Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme (SA) SAP France Holding a demandé au tribunal administratif de Montreuil de rétablir son déficit d'ensemble à hauteur de 171 373 euros au titre de l'année 2012, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2013, pour un montant de 314 395 euros en droits, et de la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés au titre des revenus distribués mise à sa charge au titre des exercices 2012 et 2013, pour des montants de 5 141 euros et 14 550 euros, et de prononcer la restitution d'un trop-versé d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles pour un montant de 27 461 913 euros au titre des exercices 2012 à 2015.
Par un jugement n° 1804944 du 30 janvier 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 mars 2020, la SA SAP France Holding, représentée par Me Recoules et Me Mercey, avocats, demande à la cour :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° de prononcer les décharges et restitutions demandées ;
3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le taux d'intérêt prévu par la convention de gestion centralisée de trésorerie dite de " cash pooling " qu'elle a conclue avec la société SAP SE ne présente pas de caractère anormal ; la gestion centralisée de trésorerie est autorisée par le 3° de l'article L. 511-7 du code monétaire et financier afin de réduire les frais bancaires au sein du groupe ; elle peut être assimilée aux services que se rendent les établissements bancaires entre eux ; le taux de référence EONIA est un taux de marché de pleine concurrence préconisé par l'OCDE pour les transactions intragroupe, dont l'évolution est indépendante de la société, et qui a été plafonné à 0% alors que la stricte application de la méthode de calcul aurait conduit à un taux négatif ; le caractère anormal de la rémunération du prêteur doit être apprécié au regard du risque de défaut de l'emprunteur, or le placement de sa trésorerie auprès de la société SAP AG, devenue SAP SE, est particulièrement sécurisé ;
- la convention de gestion de trésorerie comporte une contrepartie dès lors qu'en échange de la mise à disposition de son excédent de trésorerie, elle bénéficie de la faculté de se financer immédiatement et sans condition auprès de la centrale à un taux préférentiel basé sur l'indice EONIA ;
- le taux moyen appliqué aux dépôts à vue ne constitue pas un comparable pertinent ;
- c'est à tort que le tribunal lui a imputé la charge de la preuve de l'éligibilité au taux réduit d'impôt sur les sociétés des revenus de ses contrats de licence des produits Business Object et Cartesis, dès lors que sa demande d'application de l'article 39 terdecies du code général des impôts, présentée en cours de contrôle, ne constituait pas une réclamation, mais une demande de prise en compte d'un élément de calcul des rectifications ;
- c'est à tort que le tribunal a écarté sa demande au motif que les contrats de concession de licence n'étaient pas produits, alors que le dossier complet a été transmis à l'administration.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la décision n° 2017-660 QPC du 6 octobre 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dorion, présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Met, rapporteur public ;
- les observations de Me Corbin, pour la SA SAP France Holding.
Une note en délibéré a été présentée le 8 décembre 2021, pour la SA SAP Holding France.
Considérant ce qui suit :
1. La société anonyme (SA) SA SAP France, filiale à 98 % de la SA SAP France Holding, elle-même détenue à 100 % par la société de droit allemand SAP AG, devenue SAP SE, exerce une activité de développement et de commercialisation de progiciels intégrés destinés aux professionnels. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur ses résultats des exercices clos en 2012 et 2013, à l'issue de laquelle elle a reçu deux propositions de rectification qui lui ont été notifiées le 10 décembre 2015 et le 30 novembre 2016, portant notamment sur le taux d'intérêt de 0 % pratiqué sur la mise à disposition de sa trésorerie à la société SAP AG, devenue SAP SE, en vertu d'une convention de gestion de trésorerie conclue le 17 décembre 2009. Le service ayant réintégré dans ses résultats une rémunération calculée par référence au taux de rémunération des dépôts à vue, la SA SAP France a présenté des observations les 9 février 2016 et 25 janvier 2017 par lesquelles elle a contesté cette rectification et demandé le bénéfice du taux réduit d'impôt sur les sociétés sur les revenus attachés à la propriété industrielle, en application de l'article 39 terdecies du code général des impôts, en ce qui concerne les redevances des contrats de concession de licence relatifs aux produits Business Object et aux solutions Cartesis. La SA SAP France Holding, tête du groupe intégré auquel appartient la SA SAP France, relève appel du jugement du 30 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses demandes de reconstitution de son déficit reportable d'ensemble à hauteur de 171 373 euros au titre de l'année 2012, de décharge de suppléments d'impôt sur les sociétés pour un montant de 314 395 euros en droits au titre de l'exercice 2013 et de la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés sur les montants distribués au titre des exercices 2012 et 2013, pour des montants respectifs de 5 141 euros et 14 550 euros et, en application du taux réduit d'imposition, de restitution d'un trop versé d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles pour un montant de 27 461 913 € au titre des exercices 2012 à 2015.
Sur la contribution additionnelle sur les revenus distribués :
2. Par l'article 1er de sa décision n° 2017-660 QPC du 6 octobre 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions du premier alinéa du I de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, dans leur rédaction issue de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, selon lesquelles : " Les sociétés ou organismes français ou étrangers passibles de l'impôt sur les sociétés en France, (...) sont assujettis à une contribution additionnelle à cet impôt au titre des montants qu'ils distribuent au sens des articles 109 à 117 du présent code ". Il résulte de l'article 2 du dispositif de cette décision, par renvoi au paragraphe 11 de ses motifs, que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de sa publication et est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date. Eu égard à l'autorité qui s'attache à la décision du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2017, la déclaration d'inconstitutionnalité du premier alinéa du I de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, doit être regardée comme s'appliquant également aux dispositions identiques, dans leur substance et dans leur rédaction, qui figuraient dans les versions successives antérieures de cet alinéa, depuis sa création par la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012. Il en résulte que les impositions en litige, établies sur le fondement du 1° du I de l'article 235 ter ZCA, se trouvent désormais privées de base légale et qu'il y a lieu de décharger d'office la SA SAP France Holding des contributions additionnelles à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie à raison des sommes réputées distribuées à sa société mère.
Sur l'acte anormal de gestion :
3. Aux termes de l'article 57 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités (...) ". Ces dispositions instituent, dès lors que l'administration fiscale établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans les prévisions de l'article 57 du code général des impôts, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties. Le caractère normal ou anormal de la rémunération des avances de fonds consenties par une entreprise à une autre doit être apprécié, en ce qui concerne le prêteur, par rapport à la rémunération que le prêteur pourrait obtenir d'un établissement financier ou d'un organisme assimilé auprès duquel il placerait, dans des conditions analogues, des sommes d'un montant équivalent.
4. Pour réintégrer dans les résultats imposables de la SA SAP France les intérêts au taux mensuel des dépôts à vue sur les sommes qu'elle a mises à la disposition de la société SAP AG en vertu d'une convention de gestion de trésorerie conclue le 17 décembre 2009 entre les parties, le service a relevé que la société SAP AG, devenue SAP SE, société de droit allemand détenait à 100 % la SA SAP France Holding, société mère de la SA SAP France, et que le taux EONIA des relations interbancaires minoré de 0,15 % stipulé dans la convention avait conduit à une absence totale de rémunération des sommes mises à la disposition de la centrale de trésorerie par la SA SAP France à compter du mois d'août 2012, pour des montants très importants oscillant entre 132 et 432 millions d'euros. Dans ces conditions, l'administration établit l'existence d'un avantage consistant en l'octroi d'avances sans intérêts, consenti par la SA SAP France à la société SAP AG, située hors de France, qui la contrôle par l'intermédiaire de la SA SAP France Holding. Si celle-ci fait valoir que le taux stipulé est un taux de marché dont l'évolution est indépendante de la volonté des parties, et qu'il a été plafonné à 0 % alors qu'une application stricte de la convention aurait conduit à un taux négatif, ces circonstances sont inopérantes, dès lors que ce taux est sans rapport avec la rémunération à laquelle la SA SAP France aurait pu prétendre si elle avait placé ses excédents de trésorerie auprès d'un établissement financier. Par ailleurs, en soutenant que le placement de ses fonds auprès de la société SAP AG est particulièrement sécurisé et qu'il lui permet de se financer immédiatement et sans condition auprès de la centrale de trésorerie, au taux EONIA + 30 %, la société requérante ne justifie pas d'un intérêt propre pouvant être regardé comme une contrepartie, dès lors qu'il est constant que sa situation vis-à-vis de la centrale de trésorerie était constamment créditrice pour des montants très importants dépassant largement ses besoins en fonds de roulement. Enfin, le taux mensuel des dépôts à vue compris entre 0,15 et 0,18 % appliqué par le service correspond au taux d'intérêt que la SA SAP France aurait pu obtenir d'un établissement financier et la requérante ne propose pas de comparable plus pertinent. Il suit de là que l'administration établit l'existence au cours des années 2012 et 2013 d'un transfert de bénéfice, au sens des dispositions de l'article 57 du code général des impôts, de la SA SAP France à la société SAP AG située hors de France, pour les montants de 171 373 euros en 2012 et 484 986 euros en 2013 que l'administration a réintégrés dans les résultats de la SA SAP France.
Sur la demande d'application du taux réduit d'imposition :
5. Aux termes de l'article 39 terdecies du code général des impôts : " 1. Le régime des plus-values à long terme est applicable aux plus-values de cession de brevets, d'inventions brevetables ou de perfectionnements qui y ont été apportés, ainsi qu'au résultat net de la concession de licences d'exploitation des mêmes éléments (...) ". Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, de déterminer si une opération entre dans le champ d'application d'un régime d'imposition.
6. Il résulte de l'instruction qu'au soutien de sa demande tendant à ce que le taux réduit d'imposition soit appliqué, en application des dispositions de l'article 39 terdecies du code général des impôts, à divers produits de redevances de concessions de licence, la société requérante produit deux " dossiers justificatifs " relatifs aux activités SAP Business Object Platform (SBOP) et Cartesis, établis par le cabinet d'avocats Arsène Taxand. Toutefois, il ne ressort pas de ces documents que les contrats conclus par la SA SAP France avec ses clients, qui ne sont pas produits aux débats, portaient sur l'exploitation de brevets ou d'inventions brevetables, de sorte que sa demande ne peut qu'être rejetée.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir, que la SA SAP France Holding est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de décharge de la contribution additionnelle sur les revenus distribués. Il s'ensuit que, pour le surplus, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La SA SAP France Holding est déchargée des contributions additionnelles à l'impôt sur les sociétés au titre des revenus distribués auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013.
Article 2 : Le jugement n° 1804944 du 30 janvier 2020 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SA SAP France Holding est rejeté.
N° 20VE01009 5