LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à Mme Annette X... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. Paul Y... et Mme Nicole Z... ;
Attendu que Emilien Y... est décédé le 9 avril 1994 en laissant pour lui succéder Mme Madeleine Z..., sa seconde épouse qui avait eu une fille, Nicole, d'une précédente union, M. Paul Y... son fils, né d'un premier mariage et Mmes Annette Y..., épouse X..., et Mireille Y..., épouse A..., et MM. Pierre, Claude et Maurice Y..., ses cinq enfants nés de sa seconde union ; que, par acte du 21 juillet 1998, M. Paul Y... a cédé à MM. Pierre et Maurice Y... ses droits dans la succession de leur père ; que, par actes des 8, 10 et 16 juin 2004, Mme X... a fait assigner ses cohéritiers (les consorts Y...) aux fins de fixer le salaire différé dû par la succession à M. Pierre Y... et d'ordonner une nouvelle expertise ;
Sur le second moyen, pris en sa première branche :
Attendu que ce grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Sur le premier moyen, pris en toutes ses branches, qui est recevable, ci-après annexé :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fixé la période ouvrant droit, pour M. Pierre Y..., à un salaire différé à six ans, quatre mois et sept jours et fixé son montant sous réserve de réévaluation, à 50 917,06 euros ;
Attendu que l'arrêt relève d'abord que la période ouvrant droit à salaire différé au bénéfice de M. Pierre Y..., avant son service militaire n'était pas contestée puis que, dès lors que le bénéficiaire participait directement et effectivement à l'exploitation familiale, cette participation n'avait pas à être exclusive pour donner droit au versement d'un salaire différé ; ensuite que M. Pierre Y... avait participé à l'exploitation de son père de juin 1961 à décembre 1972, ses propres terres pour lesquelles il était inscrit comme chef d'exploitation, ne produisant pas assez, selon les conclusions de l'expert, pour l'occuper véritablement ; encore que cette participation à l'exploitation paternelle était corroborée par l'attestation de M. B..., ancien maire et viticulteur ; enfin qu'il n'était pas sérieusement allégué qu'il eût perçu une rémunération ; que, de ces éléments souverainement constatés, la cour d'appel a pu déduire, sans inverser la charge de la preuve, que M. Pierre Y... avait droit à un salaire différé, pour une période de six ans, quatre mois et sept jours ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 4 du code civil ;
Attendu que, pour débouter Mme X... de sa demande tendant à voir ordonner une nouvelle expertise, l'arrêt attaqué a, par motifs adoptés, renvoyé les parties devant le notaire chargé de l'établissement d'un état liquidatif conformément au rapport d'expertise de "Maître" Jacques C..., en procédant aux réévaluations nécessaires à la date du partage ;
qu' en déléguant ses pouvoirs au notaire liquidateur, alors qu'il lui incombait de procéder elle-même à cette réévaluation, la cour d'appel a méconnu son office et violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a renvoyé les parties devant le vice-président départemental de l'Aube de la chambre interdépartementale des notaires près la cour d'appel de Reims, ou le notaire qu'il aura délégué pour procéder à l'établissement d'un état liquidatif conformément au rapport d'expertise de "Maître" Jacques C..., en procédant aux réévaluations nécessaires à la date du partage, l'arrêt rendu le 16 octobre 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Reims, autrement composée ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mars deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Peignot et Garreau, avocat aux Conseils pour Mme X...
PREMIER MOYEN UNIQUE DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fixé la période donnant droit à salaire différé au profit de Monsieur Pierre Y... à l'encontre de la succession de feu Emilien Y... à 6 ans, 4 mois et 7 jours, du 27 avril 1965 au 5 juillet 1966 et du 2 novembre 1967 au 31 décembre 1972, et fixé son montant, sous réserve de sa réévaluation au jour du partage à 50.917,06 euros.
AUX MOTIFS QU'au cas présent, il résulte des pièces versées aux débats et en particulier de la déclaration faite sur l'honneur à la Mutualité Sociale Agricole par Pierre Y... que celui-ci a participé de juin 1961 à décembre 1972 à l'exploitation de son père, ... ; que l'expert précise d'ailleurs que jusqu'au 31 décembre 1972, l'exploitation de Monsieur Pierre Y... ne produisait pas assez, eu égard à la surface de terres et à l'âge de la vigne pour l'occuper véritablement ; que l'expert en a justement déduit que la participation de Monsieur Pierre Y... à l'exploitation du père n'était pas qu'occasionnelle ; qu'ainsi, Monsieur Pierre Y..., dont la participation à l'exploitation paternelle n'a pas été exclusive et permanente pour ouvrir droit à une créance de salaire différé justifie de ce qu'elle a participé effectivement et directement à l'exploitation de Monsieur Y... jusqu'au 31 décembre 1972, situation de fait qui était corroborée par les attestations de Monsieur B... ancien maire et viticulteur de la commune et de Monsieur Claude Y... ; qu'il n'est sérieusement allégué ni établi de manière probante qu'il ait perçu une rémunération de ce chef ; qu'il a donc droit à une créance de salaires différé à compter de ses 18 ans soit le 27 avril 1965 jusqu'au 5 juillet 1966, date de son départ au service militaire, puis de son retour le 2 novembre 1967 au 31 décembre 1972 ce qui représente une période totale de 6 ans, 4 mois et 7 jours ; qu'il convient encore de préciser que la dénomination viticulteur dans un acte de donation est sans aucun effet sur le statut juridique réelle de l'intéressé ; que dès lors l'argumentaire est inopérant dans la mesure où Monsieur Pierre Y... a travaillé comme aide familial jusqu'en 1966, que rentré de l'armée il a repris ce travail d'aide familial en habitant chez ses parents, qu'il s'est marié en juillet 1968 et a habité séparément, mais en continuant 81262 BP son travail d'aide familial, que le sol étant de 1 ha, 50 a, Monsieur Pierre Y..., n'exploitant alors que 66 ares, ne pouvait être considéré comme exploitant ,le travail de ces 66 ares ne pouvant lui permettre de vivre avec sa famille ; que le Tribunal a donc à bon droit retenu que celui-ci avait participé de juin 1961 à décembre 1972 à l'exploitation de son père ; qu'il est démontré que c'est seulement en 1973, à la vendange que l'exploitation atteignait le seuil requis pour être considéré comme exploitant ; que c'est de manière exacte que les premiers juges ont décidé que Monsieur Pierre Y... avait donc bien travaillé sur l'exploitation de ses parents en tant qu'aide familial jusqu'au 31 décembre 1972 et avait donc droit à une créance de salaire différé à compter de ses 18 ans, le 27 avril 1965, jusqu'au 5 juillet 1966, date de son départ au service militaire, puis de son retour le 2 novembre 1967 jusqu'au 31 décembre 1972 ; que la participation habituelle était suffisante ; que Monsieur Pierre Y... satisfait donc bien à toutes les conditions légales pour obtenir le salaire différé selon les modalités proposées par l'expert et que c'est pour cette raison que la Mutualité Sociale Agricole a enregistré une déclaration d'attestation d'activité non salariée de Monsieur Pierre Y... en tant que membre de la famille de l'exploitant jusqu'au 31 décembre 1972 avec l'attestation de deux témoins ;
ALORS D'UNE PART QUE c'est au bénéficiaire du salaire différé qu'il appartient d'apporter la preuve de sa participation directe et effective à l'exploitation familiale et encore qu'au cours de l'exploitation en commun, il n'avait pas été associé aux bénéfices, et n'avait reçu aucun salaire en argent en contrepartie de sa collaboration ; que dès lors en retenant, pour statuer comme elle l'a fait, qu'il n'était pas établi de manière probante que Monsieur Pierre Y... ait perçu une rémunération pour les périodes considérées, la Cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les articles L.321-13 et L..321-19 du Code rural et l'article 1315 du Code civil ;
ALORS D'AUTRE PART QUE la participation du descendant à l'exploitation n'établit pas la créance de salaire différé, sans que soit constatée l'absence de rémunération ; que dès lors en retenant pour statuer comme elle l'a fait que Monsieur Y... avait exercé une participation habituelle suffisante sur l'exploitation, sans avoir recherché si ce dernier avait établi une absence totale de rémunération en contrepartie de son travail sur l'exploitation durant la période considérée, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes ci-dessus visés ;
ALORS ENFIN QUE la qualité de chef d'exploitation est exclusive de celle d'aide familial ; que dès lors en statuant comme elle l'a fait, sans tenir compte de l'attestation de la Mutualité Sociale Agricole, qui précisait que Monsieur Y... était inscrit à ce régime en qualité de chef d'exploitation depuis le 2 novembre 1967, la Cour d'appel n'a pas davantage justifié sa décision au regard des mêmes textes.
SECOND MOYEN UNIQUE DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, par confirmation du jugement entrepris, renvoyé les parties devant un notaire pour procéder à l'état liquidatif conformément au rapport d'expertise de Monsieur C..., en procédant aux réévaluations nécessaires, à la date du partage, en particulier de la maison commune sise ..., du salaire différé de Monsieur Y..., du montant des rapports et des indemnités de réévaluation.
AUX MOTIFS QU'il résulte, d'une part, de l'acte de cession des droits de Monsieur Pierre Y... auquel le rapport de Monsieur C... est annexé, que les parties à l'acte ont convenu à titre transactionnel de fixer les droits de Monsieur Paul Y... à 150.000 Frs (22.867,35 euros), et d'autre part, du décompte dressé par l'expert en page 32 de la masse active successorale, que l'expert a bien inclus dans la masse active en vue de la détermination de la quotité disponible, la valeur au jour du décès des biens donnés par actes du 5 juin 1968 et 15 janvier 1969, estimés par lui à 218.950 Frs (33.378,71 euros) et 163.750 Frs (24.963,53 euros) au jour du décès ; que Monsieur C... a en effet, d'une part, indiqué que la passe active comprenait les sommes de 1.000 Frs (152,45 euros) et 1.220 Frs (185,99 euros) au titre de ces deux donations puis 217.950 Frs (33.326,26 euros) et 162.530 Frs (24.777,54 euros) de ces chefs de sorte que les biens litigieux ont été réunis fictivement pour la totalité de leur valeur à la date du décès à la masse active successorale ; que de plus, les donations du 18 mars 1974 et 10 avril 1975, du 23 octobre 1976 et 6 avril 1985 sont des donations de biens appartenant à la communauté ayant existé entre Monsieur Emilien Y... et Madame Madeleine Z..., consenties par eux, sans clause d'imputation en totalité sur l'actif successoral du pré mourant ; qu'ainsi, tous deux sont co-donateurs de ces biens, Monsieur Emilien Y... étant dès lors considéré comme n'ayant donné que sa part dans les biens communautaires et les époux comme ayant manifesté leur volonté de mettre l'obligation à la charge définitive de la communauté ; que dans ces conditions, c'est à bon droit que le Tribunal a retenu, d'une part, que Monsieur Emilien Y... ne devait aucune récompense à la communauté de sorte qu'aucune dette de chef n'est à inscrire au passif de sa succession, et d'autre part, qu'en contrepartie, n'était intégrée fictivement à l'actif successoral de Monsieur Emilien Y... que la moitié de la valeur des biens donnés, ce qui représente la part du bien commun, dont il était propriétaire qu'il a ainsi pu donner sans devoir récompense ; qu'en 81262 BP l'espèce, c'est à juste titre que l'expert commis n'a intégré à l'actif successoral que la moitié de la valeur des biens communs donnés par les actes du 18 mars 1974, du 10 avril 1975, du 23 octobre 1976 et du 6 avril 1985 et n'a dès lors pas fait état de récompenses dues à la communauté de ces chefs ; qu'au surplus, l'expert a relevé dans son rapport que les actes de donation du 10 avril 1975 consentis à Mireille et Maurice Y... avaient été faits en paiement du salaire différé du à ces derniers et s'analysent donc comme des donations en paiement ; qu'en vertu de l'article 263 du Code de procédure civile, l'expertise n'a lieu d'être ordonnée que dans le cas où des constatations ou une consultation ne pourraient suffire à éclairer le juge ; que Madame Annette Y... ne fait que reprendre devant la Cour ses prétentions et moyens développés en premières instance ; qu'en conséquence, en l'absence d'élément nouveau probant soumis à son appréciation et de critique sérieuse et argumentée de la motivation contestée de ce chef, l'appelante produisant d'ailleurs une série de pièces, estimations d'experts et statistiques qui fournissent toutes les informations sur les marges d'appréciation et d'estimation à mettre en oeuvre, démontrant ainsi que le notaire liquidateur disposera de tous les éléments lui permettant de remplir la mission définie par le jugement, la Cour décide que les premiers juges par des motifs exacts et pertinents qu'elle approuve, ont fait une juste appréciation de l'ensemble des faits de la cause et du droit des parties et qu'il convient en conséquence de confirmer les décisions de rejet de la demande de nouvelle expertise.
ALORS D'UNE PART QU'en statuant de la sorte sans répondre au chef précis des conclusions de Madame Annette Y... qui faisait valoir que pour déterminer la masse de calcul des biens à partager permettant de déterminer la quotité disponible, il convenait de prendre en considération les donations consenties le 10 avril 1975 à Madame Mireille Y... épouse A... et à Monsieur Maurice Y..., la Cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences des articles 922 du Code civil et 455 du Code de procédure civile.
ALORS D'AUTRE PART QU'en toute hypothèse, c'est à la juridiction saisie et non au notaire délégué qu'il appartient de fixer la valeur des biens litigieux au jour le plus proche du partage ; que dès lors en statuant comme elle l'a fait, par confirmation du jugement, en laissant ainsi au notaire délégué le soin de procéder à la réévaluation du bien à la date du partage, la Cour d'appel a procédé d'une violation des articles 819, 824, 832 et 868 du Code civil dans leur rédaction alors applicable.