa demande à des fins dilatoires : les faits datent du 29 juillet 2017 et le demandeur a fait défaut à l'audience du tribunal du 2 mai 2018 malgré la citation qui lui a été faite bien à l'avance, pour ne finalement former opposition que le 3 juillet 2018.
5. Le législateur n'a pas limité aux affaires complexes le droit de demander un changement de langue visé à l'article 23, paragraphe 2, de la loi du 15 juin 1935. Dès lors, la simplicité d'une affaire ne constitue pas une circonstance objective propre à la cause pouvant justifier le rejet d'une demande de changement de langue.
6. Ni la circonstance qu'un prévenu cité à comparaître devant un tribunal où la procédure est faite en néerlandais puisse être présent à l'audience et s'y exprimer en français, ni le fait qu'un renvoi engendrerait une perte de temps et une augmentation des frais, ne constituent des circonstances objectives propres à la cause, dès lors que de telles conséquences affectent toute cause dans laquelle un changement de langue est autorisé.
7. Même si la prescription imminente de l'action publique peut être une circonstance justifiant le rejet d'une demande de changement de langue conformément à l'article 23, alinéa 4, de la loi du 15 juin 1935, la simple constatation d'un risque de prescription de la cause ne constitue pas une circonstance objective propre à celle-ci. Il est requis à cet effet que le juge constate l'existence, au moment de sa décision, d'un risque réel de prescription de l'action publique compte tenu du délai de prescription applicable ainsi que des périodes de suspension et des actes interruptifs de la prescription à prendre en considération.
8. Le fait qu'une demande de changement de langue présente un caractère « éventuellement » dilatoire, sans que le juge constate que tel est effectivement le cas, ne peut tenir lieu de circonstance objective propre à la cause.
9. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué I ne pouvait légalement déduire des constatations qu'il comporte l'existence de circonstances objectives propres à la cause justifiant le rejet de la demande de changement de langue.
Dans cette mesure, le moyen est fondé.
Sur l'étendue de la cassation :
10. L'illégalité susmentionnée entraîne la cassation du jugement attaqué I, à l'exception de la décision rendue sur la recevabilité de l'appel. Cette cassation entraîne la cassation de la procédure y subséquente, en ce compris du jugement attaqué II qui en découle.
Sur le second moyen :
11. Eu égard à la cassation à prononcer du jugement attaqué II, il n'y a pas lieu de répondre à ce moyen, qui concerne ce jugement.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse
- le jugement attaqué I, hormis la décision rendue sur la recevabilité de l'appel ;
- la procédure subséquente au jugement attaqué I, en ce compris le jugement attaqué II ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement partiellement cassé I et du jugement cassé II ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Condamne le demandeur à un dixième des frais ;
Réserve le surplus des frais afin qu'il soit statué sur celui-ci par le juge de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, au tribunal d'arrondissement francophone et néerlandophone de l'arrondissement de Bruxelles, siégeant en assemblée réunie, autrement composé.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Antoine Lievens, Erwin Francis, Sidney Berneman et Ilse Couwenberg, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-neuf novembre deux mille dix-neuf par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l'avocat général Marc Timperman, avec l'assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.
Traduction établie sous le contrôle du président de section Benoît Dejemeppe et transcrite avec l'assistance du greffier Tatiana Fenaux.


Synthèse
Formation : Chambre 2n - tweede kamer
Numéro d'arrêt : P.19.0758.N
Date de la décision : 19/11/2019
Type d'affaire : Autres

Analyses

Le juge peut rejeter une demande de changement de langue visée à l'article 23 de la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire s'il existe des circonstances objectives propres à la cause justifiant qu'il statue lui-même; le juge apprécie souverainement en fait l'existence de telles circonstances, mais la Cour vérifie si le juge ne déduit pas de ses constatations des conséquences qui y sont étrangères ou qu'elles ne sauraient justifier (1). (1) Cass. 10 novembre 2015, RG P.14.1296.N, Pas. 2015, n° 666.

LANGUES (EMPLOI DES) - MATIERE JUDICIAIRE (LOI DU 15 JUIN 1935) - En première instance - Matière répressive - Demande de renvoi à une autre juridiction de même ordre - Circonstances de la cause - Nature - Appréciation souveraine par le juge du fond - Contrôle de la Cour - APPRECIATION SOUVERAINE PAR LE JUGE DU FOND - Emploi des langues en matière judiciaire - Matière répressive - Demande de renvoi à une autre juridiction de même ordre - Circonstances objectives propres à la cause - CASSATION - DE LA COMPETENCE DE LA COUR DE CASSATION - Divers - Emploi des langues en matière judiciaire - Matière répressive - Demande de renvoi à une autre juridiction de même ordre - Circonstances objectives propres à la cause - Appréciation souveraine par le juge du fond - Contrôle de la Cour [notice1]


Références :

[notice1]

Loi - 15-06-1935 - Art. 23, al. 2 et 4 - 01 / No pub 1935061501


Composition du Tribunal
Président : VAN VOLSEM FILIP
Greffier : VANDEN BOSSCHE KRISTEL
Ministère public : TIMPERMAN MARC
Assesseurs : HOET PETER, LIEVENS ANTOINE, FRANCIS ERWIN, BERNEMAN SIDNEY, LUGENTZ FREDERIC

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-11-19;p.19.0758.n ?

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