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24/09/2021 | FRANCE | N°20PA02646

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 24 septembre 2021, 20PA02646


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Air France a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision R/18-0138 du 2 août 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou de la décharger du paiement de l'amende.

Par un jugement n° 1921270/3-1 du 9 juillet 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par u

ne requête et un mémoire, enregistrés le 10 septembre 2020 et le 5 mai 2021, la société Air Fr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Air France a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision R/18-0138 du 2 août 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou de la décharger du paiement de l'amende.

Par un jugement n° 1921270/3-1 du 9 juillet 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 septembre 2020 et le 5 mai 2021, la société Air France, représentée par Me Pradon, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cette décision ou de la décharger du paiement de l'amende ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil d'Etat saisi en annulation de l'arrêt de la Cour n° 1901412 du 5 février 2021.

Elle soutient que :

- elle ne peut se voir opposer un défaut de réacheminement dès lors que le commandant de bord a pris une décision de refus de transport du passager non admissible afin d'assurer la sécurité du vol et de ses occupants, en application de l'article L. 6522-3 du code des transports et de l'OPS 1.085 de l'annexe III du règlement n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008 ;

- il ne saurait peser sur la compagnie une obligation de résultat au regard de l'article L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors notamment que les dispositions de l'OPS 1.085 de l'annexe III du règlement n° 859/2008 priment sur celles de l'OPS 1.265 de la même annexe qui imposent au transporteur d'établir des procédures pour le transport des passagers non admissibles ;

- ni elle ni son commandant de bord n'ont à démontrer l'existence d'un événement ayant un caractère de force majeure pour s'exonérer d'une quelconque responsabilité ;

- le ministre de l'intérieur ne saurait lui opposer l'absence d'une escorte privée dès lors que cette dernière ne dispose pas des pouvoirs de police nécessaires permettant, seuls, d'obliger un passager refoulé ou non admis à monter à bord d'un avion et de respecter la sécurité à bord ; notamment, la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 n'a pas conféré aux compagnies aériennes ou aux commandants de bord de tels pouvoirs ;

- l'absence de caractère dissuasif, pour le passager en cause, de la sanction pénale de trois ans d'emprisonnement prévue à l'article L. 624-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour l'infraction de refus de quitter le territoire français démontre l'inutilité d'une escorte privée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés et s'en remet à ses écritures et pièces produites en première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985,

- le règlement (CE) n° 859/2008 de la Commission du 20 août 2008,

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

- le code des transports,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mantz,

- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.

Une note en délibéré a été enregistrée le 22 septembre 2021, pour la société Air France.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision R/18-0138 du 2 août 2019, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Air France, sur le fondement de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 15 000 euros pour avoir manqué à son obligation de réacheminer un passager de nationalité marocaine qu'elle avait débarqué sur le territoire français le 21 janvier 2018 en provenance de Casablanca, alors que ce passager avait fait l'objet d'une décision de refus d'entrée sur le territoire français le même jour. La société Air France relève appel du jugement du 9 juillet 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur les obligations des entreprises de transport aérien :

2. D'une part, aux termes de l'article 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen : " 1. Sous réserve des engagements qui découlent de leur adhésion à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, telle qu'amendée par le Protocole de New-York du 31 janvier 1967, les Parties Contractantes s'engagent à introduire dans leur législation nationale les règles suivantes : a) si l'entrée sur le territoire d'une des Parties Contractantes est refusée à un étranger, le transporteur qui l'a amené à la frontière extérieure par voie aérienne, maritime ou terrestre est tenu de le reprendre en charge sans délai. A la requête des autorités de surveillance de la frontière, il doit ramener l'étranger dans l'Etat tiers à partir duquel il a été transporté, dans l'Etat tiers qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou dans tout autre Etat tiers où son admission est garantie ; b) le transporteur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour s'assurer que l'étranger transporté par voie aérienne ou maritime est en possession des documents de voyage requis pour l'entrée sur les territoires des Parties Contractantes. / 2. Les Parties Contractantes s'engagent, sous réserve des engagements qui découlent de leur adhésion à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, telle qu'amendée par le Protocole de New-York du

31 janvier 1967 et dans le respect de leur droit constitutionnel, à instaurer des sanctions à l'encontre des transporteurs qui acheminent par voie aérienne ou maritime d'un Etat tiers vers leur territoire, des étrangers qui ne sont pas en possession des documents de voyage requis ".

3. D'autre part, selon l'article 3 de la directive 2001/51 du 28 juin 2001 complétant les stipulations précitées, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour imposer aux transporteurs l'obligation de trouver immédiatement le moyen de réacheminer les ressortissants de pays tiers dont l'entrée dans l'espace Schengen est refusée. Adopté pour la transposition de cette directive, l'article L. 213-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, dispose : " Lorsque l'entrée en France est refusée à un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, l'entreprise de transport aérien ou maritime qui l'a acheminé est tenue de ramener sans délai, à la requête des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière, cet étranger au point où il a commencé à utiliser le moyen de transport de cette entreprise, ou, en cas d'impossibilité, dans l'Etat qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou en tout autre lieu où il peut être admis ". En vertu de de l'article L. 625-7 du même code, alors en vigueur, la méconnaissance de cette obligation est punie d'une amende d'un montant maximal de 30 000 euros.

4. Enfin, aux termes de l'article L. 6522-3 du code des transports : " Le commandant de bord a autorité sur toutes les personnes embarquées. Il a la faculté de débarquer toute personne parmi l'équipage ou les passagers, ou toute partie du chargement, qui peut présenter un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de

l'aéronef ". Aux termes de l'annexe III au règlement n° 859/2008 de la Commission du

20 août 2008 modifiant le règlement n° 3922/91 du Conseil en ce qui concerne les règles techniques et procédures administratives communes applicables au transport commercial par avion : " OPS 1085. Responsabilité de l'équipage / Le commandant de bord (...) a le droit de refuser de transporter des passagers non admis, des personnes expulsées ou des personnes en état d'arrestation si leur transport présente un risque quelconque pour la sécurité de l'avion ou de ses occupants " (...) OPS 1265. Transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention. / L'exploitant doit établir des procédures pour le transport de passagers non admissibles, refoulés ou de personnes en détention afin d'assurer la sécurité de l'avion et de ses occupants. Le transport d'une de ces personnes doit être notifié au commandant de bord ".

5. Il résulte de ces dispositions que les entreprises de transport aérien sont tenues d'assurer sans délai, à la requête des services de police aux frontières, le réacheminement des étrangers dont l'entrée a été refusée. A cette fin, elles sont notamment tenues d'établir des procédures internes permettant d'assurer la sécurité des aéronefs et de leurs occupants lors du transport de passagers non admissibles ou refoulés. Cette obligation s'impose aux compagnies aériennes nonobstant la faculté donnée au commandant de bord par l'article L. 6522-3 du code des transports de débarquer toute personne présentant un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef. Les difficultés particulières rencontrées par les entreprises de transport dans la mise en œuvre des opérations de réacheminement ne sauraient avoir pour effet de délier ces entreprises de leurs obligations mais peuvent être prises en compte pour la détermination du montant de la sanction qui leur est infligée, et peuvent même justifier, notamment en cas d'impossibilité établie de réacheminer le passager en raison de son comportement et des exigences de la sécurité à bord, que ne leur soit infligée aucune sanction. Pour fixer le montant de la sanction prévue par l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'administration doit prendre en compte, notamment, le comportement du passager et les diligences accomplies par l'entreprise pour respecter ses obligations, au nombre desquelles figure la mise en place de procédures de réacheminement.

Sur la légalité de la décision attaquée :

En ce qui concerne le manquement retenu à l'encontre d'Air France :

6. Il résulte de l'instruction que les services de la police aux frontières de l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle ont requis, le 30 janvier 2018, la compagnie aérienne Air France pour assurer sans délai, par un vol prévu le 31 janvier 2018 à 18 heures 35 ou par tout autre moyen, le réacheminement de M. B., de nationalité marocaine, ayant fait l'objet d'un refus d'admission sur le territoire français le 21 janvier 2018. Par deux procès-verbaux en date du 31 janvier 2018 à

17 heures 10 et du 1er février 2018 à 8 heures 30, les mêmes services ont constaté le défaut de réacheminement de M. B., après que le commandant de bord eut pris la décision de le débarquer, compte tenu de son refus de prendre le vol et, en conséquence, de l'impossibilité d'assurer la sécurité de celui-ci et des occupants de l'avion. Dès lors, et sans que la société Air France puisse utilement faire valoir qu'elle ne disposait pas des pouvoirs de contrainte nécessaires pour satisfaire à son obligation de réacheminement de M. B., le ministre de l'intérieur a pu légalement lui infliger une amende sur le fondement de l'article L. 625-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

En ce qui concerne le montant de l'amende :

7. La société Air France fait valoir qu'elle ne dispose pas de personnels dotés d'un pouvoir de coercition, qui aurait été seul de nature à lui permettre de satisfaire à son obligation de réacheminement de M B., qui manifestait, par son refus de prendre le vol, son refus d'être réacheminé et qui avait déjà fait l'objet de trois tentatives infructueuses de réacheminement. Le ministre de l'intérieur, qui ne saurait sérieusement contester ce défaut de pouvoir de coercition, soutient toutefois que la compagnie n'a pas mis en œuvre les procédures prévues par les dispositions de l'OPS 1265 de l'annexe III du règlement n° 859/2008 du 20 août 2008 précité afin d'assurer la sécurité de l'avion et de ses occupants, notamment par l'affectation d'un personnel de sécurité privée. Or il résulte de l'instruction que la présence d'escorteurs de la compagnie aurait été susceptible de permettre le réacheminement de M. B. Dans ces conditions, au regard des difficultés particulières rencontrées par la société Air France dans le cas d'espèce mais aussi du défaut de procédures mis en œuvre, il y a lieu de réduire le montant de l'amende infligée à la société Air France et de le fixer à la somme de 10 000 euros.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, que la société Air France est seulement fondée à demander la décharge de l'amende infligée par la décision R/18-0138 du 2 août 2019 en tant qu'elle excède la somme de 10 000 euros.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L'amende mise à la charge de la société Air France par la décision R/18-0138 du

2 août 2019 du ministre de l'intérieur est ramenée à la somme de 10 000 euros.

Article 2 : Le jugement n° 1921270/3-1 du Tribunal administratif de Paris du 9 juillet 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à la société Air France une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air France et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 10 septembre 2021 à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente,

- Mme Briançon, présidente-assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 septembre 2021.

Le rapporteur,

P. MANTZ

La présidente,

M. HEERS La greffière,

S. GASPAR

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 20PA02646


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA02646
Date de la décision : 24/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

65-03-04-02 Transports. - Transports aériens. - Aéroports. - Police des aérodromes.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : CLYDE et CO LLP

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-09-24;20pa02646 ?
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