LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 22 juin 2011), que Pascal X..., né en 1979, porteur d'une greffe rénale depuis décembre 2000, a été hospitalisé en décembre 2003, en raison d'un syndrome grippal, au CHU de Bordeaux, puis transféré à l'Institut Bergonié suite au diagnostic d'une maladie de Hodgkin et d'un lymphome de Burkitt, que la première a été immédiatement traitée tandis que le second n'a été pris en charge qu'à partir du 14 mai 2004, Pascal X... étant décédé le 1er septembre 2004 ; que ses parents ainsi que son frère, M. Romain X... (les consorts X...), prétendant que l'Institut Bergonié était responsable d'un défaut de soins à l'origine d'une perte de chance de survie, ont saisi la CRCI d'Aquitaine, puis le tribunal de grande instance de Bordeaux afin d'obtenir réparation de leurs préjudices ;
Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen, que la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, de sorte que ni l'incertitude relative à l'évolution de la pathologie, ni l'indétermination de la cause du syndrome ayant entraîné le décès ne sont de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise par le médecin et la perte de chance de survie du patient ; qu'en retenant néanmoins que le lien de causalité entre le retard du traitement de l'un des cancers et l'insuffisance d'information de Pascal X... sur le diagnostic de sa maladie et la perte de chance de survie n'était pas démontré, quand l'administration plus précoce d'un traitement destiné à éradiquer le lymphome de Burkitt aurait permis à Pascal X... de bénéficier d'une fin de vie meilleure moins douloureuse, ce qui constituait une éventualité favorable, la cour d'appel ne pouvait s'abstenir d'en tenir compte ; qu'en effet ni l'état de santé dégradé du patient ni les incertitudes sur sa capacité à supporter un traitement agressif et plus généralement l'incertitude sur l'évolution de la pathologie n'étaient de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise par l'Institut Bergonié et la perte de chance de survie du patient, de sorte que l'arrêt attaqué, en décidant du contraire, a violé l'article L. 1142-1 I du code de la santé publique ;
Mais attendu que la cour d'appel a relevé, par motifs propres et adoptés, que le traitement entrepris en mai 2004, trop agressif au regard de l'état de santé dégradé de M. X..., était la cause de son décès et que les conséquences de ce traitement, nécessaire pour soigner le lymphome de Burkitt, s'il avait été entrepris dès son hospitalisation, se seraient produites trois mois plus tôt, aucun élément médical n'autorisant à considérer qu'un double traitement administré dès janvier ou février aurait pu retarder l'issue fatale advenue le 1er septembre 2004, de sorte que le retard dans la prise en charge du lymphome de Burkitt n'avait fait perdre au patient aucune chance de survie, seul préjudice dont la réparation était demandée ; que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six septembre deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Laugier et Caston, avocat aux Conseils, pour les consorts X...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Messieurs Alain et Romain X... de leurs demandes tendant à voir déclarer l'Institut BERGONIE entièrement responsable de leurs préjudices, en qualité d'héritiers de Monsieur Pascal X... et à titre personnel et de le voir condamner à leur payer diverses sommes au titre de leurs préjudice matériel et moral ;
AUX MOTIFS QU'eu égard à la date des soins litigieux, l'action des consorts X... est fondée sur l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique selon lequel les professionnels de santé et les établissements dans lesquels sont réalisés des actes médicaux ne sont responsables des conséquences dommageables de ces actes qu'en cas de faute ; que la charge de la preuve de la faute incombe à celui qui l'invoque pour obtenir réparation d'un préjudice ; qu'il appartient aux consorts X... de faire la triple preuve des fautes qu'ils reprochent au personnel de l'Institut BERGONIE et plus particulièrement au Docteur Y..., du préjudice qu'ils invoquent et du lien de causalité entre les fautes et les préjudices ; que le tribunal a relevé que le lymphome de BURKITT avait été suspecté au moment du transfert du malade à l'Institut BERGONIE, que des examens complémentaires n'ont pas permis de confirmer l'hypothèse et a considéré qu'il appartenait au médecin de faire réaliser de nouvelles analyses pour lever l'incertitude ; que c'est précisément ce qui est reproché par les experts qui font état d'une « hésitation certaine avant d'obtenir la certitude d'un double diagnostic » alors que celui-ci était envisagé dès le mois de janvier au moment de l'admission du malade dans l'établissement ; que le docteur Y... fait lui-même état de « tergiversations » sur cette question dans une lettre qu'il a adressée le 18 février 2004 au professeur de Z..., néphrologue en charge de Monsieur X... pour son affection rénale ; qu'il apparaît que tout n'a pas été mis en oeuvre pour poser aussi rapidement que possible un diagnostic fiable qui aurait permis la mise en place d'un traitement ; que la faute retenue par le tribunal doit donc être confirmée ; que concernant l'information due au malade, et dont la preuve incombe au praticien, il n'est produit aucun écrit démontrant que Monsieur Pascal X... a été directement et personnellement tenu informé des recherches menées en vue de poser un diagnostic et des traitements qui lui ont été administrés ; que tout au plus peut-on considérer que ce patient, eu égard à son lourd passé médical, était très impliqué dans le processus de soins auquel il était soumis et que sa famille, très présente à ses côtés, ne pouvait être tenue dans l'ignorance totale des évènements ; que cependant il n'est pas soutenu qu'ils aient été exactement informés des questions au fur et à mesure qu'elles se sont présentées et des « tergiversations » sur la nature du mal dont le patient était atteint ; que le défaut d'information retenu par le tribunal doit être également confirmé ; que concernant le lien de causalité entre le retard de prise en charge du lymphome de BURKITT et le décès, il résulte de l'avis des experts que l'état de Monsieur X... ne lui a pas permis de supporter tous les traitements mis en place à partir de mai 2004 pour lutter contre les deux cancers dont il était atteint ; qu'aucun élément médical n'autorise à considérer qu'un double traitement administré dès janvier ou février aurait pu retarder l'issue fatale advenue le 1er septembre 2004 ; que les arguments développés par les consorts X... sur l'efficacité des traitements des lymphomes non hodgkidiens agressifs apparaissent dénués de pertinence dès lors que le malade devait également être soigné pour son autre cancer ; que de plus, l'Institut BERGONIE relève à bon droit que l'étude dont se prévalent les appelants émane du fabricant du médicament, le laboratoire ROCHE et que les résultats annoncés peuvent paraître optimistes et qu'ils ne sont confirmés par aucune étude objective ; que le lien de causalité entre le retard de traitement de l'un des cancers et l'insuffisance d'information du patient sur le diagnostic de sa maladie et le décès du 1er septembre 2004 n'est donc pas démontré et il convient de confirmer le jugement qui a statué en ce sens ;
ET AUX MOTIFS, A LES SUPPOSER ADOPTES, DES PREMIERS JUGES QUE néanmoins, le lien de causalité entre les fautes relevées à l'encontre du médecin de l'Institut BERGONIE et le décès de Monsieur X... ou plus exactement sa perte de chance de survie n'est pas établi ; qu'en effet, les médecins notent qu'« il est très important de tenir compte des très lourds antécédents médicaux du jeune Pascal X.... En effet, il a présenté déjà une tumeur pulmonaire bénigne traitée par lobectomie, un kyste arachnoïdien de la fosse postérieure, une hypertension artérielle, une myocardiopathie hypertrophique et surtout une greffe rénale suivie d'un traitement anti-rejet en cours. Cet état de santé certainement précaire, associé à la survenue de deux graves lymphomes différents, rendait pour le moins le pronostic réservé … » ; qu'ils ajoutent, après avoir estimé qu'il y avait donc eu retard de trois mois du traitement efficace du lymphome de BURKITT, l'observation suivante : « Cependant si le Docteur Y... avait commencé trois mois plus tôt le traitement contre la maladie de BURKITT, rien ne nous permet de considérer que ce traitement aurait été mieux supporté et n'aurait pas été suivi d'une évolution défavorable par aplasie, infection et insuffisance rénale » ; qu'on peut déduire des observations qui précèdent que Monsieur X... n'avait aucune chance sérieuse de survivre au double cancer l'affectant en raison de son état général dégradé ne permettant pas de supporter les traitements administrés ; qu'il s'ensuit que le retard mis à soigner le lymphome de BURKITT n'est pas à l'origine d'une perte de chance de survie ou d'allongement de la vie de Pascal X... car le traitement entrepris était trop agressif au regard de son état dégradé et les conséquences de ce traitement nécessaire pour soigner le lymphome de BURKITT se seraient produites 3 mois plus tôt si le traitement avait été entrepris en temps voulu, en l'absence d'éléments permettant de considérer que ledit traitement aurait été mieux supporté trois mois plus tôt ; que le retard de trois mois à soigner le second lymphome dans ces conditions n'est pas de nature à laisser penser que, administré trois mois plus tôt, le traitement du lymphome de BURKITT aurait assuré une chance de survie à Monsieur X... ; que les consorts X... n'ont pas apporté d'élément propre à infirmer l'appréciation des experts et précisément à laisser penser qu'un traitement entrepris plus tôt aurait été mieux supporté car il aurait pu être moins agressif ;
ALORS QUE la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, de sorte que ni l'incertitude relative à l'évolution de la pathologie, ni l'indétermination de la cause du syndrome ayant entraîné le décès ne sont de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise par le médecin et la perte de chance de survie du patient ; qu'en retenant néanmoins que le lien de causalité entre le retard du traitement de l'un des cancers et l'insuffisance d'information de Monsieur Pascal X... sur le diagnostic de sa maladie et la perte de chance de survie n'était pas démontré, quand l'administration plus précoce d'un traitement destiné à éradiquer le lymphome de BURKITT aurait permis à Monsieur Pascal X... de bénéficier d'une fin de vie meilleure moins douloureuse, ce qui constituait une éventualité favorable, la Cour d'appel ne pouvait s'abstenir d'en tenir compte ; qu'en effet ni l'état de santé dégradé du patient ni les incertitudes sur sa capacité à supporter un traitement agressif et plus généralement l'incertitude sur l'évolution de la pathologie n'étaient de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise par l'Institut BERGONIE et la perte de chance de survie du patient, de sorte que l'arrêt attaqué, en décidant du contraire, a violé l'article L. 1142-1 I du Code de la santé publique.