Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... et Mme F... D... épouse C... ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 29 juillet 2019 par laquelle le maire de Falicon a préempté la parcelle cadastrée section AK n° 96, la décision implicite rejetant leur recours gracieux, la délibération n° 2019-34 du 11 juillet 2019 par laquelle le conseil municipal de Falicon a demandé au président de la métropole Nice Côte d'Azur de lui déléguer l'exercice du droit de préemption urbain pour cette parcelle, la délibération du 24 juillet 2019 par laquelle le président de la métropole a délégué l'exercice du droit de préemption urbain à la commune pour cette parcelle, et le compte-rendu de la séance du 23 septembre 2019 du conseil municipal de Falicon.
Par un jugement n° 1905897 du 15 avril 2022, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du 29 juillet 2019 du maire de Falicon et la décision implicite rejetant le recours gracieux de M. et Mme C... dirigé à son encontre, et rejeté le surplus de leurs conclusions.
Procédure devant la cour :
I.- Par une requête, enregistrée le 9 juin 2022 sous le numéro 22MA01627, et un mémoire, enregistré le 27 septembre 2022, la commune de Falicon, représentée par Me Orengo, demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement du 15 avril 2022 du tribunal administratif de Nice ;
2°) de rejeter les conclusions de M. et Mme C... dirigées contre la décision du 29 juillet 2019 et la décision implicite rejetant leur recours gracieux ;
3°) de mettre à leur charge la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de M. et Mme C... était tardive ;
- le tribunal administratif n'a pas informé les parties d'un moyen qu'il a relevé d'office, en méconnaissance de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ;
- le maire était compétent pour exercer le droit de préemption urbain au nom de la commune ;
- la métropole Nice Côte d'Azur a régulièrement délégué la compétence pour exercer le droit de préemption urbain à la commune de Falicon ;
- le fait que le service des domaines ait rendu un avis au-delà du délai réglementaire d'un mois et postérieurement à la décision de préemption n'entache pas d'irrégularité cette décision ;
- les autres moyens soulevés par M. et Mme C... sont infondés.
La requête a été communiquée à la métropole Nice Côte d'Azur, qui n'a pas produit d'observations.
La clôture de l'instruction a été fixée le 28 novembre 2022 par une ordonnance du même jour.
Un mémoire en défense a été enregistré pour M. et Mme C... le 28 novembre 2022, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la cour était susceptible, en cas d'annulation, de prononcer une injonction sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, le cas échéant assortie d'une astreinte.
Des mémoires ont été enregistrés en réponse à cette mesure d'information le 18 janvier 2023 pour la commune de Falicon et le 19 janvier 2023 pour M. et Mme C....
II.- Par une requête, enregistrée le 25 octobre 2022 sous le numéro 22MA02660, la commune de Falicon, représentée par Me Orengo, demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement du 15 avril 2022 du tribunal administratif de Nice.
Elle reprend les moyens de la requête enregistrée sous le numéro 22MA01627 et soutient en outre que ces moyens sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 novembre 2022, M. et Mme C..., représentés par Me Lambert, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par la commune de Falicon ;
2°) d'enjoindre à la commune de leur rétrocéder le bien concerné ;
3°) de mettre la somme de 3 000 euros à la charge de la commune en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils sont devenus propriétaires du bien en question en application de l'article 1583 du code civil ;
- le transfert de compétence à la métropole a rendu caduque la délibération du conseil municipal autorisant le maire à exercer le droit de préemption ;
- les moyens soulevés par la commune sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. E...,
- et les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B..., d'une part, et M. et Mme C..., d'autre part, ont conclu un compromis de vente portant sur les parcelles cadastrées section AK n° 96 à Falicon. Par une décision du 29 juillet 2019, le maire de Falicon a préempté ce bien immobilier. Il a en outre implicitement rejeté le recours gracieux de M. et Mme C... présenté le 14 août 2019.
2. Par un jugement du 15 avril 2022, le tribunal administratif de Nice, saisi par M. et Mme C... d'une demande tendant à l'annulation de différents actes administratifs, a annulé la décision du 29 juillet 2019 du maire de Falicon et la décision implicite rejetant leur recours gracieux, et rejeté le surplus des conclusions des demandeurs.
3. La commune de Falicon fait appel de ce jugement en tant qu'il annule ces deux décisions. Elle en demande en outre le sursis à exécution.
4. Ses requêtes sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer sur celles-ci par le présent arrêt.
Sur régularité du jugement attaqué :
5. L'article L. 5 du code de justice administrative rappelle que : " L'instruction des affaires est contradictoire. ". L'article R. 611-7 du même code précise que : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement ou, au Conseil d'Etat, la sous-section chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué (...) ".
6. Ces dispositions, qui sont destinées à provoquer un débat contradictoire sur les moyens que le juge doit relever de sa propre initiative, font obligation à la formation de jugement, lorsqu'elle entend soulever d'office un moyen qui n'a pas été invoqué par les parties ni relevé par son président avant l'audience, de rayer l'affaire du rôle de la séance et de communiquer le moyen aux parties.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme C... n'avaient pas soulevé en première instance de moyen tiré de l'incompétence du maire pour exercer le droit de préemption au nom de la commune. En annulant la décision contestée au motif que le maire n'avait pas reçu de délégation du conseil municipal, sans avoir informé les parties de son intention de relever d'office ce moyen, le tribunal administratif a entaché son jugement d'irrégularité.
8. Par suite, il convient d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il annule la décision du 29 juillet 2019 du maire de Falicon et la décision implicite rejetant le recours gracieux de M. et Mme C... et d'évoquer immédiatement le litige pour statuer sur les conclusions dirigées contre ces décisions en tant que juge de première instance.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
9. En premier lieu, la demande présentée par M. et Mme C... devant le tribunal administratif énonce les conclusions soumises au juge, conformément à l'article R. 411-1 du code de justice administrative, quand bien même deux passages de cette demande les présentent de façon différente. Contrairement à ce que soutient la commune de Falicon, les actes administratifs dont l'annulation est demandée ne constituent pas des " parties " à l'instance dont la demande devrait indiquer les nom et domicile en application du même article.
10. En deuxième lieu, les actes dont l'annulation était demandée en première instance présentent entre eux un lien suffisant pour qu'il en soit demandé l'annulation dans le cadre d'une même instance.
11. En troisième lieu, le délai de recours contre la décision de préemption a été interrompu par le recours gracieux de M. et Mme C... en application de l'article L. 411-2 du code des relations entre le public et l'administration. La commune n'a pas accusé réception de ce recours dans les conditions prévues aux articles L. 411-3, L. 112-3 et L. 112-6 du même code, de sorte que ce délai n'a pu recommencer à courir. Il suit de là que les conclusions dirigées contre la décision du 29 juillet 2019 du maire de Falicon et la décision implicite rejetant le recours gracieux de M. et Mme C... ne sont pas tardives.
Sur le fond :
12. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 (...) // Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) ". Selon le premier alinéa de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. ". Il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.
13. La commune de Falicon a préempté le bien en question pour " créer un pôle sport et culture qui permettrait aux enfants du groupe scolaire, du centre de loisirs, de la maison des jeunes ainsi qu'aux jeunes de la commune de pratiquer des activités sportives et ludiques, et de profiter également d'un espace consacré à la culture qui serait créé à l'étage de la maison. "
14. La commune fait valoir qu'elle a mis à disposition du centre de loisirs, en 2018, un terrain lui appartenant afin que les enfants puissent y pique-niquer et faire des activités telles que le tir à l'arc. Cependant, la commune disposait déjà des terrains pour réaliser ce projet, qu'elle a mené à bien et qui ne correspond pas à celui visé par la décision de préemption. La commune fait également valoir qu'elle a créé un emplacement réservé sur une parcelle voisine, de grande taille et non construite, afin d'y réaliser un équipement sportif. Toutefois, le projet visé par la décision de préemption ne porte pas sur la réalisation d'un équipement sportif, mais sur l'acquisition d'une maison individuelle pour l'accueil de jeunes publics. Enfin, la commune ne conteste pas les attestations circonstanciées, versées au dossier, selon lesquelles la maire a déclaré à plusieurs reprises que la commune n'avait aucun projet précis pour le bien préempté. Par suite, si la commune a déclaré l'intention de réaliser le projet visé au point 13, elle ne justifie pas de la réalité de ce dernier à la date de la décision de préemption.
15. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun des autres moyens invoqués n'est susceptible, en l'état du dossier, de fonder cette annulation.
16. Il résulte de ce qui précède que la décision du 29 juillet 2019 du maire de Falicon et la décision implicite rejetant le recours gracieux de M. et Mme C... doivent être annulées.
Sur l'injonction :
17. L'article L. 231-11-1 du code de l'urbanisme dispose que : " Lorsque, après que le transfert de propriété a été effectué, la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le titulaire du droit de préemption propose aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause universels ou à titre universel l'acquisition du bien en priorité. / (...) / A défaut d'acceptation dans le délai de trois mois à compter de la notification de la décision juridictionnelle devenue définitive, les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel sont réputés avoir renoncé à l'acquisition. / Dans le cas où les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel ont renoncé expressément ou tacitement à l'acquisition dans les conditions mentionnées aux trois premiers alinéas du présent article, le titulaire du droit de préemption propose également l'acquisition à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien, lorsque son nom était inscrit dans la déclaration mentionnée à l'article L. 213-2. "
18. En vertu de ces dispositions, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens par l'ancien propriétaire ou par l'acquéreur évincé et après avoir mis en cause l'autre partie à la vente initialement projetée, d'exercer les pouvoirs qu'il tient des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative afin d'ordonner, le cas échéant sous astreinte, les mesures qu'implique l'annulation, par le juge de l'excès de pouvoir, d'une décision de préemption, sous réserve de la compétence du juge judiciaire, en cas de désaccord sur le prix auquel l'acquisition du bien doit être proposée, pour fixer ce prix. A ce titre, il lui appartient, après avoir vérifié, au regard de l'ensemble des intérêts en présence, que le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général, de prescrire au titulaire du droit de préemption qui a acquis le bien illégalement préempté, s'il ne l'a pas entre-temps cédé à un tiers, de prendre toute mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée et, en particulier, de proposer à l'ancien propriétaire puis, le cas échéant, à l'acquéreur évincé d'acquérir le bien, à un prix visant à rétablir, sans enrichissement injustifié de l'une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle.
19. Contrairement à ce que soutient la commune de Falicon, le présent arrêt, rendu en dernier ressort, revêt un caractère définitif, quand bien même il reste susceptible d'un pourvoi en cassation.
20. Le bien immobilier en question n'a pas été employé au projet en vue duquel la commune a exercé le droit de préemption. Il n'a pas fait l'objet de travaux significatifs. La commune le met ponctuellement à la disposition d'associations et de services communaux dans l'attente qu'une destination lui soit trouvée. Il suit de là que le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général, et ce, quel que soit le projet des acquéreurs évincés pour ce bien.
21. L'annulation de la décision de préemption, implique nécessairement, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, que la commune de Falicon propose l'acquisition du bien préempté aux anciens propriétaires conformément à l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, ou à défaut, à l'acquéreur évincé mentionné dans la déclaration d'intention d'aliéner, à savoir M. et Mme C.... Il convient en conséquence d'enjoindre à la commune de procéder à l'une et l'autre de ces démarches dans un délai d'un mois.
Sur la demande de sursis à statuer :
22. Par le présent arrêt, la cour statue au fond sur la requête de la commune de Falicon dirigée contre le jugement du 15 avril 2022 du tribunal administratif de Nice. Par suite, les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont sans objet.
Sur les frais liés au litige :
23. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la commune de Falicon le versement de la somme de 2 000 euros à M. et Mme C... au titre des frais qu'ils ont exposés et non compris dans les dépens.
24. En revanche, les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la commune et par la métropole en première instance sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête enregistrée sous le numéro 22MA02260.
Article 2 : Les articles 1er et 2 du jugement du 15 avril 2022 du tribunal administratif de Nice sont annulés.
Article 3 : La décision du 29 juillet 2019 du maire de Falicon et la décision implicite rejetant le recours gracieux de M. et Mme C... sont annulés.
Article 4 : Il est enjoint à la commune de Falicon de proposer aux anciens propriétaires d'acquérir le bien préempté, dans les conditions prévues à l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. En cas de refus exprès ou tacite des anciens propriétaires, la commune de Falicon proposera aux acquéreurs évincés, M. et Mme C..., d'acquérir ce bien dans les mêmes conditions, dans un délai d'un mois à compter de ce refus.
Article 5 : La commune de Falicon versera la somme de 2 000 euros à M. et Mme C... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Falicon, à M. A... C... et à Mme F... D... épouse C....
Copie en sera adressée pour information à la métropole Nice Côte d'Azur.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2023, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- Mme Vincent, présidente-assesseure,
- M. Mérenne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 février 2023.
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Nos 22MA01627 - 22MA02660