REJET des pourvois formés par :
- X... Pierre,
- Y... Jean-Marie,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 7e chambre, du 29 juin 1995, qui, pour fraude ou fausses déclarations en vue de faire obtenir à des étrangers le titre visé à l'article L. 341-6 du Code du travail, emploi d'étrangers en situation irrégulière et faux en écriture, a condamné chacun d'eux à 3 mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 8 000 francs.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen unique de cassation proposé en faveur de Pierre X... pris de la violation de l'article 8 du traité de Rome, des articles 216 et suivants de l'acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal au traité de la CEE en date du 12 juin 1985, de l'article 8 du décret du 8 décembre 1986, du règlement CEE n° 2194 / 91 du 25 juin 1991, des articles L. 341-1, L. 341-2, L. 341-6, L. 364-2, L. 364-2-1, R. 241-1, R. 341-3-1, R. 341-7 et R. 341-7-2 du Code du travail, des articles 441-1 (articles 147 et 150 anciens) et 441-6 (articles 153 et 154 anciens) du Code pénal, et des articles 6, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué, retenant la culpabilité de Jean-Marie Y... et de Pierre X... des chefs de fraude à l'obtention d'une autorisation de travail concernant des salariés de nationalité portugaise, de faux en écriture privée, d'emploi et complicité d'emploi de travailleurs portugais non munis d'une autorisation de travail, ainsi que de délivrance indue de documents destinés à faire constater un droit, une identité ou une qualité, à accorder une autorisation, les a condamnés à une peine de 3 mois d'emprisonnement avec sursis et 8 000 francs d'amende ;
" aux motifs que " l'article 1er du décret du 8 décembre 1986 stipule que les ressortissants espagnols et portugais devaient être titulaires de l'autorisation de travail édictée aux articles L. 341-2 et R. 341-1 du Code du travail jusqu'au 31 décembre 1992 ; qu'ils devaient ainsi bénéficier de la liberté de circulation des travailleurs à l'intérieur des pays membres de la Communauté économique européenne à compter du 1er janvier 1993 ; que, toutefois, cette date a été rapportée au 1er janvier 1992 suivant le règlement communautaire n° 2194 / 91 du 25 juin 1991 ; attendu que, contrairement à ce que soutiennent les 2 prévenus dans leurs écritures, l'action publique exercée à leur encontre du chef de fraude pour faire obtenir un titre de travail ne saurait être éteinte par l'abrogation de la loi pénale, dès lors que l'incrimination principale prévue par la législation concernant ces infractions, spécialement par les articles L. 341-2 et R. 341-7-2 du Code du travail, n'a nullement été abrogée mais seulement été déclarée inapplicable aux ressortissants espagnols et portugais à compter du 1er janvier 1992 " ;
" alors que, sauf prévisions contraires expresses, une loi nouvelle, qui abroge une incrimination ou qui comporte des dispositions plus favorables, s'applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et non définitivement jugés ; que l'acte d'adhésion du Portugal à la Communauté économique européenne, entré en vigueur le 1er janvier 1992, avait vocation à régir les faits de l'espèce, commis en 1991 et poursuivis en 1993 seulement ; qu'étaient, en conséquence, inapplicables à ces mêmes faits, les dispositions restrictives du Code du travail relatives à l'embauche et à l'emploi de main-d'oeuvre étrangère, de même que cessait d'être punissable toute infraction directement ou indirectement liée à une méconnaissance des dispositions du Code du travail rétroactivement privées d'effets ; qu'en décidant du contraire la cour d'appel a méconnu les dispositions visées au moyen " ;
Sur le moyen unique de cassation proposé en faveur de Jean-Marie Y... pris de la violation des articles L. 341-2, L. 341-6, L. 364-2 et R. 341-7-2 du Code du travail, du traité de Rome ayant institué la CEE, de l'article 112-1 du Code pénal, de l'article 6 du Code de procédure civile et du principe de la rétroactivité in mitius :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Marie Y... coupable de fraude à l'obtention d'une autorisation de travail concernant 9 salariés de nationalité portugaise, de faux en écriture privée, d'emploi de 7 étrangers non munis d'une autorisation de travail et du délit de délivrance indue de documents destinés à faire constater un droit, une identité ou une qualité, à accorder une autorisation, et l'a condamné en répression à 3 mois d'emprisonnement et 8 000 francs d'amende ;
" aux motifs que " contrairement à ce que soutiennent les 2 prévenus dans leurs écritures, l'action publique exercée à leur encontre du chef de fraude pour faire obtenir un titre de travail à un étranger et d'emploi d'étrangers non munis d'une autorisation de travail ne saurait être éteinte par l'abrogation de la loi pénale, dès lors que l'incrimination principale prévue par la législation concernant ces infractions, spécialement par les articles L. 341-2 et R. 341-7-2 du Code du travail, n'a nullement été abrogée mais a seulement été déclarée inapplicable aux ressortissants espagnols et portugais à compter du 1er janvier 1992 ;
" alors que l'action publique s'éteint par l'abrogation de la loi pénale, ce qui est le cas lorsqu'en raison d'une modification législative les faits poursuivis cessent d'être punissables avant qu'une décision soit intervenue ; que les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois ; que l'adhésion du Portugal à la CEE a eu pour effet de faire bénéficier ses nationaux du principe de libre circulation des travailleurs à compter du 1er janvier 1992, comme l'a relevé la Cour elle-même ; que par conséquent, les éléments constitutifs des infractions avaient disparu et les faits reprochés ne pouvaient plus être sanctionnés avant qu'une décision soit intervenue " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'en février 1991, Pierre X... et Jean-Marie Y..., exploitants agricoles, ont recruté des ressortissants portugais au moyen de contrats d'introduction de travailleurs saisonniers ; que, par des manoeuvres frauduleuses, ayant consisté pour chacun d'eux à conclure, à l'expiration d'une durée de 6 mois, des contrats de travail fictifs avec les Portugais occupés en fait sur l'exploitation de l'autre, ils ont bénéficié des services de ceux-ci au-delà de la période maximale prévue par l'article R. 341-7-2 du Code du travail ;
Attendu que les 2 employeurs ont été cités devant le tribunal correctionnel pour fraude ou fausses déclarations en vue de faire obtenir à des étrangers un titre les autorisant à travailler en France et emploi d'étrangers en situation irrégulière, ainsi que pour faux en écriture, résultant de l'établissement de faux bulletins de salaire et de l'inscription de mentions inexactes sur le registre du personnel tenu par chacun d'entre eux ;
Que, devant les juges du fond, les prévenus ont soutenu que, l'adhésion du Portugal aux Communautés européennes ayant eu pour effet, à compter du 1er janvier 1992, de faire bénéficier ses nationaux du principe de libre circulation des travailleurs, les faits reprochés ne pouvaient plus être sanctionnés ;
Attendu que, pour écarter cette argumentation et déclarer les intéressés coupables, la juridiction du second degré énonce notamment que les incriminations principales, concernant les conditions d'emploi de travailleurs étrangers en France, n'ont pas été abrogées, mais seulement déclarées inapplicables aux ressortissants portugais ;
Attendu, cependant, que le traité d'adhésion du Portugal aux Communautés européennes et le règlement n° 2194 / 91 du 25 juin 1991 du Conseil des Communautés européennes assimilant, depuis le 1er janvier 1992, les ressortissants portugais aux ressortissants français, les articles L. 341-6 et L. 364-2 du Code du travail, support légal des incriminations relatives à l'emploi irrégulier d'étrangers en France, ne pouvaient plus être appliqués, à compter de la date précitée, aux employeurs français occupant des travailleurs portugais ;
Qu'ainsi, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
Que, toutefois, la censure n'est pas encourue, la déclaration de culpabilité et les peines prononcées étant justifiées du chef des faux en écriture ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.