LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., ayant pour nom de scène " Y... ", a été engagé par la société Virgin France au droit de laquelle vient la société Emi Music France, à compter du 7 février 1995, par contrat d'enregistrement exclusif ayant fait l'objet de plusieurs avenants, pour interpréter des oeuvres musicales et chantées en vue de leur fixation et reproduction destinées à être publiées et exploitées à des fins commerciales et promotionnelles ; qu'un nouveau contrat a été signé entre les parties le 15 novembre 2001, pour une durée minimale de cinq ans, prévoyant la réalisation d'un minimum de trois albums studio inédits ; que le premier album de cette seconde série a été réalisé et commercialisé en août 2002, avec des ventes inférieures à celles des précédents albums ; que la société Emi Music France a adressé le 15 mai 2004 une lettre recommandée dans laquelle, qualifiant de faute grave l'attitude du chanteur lors d'une entrevue le 15 mars 2004, dans les locaux de la société, avec son PDG M. A...
B..., elle indiquait qu'elle mettait fin aux relations contractuelles ; que M. X... a saisi la juridiction prud'homale de demandes de dommages et intérêts pour rupture abusive et pour préjudice moral ;
Sur le premier moyen du pourvoi :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen, qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle et L. 1243-1, 1243-4, L. 7121-3 et L. 7121-8 du code du travail ;
Attendu que pour condamner la société Emi Music France au paiement de la somme de 949 663 euros à titre de solde de dommages-intérêts pour rupture abusive en application de l'article L. 122-3-8 du code du travail, après déduction d'une avance sur redevances d'un montant de 76 225 euros, la cour d'appel a retenu que s'agissant de l'" assiette " sur laquelle elle doit s'appuyer pour le calcul des dommages et intérêts, étant donné d'une part le montant dérisoire des cachets, et d'autre part, la formulation même de l'article L. 122-3-8, 3°, qui fait référence non pas au " salaire " mais au terme plus large de " rémunération ", il convient, pour le calcul des dommages intérêts à allouer à M. X... du fait de la rupture du contrat à durée déterminée, de prendre en considération, de manière pondérée, tout à la fois les cachets mais aussi les redevances qu'il aurait pu escompter toucher jusqu'à la fin de ce contrat ; qu'en effet, même si le montant de ces redevances est mécaniquement lié au nombre d'exemplaires de disques vendus, ces redevances n'en constituent pas moins la forme essentielle, étant donné le très faible montant des cachets, de rémunération de l'artiste, c'est à dire la contrepartie due pour le travail accompli pour la production de l'oeuvre, peu important le fait que, du point de vue notamment des cotisations sociales, ces redevances ne soient pas assimilées à des salaires ;
Attendu, cependant, que les redevances versées à l'artiste-interprète, qui sont fonction du seul produit de l'exploitation de l'enregistrement et ne sont pas considérées comme des salaires, rémunèrent les droits voisins qu'il a cédés au producteur et continuent à lui être versées après la rupture du contrat d'enregistrement ;
Qu'en statuant comme elle a fait, alors que les redevances et les avances sur redevances ne pouvaient être prises en considération dans l'évaluation du montant des rémunérations qu'aurait perçues M. X... jusqu'au terme du contrat de travail à durée déterminée, montant représentant le minimum des dommages-intérêts dûs en application de l'article L. 122-3-8, alinéa 3, devenu L. 1243-4 du code du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE,, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Emi Music France au paiement de la somme de 949 663 euros à titre de solde de dommages-intérêts pour rupture abusive en application de l'article L. 122-3-8 du code du travail, après déduction d'une avance sur redevances d'un montant de 76 225 euros l'arrêt rendu le 13 décembre 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils pour la société Emi Music France.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que le contrat à durée déterminée qui liait les parties a été abusivement rompu avant son terme du fait de la société Emi Music France ;
AUX MOTIFS QUE bien que la faute grave soit celle qui rend, immédiatement impossible, le maintien dans l'entreprise et la poursuite des relations contractuelles, la cour relève tout d'abord, que c'est fort tardivement, c'est-à-dire le dernier jour du délai de deux mois, que la SA Emi Music France a, finalement, décidé d'évoquer une faute grave à l'encontre du chanteur reconnaissant elle-même, dans sa lettre de licenciement, comme le confirme Monsieur A...
B... dans son attestation que cette faute grave n'était alléguée qu'en l'absence de proposition permettant aux deux parties de mettre fin, de manière négociée à leur engagement contractuel réciproque ; que cette tardiveté qui ne trouve pas sa justification dans le fait que Monsieur X... ne venait qu'occasionnellement au siège de la SA Emi, en elle-même et à elle seule, suffit à écarter la qualification de faute grave ; qu'au-delà, et sur le fond, la lettre de rupture qui circonscrit les termes du débat, reproche à Monsieur X..., de s'être montré « extrêmement agressif verbalement », d'avoir menacé physiquement Monsieur A...
B... et d'avoir dit lorsqu'il a quitté le bureau « je ne peux pas faire de musique avec des fils de pute et des chiens errants » ; … ; que de ces attestations au caractère probant limité, comme des termes de la lettre de rupture, la cour retient toutefois, qu'une altercation est établie comme ayant eu lieu entre Monsieur X... et Monsieur A...
B..., sans que ce différend soit allé, de manière établie, au-delà des mots ; qu'elle retient également que les seuls mots injurieux, qui sont confirmés par plusieurs témoins, quoique dans des termes quelque peu différents, ont manifestement été prononcés par Monsieur X..., depuis l'escalier, alors qu'il avait quitté le bureau de Monsieur A...
B...
; que la cour en conclut, vu le pluriel employé, qu'il n'est nullement établi que ces mots aient été adressés personnellement à Monsieur A...
B..., et ne visaient pas plus généralement l'ensemble de l'institution Emi, que par ailleurs, la cour ne peut que rappeler ici que le « rap », correspond à un style de musique et de chansons qui n'est pas particulièrement « académique », ni dans ses sonorités ni, la plupart du temps, dans ses paroles, ni même quant à ceux qui le chantent ; que dès lors la SA Emi Music France, société de production de musique, qui soutient ce genre de productions et promeut cette musique, à tout le moins pour des raisons commerciales et financières, est par conséquent malvenue, à s'étonner voire à s'émouvoir, des termes employés par ses interlocuteurs ; … ; que pour la cour, il ressort, en tout état de cause, de l'ensemble de ces raisons, que l'allégation de faute grave pour rompre le contrat à durée déterminée, n'a en tout état de cause été utilisée, qu'au tout dernier moment et pour suppléer un accord amiable impossible à trouver sur la rupture ; qu'elle considère en outre que, pour peu choisis que soient les termes reprochés à Monsieur X..., ces termes manifestement prononcés sous le coup de la colère, alors qu'un litige important, financièrement mais aussi en termes de carrière, opposait l'artiste au producteur, ne sauraient être retenus, en l'espèce, comme constitutifs d'une faute grave ;
1 / ALORS QUE tant l'obligation d'engager une procédure de licenciement pour faute grave dans un délai bref après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués, qui n'est imposée par aucune disposition légale, que celle de justifier une faute grave par l'impossibilité de maintenir le salarié dans l'entreprise, ne sont pas applicables à l'égard d'un artiste qui n'exerce pas quotidiennement la prestation de travail objet du contrat et dont la présence dans l'entreprise est exceptionnelle ; qu'il suffit que les faits fautifs soient sanctionnés avant l'expiration du délai de prescription de deux mois prévu par l'article L. 122-44 du code du travail ; qu'en déduisant de l'envoi de la lettre de licenciement le dernier jour du délai de deux mois que le contrat de travail à durée déterminée de Monsieur X... avait été rompu abusivement, la cour d'appel a violé les articles L. 122-44 et L. 122-3-8 du code du travail ;
2 / ALORS QUE à titre subsidiaire, repose sur une faute grave le licenciement d'un salarié qui profère des insultes sur son lieu de travail, fait preuve d'agressivité verbale et menace physiquement un supérieur hiérarchique ; que la cour d'appel a constaté l'existence d'une altercation entre Monsieur X... et Monsieur A...
B... et le prononcé par Monsieur X... d'injures sur le lieu de travail, qu'en refusant néanmoins de retenir l'existence d'une faute grave, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article L. 122-3-8 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Emi Music France au paiement de la somme de 949. 663 euros à titre de solde de dommages intérêts pour rupture abusive en application de l'article L. 122-3-8 du code du travail, après déduction d'une avance sur redevances d'un montant de 76. 225 euros ;
AUX MOTIFS QUE le contrat qui liait les parties prévoyait une rétribution de Monsieur X... sous forme de « cachets », d'un montant de 762, 25 euros pour l'enregistrement de chaque album, auquel s'ajoutaient des « redevances » phonographiques d'un montant lié à l'importance des ventes ; que le contrat prévoyait également la possibilité pour l'artiste d'obtenir des avances sur redevances d'un montant, en l'espèce, de 76. 224, 50 euros si les ventes du second album avaient dépassé 100. 000 et de 38. 112, 25 euros si les ventes avaient été inférieures ; … ; que la SA Emi Music France prétend, pour la première fois en cause d'appel, qu'elle a versé à Monsieur X..., à titre d'avances, une somme globale de 552. 936 euros ; que cette somme inclut une somme de 76. 225 euros, déjà demandée devant les premiers juges et qui n'est pas contestée par l'intéressé, versée au titre d'avance sur le second album non réalisé ; … ; que s'agissant de « l'assiette » sur laquelle elle doit s'appuyer pour le calcul des dommages et intérêts, la cour dit que, étant donné d'une part le montant dérisoire des cachets, et étant donné d'autre part, la formulation même de l'article L. 122-3-8, 3°, qui fait référence non pas au « salaire » mais au terme plus large de « rémunération », il convient, pour le calcul des dommages intérêts à allouer à Monsieur X... du fait de la rupture du contrat à durée déterminée, de prendre en considération, de manière pondérée, tout à la fois les cachets mais aussi les redevances qu'il aurait pu escompter toucher jusqu'à la fin de ce contrat ; qu'en effet, même si le montant de ces redevances est mécaniquement lié au nombre d'exemplaires de disques vendus, ces redevances n'en constituent pas moins la forme essentielle, étant donné le très faible montant des cachets, de rémunération de l'artiste, c'est à dire la contrepartie due pour le travail accompli pour la production de l'oeuvre, peu important le fait que, du point de vue notamment des cotisations sociales, ces redevances ne soient pas assimilées à des salaires ; … ; que compte tenu des éléments produits par les parties, la moyenne de vente pour les quatre premiers albums de Monsieur X... s'élève à 305. 275 ; que l'évolution plutôt négative du marché du disque et des ventes de disques de Monsieur X..., oblige la cour à pondérer, pour les deux albums qui restaient à produire, le nombre des ventes envisageables en le ramenant au chiffre de 200. 000 ; qu'il en ressort un montant escompté de redevances, pour les deux albums, de 681. 000 euros, la cour ne tenant pas compte des abattements sollicités par l'employeur pour investissements publicitaires, ceux-ci n'ayant pas lieu d'être, en l'absence de production de disques à promouvoir ; que de la même manière, la cour estime raisonnable de ne retenir la fabrication que d'un seul single par album, single dont elle retient les chiffres de ventes escomptées fixés à 40. 000 exemplaires, soit 44. 288 euros de redevances prévisibles ; que pour les mêmes raisons, la cour estime à 300. 000 euros le montant des redevances que Monsieur X... pouvait raisonnablement escompter pour reventes, de ses précédents disques sous forme de « back catalogue » ; que sur ces bases, la cour considère qu'elle dispose des éléments qui lui permettent de fixer à la somme de 1. 025. 888 euros, le préjudice subi par Monsieur X... du fait de la rupture anticipée du contrat à durée déterminée qui le liait à la société Emi Music France, somme dont il convient de déduire l'avance faite par la société Emi Music France au titre du second album prévu par le contrat de novembre 2001, d'un montant non contesté de 76. 225 euros ; qu'aucune autre avance n'apparaît en effet justifier un remboursement de la part de Monsieur X..., les éventuelles avances précédemment concédées sur les premiers albums, au titre du premier contrat, étant considérées comme définitivement acquises par l'artiste comme n'ayant d'ailleurs jamais fait l'objet de réclamations avant les dernières conclusions d'appel et n'étant pas susceptibles en tout état de cause de compensation avec les dommages intérêts dus pour l'exécution du second contrat ;
1 / ALORS QUE l'indemnisation prévue par l'article L. 122-3-8 du code du travail en cas de rupture anticipée d'un contrat à durée déterminée en l'absence de faute grave est constituée par une somme d'un montant au moins égal aux rémunérations que le salarié aurait perçues jusqu'au terme du contrat ; que les redevances ou avances sur redevances perçues par un artiste interprète n'ont pas un caractère salarial et ne doivent pas être prises en considération pour déterminer l'indemnité due au titre de l'article L. 122-3-8 alinéa 3 du code du travail ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 122-3-8, L. 762-1 et L. 762-2 du code du travail ;
2 / ALORS QUE les redevances dues à l'artiste au titre des reventes de ses précédents disques, qui ne présentent pas un caractère salarial, sont susceptibles de rester dues postérieurement à la rupture du contrat de travail et indépendamment du caractère anticipé de cette rupture ; qu'en retenant, pour déterminer le préjudice subi par Monsieur X... en application de l'article L. 122-3-8 du code du travail, une somme de 300 000 euros au titre de l'exploitation de ses précédents enregistrements sous forme de back catalogue, la cour d'appel a violé l'article L. 122-3-8 du code du travail et l'article 1147 du code civil, ensemble les articles L. 762-1 et L. 762-2 du code du travail et les articles L. 212-3 et L. 212-4 du code de la propriété intellectuelle ;
3 / ALORS QUE la cour d'appel a retenu au titre du montant escompté de redevances pour les deux albums restant à produire, une somme de 681. 000 euros, précisant qu'elle ne tenait pas compte des abattements sollicités par l'employeur pour investissements publicitaires, ceux-ci n'ayant pas lieu d'être, en l'absence de production de disques à promouvoir ; qu'en statuant ainsi, sans expliquer pourquoi elle refusait de tenir compte des abattements pour investissements publicitaires quand le préjudice qu'elle évaluait intervenait précisément en l'absence de tout disque à promouvoir dès lors qu'il était relatif à deux albums non enregistrés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision et violé l'article L. 122-3-8 du code du travail ;
4 / ALORS QUE le contrat d'enregistrement exclusif signé le 7 février 1995 entre la société Virgin France et Monsieur X... prévoyait en son article 11 que d'une « manière générale, toute avance qui pourrait être faite par la société à l'artiste sera déductible des sommes qui pourraient être dues à l'artiste par la société » ; qu'en retenant que les éventuelles avances précédemment concédées sur les premiers albums, au titre du premier contrat, étaient considérées comme définitivement acquises par l'artiste, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du contrat du 7 février 1995 et violé l'article 1134 du code civil ;
5 / ALORS QUE la compensation s'opère pleinement entre l'indemnisation due à un artiste interprète au titre de l'article L. 122-3-8 du code du travail et les avances qui lui ont été versées au titre des redevances qu'il pouvait escompter ; que la société Emi Music France avait fait valoir dans ses conclusions d'appel que Monsieur X... avait bénéficié d'un certain nombre d'avances dont le montant s'élevait au 30 novembre 2006 à la somme de 552. 936 euros ; qu'en refusant d'opérer une compensation entre les avances reçues par Monsieur X... et les dommages intérêts octroyés, la cour d'appel a violé l'article 1291 du code civil et l'article L. 122-3-8 du code du travail ;
6 / ALORS QUE la société Emi Music France avait fait valoir dans ses conclusions d'appel que Monsieur X... avait conclu un nouveau contrat avec Exclaim ! Warner en mars 2005 et qu'un double album était sorti en janvier 2006 ; qu'elle en déduisait que Monsieur X... n'avait subi aucun préjudice en conséquence de la rupture de son contrat (conclusions d'appel, p. 23) ; qu'en accordant une indemnisation à Monsieur X... sans répondre à cette argumentation, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.