Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 22 juillet 1991 et 22 novembre 1991 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD (SIIS), dont le siège est Château de Confoux à Cornillon-Confoux (13250), représentée par son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège ; la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 21 mai 1991 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a condamné l'Etat à réparer les préjudices résultant pour elle des obstacles à la poursuite de la réalisation du lotissement du Clos des Galoubets situé à Montfavet sur le territoire de la ville d'Avignon en tant que par cet arrêt la cour administrative d'appel a refusé d'inclure dans le préjudice indemnisable la quote-part des frais fixes qu'elle a supportés du fait de cette opération ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Gervasoni, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD et de la SCP Boré, Xavier, avocat de la ville d'Avignon,
- les conclusions de M. Stahl, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD, qui avait obtenu du préfet de Vaucluse le 13 mai 1985 l'autorisation de lotir un terrain alors situé en zone constructible du plan d'occupation des sols d'Avignon, n'a pu mener à bien cette opération, l'Etat et la ville d'Avignon ayant opposé à ses projets de construction divers refus motivés par la proximité d'une installation classée pratiquant le stockage d'ammoniac liquéfié ; que, par arrêt du 21 mai 1991, la cour administrative d'appel de Lyon a reconnu l'Etat entièrement responsable des préjudices subis par la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD et l'a condamné à verser à celle-ci, en réparation du préjudice subi, une indemnité de 4 318 291 F assortie des intérêts de droit et de la capitalisation des intérêts ; que, par cet arrêt, la cour a toutefois refusé d'indemniser la quote-part des frais fixes que la société estimait avoir supportés du fait de cette opération ;
Sur le pourvoi principal de la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD :
Considérant, en premier lieu, que les personnes morales de droit public ne pouvant être condamnées à payer une somme qu'elles ne doivent pas, il appartient aux juges du fond, dans la limite des conclusions des parties, de refuser, au besoin d'office, d'indemniser un chef de préjudice qui n'est pas la conséquence directe de faits dommageables ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le ministre de l'équipement, du logement, des transports et de la mer avait contesté en appel le bien-fondé de l'indemnité mise à sa charge par le tribunal administratif de Marseille ; qu'ainsi, en relevant d'office que les frais fixes que la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD soutenait avoir supportés du fait du projet du lotissement ne résultaient pas directement de cette opération et ne pouvaient par suite être inclus dans le préjudice indemnisable, la cour administrative d'appel n'a pas statué au-delà des conclusions dont elle était saisie ni méconnu les règles qui régissent la responsabilité des personnes publiques ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'en estimant qu'il n'existait pas de lien direct entre les frais fixes supportés par la société et l'engagement de l'opération de lotissement, et en énonçant ainsi la raison pour laquelle ce chef de préjudice ne pouvait faire l'objet d'une indemnisation, la cour administrative d'appel a suffisamment motivé son arrêt ;
Considérant, en troisième lieu, que la cour administrative d'appel n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en considérant que la quote-part des frais fixes calculée forfaitairement par l'expert n'était pas directement liée à l'engagement de l'opération de lotissement ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Sur le pourvoi incident du ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme :
Considérant que le pourvoi incident formé par le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme conteste l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon en tant qu'il a jugé que la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD n'avait pas commis de faute de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat et en tant qu'il a indemnisé les frais financiers exposés par cette société ; qu'alors même qu'il porte sur des chefs de préjudice distincts de celui qui a fait l'objet du pourvoi principal, le pourvoi incident du ministre se rattache au même litige que celui que soulève le pourvoi principal ; qu'il est par suite recevable ;
En ce qui concerne la faute qu'aurait commise la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD en engageant des travaux de lotissement à proximité d'une installation dangereuse :
Considérant qu'en se fondant, pour estimer que la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD n'avait commis aucune imprudence fautive de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat, sur le motif que cette société, qui avait obtenu une autorisation de lotissement, s'était fiée au contenu du plan d'occupation des sols d'Avignon dûment approuvé et qu'elle s'était conformée à ses prescriptions, la cour administrative d'appel n'a pas donné au comportement de la société une qualification juridique inexacte ;
En ce qui concerne les frais financiers des emprunts contractés en vue de la réalisation du lotissement :
Considérant que, pour condamner l'Etat à rembourser à la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD le montant des frais financiers qu'elle avait exposés jusqu'au 20 février 1990, la cour administrative d'appel a considéré que le droit au remboursement des intérêts des emprunts ne devait pas être limité à la date à laquelle il était devenu certain que le projet ne pourrait se réaliser mais qu'il était en principe ouvert, dans la limite des conclusions des parties, jusqu'à la date du paiement de l'indemnité due plus un mois ;
Considérant cependant que les frais financiers en cause ne peuvent être indemnisés que pour autant qu'ils sont la conséquence directe des agissements de la collectivité publique responsable ; qu'il en résulte que leur remboursement n'est pas nécessairement justifié jusqu'à la date de versement de l'indemnité ; qu'ainsi, en se fondant sur le critère susmentionné, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que le ministre est par suite fondé à demander l'annulation, dans cette mesure, de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'en vertu de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat peut, lorsqu'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction statuant en dernier ressort, régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD pouvait à compter du 6 février 1986, date à laquelle le maire d'Avignon a refusé de l'autoriser à modifier le programme de travaux du lotissement en se fondant sur le risque pour la sécurité des personnes causé par la proximité d'une installation dangereuse, savoir que son projet ne pourrait être mené à bien et ainsi limiter, dans un délai raisonnable, la charge financière des emprunts qu'elle avait contractés ; que le tribunal administratif de Marseille, qui n'était pas lié sur ce point par les motifs de son jugement avant-dire-droit du 18 février 1988,a fait une juste appréciation du préjudice subi de ce chef par la société en condamnant l'Etat à lui verser une indemnité de 1 191 110 F au titre des frais financiers ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que ni l'Etat ni la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD ne sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par son jugement attaqué du 20 février 1990, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'Etat à verser à la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD une somme de 1 191 110 F au titre des frais financiers ;
Sur les conclusions relatives à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 susvisée :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'Etat et par la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD tendant au remboursement des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête de la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD est rejetée.
Article 2 : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon en date du 21 mai 1991 est annulé en tant qu'il a condamné l'Etat à rembourser à la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD les frais financiers des emprunts contractés jusqu'au 20 février 1990.
Article 3 : Les conclusions relatives aux frais financiers des emprunts présentées en appel par l'Etat et par la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi incident du ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE D'INGENIERIE IMMOBILIERE SUD, à la ville d'Avignon et au ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme.