Vu 1°), sous le n° 249805, la requête, enregistrée le 22 août 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. François X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 02BX00636 en date du 28 juin 2002 par laquelle le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur recours du ministre de la justice, annulé l'ordonnance en date du 18 mars 2002 du président du tribunal administratif de Fort-de-France ayant condamné ledit ministre à payer à l'exposant une provision de 1 500 euros à valoir sur le remboursement de ses honoraires d'avocat payés pour introduire une procédure judiciaire à l'encontre d'un détenu qui l'avait accusé de tentative d'empoisonnement ;
2°) réglant l'affaire au fond, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de rejeter l'appel du garde des sceaux, ministre de la justice contre l'ordonnance du 18 mars 2002 du juge des référés du tribunal administratif de Fort-de-France ;
Vu 2°), sous le n° 249862, la requête, enregistrée le 27 août 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. François X, demeurant ..., qui tend aux mêmes fins que la requête n° 249862 par les mêmes moyens ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Molina, Auditeur,
- les observations de la SCP Boullez, Boullez, avocat de M. X,
- les conclusions de Mme Roul, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes présentées sous les n° 249805 et 249862 pour M. X présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice :
Considérant que les requêtes de M. X ont été régularisées par la signature d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice doit être écartée ;
Sur le pourvoi :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens :
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) La collectivité publique est subrogée aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées au fonctionnaire intéressé. Elle dispose, en outre, aux mêmes fins, d'une action directe qu'elle peut exercer au besoin par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale (...). ; qu'aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ;
Considérant que pour accueillir, par l'ordonnance attaquée, l'appel interjeté par le garde des sceaux, ministre de la justice contre l'ordonnance du 18 mars 2002 du juge des référés du tribunal administratif de Fort-de-France, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux a relevé que l'administration avait accordé à M. X la protection qu'il sollicitait au titre de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 en acceptant de prendre en charge, dans une certaine limite, les honoraires du conseil qu'il avait choisi pour introduire une procédure judiciaire à l'encontre d'un détenu qui l'avait accusé de tentative d'empoisonnement ; qu'il a ensuite estimé que la créance dont se prévalait M. X correspondait à la différence entre les frais qu'il avait engagés et ceux que l'Etat avait accepté de prendre à sa charge et que l'existence de l'obligation qui pèserait sur l'Etat était sérieusement contestable, au sens des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, dès lors qu'il n'était pas exclu que M. X pourrait, à l'issue de l'instance introduite, être indemnisé par le juge judiciaire des frais d'avocat exposés ;
Considérant que les dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 créent pour l'administration une obligation d'accorder sa protection aux agents victimes de diffamation dans l'exercice de leurs fonctions ; qu'il appartenait au juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux, statuant sur le bien-fondé d'une demande de référé-provision présentée sur le fondement de ces dispositions, d'apprécier l'existence et le montant d'une obligation non sérieusement contestable de l'Etat à l'égard de M. X, sans pouvoir subordonner cette existence ou ce montant à l'intervention d'une décision juridictionnelle qui pourrait lui accorder ultérieurement le remboursement de tout ou partie des frais effectivement engagés ; qu'il s'ensuit que l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur de droit ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;
Considérant qu'en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, l'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie que le Conseil d'Etat statue immédiatement au titre de la procédure de référé ;
Considérant que M. X, qui s'estime victime d'une diffamation dans le cadre de ses fonctions de surveillant au centre pénitentiaire de Ducos, se prévaut d'une créance correspondant au montant intégral des honoraires d'avocat qu'il a engagés dans le cadre de la procédure judiciaire qu'il a lui-même introduite pour obtenir réparation du préjudice subi à cette occasion, soit 2 481,11 euros ; que, le 29 janvier 2002, le directeur du centre pénitentiaire de Ducos s'est engagé à prendre en charge ces honoraires dans la limite de 762,25 euros ; que, par une ordonnance du 18 mars 2002, dont le garde des sceaux, ministre de la justice a relevé appel, le juge des référés du tribunal administratif de Fort-de-France a accordé à M. X, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision de 1 500 euros ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Fort-de-France a été notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice le 26 mars 2002 ; que l'appel interjeté par le ministre a été enregistré au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux le 9 avril suivant ; qu'ainsi l'appel n'était pas tardif ;
Considérant qu'aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative, toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance ; qu'il résulte des termes mêmes de ces dispositions que la circonstance que le garde des sceaux, ministre de la justice, n'a pas produit de mémoire en première instance est sans influence sur sa qualité pour faire appel de l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Fort-de-France ;
Considérant que, si les dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 font obligation à l'administration d'accorder sa protection à l'agent victime de diffamation dans l'exercice de ses fonctions, protection qui peut prendre la forme d'une prise en charge des frais engagés dans le cadre de poursuites judiciaires qu'il a lui-même introduites, elles n'ont pas pour effet de contraindre l'administration à prendre à sa charge, dans tous les cas, l'intégralité de ces frais ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Fort-de-France s'est fondé, pour accorder à M. X une provision de 1 500 euros, sur ce que celui-ci pouvait se prévaloir d'une créance non contestable d'un montant égal à l'intégralité des honoraires qui lui avaient été facturés ;
Considérant toutefois que M. X est en droit de demander une provision égale, soit à l'intégralité des honoraires acquittés par lui, si ceux-ci présentent, dans leur totalité, le caractère d'une créance non contestable, soit à la fraction de ces honoraires présentant le même caractère ; que, dans les circonstances de l'espèce, et en l'état de l'instruction, le requérant peut se prévaloir d'une créance non sérieusement contestable de 762,25 euros ; qu'il convient de ramener à 762,25 euros le montant de la provision allouée à M. X ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, en l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'Etat à verser à M. X la somme de 1 000 euros au titre des frais engagés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 28 juin 2002 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux est annulée.
Article 2 : Le montant de la provision que le juge des référés du tribunal administratif de Fort-de-France a condamné l'Etat à payer à M. X est ramené à 762,25 euros.
Article 3 : L'ordonnance du 18 mars 2002 du juge des référés du tribunal administratif de Fort-de-France est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.
Article 4 : L'Etat paiera la somme de 1 000 euros à M. X en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. François X et au garde des sceaux, ministre de la justice.