Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par une ordonnance du 8 janvier 2017 du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement de la requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Montpellier le 15 décembre 2015 et présentée par la SASU Vortex a été attribué au tribunal administratif de Poitiers, sur le fondement des dispositions conjuguées des articles R.351-3 et R.312-10 du code de justice administrative.
La société Vortex a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 29 avril 2015 par laquelle la demande d'autoriser le licenciement de M. A... B... a été rejetée, décision confirmée par la décision implicite de rejet de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social saisie d'un recours hiérarchique.
Par un jugement n° 1702187 du 15 octobre 2019, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande de la société Vortex.
Procédure initiale devant la cour :
Par une requête et un mémoire en production de pièces enregistrés le 13 décembre 2019 et le 16 janvier 2020, la société Vortex, représentée par Me Desmoulins, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 15 octobre 2019 ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ayant confirmé la décision de l'inspecteur du travail du 29 avril 2015 par laquelle la demande d'autoriser le licenciement de M. B... a été rejetée, et d'annuler également la décision de l'inspecteur du travail ;
3°) d'enjoindre à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social de saisir à nouveau l'inspecteur du travail pour qu'il se prononce sur la demande d'autorisation de licenciement de M. B... ;
4°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration écarte à tort la circonstance que M. B... est à l'origine de la prise de contact avec le potentiel investisseur ;
- M. B... a reconnu avoir volontairement et à plusieurs reprises dénigré la société auprès d'un potentiel investisseur ; les propos utilisés à ces occasions sont mensongers et diffamatoires ; ces agissements, qui ne présentent aucun lien avec le mandat de l'intéressé, sont constitutifs d'une faute suffisamment grave pour justifier son licenciement ;
- le licenciement envisagé ne présente aucun lien avec les activités représentatives de M. B....
Par des mémoires enregistrés les 24 juillet 2020, 1er septembre 2020 et 21 mai 2021, Me Philippe Pemaud et Me Vincent Aussel, coliquidateurs judiciaires de la société Vortex, représentés par Me Barbe, demandent à la cour :
1°) l'annulation du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 15 octobre 2019 et de la décision implicite de rejet de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ayant confirmé la décision de l'inspecteur du travail du 29 avril 2015 ;
2°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soulèvent les mêmes moyens que ceux développés par la société Vortex.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juin 2021, M. B..., représenté par Me Hocquet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Vortex la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Vortex ne sont pas fondés.
Par un arrêt n° 19BX04883 du 31 août 2021, la cour a annulé le jugement n° 1702187 du 15 octobre 2019 du tribunal administratif de Poitiers et les décisions de l'inspecteur du travail du 29 avril 2015 et de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ayant refusé l'autorisation de licencier M. B... et a enjoint à la ministre du travail, de l'emploi, et de l'insertion de réexaminer la demande d'autorisation de licenciement de M. B... présentée par la société Vortex, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Par une décision n° 458309 du 29 mars 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par M. B..., a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la présente Cour.
Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :
Par un mémoire, enregistré le 30 août 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut aux mêmes fins que précédemment.
Par un mémoire enregistré le 13 septembre 2024, M. B... conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens.
Par un mémoire enregistré le 16 septembre 2024, Me Philippe Pemaud et Me Vincent Aussel, coliquidateurs judiciaires de la société Vortex, concluent aux mêmes fins que précédemment et portent à 5 000 euros la somme devant être mise à la charge de M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Stéphane Gueguein,
- et les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., qui a été recruté en 2009 en qualité de conducteur de bus par la société Vortex, spécialisée dans le transport de personnes handicapées ou à mobilité réduite, y exerçait depuis le 25 avril 2012 les mandats de délégué syndical et de représentant syndical auprès du comité d'entreprise. Par une décision du 29 avril 2015, l'inspectrice du travail de l'unité territoriale de l'Hérault a refusé d'accorder l'autorisation, sollicitée par la société Vortex, de licencier M. B... pour faute. Par une décision implicite, la ministre chargée du travail, saisie d'un recours hiérarchique formé par la société Vortex, a rejeté ce recours. Le tribunal administratif de Poitiers, par un jugement du 15 octobre 2019, a rejeté la demande de la société Vortex tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de ces décisions. Par un arrêt du 31 août 2021, la présente cour a, sur appel de la société Vortex, annulé ce jugement ainsi que les décisions de l'inspectrice du travail et de la ministre chargée du travail et a enjoint à celle-ci de réexaminer la demande d'autorisation de licenciement de M. B... dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt. Par un arrêt n° 458309 du 29 mars 2024, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire à la cour.
Sur la légalité des décisions attaquées :
2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail que, lorsqu'un doute subsiste au terme de l'instruction diligentée par le juge de l'excès de pouvoir sur l'exactitude matérielle des faits à la base des griefs formulés par l'employeur contre le salarié protégé, ce doute profite au salarié.
3. Pour refuser l'autorisation de licencier M. B... pour faute, l'inspecteur du travail, dont la décision du 29 avril 2015 a été implicitement confirmée par la ministre du travail, s'est fondé sur l'absence de matérialité d'une partie des faits reprochés au salarié et l'insuffisance de gravité d'une autre partie d'entre eux ainsi que sur l'existence d'un lien entre le licenciement de M. B... et son mandat syndical.
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, pour solliciter l'autorisation de licencier M. B..., la société Vortex s'est fondée sur le fait que ce salarié avait pris la décision de contacter M. C..., chargé d'affaires de l'entreprise " Initiative et Finance " alors engagée dans un processus d'entrée au capital de la société Onis Développement, celle-ci détenant 100 % du capital de la société Vortex, et de lui livrer une série d'informations négatives, notamment sur le climat social régnant dans l'entreprise, afin de faire échec au projet d'investissement financier.
5. Parmi les faits retenus, la société Vortex invoquait notamment l'existence d'un premier appel téléphonique en date du 9 décembre 2014 à l'initiative de M. B.... Toutefois, eu égard à l'évolution de la position de la société, qui a indiqué au cours de l'enquête contradictoire que cette communication téléphonique aurait en réalité eu lieu le 16 décembre 2014, et à l'absence d'éléments permettant de déterminer lequel des interlocuteurs a pris l'initiative de l'appel, l'inspecteur du travail et la ministre chargée du travail ont légitimement estimé, en dépit des présomptions sérieuses réunies par l'employeur reposant notamment sur l'attestation établie par M. C..., qu'un doute persistait sur une partie de la matérialité des faits reprochés à M. B... et ont retenu qu'elle n'était ainsi que partiellement établie.
6. Il est en revanche constant qu'entre le 16 décembre 2014 et le 15 janvier 2015, M. B... a adressé au potentiel investisseur quatorze courriels comportant des appréciations négatives sur l'existence d'une souffrance au travail généralisée dans l'entreprise, un historique critique du développement de la société et des conditions de son développement économique présenté comme fondé sur une surfacturation du coût des transports à des collectivités publiques et une sous-estimation des heures travaillées des salariés ainsi que cinquante-sept pièces jointes, dont de nombreux articles de presse et de revues syndicales unanimement critiques sur la politique sociale de la société Vortex, divers courriers échangés entre la direction de l'entreprise et les présidents de conseils généraux dont celui de la Vienne, des courriers d'observations et procès-verbaux dressés par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) ainsi que des jugements ayant prononcé des condamnations à l'encontre de son employeur.
7. Si ces agissements sont révélateurs d'un manquement de M. B... à son obligation de loyauté, il demeure que la grande majorité des informations et documents communiqués présentent un caractère public et ont tous pour objet de décrire les conditions de travail des salariés et l'existence d'un climat social conflictuel au sein de la société. La société Vortex, qui a fait l'objet de plusieurs interventions par les services de la DIRECCTE et a été condamnée à de multiples reprises pour défaut de paiement des heures de travail et travail dissimulé par des décisions de justice, devenue définitives, postérieures à la date de la décision mais portant sur des faits contemporains à cette dernière, n'est pas fondée à soutenir que les informations fournies par M. B..., qui sont confortées par les conclusions de novembre 2015 de l'enquête du cabinet SECAFI diligentée à l'initiative des délégués du personnel, seraient erronées ou diffamatoires sur la base d'un document émanant d'un observatoire sur la qualité de vie au travail mis en place sous sa seule direction et dont la DIRECCTE de l'Hérault a souligné le manque de neutralité. Au surplus, les agissements de M. B... n'ont pas fait échec au projet d'investissement de l'entreprise " Initiative et Finance " et n'ont donc pas réellement porté préjudice à la société Vortex. En conséquence, et alors que M. B... occupait un emploi de conducteur de bus, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation ni d'erreur de droit que l'inspectrice du travail et la ministre chargée du travail ont estimé que la faute retenue ne présentait pas une gravité suffisante pour justifier une décision de licenciement.
8. En second lieu, la décision critiquée repose également sur la circonstance que le climat social au sein de la société Vortex était très dégradé en raison notamment des difficultés rencontrées dans le renouvellement des institutions représentatives du personnel et dans l'application des droits fondamentaux des salariés. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que M. B... était un délégué syndical actif qui a non seulement dénoncé à de multiples reprises les dysfonctionnements à l'origine des condamnations de l'entreprise pour des faits de travail dissimulé et de non-paiement des heures de travail mais a aussi activement œuvré depuis sa désignation, y compris devant les juridictions judiciaires, pour le respect au sein de la société Vortex des règles de représentation applicables dans une société dépassant le seuil de 1 000 salariés. D'autre part, il ressort également des pièces du dossier que la société Vortex a tenté à de multiples reprises de dénigrer M. B... et de l'empêcher d'exercer normalement son mandat notamment en lui demandant, le 26 avril 2012, soit le lendemain de sa nomination en qualité de délégué syndical et alors qu'il était salarié par la société depuis 2009, de justifier de la détention de l'attestation lui permettant de transporter des personnes, en signalant indûment à la caisse primaire d'assurance maladie une activité syndicale rémunérée en période d'arrêt de travail et en tentant de faire obstacle à sa présence aux réunions impliquant la présence des délégués syndicaux, notamment pour la négociation du protocole électoral, en les planifiant aux jours et heures fixés par les juridictions judiciaires pour les audiences concernant les procédures diligentées par M. B... contre son employeur.
9. Ainsi, et alors que l'administration avait déjà refusé d'autoriser la société Vortex à licencier l'intéressé pour faute au motif du lien entre cette mesure et le mandat de l'intéressé, par une décision de l'inspection du travail du 21 juin 2013 confirmée par le ministre chargé du travail du 15 juillet suivant, décisions devenues définitives suite au jugement du tribunal administratif de Versailles du 11 octobre 2018, lui-même devenu irrévocable, la société Vortex n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'inspectrice du travail et la ministre ont retenu que la mesure de licenciement présentait un lien avec le mandat de M. B....
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Vortex n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Par suite les conclusions à fin d'injonction sont rejetées par voie de conséquence.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante à l'instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre la somme de 1 500 euros à la charge de la société Vortex, représentée par Me Pernaud et Me Aussel, coliquidateurs judiciaires de cette société, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à verser à M. B....
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SASU Vortex est rejetée.
Article 2 : La société Vortex, représentée par Me Pernaud et de Me Aussel, coliquidateurs judiciaires, versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Vortex, à Me Pernaud et Me Aussel, ses coliquidateurs judiciaires, à M. A... B... et à la ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Stéphane Gueguein, président,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 novembre 2024.
Le président-rapporteur,
Stéphane GuegueinL'assesseure la plus ancienne,
Bénédicte Martin
La greffière,
Laurence Mindine
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX01083