LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu leur connexité, joins les pourvois n° W 09-40. 673 au n° Z 09-40. 676 ;
Sur le moyen unique commun aux pourvois :
Vu les articles L. 1233-3 et L. 1233-16 du code du travail ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que MM. X..., Y..., Z... et A..., engagés par la société Transports internationaux Gazeau en qualité de chauffeurs routiers, ont été licenciés le 4 novembre 1999 pour motif économique à la suite de l'arrêt de la ligne vers le Portugal qu'ils assuraient consécutif à la perte du client et à la conjoncture économique entraînant la suppression de leurs postes et de leur refus de la proposition de reclassement sur une ligne nationale ;
Attendu que pour condamner l'employeur à payer aux salariés des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, les arrêts énoncent que n'ayant pas mentionné, dans les lettres de licenciement, la nécessité de se réorganiser afin d'assurer la pérennité de l'entreprise, l'employeur ne peut l'invoquer, et que ni la perte d'un client ni la conjoncture économique ne constituent un motif réel et sérieux de licenciement, la société ne pouvant sans se contredire arguer de difficultés économiques l'obligeant à supprimer les postes des salariés concernés et leur proposer, non pas un reclassement, mais l'exécution de leurs contrats de travail sur le réseau national français ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la lettre de licenciement qui, sans se borner à évoquer une conjoncture difficile, faisait état de suppressions de postes consécutives à une importante perte de clientèle et de marché, répondait aux exigences légales, de sorte qu'il lui incombait de rechercher, comme elle y était invitée, si la réorganisation de l'entreprise liée à cette situation n'était pas nécessaire pour assurer la sauvegarde de sa compétitivité, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils ont condamné la société Transports Gazeau au paiement d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, les arrêts rendus le 6 janvier 2009, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;
Condamne les salariés aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, et l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen commun produit aux pourvois n° W 09-40. 673 au n° Z 09-40. 676 par Me Foussard, avocat aux Conseils pour la société Transport Gazeau.
L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure
EN CE QU'IL a décidé que le licenciement ne reposait pas sur un motif économique réel et sérieux et condamné, par conséquent, la société TRANSPORTS GAZEAU à payer à Monsieur X... des dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
AUX MOTIFS QUE si, comme le souligne d'ailleurs la SARL TRANSPORTS GAZEAU dans le cadre de la présente instance, un refus du salarié d'assurer des transports en trafic national, et donc d'exécuter son contrat de travail, était de nature à permettre l'engagement d'une procédure de licenciement pour motif réel et sérieux, voire pour faute grave, force est de constater qu'en l'espèce, la société a choisi de mettre en oeuvre un licenciement pour motif économique ; qu'il convient donc de rechercher si le motif économique allégué existait à la date du licenciement en cause ; que l'intimée n'ayant pas, dans la lettre de licenciement, invoqué la nécessité de se réorganiser afin d'assurer la pérennité de l'entreprise, qu'il est inopérant de sa part d'invoquer ce motif dans le cadre de la présente instance ; qu'aux termes de la lettre de licenciement, la SARL TRANSPORTS GAZEAU invoque " la perte d'un client sur le Portugal, sans même préciser s'il s'agit de la société AMPAFRANCE, ainsi que " la conjoncture économique " ; qu'en l'absence de démonstration de conséquences économiques et financières négatives pour l'entreprise, le fait d'invoquer la " la conjoncture économique " constitue une allégation vague et générale et non un motif économique réel et sérieux de licenciement ; que, de même, la perte d'un client ne constitue pas en soi un motif réel et sérieux de licenciement dès lors que l'intimée, qui indique que le trafic vers le Portugal était partagé entre la société AMPAFRANCE (un camion par jour) et le client RENAULT (21 voyages par semaine), ne démontre pas quelles ont été pour elle, au moment du licenciement litigieux, les conséquences économiques et financières précisément imputables à cette perte et quelle a été son incidence sur l'emploi en cause ; que les difficultés économiques invoquées en lien avec la perte " d'un client au Portugal', d'une part, la suppression de l'emploi de M. X..., d'autre part, apparaissent d'autant moins établies qu'il résulte des éléments du dossier et des explications fournies par la SARL TRANSPORTS GAZEAU qu'elle était en capacité de fournir immédiatement à ses onze chauffeurs affectés sur les lignes avec le Portugal, et notamment à l'appelant, du travail en qualité de chauffeur routier en trafic national, qu'elle leur a effectivement proposé ces nouvelles conditions de travail et que les sept salariés sur les onze qui les ont acceptées ont conservé leur emploi ; que la société intimée ne pouvait donc pas, sans se contredire, à la fois arguer de difficultés économiques l'obligeant prétendument à supprimer le poste de M. José X..., et proposer à ce dernier, comme d'ailleurs à ses dix autres collègues, non pas un reclassement, mais l'exécution de son contrat de travail sur le réseau national français ; que pour cette seule raison, la perte du client au Portugal n'apparaît pas constitutive d'un motif réel et sérieux de licenciement, étant souligné qu'il n'est nullement démontré que l'appelant ait été affecté au client AMPAFRANCE et que l'intimée indique elle-même n'avoir perdu l'intégralité du marché avec son autre client sur le Portugal, la société RENAULT, qu'à la fin de l'année 2000, soit un an après le licenciement litigieux ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il n'est nullement établi que la perte d'un client au Portugal, à l'automne 1999, ait entraîné pour la SARL TRANSPORTS GAZEAU des difficultés économiques justifiant la suppression du poste de chauffeur routier occupé par M. José X... ; que l'effectivité de la suppression de ce poste n'est d'ailleurs pas établie ; qu'en conséquence, le motif économique allégué à l'appui du licenciement prononcé à l'encontre de l'appelant n'est ni réel ni sérieux et que le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a débouté ce dernier de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
ALORS QUE, premièrement, le juge a pour obligation première de ne pas dénaturer les documents de la cause ; de sorte qu'en affirmant que « l'intimé n'(avait) pas, dans la lettre de licenciement, invoqué la nécessité de se réorganiser afin d'assurer la pérennité de l'entreprise » (cf. arrêt attaqué, p. 6, alinéa 8), alors que la lettre de licenciement (cf. production n° 6), qui s'appuyait sur le motif économique suivant : « la perte d'un client sur le Portugal assurant un volume d'affaires très important, ainsi que la conjoncture économique, nous ont amené à réduire nos rotations internationales et à supprimer cette ligne sur le Portugal devenue sans objet » faisait ressortir que le licenciement était fondé non pas sur des difficultés économiques, mais sur la nécessité de réorganiser l'entreprise, en supprimant une branche de son activité, à savoir la liaison entre la France et le Portugal, devenue non rentable, afin non pas d'augmenter ses résultats ou de faire des économies, mais de faire face à une « conjoncture économique » difficile et, par conséquent, sauvegarder sa compétitivité, la Cour d'Appel a dénaturé la lettre de licenciement, violant, ainsi, les dispositions de l'article 1134 du Code civil ;
ALORS QUE, deuxièmement, la réorganisation d'une entreprise effectuée en vue de permettre la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement propre, indépendamment de la question de la situation économique de l'entreprise lors de la mesure de licenciement ; de sorte qu'en se fondant sur des motifs inopérants tirés de ce que les difficultés économiques invoquées par l'employeur n'auraient pas été établies par les éléments du dossier, sans aucunement s'interroger, comme elle y était expressément invitée par l'employeur, sur le point de savoir si la suppression de la liaison internationale entre la France et le Portugal, liaison non rentable, devenue sans objet, ne constituait pas, dans un contexte de dégradation des résultats, une mesure de réorganisation destinée à sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, la Cour d'Appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 321-1, recodifié sous les articles L. 1233-1, L. 1233-3 et L. 1233-4 du Code du travail et L. 321-1-2, devenu L. 1222-6 du Code du travail ;
ALORS QUE, troisièmement, le juge a pour obligation première de ne pas dénaturer les documents de la cause ; de sorte qu'en affirmant que la proposition faite à Monsieur X..., comme à ses 10 autres collègues, ne constituait pas un reclassement « mais l'exécution de son contrat de travail sur le réseau national français » (cf. arrêt attaqué, p. 6, alinéa 3), alors que la lettre du 23 septembre 1999 précisait en objet « lettre de reclassement », insistait sur le fait que cette proposition faisait « suite à une conjoncture économique difficile et à la perte d'un de nos clients assurant un volume d'affaires très important en provenance du Portugal », situation conduisant à « réduire nos rotations internationales », de sorte que le refus de la proposition formulée dans le cadre de « cette réorganisation » conduirait au « bénéfice d'une convention de conversion dans le cadre de licenciement économique qui pourra être mis en place », la Cour d'Appel a dénaturé la lettre du 23 septembre 1999, violant, ainsi, les dispositions de l'article 1134 du Code civil ;