Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Air France a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision R/19-0107 du 29 juillet 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou de la décharger du paiement de l'amende.
Par un jugement n° 1921244/3-3 du 15 décembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 16 février 2021, la société Air France, représentée par Me Pradon, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 15 décembre 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande d'annulation de la décision du 29 juillet 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 15 000 euros en application des dispositions de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
2°) d'annuler cette décision ou de la décharger du paiement de l'amende infligée par cette décision ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la passagère s'est vue refuser l'entrée sur le territoire au motif qu'elle n'était pas détentrice d'un document attestant le but et les conditions de son séjour, de sorte que la compagnie n'a commis aucune faute dans l'acheminent de cette passagère, ces éléments de refus d'entrée ne lui étant pas opposables ;
- elle ne peut se voir opposer un défaut de réacheminement dès lors que le commandant de bord a pris une décision de refus de transport du passager non admissible afin d'assurer la sécurité du vol et de ses occupants, en application de l'article L. 6522-3 du code des transports et de l'OPS 1.085 de l'annexe III du règlement n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008 ;
- il ne saurait peser sur la compagnie une obligation de résultat au regard de l'article L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors notamment que les dispositions de l'OPS 1.085 de l'annexe III du règlement n° 859/2008 priment sur celles de l'OPS 1.265 de la même annexe qui imposent au transporteur d'établir des procédures pour le transport des passagers non admissibles ;
- ni elle ni son commandant de bord n'ont à démontrer l'existence d'un événement ayant un caractère de force majeure pour s'exonérer d'une quelconque responsabilité ;
- le ministre de l'intérieur ne saurait lui opposer l'absence d'une escorte privée dès lors que cette dernière ne dispose pas des pouvoirs de police nécessaires permettant, seuls, d'obliger un passager refoulé ou non admis à monter à bord d'un avion et de respecter la sécurité à bord ;
- l'absence de caractère dissuasif, pour le passager en cause, de la sanction pénale de trois ans d'emprisonnement prévue à l'article L. 624-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour l'infraction de refus de quitter le territoire français, démontre l'inutilité d'une escorte privée ;
- la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France n'a conféré ni aux compagnies aériennes ni aux commandants de bord des pouvoirs de police leur permettant d'obliger des passagers refoulés ou non admis à monter à bord d'un avion et à respecter la sécurité à bord.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mai 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés et s'en remet à ses écritures de première instance.
Un mémoire et des pièces présentés pour la société Air France ont été enregistrés les
19 et 21 septembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985,
- le règlement (CE) n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- le code des transports,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Briançon,
- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision R/19-0107 du 29 juillet 2019, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Air France, sur le fondement de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 15 000 euros pour avoir manqué à son obligation de réacheminer une passagère de nationalité hondurienne qu'elle avait débarquée sur le territoire français le 1er février 2019 en provenance de Panama, alors que cette passagère avait fait l'objet d'une décision de refus d'entrée sur le territoire français. La société Air France relève appel du jugement du 15 décembre 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur les obligations des entreprises de transport aérien :
2. D'une part, aux termes de l'article 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen : " 1. Sous réserve des engagements qui découlent de leur adhésion à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, telle qu'amendée par le Protocole de New-York du 31 janvier 1967, les Parties Contractantes s'engagent à introduire dans leur législation nationale les règles suivantes : a) si l'entrée sur le territoire d'une des Parties Contractantes est refusée à un étranger, le transporteur qui l'a amené à la frontière extérieure par voie aérienne, maritime ou terrestre est tenu de le reprendre en charge sans délai. A la requête des autorités de surveillance de la frontière, il doit ramener l'étranger dans l'Etat tiers à partir duquel il a été transporté, dans l'Etat tiers qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou dans tout autre Etat tiers où son admission est garantie ; b) le transporteur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour s'assurer que l'étranger transporté par voie aérienne ou maritime est en possession des documents de voyage requis pour l'entrée sur les territoires des Parties Contractantes. / 2. Les Parties Contractantes s'engagent, sous réserve des engagements qui découlent de leur adhésion à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, telle qu'amendée par le Protocole de New-York du
31 janvier 1967 et dans le respect de leur droit constitutionnel, à instaurer des sanctions à l'encontre des transporteurs qui acheminent par voie aérienne ou maritime d'un Etat tiers vers leur territoire, des étrangers qui ne sont pas en possession des documents de voyage requis ".
3. D'autre part, selon l'article 3 de la directive 2001/51 du 28 juin 2001 complétant les stipulations précitées, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour imposer aux transporteurs l'obligation de trouver immédiatement le moyen de réacheminer les ressortissants de pays tiers dont l'entrée dans l'espace Schengen est refusée. Adopté pour la transposition de cette directive, l'article L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose, dans sa version applicable au litige : " Lorsque l'entrée en France est refusée à un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, l'entreprise de transport aérien ou maritime qui l'a acheminé est tenue de ramener sans délai, à la requête des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière, cet étranger au point où il a commencé à utiliser le moyen de transport de cette entreprise, ou, en cas d'impossibilité, dans l'Etat qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou en tout autre lieu où il peut être admis ". En vertu de de l'article L. 625-7 du même code, dans sa version applicable au litige, la méconnaissance de cette obligation est punie d'une amende d'un montant maximal de 30 000 euros.
4. Enfin, aux termes de l'article L. 6522-3 du code des transports : " Le commandant de bord a autorité sur toutes les personnes embarquées. Il a la faculté de débarquer toute personne parmi l'équipage ou les passagers, ou toute partie du chargement, qui peut présenter un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de
l'aéronef ". Aux termes de l'annexe III au règlement n° 859/2008 de la Commission du
20 août 2008 modifiant le règlement n° 3922/91 du Conseil en ce qui concerne les règles techniques et procédures administratives communes applicables au transport commercial par avion : " OPS 1085. Responsabilité de l'équipage / Le commandant de bord (...) a le droit de refuser de transporter des passagers non admis, des personnes expulsées ou des personnes en état d'arrestation si leur transport présente un risque quelconque pour la sécurité de l'avion ou de ses occupants " (...) OPS 1265. Transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention. / L'exploitant doit établir des procédures pour le transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention afin d'assurer la sécurité de l'avion et de ses occupants. Le transport d'une de ces personnes doit être notifié au commandant de bord ".
5. Il résulte de ces dispositions que les entreprises de transport aérien sont tenues d'assurer sans délai, à la requête des services de police aux frontières, le réacheminement des étrangers dont l'entrée a été refusée. A cette fin, elles sont notamment tenues d'établir des procédures internes permettant d'assurer la sécurité des aéronefs et de leurs occupants lors du transport de passagers non admissibles ou refoulés. Cette obligation s'impose aux compagnies aériennes nonobstant la faculté donnée au commandant de bord par l'article L. 6522-3 du code des transports de débarquer toute personne présentant un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef. Les difficultés particulières rencontrées par les entreprises de transport dans la mise en œuvre des opérations de réacheminement ne sauraient avoir pour effet de délier ces entreprises de leurs obligations mais peuvent être prises en compte pour la détermination du montant de la sanction qui leur est infligée, et peuvent même justifier, notamment en cas d'impossibilité établie de réacheminer le passager en raison de son comportement et des exigences de la sécurité à bord, que ne leur soit infligée aucune sanction. Pour fixer le montant de la sanction prévue par l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'administration doit prendre en compte, notamment, le comportement du passager et les diligences accomplies par l'entreprise pour respecter ses obligations, au nombre desquelles figure la mise en place de procédures de réacheminement.
Sur la légalité de la décision attaquée :
En ce qui concerne le manquement retenu à l'encontre d'Air France :
6. Il résulte de l'instruction que les services de la police aux frontières de l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle ont requis, le 7 février 2019, la compagnie aérienne Air France pour assurer sans délai, par un vol prévu le 8 février 2019 ou par tout autre moyen, le réacheminement de Mme A...., de nationalité hondurienne, ayant fait l'objet d'un refus d'admission sur le territoire français le 1er février 2019. Par deux procès-verbaux en date du 8 février 2019
à 12 heures 30 et à 16 heures, les mêmes services ont constaté le défaut de réacheminement de Mme A..., après que le commandant de bord eut pris la décision de la débarquer, compte tenu de la nécessité d'assurer la sécurité du vol et des occupants de l'avion. Dès lors, et sans que la société Air France puisse utilement faire valoir qu'elle ne disposait pas des pouvoirs de contrainte nécessaires pour satisfaire à son obligation de réacheminement de Mme A...., le ministre de l'intérieur a pu légalement lui infliger une amende sur le fondement de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et ce, indépendamment des motifs de refus d'entrée opposés à Mme A....
En ce qui concerne le montant de l'amende :
7. La société Air France fait valoir que le transport de la passagère non admise comportait un risque pour la sécurité à bord, cette dernière ayant déjà refusé à une reprise son réacheminement, que ni la convention de Tokyo ni aucun autre texte applicable ne lui donnait un pouvoir de contrainte sur lui alors que l'avion se trouvait encore au sol, portes ouvertes, et que la mise en place d'une escorte privée n'aurait sans doute pas suffi à lui faire accepter ce réacheminement au cours de cette deuxième tentative. Toutefois, si la décision de refus de transport signée par le commandant de bord n'est pas versée aux débats, il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal du 8 février 2019 à 12 heures 30 et de la décision R/ 19-0107 du 29 juillet 2019, que cette décision a été prise par le commandant de bord au vu du refus de la passagère de prendre l'avion et de la nécessité d'une escorte, sans qu'aucune indication ne soit apportée sur le comportement précis de cette passagère ou sur les éléments de nature à faire craindre qu'elle puisse présenter un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef. Par ailleurs, il résulte également du procès-verbal établi
le 8 février 2019 par les services de la police aux frontières, dont les mentions font foi jusqu'à preuve du contraire, et qui ne fait état d'aucun refus d'obtempérer ou mouvement de résistance de l'intéressée, que les forces de police conduisant la passagère sur place en vue de son embarquement ont constaté l'absence d'une escorte pour prendre en charge l'intéressée. Si la compagnie requérante fait valoir qu'une escorte n'aurait sans doute pas été suffisante, s'agissant d'une passagère ayant déjà refusé une fois son embarquement, alors au demeurant que la passagère avait embarqué, ce refus antérieur d'embarquer ne la dispensait pas, en tout état de cause, de mettre en œuvre les procédures nécessaires pour tenter de satisfaire à la réquisition qui lui avait été adressée. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de réduire le montant de l'amende infligée à la société Air France.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Air France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête ne peut qu'être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Air France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air France et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, présidente de chambre,
- Mme Briançon, présidente assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2021.
La rapporteure,
C. BRIANÇON
La présidente,
M. HEERS La greffière,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA00786