Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Syc International a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le département de la Drôme à lui verser une indemnité de 24 894,80 euros hors-taxe en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de la destruction partielle du mur d'enceinte et d'un bassin de sa propriété " Le Manoir du Roure ".
Par un jugement n° 1801289 du 30 mars 2020, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 mai 2020 et le 30 juin 2021, la société Syc International, représentée par Me Proust, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 30 mars 2020 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de condamner le département de la Drôme à lui verser une indemnité de 24 894,80 euros hors-taxe en réparation de son entier préjudice, assortis des intérêts moratoires à compter de la demande préalable indemnitaire ;
3°) de mettre à la charge du département de la Drôme une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
La société soutient que :
- elle est fondée à rechercher la responsabilité, même en l'absence de faute, du département en sa qualité de maître de l'ouvrage public constitué par les platanes, accessoires à la voie publique, directement et de manière certaine à l'origine du préjudice subi du fait de l'effondrement du mur de clôture ;
- compte-tenu d'un précédent intervenu en 2014, le dommage n'était pas imprévisible pour le département qui ne peut, dès lors, invoquer la force majeure ;
- si l'état d'antériorité de l'ouvrage est une condition préalable et indispensable à l'examen de la faute de la victime, elle n'est ici pas démontrée alors que la charge de la preuve repose sur le maître d'ouvrage ;
- c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a retenu une faute de la victime exonératoire de la responsabilité du département de la Drôme, alors que le jugement constate que le risque de dommage était constitué par le développement racinaire des arbres : le risque de démolition des murs n'était pas prévisible pour la société Syc International ; en l'absence de preuve de l'antériorité des ouvrages publics à la propriété exploitée par la société, celle-ci ne peut se voir opposer un risque constitué par la proximité des arbres des murs d'enceinte ; le développement racinaire étant par définition souterrain, le dommage était imprévisible pour la société en 2001 date de début d'exploitation;
- le jugement est entaché d'une erreur de fait, l'exploitation du domaine par la société ayant débuté en 2001 et non en 2011 ;
- le mur a été fragilisé lors des travaux de goudronnage de la RD 206 (effet de blast) et du passage des poids-lourds au ras du mur à vitesse élevée accentuant la pression sur les racines, le département ayant annoncé une semaine avant le sinistre, l'interdiction de circulation des poids lourds de plus de 3,5 tonnes sur cette portion de voie ;
- le risque de dégradation du mur par les arbres et leurs racines a été accentué par une réglementation inadaptée de la circulation avant le sinistre par le département sur la RD 206 ;
- l'ancienneté du mur ou sa vétusté ne sont pas de nature à exonérer le département de la Drôme de sa responsabilité.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 août 2020 et le 4 août 2021, le département de la Drôme, représenté par Me Phelip, conclut à l'irrecevabilité de la requête pour défaut de qualité pour agir, et au rejet de la requête au fond et, subsidiairement, par la voie de l'appel incident, à la réduction de la somme à verser à titre d'indemnité, dans tous les cas à la condamnation de la société Syc International au paiement d'une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le département expose que :
- à défaut de pouvoir justifier de sa qualité de propriétaire, la société requérante n'a pas qualité pour agir, le Manoir Le Roure ayant été cédé avantl'enregistrement de sa requête en appel;
- il n'est pas le propriétaire des arbres ; rien ne permet de considérer que lesdits arbres, nonobstant leur situation, seraient implantés dans cette partie sur le domaine public ; la circonstance que ceux-ci se situent entre la voie publique et le mur est indifférente ;
- les arbres sont antérieurs à l'édification du mur, circonstance établie par le décroché du mur qui est d'une largeur juste suffisante pour se retrouver derrière l'alignement des platanes, l'un d'entre eux étant inséré dans la construction même ; la requérante ne justifie pas de la date de construction du mur ;
- le risque accepté fait obstacle à toute indemnisation en cas d'antériorité de l'ouvrage public sur l'acquisition de la propriété affectée ;
- l'indemnité réclamée est excessive ;
- aucun des moyens soulevés par la requérante n'est donc fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Conesa-Terrade, première conseillère,
- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Syc International exploitait un fonds de commerce d'hôtellerie et de restauration sous l'enseigne commerciale " Manoir Le Roure " dans le cadre d'un bail commercial conclu avec le propriétaire du domaine du même nom situé sur la commune de Châteauneuf du Rhône. Au cours des années 2014 et 2016, des effondrements partiels ont affecté le mur d'enceinte de cette propriété située. Estimant que les dommages ont été causés par le développement racinaire des platanes situés en bordure de la route, la société Syc International a effectué, le 12 décembre 2017, une demande indemnitaire auprès du département de la Drôme qui a été rejetée. La société Syc International relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département de la Drôme à lui verser une somme de 24 894,80 euros en réparation du préjudice subi à raison de l'effondrement en 2016 d'une partie du mur d'enceinte de ce domaine.
Sur la recevabilité de la demande en première instance :
2. La société requérante exploitait un fonds de commerce d'hôtellerie et de restauration sous l'enseigne commerciale le " Manoir Le Roure " en vertu d'un bail commercial d'une durée de neuf années, avec date d'effet au 3 avril 2002, conclu avec la société civile Cap Sayan, propriétaire du domaine du même nom, situé sur la commune de Châteauneuf-du-Rhône, le long de la route départementale 206. Aux termes de ce contrat de bail, le preneur s'engageait à effectuer dans les lieux loués pendant toute la durée du bail et à ses frais toutes les réparations et travaux d'entretien, toute réfection ou remplacement, s'avérant nécessaires qu'elle qu'en soit la cause, hors ceux prévus à l'article 606 du code civil. La circonstance qu'à la date d'enregistrement de sa requête d'appel, la société requérante n'était pas propriétaire des murs et avait résilié le bail commercial n'est pas de nature à lui ôter sa qualité pour agir, alors qu'elle justifie avoir pris en charge les travaux de reconstruction conformément aux termes du bail alors en vigueur. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le département de la Drôme ne peut être accueillie.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Une collectivité maître d'ouvrage est responsable même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont elle a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement, elle est également responsable des dommages accidentels causés à des tiers par l'exécution de travaux publics. Dans les deux cas, elle ne peut dégager sa responsabilité à l'égard des victimes que si elle établit que les dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Lorsqu'il est soutenu qu'une partie s'est exposée en toute connaissance de cause au risque dont la réalisation a causé les dommages dont elle demande réparation au titre de la présence ou du fonctionnement d'un ouvrage public, il appartient au juge d'apprécier s'il résulte de l'instruction, d'une part, que des éléments révélant l'existence d'un tel risque existaient à la date à laquelle cette partie est réputée s'y être exposée et, d'autre part, que la partie en cause avait connaissance de ces éléments et était à cette date en mesure d'en déduire qu'elle s'exposait à un tel risque, lié à la présence ou au fonctionnement d'un ouvrage public, qu'il ait été d'ores et déjà constitué ou raisonnablement prévisible. Enfin, pour obtenir réparation des préjudices qu'ils subissent sur le fondement de la responsabilité sans faute, les administrés, qui ont la qualité de tiers par rapport à un ouvrage public, doivent établir le caractère grave et spécial du dommage qu'ils invoquent et qui présente, en l'espèce, un caractère permanent.
4. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a estimé que la société Syc International, se prévalant de sa qualité de tiers par rapport à l'ouvrage public, était fondée à rechercher la responsabilité sans faute du département de la Drôme en sa qualité de maître de l'ouvrage public constitué par les platanes situés aux endroits des effondrements constatés, entre le mur d'enceinte de la propriété exploitée commercialement par la société Syc International et la chaussée de la route départementale 206, lesquels du fait de cette proximité, constituent un accessoire de la voie publique à laquelle ils empruntent son caractère d'ouvrage public. S'appuyant sur les constatations figurant dans un rapport d'expertise établi le 2 janvier 2017, dont il résulte que le développement racinaire des platanes contribue à endommager le mur d'enceinte du domaine exploité par la société Syc International et que la croissance de ces arbres est à l'origine des dégâts relevés sur le mur d'enceinte qui s'est, pour ce motif, partiellement écroulé, le jugement en conclut que la présence des arbres a causé un dommage présentant un caractère grave et spécial à l'origine du préjudice subi par la société. Toutefois, pour écarter, par le jugement attaqué, l'engagement de la responsabilité du département de la Drôme, et retenir la cause exonératoire de la faute de la victime, le tribunal a jugé que le mur d'enceinte aurait été construit très près des platanes et ce postérieurement à l'implantation de ces arbres, et en a déduit que, compte tenu de la configuration du lieu et de la proximité des ouvrages en cause, la société Syc International était en mesure de savoir qu'elle s'exposait au risque que le développement de tels arbres endommage à terme le mur à la date à laquelle la société, créée en 2001, avait pris possession des lieux.
5. En appel, la société requérante soutient, sans être contestée, que l'antériorité des platanes, implantés en bordure de la voie publique à laquelle ils empruntent son caractère d'ouvrage public, par rapport au mur d'enceinte endommagé, ne ressort d'aucune des pièces du dossier. Cette antériorité n'est pas davantage établie par le maître d'ouvrage public, sur lequel pèse la charge de prouver cette antériorité lorsqu'il prétend s'exonérer de sa responsabilité pour défaut d'entretien normal de l'ouvrage public, en invoquant la faute de la victime. Dans ces conditions, le département de la Drôme, qui n'établit pas l'antériorité des platanes à la construction du mur, n'apporte pas la preuve qui lui incombe de l'existence d'une faute de la victime, susceptible de l'exonérer de sa responsabilité pour défaut d'entretien normal de l'ouvrage public. De plus, outre l'effet du développement racinaire des platanes, non contesté par le département, la société requérante fait valoir sans être contestée qu'en octobre 2016, à l'issue de travaux de goudronnage de la route départementale 206, un effet de blast s'est produit sur le mur fragilisé par les secousses liées aux travaux et le passage des poids-lourds à vitesse élevée au ras du mur, accentuant la pression des racines sur le mur. La requérante souligne que, postérieurement au sinistre, la circulation des poids-lourds de plus de 3,5 tonnes a été interdite sur cette portion de voie, cette interdiction attestant du caractère inadapté de la réglementation de la circulation sur la route départementale 206 à la date du dommage. Par suite, la société Syc International est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Il y a lieu de condamner le département de la Drôme à réparer la société Syc International de son entier préjudice découlant de l'effondrement du mur en cause.
6. Si la société Syc International soutient que son préjudice a été évalué par l'expert à la somme de de 24 894,80 euros, elle a produit en appel une facture de la SAS SGM datée du 27 avril 2017 dont il ressort qu'elle a acquitté un acompte de 5 000 euros HT et un solde de 7 388 euros HT, soit une dépense de 12 388 euros HT attestant de la prise en charge des réparations induites par le dommage à hauteur de ce montant. Il y a, par suite, lieu de condamner le département de la Drôme à lui verser la somme de 7 388 euros, assortie des intérêts moratoires à compter de la date de sa demande préalable indemnitaire, en réparation de son préjudice.
Sur les frais du litige :
7. Il y a lieu de condamner le département de la Drôme à lui verser une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce que la société requérante qui n'est pas partie perdante, verse une quelconque somme au titre des frais exposés en cours d'instance par le département de la Drôme et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 30 mars 2020 est annulé.
Article 2 : Le département de la Drôme est condamné à verser à la société Syc International une somme de 12 388 euros HT, assortie des intérêts moratoires à compter du 12 décembre 2017.
Article 3 : Le département de la Drôme est condamné à verser à la société Syc International une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Syc International est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par le département de la Drôme au titre de l'article L. 761 -1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Syc International et au département de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
M. Gayrard, président de la formation de jugement,
Mme Conesa-Terrade, première conseillère,
M. Pin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 30 novembre 2021.
La rapporteure,
E. Conesa-Terrade
Le président,
J.-P. Gayrard
La greffière,
F. Abdillah
La République mande et ordonne au préfet de la Drôme, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 20LY01466