Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Air France a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision R/17/2029 du 2 août 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 25 000 euros sur le fondement de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou de la décharger du paiement de l'amende.
Par un jugement n°1921368/3-3 du 15 décembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 16 février 2021, la société Air France, représentée par Me Pradon, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 15 décembre 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande d'annulation de la décision du 2 août 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 25 000 euros en application des dispositions de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
2°) d'annuler cette décision ou de la décharger du paiement de l'amende infligée par cette décision ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle ne peut se voir opposer un défaut de réacheminement dès lors que le commandant de bord a pris une décision de refus de transport du passager non admissible afin d'assurer la sécurité du vol et de ses occupants, en application de l'article L. 6522-3 du code des transports et de l'OPS 1.085 de l'annexe III du règlement n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008 ;
- il ne saurait peser sur la compagnie une obligation de résultat au regard de l'article
L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors notamment que les dispositions de l'OPS 1.085 de l'annexe III du règlement n° 859/2008 priment sur celles de l'OPS 1.265 de la même annexe qui imposent au transporteur d'établir des procédures pour le transport des passagers non admissibles ;
- ni elle ni son commandant de bord n'ont à démontrer l'existence d'un événement ayant un caractère de force majeure pour s'exonérer d'une quelconque responsabilité ;
- le ministre de l'intérieur ne saurait lui opposer l'absence d'une escorte privée dès lors que cette dernière ne dispose pas des pouvoirs de police nécessaires permettant, seuls, d'obliger un passager refoulé ou non admis à monter à bord d'un avion et de respecter la sécurité à bord ;
- l'absence de caractère dissuasif, pour le passager en cause, de la sanction pénale de trois ans d'emprisonnement prévue à l'article L. 624-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour l'infraction de refus de quitter le territoire français, démontre l'inutilité d'une escorte privée ;
- la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France n'a conféré ni aux compagnies aériennes ni aux commandants de bord des pouvoirs de police leur permettant d'obliger des passagers refoulés ou non admis à monter à bord d'un avion et à respecter la sécurité à bord.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 juin 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés et s'en remet à ses écritures de première instance.
Un mémoire et des pièces présentés pour la société Air France ont été enregistrés les
19 et 21 septembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985,
- le règlement (CE) n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- le code des transports,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Briançon,
- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision R/17/2029 du 2 août 2019, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Air France, sur le fondement de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 25 000 euros pour avoir manqué à son obligation de réacheminer une passagère de nationalité hondurienne qu'elle avait débarquée sur le territoire français le 24 décembre 2017 en provenance de Panama, alors que cette passagère avait fait l'objet d'une décision de refus d'entrée sur le territoire français. La société Air France relève appel du jugement du 15 décembre 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur les obligations des entreprises de transport aérien :
2. D'une part, aux termes de l'article 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen : " 1. Sous réserve des engagements qui découlent de leur adhésion à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, telle qu'amendée par le Protocole de New-York du 31 janvier 1967, les Parties Contractantes s'engagent à introduire dans leur législation nationale les règles suivantes : a) si l'entrée sur le territoire d'une des Parties Contractantes est refusée à un étranger, le transporteur qui l'a amené à la frontière extérieure par voie aérienne, maritime ou terrestre est tenu de le reprendre en charge sans délai. A la requête des autorités de surveillance de la frontière, il doit ramener l'étranger dans l'Etat tiers à partir duquel il a été transporté, dans l'Etat tiers qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou dans tout autre Etat tiers où son admission est garantie ; b) le transporteur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour s'assurer que l'étranger transporté par voie aérienne ou maritime est en possession des documents de voyage requis pour l'entrée sur les territoires des Parties Contractantes. / 2. Les Parties Contractantes s'engagent, sous réserve des engagements qui découlent de leur adhésion à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, telle qu'amendée par le Protocole de New-York du
31 janvier 1967 et dans le respect de leur droit constitutionnel, à instaurer des sanctions à l'encontre des transporteurs qui acheminent par voie aérienne ou maritime d'un Etat tiers vers leur territoire, des étrangers qui ne sont pas en possession des documents de voyage requis ".
3. D'autre part, selon l'article 3 de la directive 2001/51 du 28 juin 2001 complétant les stipulations précitées, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour imposer aux transporteurs l'obligation de trouver immédiatement le moyen de réacheminer les ressortissants de pays tiers dont l'entrée dans l'espace Schengen est refusée. Adopté pour la transposition de cette directive, l'article L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose, dans sa version applicable au litige : " Lorsque l'entrée en France est refusée à un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, l'entreprise de transport aérien ou maritime qui l'a acheminé est tenue de ramener sans délai, à la requête des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière, cet étranger au point où il a commencé à utiliser le moyen de transport de cette entreprise, ou, en cas d'impossibilité, dans l'Etat qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou en tout autre lieu où il peut être admis ". En vertu de de l'article L. 625-7 du même code, dans sa version applicable au litige, la méconnaissance de cette obligation est punie d'une amende d'un montant maximal de 30 000 euros.
4. Enfin, aux termes de l'article L. 6522-3 du code des transports : " Le commandant de bord a autorité sur toutes les personnes embarquées. Il a la faculté de débarquer toute personne parmi l'équipage ou les passagers, ou toute partie du chargement, qui peut présenter un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de
l'aéronef ". Aux termes de l'annexe III au règlement n° 859/2008 de la Commission du
20 août 2008 modifiant le règlement n° 3922/91 du Conseil en ce qui concerne les règles techniques et procédures administratives communes applicables au transport commercial par avion : " OPS 1085. Responsabilité de l'équipage / Le commandant de bord (...) a le droit de refuser de transporter des passagers non admis, des personnes expulsées ou des personnes en état d'arrestation si leur transport présente un risque quelconque pour la sécurité de l'avion ou de ses occupants " (...) OPS 1265. Transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention. / L'exploitant doit établir des procédures pour le transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention afin d'assurer la sécurité de l'avion et de ses occupants. Le transport d'une de ces personnes doit être notifié au commandant de bord ".
5. Il résulte de ces dispositions que les entreprises de transport aérien sont tenues d'assurer sans délai, à la requête des services de police aux frontières, le réacheminement des étrangers dont l'entrée a été refusée. A cette fin, elles sont notamment tenues d'établir des procédures internes permettant d'assurer la sécurité des aéronefs et de leurs occupants lors du transport de passagers non admissibles ou refoulés. Cette obligation s'impose aux compagnies aériennes nonobstant la faculté donnée au commandant de bord par l'article L. 6522-3 du code des transports de débarquer toute personne présentant un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef. Les difficultés particulières rencontrées par les entreprises de transport dans la mise en œuvre des opérations de réacheminement ne sauraient avoir pour effet de délier ces entreprises de leurs obligations mais peuvent être prises en compte pour la détermination du montant de la sanction qui leur est infligée, et peuvent même justifier, notamment en cas d'impossibilité établie de réacheminer le passager en raison de son comportement et des exigences de la sécurité à bord, que ne leur soit infligée aucune sanction. Pour fixer le montant de la sanction prévue par l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'administration doit prendre en compte, notamment, le comportement du passager et les diligences accomplies par l'entreprise pour respecter ses obligations, au nombre desquelles figure la mise en place de procédures de réacheminement.
Sur la légalité de la décision attaquée :
En ce qui concerne le manquement retenu à l'encontre d'Air France :
6. Il résulte de l'instruction que les services de la police aux frontières de l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle ont requis, le 12 janvier 2018, la compagnie aérienne Air France pour assurer sans délai, par un vol prévu le 14 janvier 2018 ou par tout autre moyen, le réacheminement de Mme A...., de nationalité hondurienne, ayant fait l'objet d'un refus d'admission sur le territoire français le 24 décembre 2017. Par deux procès-verbaux en date du 14 janvier à 12 heures 45 et du 15 janvier 2018 à 10 heures 35, les mêmes services ont constaté le défaut de réacheminement de Mme A..., après que le commandant de bord eut pris la décision de la débarquer, compte tenu de la nécessité d'assurer la sécurité du vol et des occupants de l'avion. Dès lors, et sans que la société Air France puisse utilement faire valoir qu'elle ne disposait pas des pouvoirs de contrainte nécessaires pour satisfaire à son obligation de réacheminement de Mme A...., le ministre de l'intérieur a pu légalement lui infliger une amende sur le fondement de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne le montant de l'amende :
7. La société Air France fait valoir qu'elle ne dispose pas de personnels dotés d'un pouvoir de coercition, qui aurait été seul de nature à lui permettre de satisfaire à son obligation de réacheminement de Mme A... qui manifestait son refus d'embarquer, lequel a été relevé par le commandant de bord et non infirmé par les pièces de l'instruction, et qui avait déjà fait l'objet de quatre tentatives infructueuses de réacheminement. Si le ministre de l'intérieur, qui ne saurait sérieusement contester ce défaut de pouvoir de coercition, soutient que la compagnie n'a pas mis en œuvre les procédures prévues par les dispositions de l'OPS 1265 de l'annexe III du règlement n° 859/2008 du 20 août 2008 précité afin d'assurer la sécurité de l'avion et de ses occupants, notamment les moyens humains et matériel, il ne résulte pas de l'instruction que la présence d'escorteurs de la compagnie et l'installation d'une passerelle, auraient permis, eu égard à l'heure avancée d'embarquement et du refus de l'intéressée mentionné par le commandant de bord, d'assurer son réacheminement. Dans ces conditions, au regard des difficultés rencontrées par la société Air France dans le cas d'espèce, qui ne sont pas utilement contestées par le ministre de l'intérieur, il y a lieu de réduire le montant de l'amende infligée à la société Air France et de le fixer à la somme de 20 000 euros.
8. Il résulte de ce qui précède que la société Air France est seulement fondée à demander la décharge de l'amende infligée par la décision R/17/2029 du 2 août 2019 en tant qu'elle excède la somme de 20 000 euros.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L'amende mise à la charge de la société Air France par la décision R/17/2029 du 2 août 2019 du ministre de l'intérieur est ramenée à la somme de 20 000 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1921368/3-3 du Tribunal administratif de Paris du 15 décembre 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la société Air France une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air France et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, présidente de chambre,
- Mme Briançon, présidente assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2021.
La rapporteure,
C. BRIANÇON
La présidente,
M. HEERS La greffière,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA00787