La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/05/2022 | FRANCE | N°21NT00308

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 31 mai 2022, 21NT00308


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société CGI France a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, à titre principal, d'annuler la décision du 28 mars 2017 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire a prononcé à son encontre 287 amendes d'un montant unitaire de 300 euros, représentant un montant total de 86 100 euros, d'autre part, à titre subsidiaire, de réduire le montant de l'amende administrative, enfin de mettre à la charg

e de l'Etat la somme de 5000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société CGI France a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, à titre principal, d'annuler la décision du 28 mars 2017 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire a prononcé à son encontre 287 amendes d'un montant unitaire de 300 euros, représentant un montant total de 86 100 euros, d'autre part, à titre subsidiaire, de réduire le montant de l'amende administrative, enfin de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1704829 du 27 novembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de la société CGI France.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 février et 23 août 2021, la société CGI France, représentée par Me Gris, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 novembre 2020 ;

2°) d'annuler la décision du 28 mars 2017 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire a prononcé à son encontre 287 amendes d'un montant unitaire de 300 euros, représentant un montant total de 86 100 euros ;

3°) de réduire le montant de l'amende administrative ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens et le versement d'une somme de 5000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué, qui a méconnu le principe du contradictoire, est irrégulier ; le mémoire complémentaire présenté par la Direccte des Pays de la Loire et enregistré le 7 août 2020, soit le jour de la clôture de l'instruction, ne lui a pas été communiqué ; après la clôture de l'instruction, le tribunal a, à deux reprises, adressé à la Dirrecte une demande de pièces complémentaires à laquelle l'administration a répondu sans que les pièces transmises ne lui soient communiquées ;

- la décision est insuffisamment motivée dès lors qu'elle renvoie au rapport et aux documents annexés, ne comporte pas la liste nominative des salariés concernés par les manquements relevés, n'identifie pas les salariés pour lesquels une irrégularité de décompte du temps de travail a été constatée ; elle méconnaît les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du CRPA ;

- elle est entachée d'une contradiction de motifs comme relevant à la fois l'absence de relevés des heures de travail obligatoires et l'enregistrement d'une partie des heures par auto-déclaration des salariés ;

- l'outil A... répond aux obligations de décompte quotidien du temps de travail prévues par l'article L. 3171-2 et le 1° de l'article D. 3171-8 du code du travail ; la présentation sur deux lignes séparées par le logiciel A... des heures de travail correspondant à la modalité conventionnelle, d'une part, et les heures supplémentaires, d'autre part, est parfaitement régulière ; la déclaration par anticipation des heures, avec possibilité de régularisation, ne méconnaît pas les dispositions du code du travail, relatives aux modalités de décompte des heures individualisées ; la jurisprudence exigeant la fiabilité du décompte, dès lors que les salariés ont la possibilité de rectifier a postériori les heures déclarées ; on ne peut établir de lien entre la régularité des heures de travail déclarées par les salariés sur la période contrôlée et l'illégalité du dispositif A... ;

- sa bonne foi est établie dès lors qu'elle a fait évoluer son outil de décompte du temps de travail en fonction des remarques de l'inspection du travail une première fois en juin 2016 avec la mise en place de l'outil A..., puis en 2017 en supprimant les déclarations anticipées des heures du vendredi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juillet 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens présentés par la société CGI France ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique,

- et les observations de Me Charrier, substituant Me Gris, représentant la société CGI France et de Mme B... représentant le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire.

Considérant ce qui suit

1. La SAS CGI France, spécialisée dans les technologies de l'information, a fait l'objet les 20 et 23 septembre 2016 de contrôles de l'inspection du travail pour son établissement de Carquefou (Loire-Atlantique), portant sur la conformité du logiciel intitulé " A... " mis en place depuis le 1er juin 2016 pour le décompte de la durée du travail des salariés employés en horaires individualisés, soit les 287 salariés de l'établissement. Un rapport a été établi le 30 novembre 2016 par les agents de contrôle de l'inspection du travail, relevant la non-conformité aux dispositions du code du travail des documents de décompte de la durée du travail par cet établissement. Après mise en œuvre de la procédure contradictoire prévue par les dispositions de l'article L. 8115-5 du code du travail, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire a, par une décision du 28 mars 2017, décidé de prononcer à l'encontre de la société 287 amendes d'un montant unitaire de 300 euros représentant un montant total de 86 100 euros en raison des manquements constatés.

2. La SAS CGI France a, le 31 mai 2017, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à l'annulation de cette décision du 28 mars 2017 ou, à titre subsidiaire, à la diminution du montant de l'amende administrative prononcée à son encontre. Elle a ensuite été destinataire le 27 juillet 2017 d'un titre de perception émis le 5 juillet en vue du recouvrement de l'amende administrative d'un montant de 86 100 euros. Elle relève appel du jugement du 27 novembre 2020 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 28 mars 2017.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Il ressort des éléments du dossier de première instance que, par une ordonnance du 25 juin 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 août 2020. Il résulte de l'instruction, d'une part, qu'un mémoire complémentaire du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire a été enregistré le 7 août 2020 et visé dans le jugement attaqué sans être communiqué. Ce mémoire qui répondait aux observations présentées le 25 juin 2020 par la société, laquelle avait alors indiqué que " le dispositif PSA-TIME ", en litige, " avait été amélioré depuis le 5 mars 2018 " ne comportait aucun élément nouveau, l'administration se bornant à rappeler, à juste titre d'ailleurs, que les ajustements intervenus en mars 2018 étaient postérieurs aux constats effectués par les services de l'inspection du travail dans l'établissement CGI de Carquefou, qu'ils ne pouvaient remettre en cause, constats qui fondaient la sanction contestée. D'autre part, cependant, le tribunal a, postérieurement à la clôture, demandé et obtenu de la DIRRECTE des Pays de la Loire le rapport de contrôle de l'inspecteur du travail lequel n'a pas été visé dans le jugement attaqué ni communiqué à la société CGI France. Or, les premiers juges se sont fondés expressément sur des éléments repris de ce rapport pour écarter l'argumentation avancée par la société CGI France dans ses écritures. Ainsi, au point 10 de leur jugement, ils relèvent que " ce rapport fait par ailleurs état d'une comparaison effectuée par l'inspectrice du travail entre les documents de décompte et les relevés des mouvements des entrées et sorties des locaux de travail, démontrant une grande variabilité dans les temps d'arrivée et de départ des salariés qui ne concorde pas avec les horaires déclarés par les salariés, très peu d'heures supplémentaires ayant au demeurant été déclarées ", considérations qui ne figurent pas dans les motifs de la décision contestée du 28 mars 2017 du DIRRECTE des Pays de la Loire. La société CGI France est ainsi fondée à soutenir que le jugement attaqué, qui a méconnu les principes du contradictoire et de " l'égalité des armes ", est entaché d'irrégularité, et doit, par suite, pour ce motif être annulé.

4. Il y a lieu, pour la cour, de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions présentées par la société CGI France devant le tribunal et devant la cour.

Sur la sanction prononcée le 28 mars 2017 à l'encontre de la société CGI France :

En ce qui concerne la régularité de la sanction prononcée :

5. En premier lieu, la société CGI France soutient que la décision contestée est insuffisamment motivée dès lors qu'elle renvoie au rapport et aux documents annexés, ne comporte pas la liste nominative des salariés concernés par les manquements relevés, n'identifie pas les salariés pour lesquels une irrégularité de décompte du temps de travail a été constatée.

6. Aux termes, d'une part, de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / 2° Infligent une sanction ". Selon les termes de l'article L. 211-5 de ce code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". D'autre part, l'article L. 8115-5 du code du travail dispose par ailleurs, concernant l'amende prévue à l'article L. 8115-1 de ce code pour manquement à l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application, que la décision de prononcer cette amende prise par l'autorité administrative doit être motivée.

7. En l'espèce, la décision contestée vise les dispositions applicables, ainsi que le rapport, établi le 30 novembre 2016 par l'inspectrice du travail de la 6ème unité de contrôle, faisant état du contrôle réalisé les 20 et 23 septembre 2016 dans l'établissement de Carquefou, lors duquel il a été constaté que 287 salariés de cet établissement sont employés selon la modalité d'aménagement du temps de travail " standard " définie dans l'accord de branche SYNTEC, soit selon des horaires individualisés avec plages fixes et variables, et que dans cette hypothèse, l'employeur doit établir les documents nécessaires au décompte des heures de travail réalisées quotidiennement et chaque semaine. Elle précise que les constats de l'agent de contrôle établissent " l'absence de décompte par enregistrement chaque jour, et par semaine, des heures de travail accomplies, " en ajoutant " qu'une partie des heures est enregistrées par auto-déclaration des salariés " et ce, " par anticipation ", et que ce manquement aux articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail concerne au total les 287 salariés susmentionnés, dont la liste était donnée en annexe 6 du rapport précité. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société requérante, elle a été mise à même, à la lecture de cette décision qui est suffisamment précise, de connaître les griefs qui lui étaient reprochés et de pouvoir ainsi discuter tant de la réalité de ces manquements que de la situation des salariés concernés par ces manquements et amendes. Les critiques que la société formule à cet égard à l'encontre du courrier du 5 octobre 2016 de l'inspecteur du travail lui notifiant ses observations quant aux constats opérés, son intention de demander une sanction administrative et l'invitant à présenter ses observations, demeurent sans incidence sur la pertinence du moyen soulevé contre la décision contestée. Enfin, l'autorité administrative qui a mis en cause la non-conformité aux dispositions réglementaires du système de décompte du temps de travail institué au sein de l'établissement de Carquefou, dont il est constant qu'il régit tous les salariés de l'entreprise classés en modalité " standard ", n'avait pas à préciser dans la décision contestée l'identité des 287 salariés dépendant du dispositif de décompte défaillant. La société CGI France n'est, par suite, pas fondée à soutenir que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire aurait insuffisamment motivé en droit et en fait la sanction litigieuse. Le moyen sera écarté.

8. En deuxième lieu, si la société requérante ajoute que ni le contenu du rapport de l'inspecteur du travail du 30 novembre 2016 ni ses annexes n'ont fait l'objet d'un débat contradictoire, il ressort cependant des pièces du dossier, et comme le rappelle la décision contestée du 28 mars 2017, que dans le cadre de la procédure contradictoire prévue par l'article L. 8115-5 du code du travail, un courrier d'information a, le 10 janvier 2017, été adressé à la société CGI France, auteur du manquement, l'informant qu'elle pouvait sur sa demande avoir communication du rapport en question, et l'invitant à faire valoir ses observations, ce qu'elle a fait le 2 février 2017 sans demander la communication d'un quelconque document. Il y a lieu de relever que la société a d'ailleurs postérieurement à la décision contestée, sollicité et obtenu communication de ce rapport. Le moyen sera écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé de la sanction prononcée :

9. En premier lieu, la société CGI France soutient que l'autorité administrative aurait entaché la décision contestée d'une contradiction de motifs.

10. Pour fonder l'amende litigieuse prononcée par la décision du 28 mars 2017, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire a, tout d'abord, indiqué que " tous les salariés de l'établissement contrôlé sont occupés selon des horaires individualisés comportant des plages fixes et des plages variables ", ajoutant " que lorsque les salariés ne sont pas occupés selon le même horaire collectif, doivent être établis par l'employeur les documents nécessaires au décompte de la durée du travail quotidiennement et chaque semaine par enregistrement des heures de travail réalisées ". Il a ensuite relevé que " les constats de l'agent de contrôle établissent l'absence de décompte par enregistrement, chaque jour, et, par semaine, des heures de travail accomplies, une partie des heures étant enregistrées par auto-déclaration des salariés et par anticipation " et que " par conséquent, il était établi l'absence de relevés d'heures de travail obligatoires en application des dispositions des articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail concernant les 287 salariés, employés, techniciens et cadres classés au plus au coefficient 120, occupés selon les modalités d'aménagement du temps de travail " standard " tel que définie dans l'accord de branche SYNTEC ". La décision litigieuse qui rappelle ainsi les exigences et obligations qui pèsent sur l'employeur quant aux modalités de décompte de la durée du travail pour les rapprocher des constats opérés par les services de l'inspection du travail quant aux pratiques d'auto-déclaration des heures de travail et par anticipation des salariés dans l'établissement contrôlé n'est entachée d'aucune contradiction de motifs.

11. En deuxième lieu, la société CGI France soutient que son instrument de décompte, dit " A... ", de la durée du travail des salariés employés en horaires individualisés répond aux exigences du code du travail et en particulier aux dispositions de l'article D. 3171-8 de ce code.

12. D'une part, aux termes de l'article L. 3171-2 du code du travail : " Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés ". Aux termes de l'article D. 3171-8 du même code : " Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe, au sens de l'article D. 3171-7, ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; (...) 2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié ". Il résulte de ces dispositions que le relevé quotidien du nombre d'heures de travail et leur récapitulation chaque semaine doivent avoir lieu une fois celles-ci accomplies.

13. D'autre part, aux termes de l'article D. 3171-9 de ce code : " Les dispositions de l'article D. 3171-8 ne sont pas applicables : 1° Aux salariés concernés par les conventions ou accords collectifs de travail prévoyant des conventions de forfait en heures lorsque ces conventions ou accords fixent les modalités de contrôle de la durée du travail ; 2° Aux salariés concernés par les conventions ou accords collectifs de branche étendus prévoyant une quantification préalablement déterminée du temps de travail reposant sur des critères objectifs et fixant les modalités de contrôle de la durée du travail. ".

14. Enfin, aux termes de l'article L. 8115-1 du code du travail : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : (...) / 3° A l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application ".

15. Si la société CGI France soutient tout d'abord que la présentation sur deux lignes séparées que permet le logiciel " A... " des heures de travail correspondant à la modalité conventionnelle, d'une part, et des heures supplémentaires, d'autre part, n'est pas irrégulière, un tel moyen ne peut être utilement invoqué, aucun manquement n'étant sur ce point retenu dans la décision contestée du 28 mars 2017.

16. La société CGI France soutient ensuite que la faculté de déclaration par anticipation d'une partie des heures des salariés n'est contraire à aucun texte et n'est pas de nature à remettre en cause la conformité aux dispositions du code du travail de l'outil " A... ", dès lors qu'elle est assortie d'une possibilité de rectification a posteriori des déclarations anticipées. Il résulte de l'instruction que les heures de travail ou feuilles de temps quotidiennes devaient être saisies par chaque salarié en heures et dixièmes d'heures en accédant à " A... ", outil déployé depuis le 1er juin 2016, par ordinateur professionnel avec un code d'accès. Il ne s'agissait donc pas d'une simple faculté. Les consignes prévoyaient ainsi que les " heures normales " déclarées ne devaient pas dépasser le nombre d'heures correspondant à la modalité à laquelle appartient le salarié. Les heures travaillées en plus devaient être déclarées dans la rubrique " heures supplémentaires " et devaient avoir été validées au préalable et ensuite renseignées avec la sous-catégorie adéquate pour être payées. Les consignes prévoyaient en outre, jusqu'au 6 mars 2017, que la déclaration d'heures était soumise pour validation le jeudi midi pour la semaine en cours, qui allait du dimanche au samedi, le décompte d'heures étant ainsi rempli par anticipation pour les jeudi, vendredi et samedi. Toutefois, les dispositions de l'article D. 3171-8 du code du travail, rappelées au point 11, auxquelles les stipulations conventionnelles applicables en l'espèce ne permettaient pas de déroger, imposent, lorsqu'est retenu par l'employeur le relevé du nombre d'heures de travail, que celui-ci prenne en compte quotidiennement le nombre d'heures de travail accomplies, afin d'assurer un enregistrement du temps de travail effectif réalisé, ce que ne permet par le dispositif litigieux en cause. Par ailleurs, les possibilités de rectification a posteriori de la déclaration initiale qui visent à indiquer le nombre d'heures de travail effectivement accomplies par le salarié chaque semaine, ne sauraient être regardées comme la " récapitulation " exigée par l'article D. 3171-8 du code du travail du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié. Ces possibilités demeurent ainsi sans incidence sur les constats opérés par l'inspecteur du travail, qui fondent la sanction contestée, selon lesquels entre la déclaration initiale et l'éventuelle intervention de cette rectification, les heures de travail déclarées ne correspondent pas, contrairement aux dispositions du code du travail, à celles effectivement accomplies. Dans ces conditions, la non-conformité constatée du dispositif du décompte du temps de travail des salariés caractérise l'absence d'un décompte des heures accomplies exigé par les dispositions citées plus haut des articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail. La circonstance, par ailleurs, que la société a fait évoluer depuis le 6 mars 2017 les modalités de saisie des fiches de temps par les salariés et leur soumission au N+1 pour décaler ces opérations au vendredi 17 heures au plus tard - hors situations spécifiques - demeure sans incidence sur les constats d'irrégularité effectués lors des contrôles les 20 et 23 septembre 2016 de l'inspection du travail et qui fondent la sanction litigieuse. Le moyen sera écarté.

17. La société CGI France soutient encore qu'on ne saurait établir de lien entre " la régularité " des heures de travail déclarées par les salariés sur la période contrôlée et l'illégalité du dispositif " A... ". L'administration qui n'a pas repris explicitement ce point pour fonder la décision contestée, pouvait sans commettre d'illégalité, sur la base de l'ensemble des informations recueillies lors des contrôles de l'établissement, estimer que le dispositif de déclaration litigieux ainsi mis en œuvre par la société requérante n'était pas conforme aux exigences de l'article D. 3171-8 du code du travail.

18. Il résulte de ce qui a été dit aux points 8 à 16 que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire a pu légalement, par la décision contestée du 28 mars 2017, décider de prononcer une amende à l'encontre de la société CGI France.

En ce qui concerne le montant de la sanction prononcée :

19. La société CGI France demande, à titre subsidiaire, la réduction de l'amende administrative en litige.

20. Aux termes de l'article L. 8115-3 du code du travail : " Le montant maximal de l'amende est de 2000 euros et peut être appliqué autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés par le manquement " et selon les dispositions de l'article L. 8115-4 du même code, dans leur rédaction applicable à la date du présent arrêt, laquelle a substitué des dispositions répressives plus douces à celles en vigueur à la date de l'amende en litige : " Pour déterminer si elle prononce un avertissement ou une amende et, le cas échéant, pour fixer le montant de cette dernière, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges ".

21. Il résulte de l'instruction, d'une part, que la direction de la société CGI France a, à sa demande, été reçue à deux reprises par les services de la direction générale du travail les 12 octobre 2016 et 24 janvier 2017, afin de discuter des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de son système de décompte des heures de travail au regard en particulier des dispositions de l'article D. 3171-8 du code du travail, d'autre part, qu'à compter du mois de mars 2017, afin de prendre en compte les constatations opérées par l'inspection du travail et avant l'intervention de la décision contestée, la société CGI France a modifié son dispositif de décompte du temps de travail en reportant au vendredi 17 heures au plus tard le moment où la feuille de temps de la semaine devait faire l'objet d'une déclaration. Depuis le mois de mars 2018, après la décision litigieuse, le dispositif a évolué une seconde fois, en prévoyant que les salariés devaient dorénavant saisir les horaires de prise et de fin de poste, le temps de pause déjeuner avec simplification des modalités de saisie, et en précisant que la feuille de temps doit être soumise avant la fin de poste, le vendredi ou le samedi, la semaine de travail se déroulant du dimanche au samedi. Compte tenu de la nature et de la gravité du manquement et eu égard au comportement de la société CGI France, qui a démontré sa volonté de se conformer aux prescriptions légales et réglementaires applicables même si elle n'indique aucune difficulté en matières de ressources et de charges, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire a prononcé une sanction disproportionnée en lui infligeant une amende de 300 euros par salarié concerné, soit un montant total de 86 100 euros Il y a lieu de réformer le montant de la sanction prononcée à l'encontre de la société CGI France et de la fixer à un montant de 150 euros par salarié concerné, soit un montant total de 43 050 euros.

22. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société CGI France est fondée à soutenir, d'une part, que le jugement attaqué doit être annulé et que, d'autre part, la décision du 28 mars 2017 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire doit être annulée en tant seulement qu'elle met à la charge de la société CGI France une somme supérieure à 43 050 euros.

Sur les frais liés au litige :

23. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société CGI France présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1704829 du 27 novembre 2020 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La sanction prononcée le 28 mars 2017 à l'encontre de la société CGI France par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire est ramenée à 43 050 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande présentée devant le tribunal administratif et de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié la société CGI France et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2022.

Le rapporteur

O. COIFFETLe président

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21NT00308 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT00308
Date de la décision : 31/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : LINKLATERS LLP

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-05-31;21nt00308 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award