Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A... et l'Union départementale des associations familiales (UDAF) de Maine-et-Loire, agissant en sa qualité de tutrice de Mme C... E..., ont demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre/Les Abymes à les indemniser des préjudices subis du fait des séquelles présentées par Mme C... E... depuis sa naissance au sein de cet établissement le 11 juillet 1998.
La caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) de Loire-Atlantique, agissant pour le compte de la CPAM de Maine-et-Loire, a demandé au tribunal de condamner le centre hospitalier de Pointe-à-Pitre/Les Abymes à lui verser la somme de 17 853,55 euros au titre de ses débours ainsi qu'une somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Par un jugement n° 1500061 du 2 juin 2020, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné le CHU de Pointe-à-Pitre/Les Abymes :
- à verser à l'UDAF de Maine-et-Loire, en sa qualité de tutrice légale de Mme E..., une somme de 1 269 310,35 euros, une rente de 25 873,92 euros du 3 juin au 31 décembre 2020 et une rente annuelle de 28 247,04 euros ;
- à verser à Mme A... une somme de 164 226,46 euros, sous déduction de la provision de 100 000 euros déjà versée ;
- à rembourser les dépenses de santé future de Mme E... dans la limite de 30 % du montant total réglé, hors prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie, ainsi que les dépenses futures de logement adapté de Mme A... ;
- à verser à la CPAM de Maine-et-Loire les sommes de 100 494,03 euros au titre des débours échus et de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, et à lui rembourser les dépenses de santé futures sur présentation de justificatifs, dans la limite du taux de 30 % ;
- à prendre en charge les sommes de 4 400 euros au titre des frais d'expertise et
de 3 000 euros au titre des frais exposés par l'UDAF de Maine-et-Loire et Mme A... et non compris dans les dépens.
Procédure devant la cour :
I) Dans l'instance enregistrée sous le n° 20BX02135, par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 juillet 2020 et 24 février 2021, la CPAM de Loire-Atlantique, représentée par Me Meunier, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 2 juin 2020 du tribunal administratif de la Guadeloupe en tant qu'il a condamné le CHU de Pointe-à-Pitre/Les Abymes à rembourser les débours futurs de la CPAM de Maine-et-Loire sur présentation de justificatifs, à concurrence de 30 % de leur montant ;
2°) de condamner le CHU de Pointe-à-Pitre/Les Abymes à lui verser une somme totale de 3 573 028,45 euros, avec intérêts et capitalisation des intérêts, au titre de ses débours échus et futurs ;
3°) de mettre à la charge du CHU de Pointe-à-Pitre/Les Abymes une somme
de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête d'appel est recevable ; elle est intervenue, dès la première instance, pour le compte de la CPAM de Maine et Loire, ainsi que le permettent les dispositions de l'article L. 221-3-1 du code de la sécurité sociale ;
- elle avait sollicité devant le tribunal la condamnation du centre hospitalier à l'indemniser de ses débours futurs par le versement d'un capital ; le tribunal n'a pas répondu à cette demande ;
- en l'absence de contestation de l'établissement de santé sur sa demande de versement d'un capital, il convenait d'y faire droit ;
- après application du taux de perte de chance de 30 %, une somme totale de 3 573 028,45 euros doit lui être versée au titre de ses débours échus et futurs.
Par un mémoire, enregistré le 9 septembre 2020, l'UDAF de Maine-et-Loire et
Mme A..., représentées par Me Ribeiro, concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de de la CPAM de Loire-Atlantique d'une somme de 3 000 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la CPAM de Loire-Atlantique, qui avait demandé en première instance la condamnation du centre hospitalier à rembourser les débours futurs à la CPAM de Maine-et-Loire, est irrecevable à demander, pour la première fois en appel, la condamnation de cet établissement à lui verser une somme au titre de ces débours ;
- le tribunal a statué sur les conclusions de la caisse tendant au remboursement des frais futurs ;
- le centre hospitalier s'opposant un remboursement par le versement d'un capital des frais futurs de la caisse, ses conclusions tendant au versement d'un capital ne peuvent être accueillies ; en toute hypothèse, il conviendrait d'appliquer le taux de de perte de chance
de 30 %.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2021, le CHU de Pointe-à-Pitre, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conclusions de la CPAM de Loire-Atlantique sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables ;
- Mme E... étant affiliée à la CPAM de Maine-et-Loire, seule cette dernière a vocation à être remboursée des débours exposés au profit de son assurée, quand bien même une convention de mutualisation aurait été conclue entre les deux caisses ;
- le tribunal a statué sur les conclusions de la caisse tendant au remboursement des frais futurs ;
- il s'oppose à la capitalisation des frais futurs ; une absence de contestation ne saurait être assimilée à un accord de l'établissement de santé.
II) Dans l'instance enregistrée sous le n° 20BX02414, par une requête et des mémoires, enregistrés les 30 juillet 2020 et 22 février et 12 octobre 2021, le CHU de Pointe-à-Pitre, représenté par Me Le Prado, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 2 juin 2020 ;
2°) de rejeter les demandes présentées par Mme A..., l'UDAF de Maine-et-Loire et la CPAM de Loire-Atlantique devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé au regard des conclusions dont le tribunal était saisi ;
- il ne ressort pas des pièces du dossier que le Syntocinon(r) aurait été administré à un dosage excessif ; l'expert n'a pas relevé une posologie fautive et n'a pas retenu de faute dans la surveillance ayant suivi l'injection de ce produit ; alors que le Syntocinon(r) a été administré à 11 heures, la bradycardie fœtale est apparue à 12 h 30 ; l'expert a exclu ce médicament comme cause de la bradycardie ;
- le tribunal a retenu à juste titre un taux de perte de chance de 30 %, conformément aux conclusions de l'expert ; le retard d'extraction de l'enfant n'a été que de 15 minutes et l'expert s'est interrogé sur les conséquences de ce retard ;
- le tribunal s'est livré à une évaluation excessive des frais d'assistance par tierce personne de Laurie ; seule l'aide rendue nécessaire par la faute doit donner lieu à réparation ; jusqu'à ses trois ans, un enfant a besoin d'une surveillance continue, même sans handicap ; à partir de ses trois ans, les besoins en lien avec le manquement doivent être évalués de manière progressive ; en retenant un besoin de 24 heures par jour depuis la naissance de Laurie, le tribunal s'est livré à une appréciation erronée du besoin lié au handicap ; c'est à tort que le tribunal s'est basé sur un taux horaire de 16 euros, majoré à 22,40 euros pour les dimanches et jours fériés ; il convient de moduler les tarifs horaires selon le montant du SMIC alors en vigueur ; il conviendra de se baser sur un tarif horaire unique de 14 euros ; la rente doit être indexée, non pas sur l'évolution du SMIC horaire, mais en application de l'article L. 434-17 du code de la santé publique ; le besoin d'assistance par une tierce personne ne saurait, comme le demande l'UDAF de Maine-et-Loire, être évalué sur la base d'une aide apportée par deux personnes, l'expert n'ayant pas retenu la nécessité d'une telle aide conjointe, et l'organisation interne de la maison d'accueil spécialisée n'ayant pas vocation à être mise en place lorsque Laurie est accueillie chez sa mère ; l'UDAF de Maine-et-Loire ne peut solliciter une indemnisation sur une base de 412 jours par an dès lors que le tarif journalier est majoré ; l'ensemble des aides effectivement perçues doivent être déduites de l'indemnisation allouée ; c'est en outre à tort que le tribunal a évalué le préjudice en se basant sur 220 jours par an de présence au domicile familial, alors que Laurie est prise en charge dans une maison d'accueil spécialisée où elle séjourne 252 jours par an ; le tribunal ne pouvait prendre en compte, au titre des jours passés au domicile familial, les 11 jours fériés par an, sans vérifier si ces jours ne coïncidaient pas avec des samedis, dimanches ou jours de périodes scolaires ; le tribunal a encore commis une erreur en additionnant 52 week-ends et 15 semaines de vacances qui comportent déjà des week-ends ; les frais d'assistance ne peuvent être évalués sur la base d'un besoin
de 28 heures par jour comme il est demandé ;
- s'agissant des frais de véhicule adapté, le tribunal a commis une erreur en calculant le capital représentatif des frais de renouvellement sur la base, non seulement des frais d'adaptation, mais aussi de ceux d'achat du véhicule ;
- c'est à tort que le tribunal a indemnisé Mme E... à la fois des frais d'adaptation du véhicule et des frais de transport entre la maison d'accueil spécialisée et le domicile familial ;
- c'est à tort que le tribunal a mis à sa charge une indemnisation au titre du forfait journalier sans s'assurer que cette dépense n'était pas prise en charge par une mutuelle ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que le préjudice futur invoqué de frais d'hébergement présentait un caractère certain ; seul le surcoût d'un logement peut être mis à sa charge ; les logements sociaux étant attribués en priorité aux personnes handicapées,
Mme A... a la possibilité de louer un appartement adapté au handicap de sa fille ; sur ce point, la demande indemnitaire doit donc être rejetée ;
- le tribunal s'est livré à une évaluation excessive du préjudice scolaire ;
- le tribunal s'est livré à une évaluation excessive de la perte de gains professionnels futurs en se basant sur le salaire net moyen de 2017 ; il convient de se baser sur le salaire médian net mensuel de l'année de la majorité de Laurie, soit 1 710 euros ;
- Mme E... n'ayant jamais exercé d'activité rémunérée, elle ne saurait être indemnisée au titre d'un préjudice d'incidence professionnelle ;
- l'expert n'ayant pas retenu de préjudice esthétique temporaire, Mme E... ne peut être indemnisée que de son préjudice esthétique permanent ;
- c'est à tort que le tribunal a indemnisé un préjudice d'agrément ; ce préjudice n'est pas caractérisé dès lors que Laurie n'a jamais pu pratiquer d'activité sportive ou de loisirs ;
- c'est à tort que le tribunal a alloué à Mme A... une somme de 66 318,46 euros au titre de sa perte de gains professionnels ; la perte alléguée, en lien avec la nécessité de s'occuper de sa fille, est déjà indemnisée au titre de l'assistance par tierce personne ; en tout état de cause, la perte de revenus n'est pas justifiée dès lors que Mme A... n'exerçait pas d'activité rémunérée avant la naissance de Laurie ;
- s'agissant des frais de logement de Mme A..., cette dernière ne démontre pas avoir été dans l'impossibilité d'occuper un appartement permettant d'accueillir sa fille ; les nouvelles normes imposent aux logements neufs d'être accessibles aux personnes handicapées ; la solution retenue par le tribunal ne peut être confirmée en appel, aucun élément ne permettant de s'assurer que l'augmentation de la superficie du logement est exclusivement liée à l'état de santé de Laurie ;
- le tribunal a procédé à une évaluation excessive du préjudice d'affection subi par
Mme A... ;
- c'est à tort que le tribunal a indemnisé Mme A... au titre des troubles dans ses conditions d'existence ; le préjudice allégué a déjà été indemnisé au titre du préjudice d'affection et de l'assistance par une tierce personne ;
- l'appel incident sera rejeté ; Mme A... et l'UDAF de Maine-et-Loire ne peuvent prétendre à l'application du barème publié par la Gazette du Palais ; elles n'établissent pas que la dépense correspondant à l'achat de matériel éducatif serait en lien avec le handicap de Laurie ; les frais de santé futurs doivent être indemnisés au fur et à mesure qu'ils seront exposés, et non sous la forme d'un capital ; le tribunal a appliqué à juste titre le taux de perte de chance aux frais de médecin conseil ; Mme E..., qui est dans l'impossibilité d'exercer une activité professionnelle, n'a pas subi de préjudice d'incidence professionnelle ; le tribunal a fait une évaluation suffisante du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances, du déficit fonctionnel permanent et du préjudice esthétique permanent.
Par des mémoires enregistrés les 29 septembre 2020 et 8 octobre 2021, l'UDAF de Maine-et-Loire et Mme A..., représentées par Me Ribeiro, concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge du CHU de Pointe-à-Pitre des dépens et d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et demandent à la cour, par la voie de l'appel incident, de condamner le centre hospitalier à verser à l'UDAF de Maine-et-Loire une somme portée à 13 727 703,12 euros et à Mme A... une somme de 508 979 euros,
avec intérêts au taux légal à compter du 27 août 2012 et capitalisation.
Elles soutiennent que :
- concernant la cause de l'asphyxie fœtale, l'expert ne s'est prononcé ni sur le rythme de perfusion du Syntocinon(r), ni sur le moment où la perfusion a été stoppée, ni sur l'éventuelle oxygénothérapie de la parturiente ; alors que l'excès de Syntocinon(r), injecté à une dose trente fois supérieure à la concentration recommandée, est la première cause clairement identifiable, l'expert a attribué l'accident de naissance à une pathologie non diagnostiquée ; le centre hospitalier ne conteste pas le surdosage de Syntocinon(r) ; il est établi que l'administration de Syntocinon(r) à partir de 11 heures a renforcé la fréquence des contractions utérines ; à forte dose, ce médicament entraîne des anomalies de la contractilité utérine, pouvant être responsables d'anomalies du rythme cardiaque fœtal ; le médicament a été administré selon des modalités qui ne permettaient pas un contrôle fin et continu de la dose injectée ; l'excès de Syntocinon(r) pouvait être diagnostiqué dès l'apparition des vomissements, symptôme du surdosage ; il est en outre recommandé, en cas d'hypercinésie, de réduire ou d'arrêter la perfusion de Syntocinon(r) en cas d'anomalies du rythme cardiaque fœtal ; si la cour ne s'estime pas suffisamment éclairée sur ce point, une nouvelle expertise pourra être ordonnée ; l'hypothèse d'hématome rétro placentaire a été écartée, et l'expert n'a pas identifié d'autre cause ;
- le jugement sera confirmé s'agissant du retard fautif d'extraction par césarienne de l'enfant ; l'hypotrophie fœtale, connu dès l'arrivée de la parturiente à la maternité, aurait dû justifier une plus grande réactivité médicale ; compte tenu de l'hypertonie iatrogène et de l'hypotrophie fœtale, la décision de césarienne aurait dû être prise quasi instantanément, de sorte que l'extraction aurait pu intervenir vers 12 h 45 ou 12 h 50 ;
- si l'extraction avait été réalisée dans les 20 minutes suivant le début de la bradycardie, soit à un moment où le rythme cardiaque était encore aux alentours de 90 bpm, Laurie aurait pu naître sans séquelles ; il convient donc d'indemniser l'intégralité du dommage et non une perte de chance de l'éviter ; si le lien de causalité avec le surdosage est retenu, il conviendra d'indemniser la totalité du dommage ; si la cour retenait cependant une perte de chance, elle ne saurait être inférieure à 70 % ;
- concernant les préjudices, une expertise complémentaire doit être ordonnée, portant sur les besoins qui n'ont pas été clairement évalués par l'expert, en particulier pour les équipements, matériels et consommables, l'assistance par une tierce personne en dehors de l'institution, et les frais de logement de Laurie et de ses parents ;
- les préjudices patrimoniaux futurs doivent être indemnisés sous la forme d'un capital, en utilisant le barème publié par la Gazette du Palais en 2020, déjà mis en œuvre par les juridictions administratives et judiciaires ; il est de l'intérêt de Laurie, placée sous tutelle, d'être indemnisée par un capital et non par le versement d'une rente ;
- en cas d'option pour une indemnisation des préjudices patrimoniaux futurs sous forme de rente, celle-ci devra être indexée sur l'indice de la consommation des ménages de l'INSEE s'agissant des dépenses de santé et des frais divers, et sur l'indice du coût horaire du travail de l'INSEE s'agissant des pertes de gains professionnels et des frais d'assistance par une tierce personne ;
- c'est à tort que le tribunal a entièrement déduit les sommes perçues au titre de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et de la prestation de compensation du handicap ; dans l'hypothèse d'une perte de chance, ces sommes ne peuvent être déduites que si elles excédent le montant des sommes laissées à la victime après application du taux de perte de chance ;
- s'agissant des dépenses de santé actuelles, le tribunal aurait dû admettre le matériel éducatif acquis au coût de 91,60 euros, indispensable à l'éveil et à la simulation de Laurie ; il est précisé que Laurie bénéficie de la couverture médicale universelle et n'a pas de mutuelle ;
- le jugement sera confirmé s'agissant des dépenses futures en matériel adapté et en consommables ; il est justifié de la part non prise en charge par la sécurité sociale ; l'indemnisation sera accordée sous forme d'un capital ;
- l'évaluation par le tribunal des frais d'éducation spécialisée et du forfait journalier sera confirmées en appel ; la dépense future est certaine ;
- c'est à tort que le tribunal a appliqué le taux de perte de chance aux frais de médecin-conseil, qui doivent être intégralement indemnisés ; ce poste de préjudice doit aussi inclure les honoraires de l'ergothérapeute conseil ;
- l'évaluation par le tribunal des frais de véhicule adapté sera confirmée en appel ; il est sollicité l'octroi d'un capital en se basant sur un renouvellement tous les 7 ans ; le tribunal a indemnisé le surcoût, et non la totalité des frais d'achat du véhicule ;
- s'agissant des frais de déplacement en véhicule léger sanitaire non pris en charge par la sécurité sociale, l'évaluation du tribunal, qui a pris en compte leur réduction pour l'avenir eu égard à l'acquisition d'un véhicule adapté, sera confirmée ;
- s'agissant des frais de logement adapté, il convient d'ordonner une expertise pour chiffrer le préjudice futur tenant à l'acquisition par Laurie d'un logement adapté à son handicap ; Laurie n'est pas astreinte à résider en permanence en institution ; à défaut, il conviendrait de doubler les frais de matériel pour que les logements, tant de son père que de la sa mère, puissent être aménagés ;
- s'agissant des frais d'assistance par une tierce personne, un enfant gravement handicapé nécessite une surveillance et un accompagnement excédant les besoins d'un enfant sans handicap, même avant ses deux ans ; cette assistance va au-delà des actes élémentaires de la vie quotidienne ; le besoin d'assistance est permanent ; l'aide doit être assurée par deux personnes à raison de 4 heures 15 par jour, ainsi que l'a relevé l'ergothérapeute conseil ; en dehors des périodes d'accueil en institution, qui sont justifiées, l'assistance a la plupart du temps été assurée par Mme A..., qui a parfois fait appel à une aide extérieure facturée au coût horaire
de 18,85 euros ; l'indemnisation pourra être basée sur un coût horaire de 13 euros jusqu'en 2003,
de 15 euros de 2004 à 2008 et de 18,85 euros à partir de 2009 ; le tribunal a sous-évalué le coût horaire ;
- il convient d'indemniser la part de gains professionnels futurs de Laurie par référence au salaire moyen des Français ; le jugement sera, sur ce point, confirmé ;
- contrairement à ce que fait valoir le centre hospitalier, l'inaptitude professionnelle de Laurie lui occasionne un préjudice d'incidence professionnelle, correspondant à la dévalorisation sociale du fait de ne pas pouvoir travailler ;
- le jugement sera confirmé s'agissant de l'évaluation du préjudice scolaire subi par Laurie qui a été privée d'accès à une scolarité du fait de son handicap ;
- le déficit fonctionnel temporaire de Laurie, qui doit être évalué en tenant compte de son âge, doit être indemnisé à hauteur de 1 050 euros par mois, soit une somme totale
de 247 824 euros ;
- les souffrances endurées par Laurie, de 6,5/7 pendant une période de 20 années, doivent être évaluées à 90 000 euros ;
- le déficit fonctionnel permanent de Laurie, estimé à 95 %, doit être évalué
à 900 000 euros ;
- conformément à la nomenclature Dintilhac, Laurie doit être indemnisée de son préjudice esthétique temporaire ; l'évaluation de ce préjudice à 15 000 euros sera confirmée en appel ;
- le préjudice esthétique permanent de Laurie doit être évalué à 40 000 euros ;
- Laurie, privée depuis sa naissance de toute activité de loisir ou sportive, a subi un préjudice d'agrément ; l'évaluation de ce préjudice à 90 000 euros sera confirmée en appel ;
- le jugement sera confirmé s'agissant de l'évaluation du préjudice sexuel et du préjudice d'établissement de Laurie ;
- Mme A... n'a pas pu rechercher d'emploi jusqu'à ce que Laurie soit accueillie en institution, puis a dû refuser la prolongation d'un contrat à durée déterminée incompatible avec le temps qu'elle devait consacrer à sa fille, et a connu une longue période de chômage non indemnisé ; elle a en conséquence subi une perte de gains professionnels qui doit être évaluée sur la base du revenu moyen de la catégorie employés, soit 1 700 euros par mois ;
- le jugement sera confirmé s'agissant de l'évaluation du préjudice d'affection et des troubles dans les conditions d'existence de Mme A... ; l'indemnisation de ces postes distincts ne conduit pas à une double indemnisation d'un même préjudice ;
Par un mémoire enregistré le 24 février 2021, la CPAM de Loire-Atlantique, représentée par Me Meunier, demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de condamner le CHU de Pointe-à-Pitre/Les Abymes à lui verser une somme totale de 3 573 028,45 euros, avec intérêts et capitalisation, au titre de ses débours échus et futurs, et de mettre à la charge du CHU de Pointe-à-Pitre/Les Abymes une somme de 2 000 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le centre hospitalier ne conteste ni le principe de sa responsabilité ni la perte de chance retenue par le tribunal ;
- elle avait sollicité devant le tribunal la condamnation du centre hospitalier à l'indemniser de ses débours futurs par le versement d'un capital ; le tribunal n'a pas répondu à cette demande ;
- en l'absence de contestation de l'établissement de santé sur sa demande de versement d'un capital, il convenait d'y faire droit ;
- après application du taux de perte de chance de 30 %, une somme totale
de 3 573 028, 45 euros doit lui être versée au titre de ses débours échus et futurs.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F... B...,
- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Meunier, représentant la CPAM de Loire-Atlantique, de Me Demailly, représentant le CHU de Pointe-à-Pitre/Les Abymes et de Me Grenon, représentant l'UDAF de Maine-et-Loire et Mme A... .
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., hospitalisée au centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre le 10 juillet 1998 en vue de son accouchement, y a donné naissance par césarienne, le 11 juillet, à l'enfant Laurie E..., atteinte d'une tétraplégie spastique et dystonique en lien avec une asphyxie fœtale. Par une ordonnance du 5 octobre 2005, le président du tribunal administratif de la Guadeloupe a ordonné une expertise médicale, confiée à un gynécologue-obstétricien et à un sapiteur pédiatre, dont le rapport a été remis le 18 mars 2009. Par un jugement du 2 juin 2020, le tribunal administratif de la Guadeloupe a estimé que les graves troubles neurologiques
de Mme E... devenue majeure trouvaient leur origine dans un retard fautif mis par l'équipe soignante à décider de pratiquer une césarienne et que cette faute avait fait perdre une chance, dont l'ampleur a été évaluée à 30 %, d'éviter que ce dommage advienne. Le tribunal a condamné le centre hospitalier à verser une somme de 1 269 310,35 euros, une rente de 25 873,92 euros
du 3 juin au 31 décembre 2020 et une rente annuelle de 28 247,04 euros à l'UDAF de Maine-et-Loire, tutrice légale de Mme E..., ainsi qu'une somme de 164 226,46 euros, sous déduction de la provision de 100 000 euros déjà versée, à Mme A..., en réparation de ses préjudices propres. Le tribunal a également condamné le centre hospitalier à rembourser les dépenses de santé futures de Mme E... dans la limite de 30 % du montant total réglé, hors prise en charge par l'assurance maladie, ainsi que les dépenses futures de location d'un logement adapté par Mme A.... Le tribunal a ensuite condamné le centre hospitalier à verser à la CPAM
de Maine-et-Loire une somme de 100 494,03 euros au titre des débours échus et à lui rembourser les dépenses de santé futures sur présentation de justificatifs et dans la limite de 30 % du montant total réglé. Le tribunal a enfin mis à la charge du CHU de Pointe-à-Pitre les sommes
de 4 400 euros au titre des frais d'expertise, de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et de 3 000 euros au titre des frais exposés par l'UDAF de Maine-et-Loire et Mme A... et non compris dans les dépens, et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
2. Dans l'instance enregistrée sous le n° 20BX02414, le CHU de Pointe-à-Pitre relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, l'UDAF de Maine-et-Loire et Mme A... demandent à la cour de rehausser les indemnisations qui leur ont été allouées par le tribunal. La CPAM de Loire-Atlantique, agissant pour le compte de la CPAM de Maine-et-Loire, relève appel de ce même jugement, par la voie de l'appel principal dans l'instance enregistrée sous
le n° 20BX02135 et par la voie d'appel incident dans l'instance enregistrée sous
le n° 20BX02414, uniquement en tant qu'il a condamné le CHU de Pointe-à-Pitre à rembourser les débours futurs de la CPAM de Maine-et-Loire sur présentation de justificatifs, à concurrence de 30 % de leur montant, et demande à la cour de condamner cet établissement à lui verser un capital d'un montant total de 3 573 028, 45 euros, avec intérêts et capitalisation, au titre de ses débours échus et futurs.
3. Il y a lieu de joindre les requêtes nos 20BX02135 et 20BX02414 qui sont relatives au même jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. En premier lieu, il résulte des écritures de première instance que la caisse avait demandé le remboursement des débours futurs, à titre principal sous forme d'un capital de 3 476 232,87 euros, ou à titre subsidiaire sous forme d'une rente annuelle de 77 530, 90 euros. Le tribunal a, au point 66 du jugement, retenu l'estimation de la caisse des débours futurs à 77 530,90 euros correspondant à des frais médicaux à hauteur de 66 506,67 euros et à des frais d'appareillage à hauteur de 11 024,23 euros, et décidé de lui accorder le remboursement de ces frais au fur à mesure qu'ils seraient exposés, sur présentation de justificatifs, dans la limite de la perte de chance retenue. Les premiers juges n'ont ainsi pas omis de statuer sur la demande de remboursement des débours futurs. Le choix de la forme de cette indemnisation relevant d'un pouvoir propre du juge, la circonstance que le tribunal a implicitement rejeté la demande tendant à ce que ce remboursement soit accordé sous forme d'un capital n'affecte pas la régularité de la motivation du jugement.
5. En deuxième lieu, contrairement à ce qu'affirme le CHU de Pointe-à-Pitre, sans autre précision, dans sa seule requête sommaire, le jugement est suffisamment motivé.
Sur les conclusions d'appel de la CPAM de Loire-Atlantique :
6. Eu égard aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale qui limitent le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale à l'encontre du responsable d'un accident corporel aux préjudices qu'elles ont pris en charge, le remboursement des prestations qu'une caisse sera amenée à verser à l'avenir, de manière certaine, prend normalement la forme du versement d'une rente et ne peut être mis à la charge du responsable sous la forme du versement immédiat d'un capital représentatif qu'avec son accord.
7. Si, comme le soutient la caisse appelante, le CHU de Pointe-à-Pitre ne s'est pas expressément opposé, dans ses écritures de première instance, à sa demande de remboursement des débours futurs exposés au profit de Mme E... sous forme d'un capital, cette absence d'opposition ne constitue pas un accord au sens des principes rappelés ci-dessus. Au demeurant, le centre hospitalier fait expressément état, en appel, de son désaccord pour une telle modalité de remboursement. Dans ces conditions, la CPAM de Loire-Atlantique n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a implicitement refusé de lui accorder ce remboursement sous la forme d'un capital.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par Mme A..., l'UDAF de Maine-et-Loire et le CHU de Pointe-à-Pitre, que la CPAM de Loire-Atlantique n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a statué sur les débours futurs de la caisse de Maine-et-Loire.
Sur les conclusions d'appel principal du CHU de Pointe-à-Pitre et les conclusions d'appel incident de l'UDAF du Maine-et-Loire et de Mme A... :
9. La responsabilité administrative à raison d'actes médicaux accomplis dans des établissements hospitaliers publics est engagée en cas de faute simple. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter ce dommage.
10. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. (...). ". Il appartient au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge l'existence d'une faute et la réalité du préjudice subi. Il incombe alors, en principe, au juge de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation. Il ne lui revient d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile.
11. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise du 18 mars 2009 et du partogramme renseigné par une sage-femme lors de l'accouchement de Mme A...
le 11 juillet 1998, qu'un médicament destiné à accentuer la contractilité utérine, le Syntocinon(r), a été administré à la parturiente à 11 h selon un dosage de 5 UI dans 20 ml de sérum. L'UDAF de Maine-et-Loire et Mme A... produisent notamment une note technique établie par un médecin-conseil spécialisé en pharmacovigilance, la notice Vidal du Syntocinon(r) et un mémoire de fin d'études de sage-femme relatif à l'utilisation du Syntocinon(r) au cours du travail spontané, lequel comporte des références de littérature médicale. Il résulte de ces éléments, d'une part, qu'un tel dosage excède largement celui recommandé, à savoir une dilution de 5 UI dans 500 ml de sérum, d'autre part, qu'un surdosage de ce médicament est susceptible d'entraîner une hypercinésie d'intensité et de fréquence et une hypertonie utérine favorisant la survenue d'une bradycardie fœtale signant une souffrance fœtale. L'expert, qui rappelle que l'analyse du placenta a conduit à écarter l'hypothèse d'un hématome rétro-placentaire, indique qu'" à 12 h 30 est apparue une bradycardie fœtale, contemporaine d'un excès de fréquence des contractions utérines ". Cette concomitance entre l'apparition de la bradycardie du fœtus et l'hypercinésie, à raison de 5 à 6 contractions en 10 minutes, résulte également du relevé du monitoring versé au dossier, et le partogramme fait apparaître, à 12 h 35, une hypertonie, une bradycardie et une souffrance fœtale. Selon la note technique du médecin-conseil spécialisé en pharmacovigilance, la souffrance fœtale à l'origine du handicap a pour cause identifiable la posologie inappropriée à laquelle a été administré le Syntocinon(r). Sur ce point, l'expert indique qu'" on ne peut pas retenir vraiment un excès d'administration du Syntocinon(r), bien qu'il puisse aussi induire un excès de fréquence des contractions utérines ", et que " l'excès de contractions utérines qui a accompagné la bradycardie fœtale reflète peut-être lui-même une pathologie sous-jacente non diagnostiquée ". Ces conclusions sont en contradiction avec les éléments médicaux produits par Mme A... et l'UDAF de Maine-et-Loire, et eu égard à leur imprécision, elles ne permettent pas de comprendre quel élément conduit l'expert à écarter, selon une formulation au demeurant ambiguë, l'existence d'un lien entre un surdosage médicamenteux qu'il n'exclut pas et la survenue de l'hypoxie fœtale. La cour n'est ainsi pas mise à même de déterminer si le dommage peut être imputé à un surdosage fautif de Syntocinon(r).
12. Par ailleurs, alors que l'expert indique que le seul traitement de l'asphyxie fœtale est la naissance de l'enfant à moindre délai, il résulte des éléments médicaux mentionnés au point précédent qu'en cas de bradycardie fœtale, il faut immédiatement interrompre l'administration de Syntocinon(r) et pratiquer une oxygénation de la parturiente. Il ne résulte pas des pièces du dossier médical versées au dossier que de tels actes médicaux auraient été réalisés lorsque la bradycardie fœtale a démarré, soit à 12 h 30. Mme A... et l'UDAF de Maine-et-Loire invoquent une faute à raison de l'absence de tels actes. Cette question n'a pas été abordée au cours de l'expertise et nécessite un avis médical impartial.
13. S'agissant enfin du retard d'extraction de l'enfant par césarienne, l'expert a retenu un retard de 15 minutes à la prise de décision en expliquant qu'alors qu'un ralentissement du rythme cardiaque fœtal pendant 10 minutes justifie une décision d'extraction, une telle décision n'a été prise qu'à 13 heures. Il résulte cependant de l'instruction que la bradycardie fœtale a commencé à 12 h 35 tandis que la décision d'extraction a été prise à 13 heures, soit dans un délai supérieur à celui retenu par l'expert. Mme A... et l'UDAF de Maine-et-Loire font en outre valoir que le contexte dans lequel est apparue la bradycardie, caractérisé par une hypotrophie fœtale et un effet délétère de l'administration de Syntocinon(r), justifiait une prise de décision d'extraction plus précoce. Sur ce point, l'expert a clairement mentionné que l'hypotrophie présentée à la naissance par Laurie n'était ni diagnostiquée, ni détectable avant la naissance, compte tenu de l'absence de tout signe lors de la dernière échographie fœtale et de la hauteur utérine, laquelle n'était pas de nature à révéler une anomalie. En revanche, l'expert ne s'est pas prononcé sur le délai dans lequel une bradycardie continue doit conduire à une décision d'extraction lorsque la parturiente présente une hypercinésie et une atonie utérine à la suite d'administration d'ocytocines de synthèse. Par ailleurs, s'agissant du délai de 23 minutes de réalisation de la césarienne, il a écarté toute faute en se référant, de manière générale, au délai maximal de trente minutes nécessaire pour faire naître en urgence un enfant par césarienne. Cependant, et comme le font valoir Mme A... et l'UDAF de Maine-et-Loire, alors que l'expert indique qu'un tiers des césariennes sont pratiquées dans un délai inférieur à 15 minutes, il ne précise pas si, en l'espèce, soit dans le cadre d'une bradycardie permanente ayant débuté depuis déjà 25 minutes, le degré d'urgence justifiait que l'extraction soit pratiquée dans un délai plus bref.
14. Il résulte de ce qui a été dit aux points 11 à 13 que le rapport d'expertise
du 18 mars 2009 ne repose pas sur une analyse complète des éléments médicaux et que ses conclusions sont, sur certains points, ambiguës ou imprécises. De plus, les nombreux éléments médicaux apportés par les parties sont, sur plusieurs points, en contradiction avec ces conclusions. Le rapport d'expertise et les pièces versées au dossier ne permettent ainsi de déterminer ni l'origine du dommage, ni la part respective prise par les différents facteurs qui ont pu y concourir, ni enfin l'ampleur de la perte de chance. Par suite, il y a lieu, avant de statuer sur les droits à réparation des préjudices subis par Mme E... et sa mère, Mme A..., d'ordonner une expertise médicale aux fins et dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.
DECIDE :
Article 1er : La requête n° 20BX02135 de la CPAM de Loire-Atlantique, ensemble des conclusions d'appel incident présentées dans l'instance 20BX02414, sont rejetées.
Article 2 : Avant de statuer sur la requête n° 20BX02414 du CHU de Pointe-à-Pitre et les conclusions d'appel incident de l'UDAF de Maine-et-Loire, il sera procédé à une expertise, confiée à un gynécologue-obstétricien, en présence des parties.
Article 3 : L'expert aura pour mission de :
1°) prendre connaissance du dossier médical et de tous documents concernant la naissance de Mme E..., détenus par des établissements ou professionnels de santé ou produits par Mme A... et l'UDAF de Maine-et-Loire, ainsi que du rapport d'expertise judiciaire du 18 mars 2009 ; convoquer et entendre les parties et tous sachants ;
2°) décrire les conditions dans lesquelles la prise en charge de l'accouchement
de Mme A... a été réalisée les 10 et 11 juillet 1998 au CHU de Pointe-à-Pitre en réunissant tous les éléments devant permettre de déterminer si cette prise en charge (investigations, traitements, soins, surveillance, organisation du service) a été exempte de manquement ;
3°) concernant la prise en charge médicale, en s'appuyant sur la littérature médicale dont les références seront précisées, dire si elle a été conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science à l'époque des faits en litige ; éclairer en particulier la cour concernant l'administration de Syntocinon(r), en précisant si la posologie était excessive au regard des bonnes pratiques médicales et si la souffrance fœtale peut être attribuée à un surdosage de ce médicament ; indiquer si des actes médicaux, en particulier un arrêt de l'administration de Syntocinon(r) et une oxygénation de la parturiente, auraient dû être réalisés lors de la survenue de la bradycardie fœtale ;
4°) concernant l'organisation et le fonctionnement du service, en s'appuyant sur la littérature médicale dont les références seront précisées, indiquer s'ils ont été conformes aux bonnes pratiques et aux recommandations alors existantes, notamment s'agissant du délai d'extraction par césarienne de l'enfant, incluant tant le délai de décision de pratiquer une césarienne que le délai de réalisation de cet acte ;
5°) déterminer l'origine du handicap de Mme E... en appréciant, le cas échéant, la part respective prise par les différents facteurs qui y auraient concouru en recherchant, à cet égard, quelle incidence sur la survenance du dommage ont pu avoir la présence d'autres pathologies et l'état antérieur, en donnant toutes précisions utiles sur le mécanisme pathogénique en cause ; le cas échéant, déterminer la part du dommage présentant un lien de causalité direct, certain et exclusif avec le ou les manquements reprochés au CHU de Pointe-à-Pitre, en excluant la part des séquelles à mettre en relation avec la pathologie initiale, son évolution ou toute autre cause extérieure ;
6°) préciser, dans le cas où le ou les manquements éventuellement commis au cours de la prise en charge médicale n'ont entraîné pour Mme E... qu'une perte de chance d'échapper au dommage constaté, le taux de cette perte de chance, en retranscrivant au besoin les passages de la littérature scientifique qui lui paraîtraient pertinents.
Article 4 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du code de justice administrative, tous documents utiles, et notamment tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressée.
Article 5 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Après avoir prêté serment,
il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Article 6 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code
de justice administrative, l'expert déposera son rapport sous forme dématérialisée dans le délai fixé par le président de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec l'accord de ces dernières, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.
Article 7 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par
le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse primaire d'assurance maladie
de Loire-Atlantique, à la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire, au centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre/Les Abymes, à l'Union départementale des associations familiales de Maine-et-Loire en qualité de tutrice de Mme C... E..., et à Mme D... G... A....
Délibéré après l'audience du 14 juin 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Anne Meyer, présidente,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2022.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve B...
La présidente,
Anne Meyer
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de la prévention en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX02135, 20BX02414