Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 juillet et 17 novembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'association FORUM DES REFUGIES, dont le siège est B.P. 1054 F, à Villeurbanne Cedex (69612) ; l'association FORUM DES REFUGIES demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du 16 mai 2006 du conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides complétant sa décision du 30 juin 2005 fixant la liste des pays d'origine sûrs et considérant comme pays sûrs au sens du 2° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée du séjour des étrangers et du droit d'asile les pays suivants : la République d'Albanie, l'ancienne République yougoslave de Macédoine, la République de Madagascar, la République du Niger et la République unie de Tanzanie ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 ;
Vu la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le décret n° 2004-814 du 14 août 2004 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-François Mary, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Bouthors, avocat de l'association FORUM DES REFUGIES,
- les conclusions de Mme Emmanuelle Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 722-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le conseil d'administration de l'OFPRA « fixe les orientations générales concernant l'activité de l'office ainsi que, dans les conditions prévues par les dispositions communautaires en cette matière, la liste des pays considérés au niveau national comme des pays d'origine sûrs, mentionnés au 2º de l'article L. 741-4 » ; qu'aux termes du 2° de l'article L. 741-4 du même code, un pays d'origine est considéré comme sûr « s'il veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l'état de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La prise en compte du caractère sûr du pays d'origine ne peut faire obstacle à l'examen individuel de chaque demande » ; qu'en application de ces dispositions, le conseil d'administration de l'OFPRA, après en avoir délibéré lors de sa réunion du 3 mai 2006, a, par une décision en date du 16 mai 2006, complété la liste des pays d'origine sûrs qu'il avait établie le 30 juin 2005 en y intégrant les pays suivants : la République d'Albanie, l'ancienne République yougoslave de Macédoine, la République de Madagascar, la République du Niger et la République unie de Tanzanie ;
Sur la légalité externe de la décision attaquée :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et, notamment, du compte-rendu de la séance du conseil d'administration de l'OFPRA du 3 mai 2006, que ce dernier a procédé, avant d'adopter par un vote global l'extension de la liste des pays d'origine sûrs, à un examen détaillé de la situation particulière de chaque pays au regard des critères posés par l'article L. 741-4 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, contrairement à ce que soutient l'association requérante, ni les dispositions de la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres ni les dispositions du décret du 14 août 2004 relatif à l'OFPRA et à la commission des recours des réfugiés n'imposaient qu'un vote séparé ait lieu pour chacun des pays ; que la teneur des débats auxquels a donné lieu l'examen pays par pays ne le rendait pas, en l'espèce, nécessaire ; que l'association requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que la décision attaquée, prise dans le respect des dispositions définies par le chapitre II du décret du 14 août 2004 relatif à l'OFPRA et à la commission des recours des réfugiés, aurait été adoptée selon une procédure irrégulière ;
Sur la légalité interne de la décision attaquée :
Considérant que l'association requérante soutient que la décision attaquée introduit une discrimination contraire aux termes de l'article 3 de la convention relative au statut des réfugiés susvisée, selon lesquels : « Les Etats contractants appliqueront les dispositions de cette Convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d'origine » ; que les demandeurs d'asile provenant de pays « considérés comme sûrs » au sens des dispositions précitées de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile se trouvent placés dans une situation différente de celle des demandeurs d'asile venant d'autres pays ; qu'ainsi, la circonstance que les règles de procédure applicables soient différentes selon que le demandeur est originaire ou non d'un pays « considéré comme sûr » n'est pas contraire aux stipulations précitées, dès lors que l'examen individuel effectué par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, le cas échéant, par la commission des recours des réfugiés, devenue depuis la cour nationale du droit d'asile, assure le respect des garanties qui s'attachent à la mise en oeuvre du droit d'asile ;
Considérant que, si l'association requérante entend faire valoir que la possibilité, offerte par le législateur au conseil d'administration de l'OFPRA, de dresser une liste de pays d'origine sûrs et de prévoir des procédures spécifiques d'examen des dossiers des demandeurs d'asile originaires de ces pays est contraire au principe à valeur constitutionnelle de « l'effet cliquet » énoncé en cette matière par le Conseil constitutionnel, il n'appartient pas au Conseil d'Etat, statuant au contentieux, de se prononcer sur la conformité de la loi à un tel principe ;
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment des débats devant le conseil d'administration de l'OFPRA retranscrits sur le procès-verbal de la séance du 3 mai 2006, que le conseil d'administration aurait inexactement apprécié la situation de l'ancienne République yougoslave de Macédoine, de la République de Madagascar et de la République unie de Tanzanie au regard des critères posés par le 2° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'en revanche, il ressort des pièces du dossier que, en dépit des progrès accomplis, la République d'Albanie et la République du Niger ne présentaient pas, à la date de la décision attaquée, eu égard notamment à l'instabilité du contexte politique et social propre à chacun de ces pays, les caractéristiques justifiant leur inscription sur la liste des pays d'origine sûrs au sens du 2° de l'article L. 741-4 de ce code ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'association FORUM DES REFUGIES n'est fondée à demander l'annulation de la décision du 16 mai 2006 du conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides complétant sa décision du 30 juin 2005 fixant la liste des pays d'origine sûrs qu'en tant qu'elle inscrit sur cette liste la République d'Albanie et la République du Niger ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par l'association FORUM DES REFUGIES et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 16 mai 2006 du conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides complétant sa décision du 30 juin 2005 fixant la liste des pays d'origine sûrs est annulée en tant qu'elle inscrit sur cette liste la République d'Albanie et la République du Niger.
Article 2 : L'Etat versera à l'association FORUM DES REFUGIES la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association FORUM DES REFUGIES et au ministre des affaires étrangères et européennes.