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02/03/2022 | FRANCE | N°451239

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 02 mars 2022, 451239


Vu la procédure suivante :

La direction régionale des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône a transmis d'office au tribunal administratif de Marseille, en application des dispositions combinées des articles R. 199-1 et R. 200-3 du livre des procédures fiscales, les deux réclamations du 13 décembre 2018 présentées par la société Klepierre Grand Littoral par lesquelles elle demandait la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2017 et 2018

à raison de locaux situés à Marseille.

Par un jugement nos 1901138, 1901...

Vu la procédure suivante :

La direction régionale des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône a transmis d'office au tribunal administratif de Marseille, en application des dispositions combinées des articles R. 199-1 et R. 200-3 du livre des procédures fiscales, les deux réclamations du 13 décembre 2018 présentées par la société Klepierre Grand Littoral par lesquelles elle demandait la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2017 et 2018 à raison de locaux situés à Marseille.

Par un jugement nos 1901138, 1901140 du 5 février 2021, la magistrate désignée par la présidente de ce tribunal a fait droit à ces demandes.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 mars et 22 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'État d'annuler ce jugement.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société Klepierre Grand Littoral ;

Considérant ce qui suit :

1. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre le jugement du 5 février 2021 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Marseille a fait droit aux demandes de la société Klepierre Grand Littoral tendant à la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2017 et 2018 à raison du centre commercial " Grand Littoral " situé dans les 15ème et 16ème arrondissements de Marseille.

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que si le tribunal administratif de Marseille s'était déjà prononcé sur la valeur locative du même centre commercial, par un jugement du 4 octobre 2019 devenu définitif, ce jugement portait, eu égard aux années 2015 et 2016 alors en cause, sur un litige distinct. Par suite le moyen tiré de ce que le jugement attaqué aurait méconnu l'autorité de la chose alors jugée ne peut qu'être écarté.

3. En second lieu, l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 a défini de nouvelles modalités de détermination et de révision de la valeur locative cadastrale des locaux professionnels, en vue de l'établissement des impositions directes locales. A cette fin, le législateur a prévu la constitution de secteurs d'évaluation regroupant les communes ou parties de communes qui, dans chaque département, présentent un marché locatif homogène et le classement des locaux professionnels par sous-groupes, définis en fonction de leur nature et de leur destination et, à l'intérieur de ces sous-groupes, par catégories, en fonction de leur utilisation et de leurs caractéristiques physiques. Il a également prévu la fixation, dans chaque secteur d'évaluation, de tarifs par mètre carré déterminés à partir des loyers moyens constatés par catégorie de propriétés. La valeur locative de chaque propriété bâtie est obtenue par application à sa surface pondérée du tarif par mètre carré correspondant à sa catégorie modulé, le cas échéant, par l'application d'un coefficient de localisation.

4. Aux termes du XVI de l'article 34 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 : " (...) B. 1. En vue de l'établissement de la taxe foncière sur les propriétés bâties, de la cotisation foncière des entreprises, de la taxe d'habitation et de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, la valeur locative des propriétés bâties est corrigée par un coefficient de neutralisation. / Ce coefficient est égal, pour chaque taxe et chaque collectivité territoriale, au rapport entre, d'une part, la somme des valeurs locatives non révisées au 1er janvier 2017 des propriétés bâties imposables au titre de cette année dans son ressort territorial, à l'exception de celles mentionnées au 2, et, d'autre part, la somme des valeurs locatives révisées de ces propriétés à la date de référence du 1er janvier 2013. / Le coefficient de neutralisation déterminé pour chacune de ces taxes s'applique également pour l'établissement de leurs taxes annexes. / Les coefficients déterminés pour une commune s'appliquent aux bases imposées au profit des établissements publics de coopération intercommunale dont elle est membre. / (...). / D.- Pour les impositions dues au titre des années 2017 à 2025 : / 1° Lorsque la différence entre la valeur locative non révisée au 1er janvier 2017 et la valeur locative résultant du B du présent XVI est positive, celle-ci est majorée d'un montant égal à la moitié de cette différence ; / 2° Lorsque la différence entre la valeur locative non révisée au 1 er janvier 2017 et la valeur locative résultant du même B est négative, celle-ci est minorée d'un montant égal à la moitié de cette différence. / Le présent D n'est applicable ni aux locaux mentionnés au 2 dudit B, ni aux locaux ayant fait l'objet d'un des changements mentionnés au I de l'article 1406 du code général des impôts après le 1er janvier 2017 ". Ces dispositions ont été codifiées, à compter du 1er janvier 2018, aux I et III de l'article 1518 A quinquies du code général des impôts. Aux termes du IV de ce dernier article : " Pour la détermination des valeurs locatives non révisées au 1er janvier 2017 mentionnées aux I et III, il est fait application des dispositions prévues par le présent code, dans sa rédaction en vigueur le 31 décembre 2016 ". Enfin, aux termes de l'article 1518 E du même code : " (...) Les impôts directs locaux établis au titre des années 2017 à 2025 sont majorés lorsque la différence entre la cotisation qui aurait été établie au titre de l'année 2017 sans application du A du XVI de l'article 34 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 (...), dans sa rédaction en vigueur le 31 décembre 2016, et la cotisation établie au titre de cette même année est positive. / Pour chaque impôt, la majoration est égale aux neuf dixièmes de la différence définie au premier alinéa du présent 2° pour les impositions établies au titre de l'année 2017, puis réduite chaque année d'un dixième de cette différence. / Cette majoration est supprimée à compter de l'année qui suit celle au cours de laquelle la propriété ou fraction de propriété est concernée par l'application du I de l'article 1406, sauf si le changement de consistance concerne moins de 10 % de la surface de la propriété ou fraction de propriété (...) ". Il résulte de ces dispositions que la valeur locative non révisée au 1er janvier 2017 utilisée pour lisser les variations de cotisations d'impôts locaux résultant de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels est déterminée conformément aux dispositions du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur le 31 décembre 2016.

5. Aux termes de l'article 1498 du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur le 31 décembre 2016 : " La valeur locative de tous les biens autres que les locaux visés au I de l'article 1496 et que les établissements industriels visés à l'article 1499 est déterminée au moyen de l'une des méthodes indiquées ci-après : / 1° Pour les biens donnés en location à des conditions de prix normales, la valeur locative est celle qui ressort de cette location ; / 2º a. Pour les biens loués à des conditions de prix anormales ou occupés par leur propriétaire, occupés par un tiers à un autre titre que la location, vacants ou concédés à titre gratuit, la valeur locative est déterminée par comparaison. / (...) 3° A défaut de ces bases, la valeur locative est déterminée par voie d'appréciation directe ". L'article 324 AA de l'annexe III au même code, dans sa rédaction en vigueur à la même date, prévoit que la valeur locative cadastrale est obtenue en appliquant aux données relatives à la consistance des biens à évaluer les valeurs unitaires arrêtées pour le type de la catégorie correspondante et " cette valeur est ensuite ajustée pour tenir compte des différences qui peuvent exister entre le type considéré et l'immeuble à évaluer, notamment du point de vue de la situation (...) ".

6. Les dispositions citées aux points 4 et 5 ne font pas obstacle à ce que, pour l'application de l'ajustement prévu l'article 324 AA de l'annexe III au code général des impôts et afin d'établir la valeur locative non révisée d'un immeuble, il soit tenu compte des tarifs au mètre carré entrés en vigueur au 1er janvier 2017 en tant, notamment, qu'ils révèlent une différence de potentiel commercial et, par suite, une différence de situation, à cette même date, entre le local-type considéré et cet immeuble.

7. Il ressort des énonciations non contestées du jugement attaqué que l'administration fiscale a déterminé la valeur locative non révisée au 1er janvier 2017 du centre commercial " Grand Littoral " par comparaison avec la valeur locative du centre commercial " La Valentine " composé des locaux-types numéros 20, 62 et 63 du procès-verbal C du 11ème arrondissement de la commune de Marseille. Pour retenir qu'il existait une différence de situation entre ces deux centres commerciaux justifiant l'application de l'ajustement prévu à l'article 324 AA de l'annexe III au code général des impôts, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Marseille a d'abord relevé que la société Klepierre Grand Littoral faisait valoir que le centre commercial dont elle est propriétaire, contrairement au centre commercial " La Valentine ", subissait un taux de vacance élevé, alors que l'administration fiscale indiquait, quant à elle, que le centre commercial à évaluer constituait le deuxième grand pôle marseillais d'attraction régionale, puis elle s'est fondée sur ce que les tarifs au mètre carré appliqués aux locaux types, dans la cadre de la révision de la valeur locative des locaux professionnels mentionnée au point 3, étaient supérieurs de 25 % pour les boutiques et de près de 70 % pour les moyennes surfaces à ceux appliqués au centre commercial à évaluer. Il ressort, en outre, des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société requérante faisait valoir que le centre commercial en litige est situé au cœur d'un quartier d'habitat social au taux de chômage élevé, ce qui n'est pas le cas du centre commercial " La Valentine ". En statuant comme elle l'a fait par un jugement suffisamment motivé, la magistrate désignée, après avoir souverainement constaté les faits de l'espèce sans les dénaturer, n'a pas commis d'erreur de droit, eu égard à ce qui a été dit au point 6, ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Klepierre Grand Littoral au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administratif.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la société Klepierre Grand Littoral au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société Klepierre Grand Littoral.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 février 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. G... F..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme A... K..., M. D... E..., Mme H... B..., M. J... C..., M. Alain Seban, conseillers d'Etat et M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 2 mars 2022.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Lionel Ferreira

La secrétaire :

Signé : Mme I... L...


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 451239
Date de la décision : 02/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-03-01-02 CONTRIBUTIONS ET TAXES. - IMPOSITIONS LOCALES AINSI QUE TAXES ASSIMILÉES ET REDEVANCES. - QUESTIONS COMMUNES. - VALEUR LOCATIVE DES BIENS. - LOCAL PROFESSIONNEL (ART. 1498 DU CGI) – LISSAGE DES EFFETS DE LA RÉVISION CONSISTANT À APPLIQUER, DANS CHAQUE SECTEUR HOMOGÈNE, DES TARIFS CATÉGORIELS (ART. 34 DE LA LOI DU 29 DÉCEMBRE 2010) [RJ1] – ETABLISSEMENT D’UNE VALEUR LOCATIVE NON RÉVISÉE AU 1ER JANVIER 2017 – 1) APPLICATION DU DROIT EN VIGUEUR AU 31 DÉCEMBRE 2016 – 2) AJUSTEMENT (ART. 324 AA DE L’ANNEXE III AU CGI) – PRISE EN COMPTE DES TARIFS CATÉGORIELS ENTRÉS EN VIGUEUR AU 1ER JANVIER 2017 – EXISTENCE, EN TANT QU’ILS RÉVÈLENT UNE DIFFÉRENCE DE SITUATION [RJ2].

19-03-01-02 L’article 34 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 a défini de nouvelles modalités de détermination et de révision de la valeur locative cadastrale des locaux professionnels, en vue de l’établissement des impositions directes locales. A cette fin, le législateur a prévu la constitution de secteurs d’évaluation regroupant les communes ou parties de communes qui, dans chaque département, présentent un marché locatif homogène et le classement des locaux professionnels par sous-groupes, définis en fonction de leur nature et de leur destination et, à l'intérieur de ces sous-groupes, par catégories, en fonction de leur utilisation et de leurs caractéristiques physiques. Il a également prévu la fixation, dans chaque secteur d'évaluation, de tarifs par mètre carré déterminés à partir des loyers moyens constatés par catégorie de propriétés. La valeur locative de chaque propriété bâtie est obtenue par application à sa surface pondérée du tarif par mètre carré correspondant à sa catégorie modulé, le cas échéant, par l’application d’un coefficient de localisation....1) Il résulte du XVI de l’article 34 de la loi du 29 décembre 2010, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015, codifié, à compter du 1er janvier 2018, aux I et III de l’article 1518 A quinquies du code général des impôts (CGI), du IV de ce dernier article et de l’article 1518 E du même code que la valeur locative non révisée au 1er janvier 2017 utilisée pour lisser les variations de cotisations d’impôts locaux résultant de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels est déterminée conformément au CGI dans sa rédaction en vigueur le 31 décembre 2016. ...2) Pour l’application de l’ajustement prévu l’article 324 AA de l’annexe III au CGI dans sa rédaction en vigueur le 31 décembre 2016 et afin d’établir la valeur locative non révisée d’un immeuble, il est tenu compte des tarifs au mètre carré entrés en vigueur au 1er janvier 2017 en tant, notamment, qu’ils révèlent une différence de potentiel commercial et, par suite, une différence de situation, à cette même date, entre le local-type considéré et cet immeuble.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 18 octobre 2017, SARL Gestion Hôtel Mulhouse Morschwiller, n° 412234, T. p. 559....

[RJ2]

Rappr., s’agissant de la date d’appréciation de la pertinence du terme de comparaison, CE, 5 mai 2006, Sté Monoprix, n° 268395, T. pp. 823-826.


Publications
Proposition de citation : CE, 02 mar. 2022, n° 451239
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Lionel Ferreira
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 25/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:451239.20220302
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