Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 août et 12 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Marcel A, demeurant ...; M. et Mme A demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 7 juin 2006 de la cour administrative d'appel de Nantes en tant que, par cet arrêt, la cour a, à la demande du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, remis à leur charge les droits supplémentaires d'impôt sur le revenu et les intérêts de retard correspondants auxquels ils ont été assujettis au titre de l'année 1993 et dont le tribunal administratif de Caen les avait déchargés par jugement du 6 mai 2006 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Laurent Cabrera, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Odent, avocat de M. A,
- les conclusions de M. François Séners, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A, président-directeur général de la SA Ets A ainsi que son épouse ont, le 13 juillet 1993, cédé les actions qu'ils détenaient directement et indirectement dans le capital de cette entreprise ; qu'à cette même date, M. A a quitté ses fonctions salariées de président-directeur général pour devenir président du conseil de surveillance de la société ; que, dans une convention conclue également le 13 juillet 1993 avec les nouveaux actionnaires, il a souscrit le double engagement, d'une part, de ne pas concurrencer la société en s'interdisant, pendant une durée de sept ans à compter de la cession des actions de collaborer sous quelque forme que ce soit avec toute société existante ou nouvelle ayant une activité identique, connexe ou similaire à celle de la SA Ets A, d'autre part, d'autoriser la société acquéreur des actions à utiliser son nom patronymique tout en renonçant lui-même à l'utiliser dans tout commerce ou toute industrie qu'il exploiterait dans le domaine de la création, de la fabrication et de la commercialisation de vêtements d'enfants ; que ladite convention prévoyait le versement, en contrepartie de ce double engagement, de deux indemnités d'un montant respectif de 4 500 000 F et de 3 000 000 F ; que, M. A n'ayant pas mentionné cette somme globale de 7 500 000 F dans sa déclaration de revenus de l'année 1993, l'administration l'a imposée entre les mains de l'intéressé au titre de cette même année dans la catégorie des traitements et salaires ; que M. et Mme A se pourvoient contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, faisant droit à la demande du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a réformé le jugement du tribunal administratif de Nantes et remis à la charge les droits supplémentaires d'impôt sur le revenu et les intérêts de retard correspondants auxquels M. et Mme A avaient été assujettis au titre de l'année 1993 ;
Sur la régularité de l'arrêt :
Considérant que la cour, après avoir relevé que l'administration, avait mentionné dans la notification de redressement que les indemnités litigieuses n'avaient pas été déclarées parmi les rémunérations imposables dans la catégorie des traitements et salaires de dirigeant de sociétés conformément aux dispositions de l'article 82 du code général des impôts, a jugé que cette motivation était suffisante pour permettre au contribuable de contester la qualification de complément de salaires donnée par l'administration à l'indemnité litigieuse ; qu'elle a ainsi suffisamment répondu au moyen tiré de ce que cette notification ne permettait pas au contribuable de présenter utilement ses observations faute d'indiquer le fondement de l'imposition de cette indemnité ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne l'indemnité de non-concurrence :
Considérant qu'aux termes de l'article 82 du code général des impôts, pour la détermination des bases d'imposition dans la catégorie des traitements et salaires, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités et émoluments... accordés aux intéressés ;
Considérant, d'une part, que, après avoir relevé qu'une indemnité versée à l'occasion d'un licenciement ou d'une cessation de fonction ne peut être regardée comme ayant le caractère de dommages-intérêts non imposables que si elle a pour objet de compenser un préjudice autre que celui résultant de la perte de revenu, la cour a pu juger, sans erreur de droit, que l'indemnité qui avait été concédée à M. A au titre d'un engagement de non-concurrence ne revêtait pas un caractère indemnitaire et était, dès lors, imposable à l'impôt sur le revenu, l'intéressé, qui avait continué d'exercer des fonctions dans la société, n'ayant au demeurant pas subi de trouble particulier dans ses conditions d'existence ;
Considérant, d'autre part, que l'indemnité allouée par une société à un salarié sous la condition qu'il ne contrevienne pas à l'engagement de non-concurrence qu'il a souscrit représente la rémunération d'un service rendu à cette société en exécution d'un contrat de travail ; que, par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'indemnité de non-concurrence de 4 500 000 F versée à M. A se rattachait en son entier à la seule catégorie des traitements et salaires, nonobstant le fait que l'exécution de cet engagement emporterait pour l'intéressé l'impossibilité d'exercer également une activité non-salariée dans ce secteur économique ;
En ce qui concerne l'indemnité compensatrice d'usage du patronyme de M. A :
Considérant que la cour administrative d'appel, faisant droit à la demande tendant à ce que soit substituée une base légale à celle qui avait été primitivement invoquée, a jugé que cette indemnité, compte tenu de son objet, devait être regardée, non comme un accessoire de la première indemnité de non-concurrence, mais comme un revenu tiré par M. A de l'exploitation de son nom patronymique à des fins commerciales imposable dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux comme plus-value à court terme sur le fondement de l'article 39 duodecies du code général des impôts ;
Considérant qu'en jugeant que l'indemnité perçue par M. A, en application de la convention par laquelle il avait autorisé la société à utiliser le patronyme A et s'était engagé de son côté à ne pas utiliser ce patronyme dans des conditions susceptibles de préjudicier à l'activité de la société, constituait une plus-value imposable dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, alors que cette transaction ne pouvait être regardée comme une cession de marque, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ;
Considérant, toutefois, que le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, qui est en droit à tout moment de la procédure contentieuse de demander, pour justifier le bien-fondé d'une imposition, que soit substituée une base légale à celle qui a été primitivement invoquée ou à celle qui a été retenue par les juges du fond, dès lors que cette substitution peut être faite sans priver le contribuable des garanties qui lui sont reconnues en matière de procédure d'imposition, demande que l'indemnité litigieuse soit imposée dans la catégorie des bénéfices non commerciaux en application des dispositions du I de l'article 92 du code général des impôts ;
Considérant qu'aux termes de l'article 92 du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable : 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitation lucratives et sources de profit ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou revenus ;
Considérant que l'indemnité litigieuse, qui ne peut être rattachée ni à une activité salariée ni à une concession ou une cession de marque, est au nombre des sommes dont l'imposition peut être opérée au titre de la catégorie des bénéfices non commerciaux, par application des dispositions précitées de l'article 92 ; que, par ailleurs, M. et Mme A n'ont jamais contesté le montant de l'indemnité mais uniquement le principe de son assujettissement à l'impôt ; qu'un tel différend constitue une question de droit qui ne ressortit pas à la compétence de la commission départementale des impôts directs ; que, par suite, bien que l'administration, dans la réponse aux observations du contribuable, ait rayé la mention relative à la possibilité de saisir cette commission, la substitution de base légale invoquée par le ministre n'a privé M. et Mme A d'aucune des garanties offertes en matière de procédure d'imposition ; que, dans ces conditions, la demande de substitution de base légale du ministre doit être accueillie ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt du 7 juin 2006 de la cour administrative d'appel de Nantes ; que, par suite, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement des sommes que M. et Mme A demandent au titre des frais engagés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. et Mme Marcel A est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. ou Mme A et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.