Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Air France a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision R/18-0161 du 2 août 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 20 000 euros sur le fondement de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou de la décharger du paiement de l'amende.
Par un jugement n°1921271/3 du 9 juillet 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 septembre 2020 et 17 mai 2021, la société Air France, représentée par Me Pradon, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 9 juillet 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande d'annulation de la décision du 2 août 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur a infligé à la société Air France une amende de 20 000 euros en application des dispositions de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
2°) d'annuler cette décision ou de la décharger du paiement de l'amende infligée par cette décision ;
3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil d'Etat sur l'arrêt 19PA01412 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle ne peut se voir opposer un défaut de réacheminement dès lors que le commandant de bord a pris une décision de refus de transport du passager non admissible afin d'assurer la sécurité du vol et de ses occupants, en application de l'article L. 6522-3 du code des transports et de l'OPS 1.085 de l'annexe III du règlement n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008 ;
- il ne saurait peser sur la compagnie une obligation de résultat au regard de l'article L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors notamment que les dispositions de l'OPS 1.085 de l'annexe III du règlement n° 859/2008 priment sur celles de l'OPS 1.265 de la même annexe qui imposent au transporteur d'établir des procédures pour le transport des passagers non admissibles ;
- ni elle ni son commandant de bord n'ont à démontrer l'existence d'un événement ayant un caractère de force majeure pour s'exonérer d'une quelconque responsabilité ;
- le ministre de l'intérieur ne saurait lui opposer l'absence d'une escorte privée dès lors que cette dernière ne dispose pas des pouvoirs de police nécessaires permettant, seuls, d'obliger un passager refoulé ou non admis à monter à bord d'un avion et de respecter la sécurité à bord ;
- l'absence de caractère dissuasif, pour le passager en cause, de la sanction pénale de trois ans d'emprisonnement prévue à l'article L. 624-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour l'infraction de refus de quitter le territoire français démontre l'inutilité d'une escorte privée ;
- la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France n'a conféré ni aux compagnies aériennes ni aux commandants de bord des pouvoirs de police leur permettant d'obliger des passagers refoulés ou non admis à monter à bord d'un avion et à respecter la sécurité à bord.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2021, le ministre de l'intérieur demande à la Cour de rejeter la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Air France sont inopérants ou infondés.
Par une ordonnance du 22 avril 2021, l'instruction a été rouverte et la clôture a été fixée au 17 mai 2021 à 12 heures.
Un mémoire présenté pour la société Air France a été enregistré le 21 septembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985,
- le règlement (CE) n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- le code des transports,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Briançon,
- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision R/18-0161 du 2 août 2019, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Air France, sur le fondement de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 20 000 euros pour n'avoir pas réacheminé un passager de nationalité algérienne qu'elle avait débarqué sur le territoire français le
15 janvier 2018 en provenance d'Istanbul, alors que ce passager avait fait l'objet d'une décision de refus d'entrée sur le territoire français. La société Air France relève appel du jugement
du 9 juillet 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 2 août 2019.
Sur les obligations des entreprises de transport aérien :
2. D'une part, aux termes de l'article 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen : " 1. Sous réserve des engagements qui découlent de leur adhésion à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, telle qu'amendée par le Protocole de New-York du 31 janvier 1967, les Parties Contractantes s'engagent à introduire dans leur législation nationale les règles suivantes : a) si l'entrée sur le territoire d'une des Parties Contractantes est refusée à un étranger, le transporteur qui l'a amené à la frontière extérieure par voie aérienne, maritime ou terrestre est tenu de le reprendre en charge sans délai. A la requête des autorités de surveillance de la frontière, il doit ramener l'étranger dans l'Etat tiers à partir duquel il a été transporté, dans l'Etat tiers qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou dans tout autre Etat tiers où son admission est garantie ; b) le transporteur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour s'assurer que l'étranger transporté par voie aérienne ou maritime est en possession des documents de voyage requis pour l'entrée sur les territoires des Parties Contractantes. / 2. Les Parties Contractantes s'engagent, sous réserve des engagements qui découlent de leur adhésion à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, telle qu'amendée par le Protocole de New-York du
31 janvier 1967 et dans le respect de leur droit constitutionnel, à instaurer des sanctions à l'encontre des transporteurs qui acheminent par voie aérienne ou maritime d'un Etat tiers vers leur territoire, des étrangers qui ne sont pas en possession des documents de voyage requis ".
3. D'autre part, selon l'article 3 de la directive 2001/51 du 28 juin 2001 complétant les stipulations précitées, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour imposer aux transporteurs l'obligation de trouver immédiatement le moyen de réacheminer les ressortissants de pays tiers dont l'entrée dans l'espace Schengen est refusée. Adopté pour la transposition de cette directive, l'article L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Lorsque l'entrée en France est refusée à un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, l'entreprise de transport aérien ou maritime qui l'a acheminé est tenue de ramener sans délai, à la requête des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière, cet étranger au point où il a commencé à utiliser le moyen de transport de cette entreprise, ou, en cas d'impossibilité, dans l'Etat qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou en tout autre lieu où il peut être admis ". En vertu de de l'article L. 625-7 du même code, la méconnaissance de cette obligation est punie d'une amende d'un montant maximal de 30 000 euros.
4. Enfin, aux termes de l'article L. 6522-3 du code des transports : " Le commandant de bord a autorité sur toutes les personnes embarquées. Il a la faculté de débarquer toute personne parmi l'équipage ou les passagers, ou toute partie du chargement, qui peut présenter un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef ". Aux termes de l'annexe III au règlement n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008 modifiant le règlement n° 3922/91 du Conseil en ce qui concerne les règles techniques et procédures administratives communes applicables au transport commercial par avion : " OPS 1085. Responsabilité de l'équipage / Le commandant de bord (...) a le droit de refuser de transporter des passagers non admis, des personnes expulsées ou des personnes en état d'arrestation si leur transport présente un risque quelconque pour la sécurité de l'avion ou de ses occupants " (...) OPS 1265. Transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention. / L'exploitant doit établir des procédures pour le transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention afin d'assurer la sécurité de l'avion et de ses occupants. Le transport d'une de ces personnes doit être notifié au commandant de bord ".
5. Il résulte de ces dispositions d'une part que la société Air France ne saurait utilement se prévaloir de ce que l'article 26 de la convention de Schengen ne prévoit pas la possibilité de sanctionner les transporteurs pour défaut de réacheminement des étrangers non admis et d'autre part que les entreprises de transport aérien sont tenues d'assurer sans délai, à la requête des services de police aux frontières, le réacheminement des étrangers dont l'entrée a été refusée. A cette fin, elles sont notamment tenues d'établir des procédures internes permettant d'assurer la sécurité des aéronefs et de leurs occupants lors du transport de passagers non admissibles ou refoulés. Cette obligation s'impose aux compagnies aériennes nonobstant la faculté donnée au commandant de bord par l'article L. 6522-3 du code des transports de débarquer toute personne présentant un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef. Les difficultés particulières rencontrées par les entreprises de transport dans la mise en œuvre des opérations de réacheminement ne sauraient avoir pour effet de délier ces entreprises de leurs obligations mais peuvent être prises en compte pour la détermination du montant de la sanction qui leur est infligée, et peuvent même justifier, notamment en cas d'impossibilité établie de réacheminer le passager en raison de son comportement et des exigences de la sécurité à bord, que ne leur soit infligée aucune sanction. Pour fixer le montant de la sanction prévue par l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'administration doit prendre en compte, notamment, le comportement du passager et les diligences accomplies par l'entreprise pour respecter ses obligations, au nombre desquelles figure la mise en place de procédures de réacheminement.
Sur la décision du ministre de l'intérieur du 2 août 2019 :
En ce qui concerne le manquement retenu à l'encontre d'Air France :
6. Il résulte de l'instruction que le 22 janvier 2018, les services de la police aux frontières de l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle ont requis la compagnie aérienne Air France pour assurer sans délai, par un vol prévu le 23 janvier 2018 à 20 heures 50 ou par tout autre moyen, le réacheminement de M. M., de nationalité algérienne, ayant fait l'objet d'un refus d'admission sur le territoire français le 15 janvier 2018. Par des procès-verbaux des 23 et 24 janvier 2018, les mêmes services ont constaté le défaut de réacheminement de M.M., après que le commandant de bord eut pris la décision de le débarquer, compte tenu de son refus de voyager et du trouble pouvant en résulter et, en conséquence, de l'impossibilité d'assurer la sécurité du vol et des occupants de l'avion. Dès lors, et sans que la société Air France puisse utilement faire valoir qu'elle ne dispose pas des pouvoirs de contrainte nécessaires pour satisfaire à son obligation de réacheminement de M. M., le ministre de l'intérieur a pu légalement lui infliger une amende sur le fondement de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne le montant de l'amende :
7. La société Air France fait valoir que le transport du passager refoulé comportait un risque, ce dernier ayant déjà refusé antérieurement au moins à douze reprises son réacheminement, que ni la convention de Tokyo ni aucun autre texte applicable ne lui donnait un pouvoir de contrainte sur lui alors que l'avion se trouvait encore au sol, portes ouvertes, et que la mise en place d'une escorte privée n'aurait sans doute pas suffi à lui faire accepter ce réacheminement au cours de cette nouvelle tentative. Toutefois, d'une part, la société Air France n'apporte aucun élément s'agissant des douze refus d'embarquer de M. M, lequel est entré sur le territoire français le 15 janvier 2018, alors qu'il résulte de l'instruction que la société a fait l'objet, à la date du 22 janvier 2018, date de sa réquisition pour le réacheminement du passager sur le vol prévu le 23 janvier 2018 à 20 heures 50, de trois réquisitions en date des 15, 16 et 22 janvier 2018 pour des vols prévus les 16 et 23 janvier 2018. D'autre part, si la décision de refus d'embarquement signée par le commandant de bord indique " refus d'embarquer de l'INAD ", aucune indication n'est apportée, ni dans ce document ni dans aucune autre pièce versée au dossier, sur le comportement de ce passager ou sur l'existence d'une résistance de sa part de nature à faire craindre qu'il puisse présenter un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef. Par ailleurs, il résulte du procès-verbal établi le
23 janvier 2018 par les services de la police aux frontières, dont les mentions font foi jusqu'à preuve du contraire, que ce passager a pénétré dans l'avion à 20 heures 15 et a été placé sur le siège n°24 E en empruntant un escabeau, installé quelques minutes auparavant à la demande des services de police, et en est ressorti cinq minutes après, à la suite de la décision de refus du commandant de bord, sans qu'il soit fait état d'aucun incident ou de résistance de la part de ce passager. En outre, il ressort également de ce procès-verbal que l'escabeau permettant l'accès à l'avion n'était pas installé à 19 heures 50 et ne l'a été ensuite qu'à la demande des forces de police, qui ont par ailleurs également constaté l'absence d'escorte pour prendre en charge l'intéressé et l'installer à bord. Or, la circonstance alléguée par la compagnie requérante qu'une telle escorte n'aurait sans doute pas été suffisante, s'agissant d'un passager ayant refusé à plusieurs reprises son embarquement, alors au demeurant que le passager avait embarqué, ne la dispensait pas, en tout état de cause, de mettre en œuvre les procédures nécessaires pour tenter de satisfaire à la réquisition qui lui avait été adressée. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de réduire le montant de l'amende infligée à la société Air France.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Air France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, la requête ne peut qu'être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Air France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air France et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, présidente de chambre,
- Mme Briançon, présidente assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2021.
La rapporteure,
C. BRIANÇON
La présidente,
M. HEERS La greffière,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA02647