LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que consultée sur les modalités de la fusion-absorption de la société Euronet par la société Mewa, opération accompagnée d'une restructuration avec fermeture de certains sites industriels et suppression d'emplois, la société Fidal, avocat, a, d'une part, conseillé la prorogation des mandats des membres du comité d'entreprise de la société absorbée qui venaient à expiration jusqu'à la première réunion des représentants du personnel nouvellement élus à la suite de la fusion et, d'autre part, élaboré, un plan de sauvegarde de l'emploi qui a été soumis au comité d'entreprise de la société absorbante dont la composition a été élargie aux membres du comité d'entreprise de la société absorbée ; que par une décision désormais irrévocable (tribunal de grande instance Moulins, 18 mai 2007), la procédure de licenciement a été annulée à défaut de consultation valable des représentants du personnel ; que la société Mewa a, alors, engagé une action en responsabilité contre son avocat ;
Sur le second moyen :
Attendu que ce moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu que pour juger que la proposition de prorogation des mandats des membres du comité d'entreprise de la société Euronet ne pouvait pas être imputée à faute, l'arrêt retient que la solution envisagée n'était pas dépourvue de pertinence puisqu'elle tendait à assurer, en fin de mandat, la continuité de la représentation des salariés de la société absorbée, entité privée d'autonomie, dans un contexte difficile et conflictuel, en l'absence de toute autre solution satisfaisante ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir relevé que la solution proposée par l'avocat était incertaine dans le silence des dispositions du code du travail alors en vigueur, sans s'assurer, en présence d'une contestation sur ce point, que le client avait été informé de l'aléa ainsi constaté, la cour d'appel a, de ce chef, privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite l'indemnisation accordée à la société Mewa après avoir écarté la faute de la société Fidal au titre de la proposition de prorogation des mandats des membres du comité d'entreprise de la société Euronet, l'arrêt rendu le 8 novembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la société Fidal aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Fidal ; la condamne à payer à la société Mewa la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six février deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour la société Mewa.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, statuant sur l'action en réparation formée par une cliente (la société MEWA, l'exposante) contre son avocat (la société FIDAL) à qui elle avait confié la réalisation d'un projet de fusion-absorption avec une autre société, opération qui impliquait une restructuration avec fermeture de trois sites et donc un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), d'avoir limité à la somme de 100.000 € le montant des dommages-intérêts alloués au titre d'une perte de chance ;
AUX MOTIFS QUE les premiers juges avaient considéré que si la société FIDAL avait conseillé à sa cliente une solution incertaine dès lors qu'elle n'était pas prévue par le code du travail, celle-ci n'était toutefois pas dépourvue de pertinence, visant à assurer une certaine représentation des salariés d'EURONET, tandis qu'aucune autre solution n'avait été envisagée ou proposée, et en conséquence ne pouvait être reprochée à l'avocat qui en était l'auteur ; qu'ils avaient rappelé les motifs du jugement du tribunal de grande instance de MOULINS qui, selon la société MEWA, suffisait à caractériser le manquement de l'avocat à son devoir de conseil ; qu'il était indiqué que « la société EURONET a(vait) perdu son entité juridique dans le cadre de la fusion-absorption et, ne constituant pas un établissement distinct à l'issue de celle-ci, l'accord de prorogation conventionnelle des mandats des membres du comité d'entreprise de la société EURONET n'(était) pas valable et le comité d'entreprise (...) réuni le 28 mars 2007 n'était pas valablement constitué » ; que si cette décision et cette analyse faisaient ressortir pour la cliente l'existence d'un aléa s'attachant à la solution proposée par l'avocat, elles devaient être replacées dans le contexte, la juridiction ayant été saisie d'une autre difficulté la conduisant à annuler la procédure d'informationconsultation du comité d'entreprise ; qu'à juste titre l'avocat rappelait le droit positif au jour de son intervention, le code du travail ne contenant aucune disposition spécifique encadrant les conditions dans lesquelles les salariés d'une société absorbée qui perdait son autonomie sans avoir la qualification d'établissement distinct de l'entreprise d'accueil, étaient assurés d'être convenablement représentés au sein du comité d'entreprise ; qu'en cherchant à assurer la continuité de la représentation des travailleurs transférés dans l'attente de la désignation de nouveaux représentants, l'avocat n'avait pas commis l'erreur d'appréciation qui lui était imputée ; que certes le mandat des membres élus avait expiré à la date d'effet de la reprise, mais l'avocat s'était appuyé sur la faculté de proroger la durée du mandat des représentants du personnel prévue par l'article L.2324-26, alinéa 3, du code du travail, prorogation qui n'était pas en elle-même critiquable ; qu'il n'était donc pas fautif de chercher à consulter les deux comités d'entreprise ; qu'était adéquat le raisonnement suivi qui n'avait pas fait abstraction du principe selon lequel lorsque les deux sociétés avaient chacune des comités d'entreprise mais ne demeuraient pas autonomes, elles cessaient d'être identifiables, les mandats des membres élus des deux comités d'entreprise expiraient à la date d'effet de l'opération, et il fallait constituer un nouveau comité d'entreprise, c'est-à-dire prévoir des élections à la date de renouvellement du comité d'entreprise de la société subsistante (sic); que ce rappel mettait en évidence l'insuffisance des prétendues solutions parfaitement fiables dont faisait état la société MEWA ; que l'avocat soulignait avec raison qu'il n'était pas possible, ce qu'il avait envisagé, de faire d'EURONET un établissement distinct dès lors qu'il était nécessaire de remplir des critères d'autonomie qui n'existaient pas ; que la responsabilité de l'avocat n'était donc pas engagée du fait de la prorogation des mandats ;
ALORS QUE, de première part, en ne précisant pas pour quelles raisons la société absorbée, qui, avant la fusion, était un établissement distinct de la société absorbante, avait son entière autonomie et comprenait un effectif salarial plus important (120 contre 40), n'aurait pu demeurer un établissement distinct et autonome après la fusion, jusqu'à la fin du processus de restructuration, ce qui aurait eu pour conséquence que, la prorogation des mandats des membres de son comité d'entreprise étant en elle-même légale, le comité d'entreprise composé des membres de la première et de la seconde aurait été régulièrement constitué lors de la réunion du 28 mars 2007 au cours de laquelle avait été adopté le PSE antérieurement approuvé par l'administration, ce qui n'aurait pu conduire la juridiction moulinoise, par sa décision du 18 mai 2007, à annuler la procédure d'information-consultation, la cour d'appel n'a conféré aucune base légale à sa décision au regard des articles L.432-1 et L.321-4 du code du travail ;
ALORS QUE, de deuxième part, l'exposante faisait valoir (v. ses conclusions signifiées le 13 septembre 2011, p. 9) que, s'agissant du comité d'entreprise, la division de l'entreprise en établissements distincts résultait d'un accord collectif (article L.2322-5, 2327-7 du code du travail) et, en l'absence d'accord collectif, la décision de division de l'entreprise en établissements distincts était de la compétence de l'autorité administrative, c'est-à-dire du directeur départemental du travail saisi par le chef d'entreprise ; qu'en affirmant péremptoirement, entérinant en cela les prétentions de l'avocat, qu'il n'était pas possible de faire de la société absorbée un établissement distinct dès lors qu'elle ne répondait pas à des critères d'autonomie, lesquels existaient pourtant nécessairement avant la fusion, sans répondre aux conclusions déterminantes dont elle était saisie, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif, en méconnaissance des exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, de troisième part, l'avocat qui conseille à son client une solution incertaine non prévue par la loi a l'obligation de l'informer de l'aléa couru ; qu'en relevant que l'avocat avait conseillé à l'exposante une solution incertaine non prévue par le code du travail et qu'il y avait donc un aléa, sans constater que l'exposante, qui le contestait, avait été informée par son conseil du risque couru, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
ALORS QUE, enfin, en relevant que la solution retenue par l'avocat, incertaine et aléatoire puisque non prévue par le code du travail, ne constituait pas un manquement de sa part à partir du moment où le client ne lui en avait pas proposée une plus satisfaisante, mettant ainsi à la charge du client l'obligation de conseiller son avocat, la cour d'appel a derechef violé l'article 1147 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, statuant sur l'action en réparation formée par une cliente (la société MEWA, l'exposante) contre son avocat (cabinet FIDAL) à qui elle avait confié la réalisation d'un projet de fusion absorption avec une autre société (EURONET), opération qui impliquait une restructuration avec fermeture de trois sites et donc un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) d'avoir limité à la somme de 100.000 € le montant des dommages et intérêts alloués au titre d'une perte de chance ;
AUX MOTIFS QUE la faute commise, proposition de modification du plan dans les écritures déposées, avait entrainé l'annulation au lieu d'une simple suspension ; qu'elle avait entrainé nécessairement pour MEWA un surcoût du plan, dans la mesure où elle avait été contrainte de reprendre une nouvelle procédure d'élaboration d'un PSE comportant pour parvenir à un accord des propositions d'indemnisation supérieures aux premières, et du fait que la notification des licenciements avait été nécessairement retardée de plusieurs mois (arrêt attaqué, p. 6 ,3ème considérant) que l'arrêt de l'activité des sites industriels se situait au 2 mai 2008 ; que la demande présentée au titre des charges salariales supplémentaires que la société MEWA aurait payées du fait du retard pris dans les licenciements n'était pas justifiée dans son principe (ibid., p. 7, 1er considérant) ;
ALORS QUE, après avoir constaté que la faute commise par l'avocat avait nécessairement retardé de plusieurs mois la notification des licenciements, ce dont il résultait que l'exposante avait bien subi un préjudice, distinct de celui né du surcoût du plan, caractérisé par l'obligation de continuer pendant plusieurs mois à payer les salaires et charges sociales concernant les salariés dont les licenciements avaient ainsi été différés, il ne pouvait pas être affirmé que la demande de l'exposante au titre des charges salariales payées du fait du retard pris dans les licenciements n'était aucunement fondée en son principe ; qu'en refusant de tirer les conséquences légales de ses constatations, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil.