LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 juillet 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 530 FS-B
Pourvoi n° K 22-10.884
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUILLET 2023
1°/ la société Mutuelle des architectes français, société d'assurance mutuelle à cotisations variables, dont le siège est 189 boulevard Malesherbes, 75856 Paris cedex 17, en sa qualité d'assureur de la société A2D,
2°/ la société A2D, atelier d'architecture du domaine, société à responsabilité limitée, dont le siège est 26 rue Lande Gohin, 35430 Saint-Jouan-des-Guérets,
ont formé le pourvoi n° K 22-10.884 contre l'arrêt rendu le 28 octobre 2021 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), société d'assurance mutuelle à cotisations variables, dont le siège est 8 rue Louis Armand, CS 71201, 75738 Paris cedex 15,
2°/ à M. Christian Da Silva,
3°/ à Mme Martine Leparoux, épouse Da Silva,
domiciliés tous deux 16 allée Jules Lemire, 35235 Thorigné-Fouillard,
4°/ à la société Gauthier Lamellés Collés, société par actions simplifiée, dont le siège est route de Vannes, 56460 Sérent,
5°/ à la société O. Hervieux, société par actions simplifiée, dont le siège est 16 rue des Chênes, 44460 Saint-Nicolas-de-Redon,
6°/ à la société Atlantic mobilier, société à responsabilité limitée, dont le siège est 11 T route de Sainte-Anne, 56400 Pluneret,
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Mutuelle des architectes français et de la société Atelier d'Architecture du Domaine, de la SCP Marc Lévis, avocat de M. et Mme Da Silva, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, Mmes Farrenq-Nési, Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, Rat, conseillers référendaires, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Atelier d'architecture du domaine (société A2D) et à la Mutuelle des architectes français (la MAF) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la SMABTP et la société Atlantic mobilier.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 28 octobre 2021), M. et Mme Da Silva ont confié à la société A2D, assurée auprès de la MAF, la maîtrise d'oeuvre complète de la construction d'une maison, la société Gauthier lamellés collés (société GLC) étant chargée du lot charpente et la société O. Hervieux (société Hervieux) du lot étanchéité.
3. La réception a été prononcée par lots le 25 juin 2008, le lot charpente ayant fait l'objet d'une réception tacite avec réserves.
4. Se plaignant notamment d'un défaut de conformité des hauteurs sous plafond, M. et Mme Da Silva ont, après expertise, assigné les locateurs d'ouvrage et leurs assureurs en sollicitant l'indemnisation de leur préjudice à hauteur du coût de la démolition et de la reconstruction de l'ouvrage.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en sa première branche
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
6. La société A2D et la MAF font grief à l'arrêt de les condamner, in solidum avec les sociétés GLC et Hervieux, à payer une certaine somme à M. et Mme Da Silva, de fixer les parts de responsabilité entre locateurs d'ouvrages et de statuer sur les appels en garantie en conséquence, alors :
« 2°/ que le juge doit apprécier la proportionnalité entre la demande indemnitaire du maître d'ouvrage, d'un montant équivalant au coût des travaux de démolition et de reconstruction de l'ouvrage, et l'absence ou le caractère limité des conséquences dommageables de la non-conformité affectant l'ouvrage ; que pour faire droit à la demande indemnitaires des époux Da Silva à hauteur du montant de la démolition et de la reconstruction de la maison, la cour d'appel s'est bornée à affirmer que la non-conformité contractuelle est sanctionnée par l'exécution en nature de l'obligation méconnue sur le fondement de l'article 1184 du code civil et qu'il résulte de l'expertise que la démolition-reconstruction est la seule solution pour remédier à la non-conformité contractuelle de la hauteur insuffisante du sous-plafond du rez-de-chaussée ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée par la Maf et la société A2D, si la demande indemnitaire des maîtres d'ouvrage était disproportionnée par rapport à la gravité des non-conformités constatées, qui consistaient seulement en une hauteur sous plafond de 2,48 m au lieu des 2,53 m acceptés par les maîtres d'ouvrage au rez-de-chaussée, et 2,20 à 2,22 m au lieu de 2,50 m à l'étage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 ;
3°/ que pour faire droit à la demande indemnitaires des époux Da Silva, à hauteur du montant de la démolition et de la reconstruction de la maison, la cour d'appel a énoncé que l'importance des travaux de rehaussement du premier étage d'un montant de 169.435 euros et le taux d'aléa important de cette situation, particulièrement exceptionnelle selon l'expert, ne permettaient pas de retenir que la démolition-reconstruction de l'immeuble était disproportionnée ; qu'en statuant par ces motifs inopérants, quand il lui appartenait d'opérer un contrôle de proportionnalité entre la réparation du préjudice subi et la gravité des non-conformités présentées par l'ouvrage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1147, 1149 et 1184 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
7. Aux termes du premier de ces textes, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
8. En application du deuxième, les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit (3e Civ., 8 juillet 2009, pourvoi n° 08-10.869, Bull. 2009, III, n° 170).
9. Il est jugé, au visa du troisième, que la demande de démolition et de reconstruction d'un ouvrage en raison des non-conformités qui l'affecte peut ne pas être accueillie si elle se heurte au principe de proportionnalité du coût de celle-ci au regard des conséquences dommageables des non-conformités constatées (3e Civ., 17 novembre 2021, pourvoi n° 20-17.218, publié).
10. En l'état de la jurisprudence, la demande de démolition et de reconstruction peut faire l'objet d'un contrôle de proportionnalité lorsqu'elle est formée au titre de l'exécution forcée ou en nature du contrat, tandis que si elle est présentée sous le couvert d'une demande de dommages-intérêts d'un montant égal à celui de la démolition et de la reconstruction, le juge saisi, qui apprécie souverainement les modalités de réparation et leur coût, n'est pas tenu à un tel contrôle.
11. La différence de traitement qui en résulte, tant au regard des droits et obligations des parties placées dans une situation semblable qu'en ce qui concerne l'office du juge, n'apparaît pas justifiée.
12. Il résulte des considérations qui précédent que le juge saisi d'une demande de démolition-reconstruction d'un ouvrage en raison des non-conformités qui l'affectent, que celle-ci soit présentée au titre d'une demande d'exécution forcée sur le fondement de l'article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ou, depuis la date d'entrée en vigueur de cette ordonnance, sur le fondement de l'article 1221 du même code, ou sous le couvert d'une demande en réparation à hauteur du coût de la démolition-reconstruction, doit rechercher, si cela lui est demandé, s'il n'existe pas une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier au regard des conséquences dommageables des non-conformités constatées.
13. En cas de disproportion manifeste, les dommages-intérêts alloués sont souverainement appréciés au regard des seules conséquences dommageables des non-conformités retenues, dans le respect du principe de la réparation sans perte ni profit énoncé au point 8.
14. Pour allouer aux maîtres de l'ouvrage, à titre de réparation, une somme correspondant au coût de la complète démolition-reconstruction de l'immeuble, l'arrêt retient que la non-conformité contractuelle est sanctionnée par l'exécution en nature de l'obligation méconnue sur le fondement de l'article 1184 du code civil, qu'il s'agit de la seule solution pour remédier à la non-conformité contractuelle résultant de la hauteur insuffisante du plafond du rez-de-chaussée et que le coût et l'importance des travaux portant sur le seul rehaussement du premier étage, associés à l'aléa d'une telle opération, ne permettent pas de retenir le caractère disproportionné d'une démolition-reconstruction.
15. En se déterminant ainsi, sans avoir recherché, comme il le lui était demandé, si la solution réparatoire consistant en la démolition-reconstruction du complet ouvrage n'était pas manifestement disproportionnée au regard des conséquences dommageables des non-conformités retenues, la cour d'appel, qui ne s'est déterminée qu'en fonction du coût comparé des solutions réparatoires entre elles, n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il constate le désistement d'appel de la SMABTP à l'égard de la société Atlantic mobilier et constate le désistement de M. et Mme Da Silva à l'égard de la société Atlantic mobilier, l'arrêt rendu le 28 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée.
Condamne M. et Mme Da Silva aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-trois.