Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société GEII Rivoli Holding a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2013 et 2014 et des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1905733/2-1 du 13 avril 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 11 juin 2021, 30 novembre 2021 et 7 février 2022, la société GEII Rivoli Holding, représentée par Me Mathieu Selva-Roudon et Me Sandra Fernandes, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 13 avril 2021 ;
2°) de prononcer la décharge et le remboursement des impositions supplémentaires et pénalités mises à sa charge pour les exercices 2013 et 2014 soit un total de 278 154 euros, assorti des intérêts moratoires prévus à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont renversé la charge de la preuve et ont insuffisamment motivé leur jugement ;
- la preuve du taux de marché est libre ;
- le recours au référentiel obligataire est possible ;
- elle a justifié de ce que le taux de 5,08 % correspondait au taux qui aurait été pratiqué par des établissements ou organismes financiers indépendants dans des conditions analogues.
Par des mémoires en défense enregistrés les 1er octobre 2021, 12 janvier 2022 et 25 février 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 25 février 2022, la clôture de l'instruction a été fixée
au 15 mars 2022.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Prévot, rapporteur public,
- les observations de Me Selva-Roudon, représentant la société GEII Rivoli Holding.
Une note en délibéré, enregistrée le 1er décembre 2022, a été présentée pour la société GEII Rivoli Holding.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée GEII Rivoli Holding, qui a pour activité l'acquisition et la gestion immobilière ainsi que la conclusion de prêts ou financements, intragroupe ou avec toute banque, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur les exercices clos le 31 décembre 2013 et le 31 décembre 2014 au terme de laquelle, par une proposition de rectification du 27 juillet 2016, l'administration a remis en cause la déductibilité d'une partie des intérêts versés à sa société mère, la société de droit luxembourgeois Generali Europe Income Holding SA, en contrepartie de l'apport en compte courant qu'elle lui avait accordé, dans le cadre de l'acquisition d'un immeuble. Par la présente requête, la société GEII Rivoli Holding SAS relève appel du jugement du 13 avril 2021 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités y afférentes qui lui ont été assignés en conséquence au titre des années 2013 et 2014.
Sur la régularité du jugement :
2. Les premiers juges ont répondu au moyen tiré de ce que le taux de 5,08 % des intérêts dus sur l'emprunt accordé par une société liée ne contrevenait pas aux dispositions du I de l'article 212 du code général des impôts et correspondait à un taux de marché de pleine concurrence à la période de conclusion du contrat en cause. Les erreurs de droit qu'ils auraient pu commettre à cet égard, et notamment dans l'attribution de la charge de la preuve, sont sans influence sur la régularité formelle du jugement.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
3. Le I de l'article 212 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année 2013, dispose que : " Les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d'une entreprise par une entreprise liée directement ou indirectement au sens du 12 de l'article 39 sont déductibles dans la limite de ceux calculés d'après le taux prévu au premier alinéa du 3° du 1 de l'article 39 ou, s'ils sont supérieurs, d'après le taux que cette entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues ". Aux termes de ces dispositions dans leur rédaction applicable à l'année 2014 : " Les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d'une entreprise par une entreprise liée, directement ou indirectement, au sens du 12 de l'article 39, sont déductibles : / a) Dans la limite de ceux calculés d'après le taux prévu au premier alinéa du 3° du 1 du même article 39 ou, s'ils sont supérieurs, d'après le taux que cette entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues (...) ".
4. Aux termes du 1 de l'article 39 du même code dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) 3° Les intérêts servis aux associés à raison des sommes qu'ils laissent ou mettent à la disposition de la société, en sus de leur part du capital, quelle que soit la forme de la société, dans la limite de ceux calculés à un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises, d'une durée initiale supérieure à deux ans ".
5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d'une entreprise par une entreprise qui en détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social ou y exerce en fait le pouvoir de décision, ou qui est placée sous le contrôle d'une même tierce entreprise que la première, sont déductibles dans la limite de ceux calculés à un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises d'une durée initiale supérieure à deux ans ou, s'il est plus élevé, au taux que l'entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues. Le taux que l'entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues s'entend, pour l'application de ces dispositions, du taux que de tels établissements ou organismes auraient été susceptibles, compte tenu de ses caractéristiques propres, notamment de son profil de risque, de lui consentir pour un prêt présentant les mêmes caractéristiques dans des conditions de pleine concurrence. Ce taux ne saurait, eu égard à la différence de nature entre un emprunt auprès d'un établissement ou organisme financier et un financement par émission obligataire, être celui que cette entreprise aurait elle-même été susceptible de servir à des souscripteurs si elle avait fait le choix, pour se financer, de procéder à l'émission d'obligations plutôt que de souscrire un emprunt. L'entreprise emprunteuse, à qui incombe la charge de justifier du taux qu'elle aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants pour un prêt consenti dans des conditions analogues, a la faculté d'apporter cette preuve par tout moyen. À ce titre, pour évaluer ce taux, elle peut le cas échéant tenir compte du rendement d'emprunts obligataires émanant d'entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables, lorsque ces emprunts constituent, dans l'hypothèse considérée, une alternative réaliste à un prêt intragroupe.
6. Il résulte de l'instruction que la société GEII Rivoli Holding SAS a fait l'acquisition, le 22 décembre 2011, d'un immeuble à usage de commerce, de bureau et d'habitation, sis 174 rue de Rivoli, pour un montant de 28 millions d'euros, au moyen d'un apport en compte courant et d'une augmentation de capital consentis par sa société mère, la société luxembourgeoise Generali Europe Income Holding SA, qui la détenait à 100 %. L'administration fiscale a remis en cause le caractère déductible d'une partie des intérêts servis par la société au taux de 5,08 % pour l'apport en compte courant de 18 000 000 euros, excédant le taux visé au 3° du I de l'article 39 du code général des impôts fixé à 2,79 %.
7. Pour justifier que le taux de 5,08 % correspondait à celui qu'elle aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues, la société requérante se prévaut, en premier lieu, d'un rapport établi par le cabinet Fidal, qui, en faisant usage du logiciel Riskcalc proposé par l'agence Moody's, fait apparaitre une notation de Baa1, et retient à titre de comparaison quinze transactions dans la base de données Bloomberg, dont il ressort que le taux susmentionné est compris dans l'intervalle interquartile de pleine concurrence. Il est constant que le secteur d'activité n'a pas été renseigné pour la détermination de la notation. Par ailleurs, dès lors que ce rapport repose sur le choix, dans la base de données Bloomberg, de quinze transactions relatives à des sociétés qui, outre qu'elles n'exercent pas leur activité dans le secteur immobilier, ont pour la plupart des chiffres d'affaires très différents, des notes de crédit différentes, et qui concernent des prêts ayant des maturités différentes, la société requérante n'établit pas le caractère comparable des sociétés retenues à titre de comparaison, ce alors même qu'un ajustement pour maturité a été appliqué, ajustement dont la pertinence n'a d'ailleurs pas été démontrée.
8. En deuxième lieu, si la société requérante se prévaut d'un tableau établi par elle-même sur la base d'articles de presse et retraçant les taux de prêts obtenus par des sociétés intervenant dans le secteur immobilier, aucun élément du dossier ne permet de constater que ces sociétés présentaient un niveau de risque comparable.
9. En troisième lieu, la société requérante produit un rapport établi par la société Sorgem Evaluation, qui lui attribue, compte tenu de sa structure financière, déterminée sur la base des ratios LTV (Loan To Value) et ICR (Interest Coverage Ratio), de son caractère monoactif, et en comparaison avec les notes obtenues par sept sociétés exerçant dans le même secteur dont les ratios étaient connus, une note qui ne saurait être supérieure à BBB et qui constate, sur la base des taux recensés dans la base de données financières Standard and Poor's Capital IQ, que les entreprises notées BBB ne peuvent obtenir un taux inférieur à 5,21. Il résulte toutefois de l'instruction que la note attribuée à la société, contrairement aux notes attribuées aux sept sociétés mentionnées ci-dessus, est fonction d'un taux d'endettement qui est le seul produit de l'emprunt dont il convient d'apprécier le taux. En outre, et en tout état de cause, si le taux d'intérêt est établi par référence à une base de données Standards et Poor's, il n'est fourni à la Cour aucun comparable particulier dont elle serait en mesure d'apprécier la pertinence.
10. Si la société requérante se prévaut, en quatrième lieu, d'une autre méthode dite " Merton " qui prend en compte la valeur de l'actif économique à la date d'évaluation, le taux sans risque, la volatilité attendue, la maturité et le prix d'exercice, et qui aboutirait à un taux de 7,54, une telle méthode, par son caractère théorique et non comparatif, ne permet pas à la Cour d'apprécier la normalité du taux consenti en l'espèce par rapport à celui qui aurait été obtenu sur le marché obligataire par des entreprises dans des conditions économiques comparables.
11. Enfin, et en tout état de cause, en comparant sa situation avec celle de sociétés immobilières beaucoup plus importantes, présentes sur le marché obligataire, la société requérante, qui dispose d'un seul actif pour le financement duquel l'emprunt en litige a été contracté, actif au demeurant peu susceptible de se déprécier eu égard à sa localisation et à son caractère d'immeuble de standing comprenant des locaux commerciaux, des bureaux et des logements, n'établit pas qu'un emprunt obligataire aurait constitué une alternative réaliste à un prêt intragroupe.
12. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que c'est à bon droit que l'administration n'a admis la déduction des intérêts versés à la société de droit luxembourgeois Generali Europe Income Holding SA qu'à hauteur du plafond résultant de l'application des dispositions du 3° du 1 de l'article 39 du code général des impôts.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société GEII Rivoli Holding n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société GEII Rivoli Holding est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société GEII Rivoli Holding et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.
Délibéré après l'audience du 23 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Topin, président assesseur,
- M. Magnard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 décembre 2022.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
I. BROTONS
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
7
2
N° 21PA03245