CASSATION sans renvoi sur le pourvoi formé par :
- X...,
contre un arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Toulouse, du 27 octobre 1987 qui, dans la procédure suivie à son encontre des chefs de diffamations et injures publiques, a ordonné qu'il fût procédé à son inculpation et a désigné pour procéder aux actes d'instruction le président de la juridiction.
LA COUR,
Vu l'arrêt de la Cour de Cassation du 27 novembre 1985 désignant, en application de l'article 681 du Code de procédure pénale, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Toulouse pour être chargée de l'instruction ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle en date du 4 janvier 1988 admettant le pourvoi à un examen immédiat ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur la recevabilité du pourvoi :
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Y... a déposé plainte des chefs de diffamations et injures publiques envers un citoyen chargé d'un mandat public et envers un particulier, le 24 octobre 1985 devant le juge d'instruction de Nîmes en visant expressément X..., maire de cette ville, qu'à la suite de la désignation par la Cour de Cassation de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Toulouse pour être chargée de l'instruction, le procureur général près cette juridiction a, le 10 juin 1987, pris des réquisitions nominatives contre X... tendant à son inculpation des chefs d'infractions précitées ; qu'en application de l'article 197 du Code de procédure pénale, X... et son conseil ont reçu notification par lettres recommandées de la date à laquelle l'affaire serait appelée à l'audience de la chambre d'accusation ; que, la veille des débats, le défenseur de X... a déposé un mémoire excipant, entre autres, de la nullité des actes de poursuites accomplis pendant les sessions du Parlement dont X... était membre depuis les élections législatives du 16 mars 1986 ; que, rejetant cette exception, la chambre d'accusation a ordonné que X... fût inculpé ;
Attendu que, dans ces conditions, bien que n'ayant pas encore reçu notification d'une inculpation, le demandeur se trouvait, par l'effet des réquisitions nominatives prises à son encontre, avoir acquis la qualité de partie appelée de surcroît à se défendre à l'instance dans une phase de la procédure pouvant conduire à la violation des lois constitutionnelles ; que dès lors le pourvoi est recevable ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 65 de la loi du 29 juillet 1881 et 681 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de prescription soulevée par l'inculpé ;
" aux motifs que l'action publique qui a été mise régulièrement en mouvement par la plainte avec constitution de partie civile de Y... contre X... n'a été à aucun moment atteinte par la prescription au profit de celui-ci, notamment au 4 mars 1986, date de l'arrêt fixant le montant de la consignation, le cours de la prescription ayant été valablement interrompu par la saisine obligatoire de la Cour de Cassation et suspendue durant la période subséquente qui a donné lieu aux divers actes de poursuite et d'instruction précités ;
" alors que la saisine de la Cour de Cassation aux fins de désignation de juridiction n'interrompt pas mais suspend le cours de la prescription jusqu'à ce que l'arrêt de la chambre criminelle soit porté à la connnaissance du ministère public et du plaignant ; que le cours de la prescription qui reprend alors n'est valablement interrompu dans le délai restant à courir que par le dépôt d'une plainte conforme aux exigences de l'article 681, alinéa 3, du Code de procédure pénale ou par un acte de poursuite du ministère public ; qu'en l'espèce les faits datant du 28 juillet 1985 et la plainte du 23 octobre 1985, il ne restait le 15 janvier 1986, lors de la signification de l'arrêt de la Cour de Cassation, que cinq jours à la partie civile pour saisir de sa plainte la chambre d'accusation désignée ; que dès lors faute d'une telle plainte et de tout acte de poursuite dans le délai restant à courir, la prescription a été acquise au bénéfice de M. X... le 20 janvier 1986 " ;
Vu lesdits articles ensemble les articles 7 et 8 du même Code, 50 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que selon ces dispositions combinées, l'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits ou contraventions prévues par la loi sur la liberté de la presse se prescrivent après trois mois révolus à compter du jour où ils ont été commis à moins que la prescription ne soit interrompue par un acte de poursuite régulier ou suspendue par un obstacle de droit ou de fait ;
Attendu que l'arrêt attaqué relève qu'à la suite des propos tenus à son encontre le 28 juillet 1985 par X..., maire de Nîmes, au cours d'une séance du conseil municipal, Y... a déposé le 24 octobre 1985, auprès du juge d'instruction dudit lieu, une plainte avec constitution de partie civile des chefs de diffamations et injures publiques envers un citoyen chargé d'un mandat public et envers un particulier, en spécifiant que les dispositions des articles 679 et suivants du Code de procédure pénale devaient recevoir application en raison de la qualité de la personne mise en cause ;
Que, sans désemparer, le juge d'instruction, qui s'est uniquement borné à constater le dépôt de la plainte, a transmis celle-ci au procureur de la République lequel a le 31 octobre suivant présenté requête aux fins de désignation de juridiction à la chambre criminelle ; que par arrêt du 27 novembre 1985, signifié à Y... le 15 janvier 1986, la Cour de Cassation a désigné, conformément à l'article 681 du Code de procédure pénale, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Toulouse pour être chargée de l'instruction ;
Que celle-ci a, sur les réquisitions de son procureur général en date du 4 février 1986, fixé, par arrêt du 4 mars, le montant de la consignation dont, après signification à lui faite le 18 mars, Y... s'est acquitté le 2 avril 1986 ;
Que le 12 mai 1986, se référant à la plainte déposée le 24 octobre 1985 par Y... contre X..., le procureur général a requis la chambre d'accusation d'ordonner l'ouverture d'une information ; que faisant droit à ces réquisitions est intervenu à la date du 16 septembre 1986 un arrêt commettant le président de la juridiction saisie pour procéder aux actes d'instruction à la suite desquels la chambre d'accusation a, par l'arrêt attaqué, et sur les réquisitions conformes du procureur général en date du 10 juin 1987, ordonné que X... fût inculpé ;
Attendu que, pour rejeter l'exception de prescription soulevée par ce dernier, la chambre d'accusation énonce que du déroulement de la procédure ainsi exposé, il apparaît que l'action publique qui a été mise régulièrement en mouvement par la plainte avec constitution de partie civile de Y... contre X... personne dénommée n'a été à aucun moment atteinte par la prescription au profit de celui-ci, le cours de la prescription ayant été interrompu par la saisine obligatoire de la Cour de Cassation et suspendu par la procédure subséquente qui a donné lieu aux divers actes de poursuite et d'instruction précités ; que d'ailleurs la partie civile, qui a régulièrement mis en mouvement l'action publique, ne peut se voir opposer des errements de procédure qui ne lui sont pas imputables ;
Mais attendu que, d'une part, les juges ne pouvaient considérer comme acte initial de poursuite une plainte remise à un juge d'instruction seulement compétent pour en constater le dépôt, et qui, visant une des personnes énumérées à l'article 681 du Code de procédure pénale, avait pour unique objet de mettre le procureur de la République dans l'obligation de présenter sans délai requête aux fins de désignation de juridiction et pour seul effet de suspendre la prescription durant la procédure pendante devant la Cour de Cassation jusqu'à la signification au plaignant de l'arrêt de désignation ;
Que, d'autre part, dans le temps de la prescription restant à courir à partir de ladite signification, le plaignant n'a pas, conformément à l'alinéa 3 de l'article 681 précité, renouvelé devant la chambre d'accusation désignée sa constitution de partie civile par une plainte répondant aux exigences de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881 suivie du versement du montant de la consignation des frais ;
Qu'enfin, si les réquisitions du ministère public aux fins d'informer eussent pu constituer l'acte initial des poursuites au sens de l'alinéa 2 dudit article 681 du Code de procédure pénale, encore eût-il fallu qu'elles satisfissent elles-mêmes aux prescriptions de l'article 50 de la loi sur la liberté de la presse et qu'elles intervinssent avant l'expiration du délai de prescription ;
Qu'en statuant comme ils l'ont fait, les juges ont méconnu le sens et la portée des textes susvisés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Et attendu que la prescription étant acquise, il ne reste plus rien à juger ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Toulouse du 27 octobre 1987 ;
Vu l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.