Vu la procédure suivante :
M. A...B..., à l'appui de sa demande tendant à ce que soit prononcée la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2013, a produit un mémoire, enregistré le 26 novembre 2016 au greffe du tribunal administratif de Paris, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 1620502 du 9 février 2017, enregistrée le 10 février 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris, avant qu'il soit statué sur la demande de M.B..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts.
Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise et dans un mémoire, enregistré le 28 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...soutient que les dispositions du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts, qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, en tant qu'elles excluent l'application de l'abattement de droit commun qu'elles prévoient, lorsqu'est imposée au barème de l'impôt sur le revenu postérieurement au 1er janvier 2013, en application du IV de l'article 150-0 D ter du même code dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, une plus-value résultant d'une cession de valeurs mobilières réalisée avant cette date, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques tels qu'ils découlent des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que la garantie des droits telle qu'elle est protégée par l'article 16 de cette déclaration.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 mars 2017, le ministre de l'économie et des finances conclut à ce qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A...B.... Il soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies dès lors que les dispositions des trois premiers alinéas du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts, sur lesquelles porte cette question, ont déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et qu'aucun changement de circonstances n'en justifie un nouvel examen.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Simon Chassard, auditeur,
- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de M. B...;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 2 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le ministre de l'économie et des finances.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. L'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 a modifié l'imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux, en particulier en soumettant ces plus-values au barème de l'impôt sur le revenu tout en prévoyant un dispositif d'abattement sur le montant des gains nets de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux, selon la durée de détention de ces valeurs. L'article 150-0 D du code général des impôts, dans sa rédaction issue de cet article et applicable au litige, disposait ainsi, à son 1, que : " Les gains nets de cession à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés, de droits portant sur ces actions ou parts, ou de titres représentatifs de ces mêmes actions, parts ou droits, mentionnés au I de l'article 150-0 A, ainsi que les distributions mentionnées aux 7, 7 bis et aux deux derniers alinéas du 8 du II du même article, à l'article 150-0 F et au 1 du II de l'article 163 quinquies C sont réduits d'un abattement déterminé dans les conditions prévues, selon le cas, au 1 ter ou au 1 quater du présent article. (...). ". Cet article définit, à son 1 ter, l'abattement pour durée de détention de droit commun en prévoyant que " 1 ter. L'abattement mentionné au 1 est égal à : / a) 50 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins deux ans et moins de huit ans à la date de la cession ou de la distribution ; / b) 65 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession ou de la distribution. ". Par ailleurs, le III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 prévoit que ces dispositions s'appliquent aux gains réalisés à compter du 1er janvier 2013.
3. M. B...soutient que les dispositions précitées du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts, en tant qu'elles excluent l'application de l'abattement de droit commun qu'elles prévoient, lorsqu'est imposée au barème de l'impôt sur le revenu postérieurement au 1er janvier 2013, en application du IV de l'article 150-0 D ter du même code dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, une plus-value résultant d'une cession de valeurs mobilières réalisée avant cette date, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques tels qu'ils découlent des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que la garantie des droits telle qu'elle est protégée par l'article 16 de cette déclaration. Il doit être regardé, eu égard à la teneur du mémoire par lequel il a soulevé la présente question prioritaire de constitutionnalité devant le tribunal administratif de Paris, comme soulevant la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions combinées des trois premiers alinéas du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts et du IV de l'article 150-0 D ter du même code dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.
4. En premier lieu, les dispositions des trois premiers alinéas du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts et du IV de l'article 150-0 D ter du même code sont applicables au litige dont est saisi le tribunal administratif de Paris.
5. En deuxième lieu, dans sa décision n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016, le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité tirée notamment de ce que les dispositions des trois premiers alinéas du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts, en ne permettant pas l'application des abattements pour durée de détention qu'elles prévoient aux plus-values placées en report d'imposition avant leur entrée en vigueur, méconnaissaient l'égalité devant la loi et devant les charges publiques, a notamment jugé que les trois premiers alinéas du 1 ter de l'article 150-0 D sont conformes à la Constitution, sous la réserve énoncée au considérant 11 de sa décision qui relève " qu'un taux marginal maximal d'imposition de 62,001 % s'applique à la plus-value réalisée avant le 1er janvier 2013 qui a été placée en report d'imposition et dont le report expire postérieurement à cette date ; que les valeurs mobilières qui ont donné lieu à la réalisation de cette plus-value, fait générateur de l'imposition, ont pu être détenues sur une longue durée avant cette réalisation ; que, faute de tout mécanisme prenant en compte cette durée pour atténuer le montant assujetti à l'impôt sur le revenu, l'application du taux marginal maximal à cette plus-value méconnaîtrait les capacités contributives des contribuables ; que, par suite, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître l'égalité devant les charges publiques, priver les plus-values placées en report d'imposition avant le 1er janvier 2013 qui ne font l'objet d'aucun abattement sur leur montant brut et dont le montant de l'imposition est arrêté selon des règles de taux telles que celles en vigueur à compter du 1er janvier 2013, de l'application à l'assiette ainsi déterminée d'un coefficient d'érosion monétaire pour la période comprise entre l'acquisition des titres et le fait générateur de l'imposition ; que, sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté. ". Cette réserve d'interprétation, par laquelle le Conseil constitutionnel a prescrit l'application d'un coefficient d'érosion monétaire aux plus-values placées en report d'imposition n'ayant fait l'objet d'aucun abattement pour durée de détention, ne trouve à s'appliquer, en vertu de ses termes mêmes, qu'au cas de ces plus-values.
6. Le litige dont est saisi le tribunal administratif de Paris porte sur l'application d'abattements pour durée de détention à une plus-value ayant initialement bénéficié de l'abattement prévu par le I de l'article 150-0 D ter du même code avant que l'administration ne fasse application du IV de cet article qui, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, conduisait à remettre en cause le bénéfice de cet abattement, sans toutefois ouvrir droit à l'abattement prévu au 1 ter de l'article 150-0 D, dans le cas où la condition énoncée au c du 2° du 3 du I de l'article 150-0 D ter n'était pas remplie à l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la cession. Il résulte de ce qui est dit au point 5 ci-dessus que les dispositions combinées des trois premiers alinéas du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts et du IV de l'article 150-0 D ter du même code dont il a ainsi été fait application, qui ne sont pas couvertes par la réserve d'interprétation prononcée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016, ne peuvent être regardées comme ayant déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision.
7. En dernier lieu, il résulte des termes mêmes de la décision n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016, et en particulier de ce que le Conseil constitutionnel a jugé au considérant 11 cité au point 5 ci-dessus, que le moyen tiré de ce que les dispositions litigieuses méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen soulève une question présentant un caractère sérieux.
8. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions combinées des trois premiers alinéas du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts et du IV de l'article 150-0 D ter du même code est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au ministre de l'économie et des finances.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au tribunal administratif de Paris.