N° P.16.1099.N
I. 1. P. L.,
prévenu, détenu,
2. M. B.,
prévenue,
demandeurs en cassation,
Me Maarten Vandermeersch, avocat au barreau de Courtrai,
contre
E. V.,
partie civile,
défendeur en cassation.
II. KRANENBURG, société anonyme,
prévenue,
demanderesse en cassation,
Mes Hans Van Bavel et Elisabeth Baeyens, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 21 septembre 2016 par la cour d'appel de Gand, chambre correctionnelle.
Le demandeur I.1 invoque quatre moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le demandeur I.2 invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
La demanderesse II invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
La demanderesse II déclare, sans acquiescement, se désister de son pourvoi, dans la mesure où les décisions attaquées ne constituent pas des décisions définitives.
Le conseiller Peter Hoet a fait rapport.
L'avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
(...)
Sur le troisième moyen du demandeur I.1 :
Quant à la première branche :
10. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 6.1 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution, 21ter de la loi du 17 avril 1878 contenant le Titre préliminaire du Code de procédure pénale, 187, 188 et 202 du Code d'instruction criminelle : l'arrêt décide que le délai raisonnable est dépassé ; il décide, illégalement, qu'il aurait infligé une peine nettement supérieure, à savoir au minimum une peine d'emprisonnement de huit ans, à la peine d'emprisonnement de cinq ans qui a été prononcée par le premier juge et que, même en tenant compte en outre du dépassement du délai raisonnable, une peine privative de liberté de cinq ans d'emprisonnement est une peine appropriée pour l'ensemble des faits déclarés établis ; ainsi, l'arrêt n'offre pas de remédier effectivement au dépassement constaté du délai raisonnable, dès lors qu'il ne pouvait aggraver la situation du demandeur par rapport au jugement dont appel parce que le ministère public n'avait pas interjeté appel du jugement rendu par défaut.
11. Le juge d'appel qui constate le dépassement du délai raisonnable doit appliquer une réduction réelle et mesurable à la peine qu'il aurait infligée s'il n'y avait eu dépassement du délai raisonnable.
Afin de déterminer la peine que le juge d'appel aurait infligée s'il n'y avait eu dépassement du délai raisonnable, la peine infligée par le premier juge est sans intérêt. En effet, la réduction réelle et mesurable accordée en raison du dépassement du délai raisonnable ne doit pas être appréciée en fonction de la peine infligée par le juge du fond, mais en fonction de la peine que le juge d'appel aurait infligée en l'absence d'un dépassement du délai raisonnable.
Cependant, le juge d'appel ne peut en aucun cas, compte tenu de l'effet relatif de l'opposition, infliger à un prévenu une peine supérieure à celle infligée par le jugement rendu par défaut contre lequel le ministère public n'a pas interjeté appel.
Dans la mesure où il est déduit d'une autre prémisse juridique, le moyen, en cette branche, manque en droit.
12. L'arrêt décide que :
- il aurait infligé au demandeur I.1, pour l'ensemble des faits déclarés établis, compte tenu de leur nature, de leur gravité objective et de leur quantité, une peine nettement supérieure à la peine prononcé par le premier juge, à savoir au minimum huit ans ;
- à défaut d'appel formé par le ministère public contre le jugement rendu par défaut, la peine de cinq ans infligée par le jugement rendu par défaut ne peut être aggravée ;
- compte tenu du dépassement du délai raisonnable, une peine d'emprisonnement de cinq ans est une sanction adéquate pour l'ensemble des faits déclarés établis ;
- il n'y a plus lieu d'infliger une amende.
Ainsi, l'arrêt offre de remédier effectivement au dépassement constaté du délai raisonnable et justifie légalement la sanction infligée.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
(...)
Sur le quatrième moyen du demandeur I.1 :
15. Le moyen invoque la violation des articles 187, 188, 202 et 203 du Code d'instruction criminelle : l'arrêt déclare le cautionnement de 75.000,00 euros versé par le demandeur I.1 acquis à l'État en application de l'article 35, § 4, de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive ; ainsi, il aggrave sa situation par rapport aux condamnations prononcées par défaut, contre lesquelles le ministère public n'a pas interjeté appel ; le jugement rendu par défaut n'a pas déclaré le cautionnement acquis à l'État.
16. En vertu de l'article 35, § 4, alinéas 5 et 6, de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, le cautionnement est attribué à l'État dès que l'inculpé, sans motif légitime d'excuse, est resté en défaut de se présenter à un acte quelconque de la procédure et le défaut, par l'inculpé, de s'être présenté à un acte de la procédure est constaté par le jugement ou l'arrêt de condamnation, lequel déclare, en même temps, que le cautionnement est acquis à l'État.
L'attribution du cautionnement à l'État est la conséquence du défaut de s'être présenté, sans motif légitime d'excuse, à un acte quelconque de la procédure. Cette attribution par le juge d'appel ne constitue pas une aggravation de la situation d'un prévenu qui a été condamné, par un jugement rendu par défaut non attaqué par le ministère public, à une peine et sans que l'attribution du cautionnement à l'État n'ait été requise ou ordonnée à son encontre.
Le moyen qui est déduit d'une autre prémisse juridique, manque en droit.
Sur le troisième moyen du demandeur I.2 :
Quant à la première branche :
17. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 6.1 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution, 21ter de la loi du 17 avril 1878 contenant le Titre préliminaire du Code de procédure pénale, 187, 188 et 202 du Code d'instruction criminelle : l'arrêt décide que le délai raisonnable est dépassé ; il décide, illégalement, qu'il aurait infligé une peine nettement supérieure, à savoir au minimum une peine d'emprisonnement de cinq ans, à la peine d'emprisonnement de trois ans qui a été prononcée par le premier juge et que, même en tenant compte en outre du dépassement du délai raisonnable, une peine privative de liberté de trois ans d'emprisonnement est une peine appropriée pour l'ensemble des faits déclarés établis ; ainsi, l'arrêt n'offre pas de remédier effectivement au dépassement constaté du délai raisonnable, dès lors qu'il ne pouvait aggraver la situation du demandeur par rapport au jugement dont appel en l'absence d'appel du ministère public contre le jugement rendu par défaut.
18. Le juge d'appel qui constate le dépassement du délai raisonnable doit appliquer une réduction réelle et mesurable à la peine qu'il aurait infligée s'il n'y avait eu dépassement du délai raisonnable.
Afin de déterminer la peine que le juge d'appel aurait infligée s'il n'y avait eu dépassement du délai raisonnable, la peine infligée par le premier juge est sans intérêt. En effet, la réduction réelle et mesurable accordée en raison du dépassement du délai raisonnable ne doit pas être appréciée en fonction de la peine infligée par le juge du fond, mais en fonction de la peine que le juge d'appel aurait infligée en l'absence d'un dépassement du délai raisonnable.
Cependant, le juge d'appel ne peut en aucun cas, compte tenu de l'effet relatif de l'opposition, infliger à un prévenu une peine supérieure à celle infligée par le jugement rendu par défaut contre lequel le ministère public n'a pas interjeté appel.
Dans la mesure où il est déduit d'une autre prémisse juridique, le moyen, en cette branche, manque en droit.
19. L'arrêt décide que :
- il aurait infligé au demandeur I.2, pour l'ensemble des faits déclarés établis, compte tenu de leur nature, de leur gravité objective et de leur quantité, une peine nettement supérieure à la peine prononcé par le juge du fond, à savoir au minimum cinq ans ;
- à défaut d'appel formé par le ministère public contre le jugement rendu par défaut, la peine de trois ans infligée par le jugement rendu par défaut ne peut être aggravée ;
- compte tenu du dépassement du délai raisonnable, une peine d'emprisonnement de trois ans est une sanction adéquate pour l'ensemble des faits déclarés établis ;
- il n'y a plus lieu d'infliger une amende ;
- un sursis à l'exécution de la partie de la peine d'emprisonnement qui excède la détention provisoire déjà subie peut être accordé à la demanderesse I.2.
Ainsi, l'arrêt offre de remédier effectivement au dépassement constaté du délai raisonnable et justifie légalement la sanction infligée.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
(...)
Sur le moyen de la demanderesse II :
22. Le moyen invoque la violation des articles 42, 3°, 43bis du Code pénal et 35bis, 35ter, 89, 165, 197, 197bis, 211, 352 et 361 du Code d'instruction criminelle : l'arrêt maintient, à tort, la saisie par équivalent, ordonnée par le juge d'instruction, sur les biens immeubles des demandeurs afin de garantir l'exécution de la confiscation par équivalent ordonnée à l'encontre des demandeurs ; en vertu de l'article 352 du Code d'instruction criminelle, la juridiction de jugement est tenue de se prononcer sur la saisie ; la saisie par équivalent vise à garantir l'exécution de la confiscation par équivalent, à savoir une peine qui ajoute uniquement une dette au patrimoine du condamné ; dès lors que cette confiscation ne concerne donc pas le bien même qui est saisi, le juge pénal n'a d'autre choix que de décider la restitution ou la levée de la saisie ; le pouvoir juridictionnel de la juridiction de jugement s'en trouve également limitée parce qu'elle ne peut anticiper sur l'exécution de la confiscation qui relève exclusivement du ministère public, en vertu des articles 197 et 197bis du Code d'instruction criminelle.
23. En vertu des articles 42, 3°, et 43bis, alinéa 1er, du Code pénal, le juge peut ordonner la confiscation des avantages patrimoniaux tirés directement de l'infraction, des biens et valeurs qui leur ont été substitués et des revenus de ces avantages investis.
L'article 43bis, alinéa 2, du Code pénal prévoit que, si ces choses ne peuvent être trouvées dans le patrimoine du condamné, le juge procédera à leur évaluation monétaire et la confiscation portera sur une somme d'argent qui leur sera équivalente.
L'article 35ter, alinéa 1er, première phrase, du Code d'instruction criminelle dispose : « S'il existe des indices sérieux et concrets que la personne soupçonnée a obtenu un avantage patrimonial au sens des articles 42, 3° ou 43quater, § 2, du Code pénal et que les choses qui matérialisent cet avantage patrimonial ne peuvent pas ou ne peuvent plus être retrouvées en tant que telles dans le patrimoine de la personne soupçonnée qui se trouve en Belgique ou sont mélangées avec des choses licites, le ministère public peut saisir d'autres choses qui se trouvent dans le patrimoine de la personne soupçonnée à concurrence du montant supposé dudit avantage patrimonial. »
L'article 35ter, § 4, du Code d'instruction criminelle prévoit que le ministère public peut également saisir d'autres biens que les avantages patrimoniaux qui appartiennent à des tiers, sous certaines conditions.
En vertu de l'article 89 du Code d'instruction criminelle, le juge d'instruction a la même compétence.
24. La confiscation par équivalent prévue à l'article 43bis, alinéa 2, du Code pénal est une peine qui consiste en ce que le juge condamne le prévenu au paiement d'une somme correspondant, selon l'évaluation du juge, à la valeur des avantages patrimoniaux qui ne peuvent être retrouvés dans le patrimoine du condamné. Cette somme est récupérable sur l'ensemble du patrimoine du condamné.
La saisie par équivalent visée à l'article 35ter du Code d'instruction criminelle est une saisie de tout élément constitutif du patrimoine qui appartient, en règle, au prévenu et qui vise à garantir l'exécution de la confiscation par équivalent si le condamné ne s'y résout pas volontairement.
25. L'article 352 du Code d'instruction criminelle dispose :
« La cour ordonne que les objets saisis sont restitués au propriétaire.
Néanmoins, s'il y a eu condamnation, cette restitution n'est faite qu'en justifiant, par le propriétaire, que le condamné a laissé passer les délais sans se pourvoir en cassation, ou, s'il s'est pourvu, que l'affaire est définitivement terminée. »
Il ressort de ce qui précède que cet article ne s'applique pas aux biens qui, conformément à l'article 35ter dudit code, font l'objet d'une saisie par équivalent. Si le juge qui prononce la confiscation par équivalent, devait ordonner la restitution de ces biens ou la levée de la saisie sur ces biens, il anéantirait la finalité de la saisie.
Dans la mesure où, en cette branche, il est déduit d'une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
26. En vertu des articles 197 et 197bis du Code d'instruction criminelle, l'exécution de la confiscation, y compris la confiscation par équivalent, relève du ministère public. La juridiction de jugement n'a pas le pouvoir de se prononcer sur cette exécution ni de l'anticiper. Il en résulte que la juridiction de jugement n'a pas davantage le pouvoir juridictionnel de maintenir la saisie sur ces biens en vue de garantir l'exécution de la confiscation par équivalent qu'elle ordonne.
27. L'article 35bis, alinéas 3 et 4, du Code d'instruction criminelle dispose :
« La saisie immobilière conservatoire est valable pendant cinq années prenant cours à la date de sa transcription, sauf renouvellement pour le même terme sur présentation au conservateur, avant l'expiration du délai de validité de la transcription, d'une requête établie en double exemplaire par le procureur ou le juge d'instruction compétent.
La saisie est maintenue pour le passé par la mention succincte en marge de sa transcription, pendant le délai de validité de celle-ci, de la décision judiciaire définitive ordonnant la confiscation du bien immobilier. »
Ainsi, le délai de validité de la saisie immobilière est fixé par la loi elle-même, et non par une décision de la juridiction de jugement. Par conséquent, la décision de l'arrêt de maintenir cette saisie ne peut léser le demandeur.
Dans cette mesure, le moyen est irrecevable, à défaut d'intérêt.
Le contrôle d'office
28. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
Sur l'arrestation immédiate du demandeur I.1 :
29. Ensuite du rejet, à prononcer ci-après, du pourvoi I.1 formé contre la décision rendue sur l'action publique, cette décision passe en force de chose jugée. Le pourvoi formé contre la décision ordonnant l'arrestation immédiate du demandeur n'a, par conséquent, plus d'objet.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne les demandeurs aux frais de leur pourvoi.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Alain Bloch, Peter Hoet, Erwin Francis et Ilse Couwenberg, conseillers, et prononcé en audience publique du quatorze février deux mille dix-sept par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l'avocat général délégué Alain Winants, avec l'assistance du greffier Frank Adriaensen.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Tamara Konsek et transcrite avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.
Le greffier, Le conseiller,