Vu la procédure suivante :
La Société Life Sciences Holdings France, à l'appui de la demande qu'elle a formée devant le tribunal administratif de Montreuil tendant à la restitution des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013 à la suite de la réintégration dans son résultat de la quote-part de 5 % pour frais et charges sur les dividendes reçus de sa filiale américaine Radiometer America Inc., a présenté un mémoire, enregistré le 20 octobre 2017 au greffe du tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 161017 du 15 novembre 2017, enregistrée le 20 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Montreuil a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du deuxième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009.
Par deux mémoires, enregistrés les 20 décembre 2017 et 2 janvier 2018, la société Life Sciences Holdings France soutient que ces dispositions, applicables au litige et qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Par un mémoire, enregistré le 22 décembre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que la question soulevée ne présente pas un caractère sérieux.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 ;
- le code général des impôts, notamment son article 223 B ;
- la décision du 2 septembre 2015, C-386/14, Groupe Steria SCA, de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Séverine Larere, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la société Life Sciences Holdings France.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article 216 du code général des impôts : " Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges (...) ". Aux termes de l'article 223 A du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Une société peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement (...). " Aux termes, enfin, du deuxième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2009 de finances rectificatives pour 2009 : " Le résultat d'ensemble est diminué de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société intermédiaire pour lesquels la société mère apporte la preuve qu'ils proviennent de produits de participation versés par une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et n'ayant pas déjà justifié des rectifications effectuées en application du présent alinéa ou du troisième alinéa ".
3. Par une décision du 2 septembre 2015, Groupe Steria SCA (C-386/14), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé contraire à la liberté d'établissement une législation d'un Etat membre, telle que celle qui est citée au point 2 ci-dessus, " en vertu de laquelle une société mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la réintégration d'une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des sociétés résidentes parties à l'intégration, alors qu'une telle neutralisation lui est refusée, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont distribués par ses filiales situées dans un autre Etat membre qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option ". Il résulte de l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne que l'administration fiscale n'est pas fondée à refuser à une société mère intégrante le bénéfice de la neutralisation de la quote-part pour frais et charges, instituée par le deuxième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts en faveur des groupes fiscalement intégrés, à raison des dividendes qui lui sont distribués par ses filiales établies dans un autre Etat membre pour autant que ces filiales, si elles avaient été résidentes, auraient été objectivement éligibles au régime d'intégration fiscale, sur option, en vertu de l'article 223 A du même code.
4. Dans ces conditions, les dispositions, citées au point 2 ci-dessus, du deuxième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts doivent être interprétées comme réservant le bénéfice de la neutralisation de la quote-part de frais et charges aux distributions opérées entre sociétés membres du même groupe intégré ou provenant d'une société établie dans un autre Etat membre de l'Union européenne qui, si elle avait été résidente, aurait été éligible au régime d'intégration. Ces dispositions sont applicables au litige dont est saisi le tribunal administratif de Montreuil. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce que, dans la mesure où elles excluent du bénéfice de la neutralisation de la quote-part de frais et charges les distributions opérées par une société établie dans un Etat non membre de l'Union européenne qui, si elle avait été résidente, aurait été éligible au régime d'intégration fiscale, ces dispositions portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi et les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, soulève une question présentant un caractère sérieux. Il y a lieu, dès lors, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du deuxième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009, est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Société Life Sciences Holdings France, au Premier ministre et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au tribunal administratif de Montreuil.