Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 20 avril 2021 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et d'enjoindre à l'Etat de renouveler son titre de séjour ou, à défaut, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour le temps de procéder au réexamen de sa situation.
Par un jugement n° 2103515 du 2 novembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour administrative d'appel :
Par une requête et des pièces complémentaires, enregistrées les 13 et 18 janvier 2022, Mme A..., représentée par Me Aymard, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2103515 du tribunal administratif de Bordeaux du 2 novembre 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 20 avril 2021 de la préfète de la Gironde ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation, et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne le refus de délivrance d'un titre de séjour :
- la décision est insuffisamment motivée ce qui révèle un défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- il appartenait à la préfète, selon les termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile de solliciter pour avis la commission du titre de séjour ; en ne saisissant pas cette commission, elle l'a privée d'une garantie ; à la date de l'édiction de l'arrêté du 20 avril 2021, elle bénéficiait d'une présence en France de plus de 10 ans ;
- la décision est entachée d'une erreur de droit et a méconnu les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; elle est présente depuis plus de dix ans sur le territoire français ; elle est mère de deux enfants majeurs et autonomes ; elle a, notamment, travaillé en qualité d'agent de service du 23 décembre 2014 au 15 novembre 2018 au sein de la société Net Diffusion ; elle a effectué des missions d'intérim en 2019 ; l'emploi qu'elle souhaite occuper figure parmi la liste des métiers ouverts aux ressortissants sénégalais, sans opposition de la situation de l'emploi suivant l'accord du 23 septembre 2006, dans sa rédaction issue de l'avenant signé le 25 février 2008 ; le métier d'employé polyvalent de restauration ne nécessite aucune qualification particulière ; l'entreprise OTM a renouvelé sa promesse d'embauche le 28 avril 2021, manifestant ainsi son souhait de pouvoir travailler avec elle ; la préfète se prévaut d'un avis défavorable des services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) qui n'a jamais été produit ; son employeur potentiel atteste qu'il n'a jamais reçu un tel courrier ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :
- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision lui refusant le séjour ;
- elle porte une atteinte manifestement excessive au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 avril 2022, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 21 mars 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 10 mai 2022 à 12 heures.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 décembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme C... B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante sénégalaise née le 10 janvier 1972, déclare être entrée sur le territoire français le 7 décembre 2010 munie d'un visa de type C. Le 8 avril 2014, elle a sollicité son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 11 juin 2014, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Elle a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Bordeaux qui a rejeté ses demandes par un jugement n°1403325 du 21 octobre 2014 confirmé par un arrêt n°14BX03354 de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 16 avril 2015. Elle s'est néanmoins maintenue sur le territoire français en violation de la mesure d'éloignement. Mme A... a sollicité le 14 février 2019 son admission au séjour sur le fondement de l'article L.313 -14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 20 avril 2021, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. La requérante relève appel du jugement n° 2103515 du 2 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète de la Gironde du 20 avril 2021.
Sur la légalité de l'arrêté du 20 avril 2021 :
2. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur à la date de la décision attaquée, dont les dispositions sont reprises par l'article L. 435-1 de ce code : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. /Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du présent article. ". Il résulte de ces dispositions que le préfet est tenu de saisir la commission du cas des seuls étrangers qui justifient résider habituellement en France depuis plus de dix ans et non de celui de tous les étrangers qui se prévalent de ces dispositions.
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a sollicité de la préfecture de la Gironde, le 14 février 2019, son admission au séjour sur le fondement des articles L. 313-14 et L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La requérante soutient que sa présence en France est établie depuis la fin de l'année 2010, en dépit de l'appréciation portée par la préfète. L'intéressée a produit devant le tribunal administratif de nombreuses pièces, notamment ses avis d'impôt sur le revenu pour les années 2013, 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018, ainsi que des certificats de travail concernant l'année 2019 de même que les bulletins de salaires à son nom entre les mois de décembre 2014 et novembre 2018. Pour les années 2011 et 2012, la requérante a produit de nouvelles pièces devant la cour, notamment des documents médicaux ou à caractère médical, en date des 27 et 30 septembre, 5 et 6 octobre, 13 décembre 2011, 14 novembre 2012, des pièces relatives au titre de transport en date des 16 et 29 novembre 2011 et 13 mai 2012, ainsi que des relevés bancaires édités les 21 avril 2011 et entre le 21 mars et le 21 novembre 2012, mentionnant des versements et des retraits d'espèces réguliers. Pour les années 2020 et 2021, Mme A... a produit une promesse d'embauche en date du 10 février 2020, renouvelée le 28 avril 2021. Elle a également été reçue le 31 janvier 2020 par le référent fraude départemental pour avoir fait usage d'une carte d'identité italienne, lui ayant permis d'exercer une activité professionnelle pendant les cinq dernières années. L'ensemble de ces pièces, eu égard à leur nature, leur nombre et leur diversité, établissent la résidence habituelle en France de Mme A... depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté attaqué du 20 avril 2021. Par suite, la préfète était tenue de soumettre la demande de l'intéressée, présentée notamment sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à la commission du titre de séjour. Par suite, en l'absence d'une telle saisine, qui constitue une garantie pour l'intéressée, l'arrêté en litige a été pris au terme d'une procédure irrégulière, et est entaché d'illégalité ainsi que par voie de conséquence la décision portant obligation de quitter le territoire français.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
5. Eu égard au motif d'annulation retenu, et après avoir vérifié qu'aucun autre moyen opérant et fondé n'était susceptible d'être accueilli et d'avoir une influence sur la portée de l'injonction à prononcer, le présent arrêt implique seulement que la préfète de la Gironde procède à un nouvel examen de la demande de l'intéressée, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative. Il y a lieu d'enjoindre à la préfète de la Gironde de procéder à ce réexamen dans le délai de trois mois suivant la date de notification du présent arrêt et, dans l'attente, de la munir sans délai d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Sur les frais liés au litige :
6. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me Aymard.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2103515 du 2 novembre 2021 du tribunal administratif de Bordeaux et l'arrêté de la préfète de la Gironde du 20 avril 2021 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Gironde, dans un délai de trois mois à compter de la date de notification du présent arrêt, de réexaminer la demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée par Mme A..., et, dans l'attente, de la munir d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 3 : L'Etat versera à Me Aymard une somme de 1 200 euros en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Vincent Aymard.
Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 20 septembre 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
M. Nicolas Normand, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 octobre 2022.
La rapporteure,
Bénédicte B...La présidente,
Evelyne BalzamoLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX00131