COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. Angelillo, [2006] 2 R.C.S. 728, 2006 CSC 55
Date : 20061208
Dossier : 30681
Entre :
Sa Majesté la Reine
Appelante
c.
Gennaro Angelillo
Intimé
Traduction française officielle : Motifs du juge Fish
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Charron
Motifs de jugement :
(par. 1 à 38)
Motifs concordants :
(par. 39 à 73)
La juge Charron (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, LeBel et Deschamps)
Le juge Fish (avec l’accord du juge Binnie)
______________________________
R. c. Angelillo, [2006] 2 R.C.S. 728, 2006 CSC 55
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
Gennaro Angelillo Intimé
Répertorié : R. c. Angelillo
Référence neutre : 2006 CSC 55.
No du greffe : 30681.
2005 : 8 décembre; 2006 : 8 décembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Charron.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Beauregard, Mailhot et Doyon), [2004] J.Q. no 11670 (QL), qui a confirmé une décision de la juge Corte. Pourvoi rejeté.
Michel Pennou et Dominique Benoît, pour l’appelante.
Robert Delorme et Eliane Hogue, pour l’intimé.
Le jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, LeBel, Deschamps et Charron a été rendu par
La juge Charron —
1. Introduction
1 Lors de la détermination de la peine, convient-il que le tribunal prenne en compte des éléments de preuve tendant à démontrer la commission d’une autre infraction pour laquelle le délinquant a été inculpé mais n’a pas été condamné? Si une telle preuve est admissible en principe, est-il dans l’intérêt de la justice en l’espèce d’autoriser la Couronne à introduire cette preuve nouvelle en appel?
2 À la suite de son plaidoyer de culpabilité relativement à une accusation de vol, Gennaro Angelillo a été condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour à purger dans la collectivité, sous réserve de l’observation de certaines conditions qui ne sont pas en cause pour les besoins du présent pourvoi. Au moment de la détermination de la peine, la procureure de la Couronne ignorait que M. Angelillo faisait l’objet d’une nouvelle enquête policière concernant des incidents survenus après le plaidoyer de culpabilité et qui ont plus tard mené à de nouvelles accusations. En se fondant sur ces éléments de preuve, la Couronne présente à la Cour d’appel du Québec trois requêtes dans lesquelles elle sollicite l’introduction d’une nouvelle preuve, la permission d’appeler de la peine et le sursis à l’exécution de la peine. La Cour d’appel rejette la requête relative à la nouvelle preuve, parce que, selon elle, « [i]l ne s’agit pas [. . .] d’éléments pertinents » et « [a]ccepter la proposition du ministère c’est accepter que l’intimé puisse être puni plus sévèrement pour avoir commis un acte dont il pourrait éventuellement être déclaré non coupable » ([2004] J.Q. no 11670 (QL), par. 6 et 14). Elle rejette également les deux autres requêtes. La Couronne se pourvoit devant la Cour.
3 Tout comme devant la Cour d’appel, le présent pourvoi porte principalement sur l’admissibilité de la nouvelle preuve. Les critères d’admissibilité sont les mêmes devant notre Cour et ils sont bien connus. La Cour d’appel devait déterminer, en vertu du par. 687(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 (« C. cr. »), s’il était utile d’exiger ou de recevoir une preuve supplémentaire. Selon les critères énoncés dans Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, et retenus dans R. c. Lévesque, [2000] 2 R.C.S. 487, 2000 CSC 47, la cour d’appel ne devrait généralement pas admettre un élément de preuve qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produit en première instance, à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles, et ne doivent être admis que des éléments de preuve qui sont pertinents, plausibles et dont on peut raisonnablement penser qu’ils auraient influé sur le résultat s’ils avaient été produits en première instance avec les autres éléments de preuve.
4 La Couronne prétend que la Cour d’appel a fait erreur en concluant que la preuve de faits tendant à démontrer la commission d’une autre infraction n’est pas pertinente pour déterminer la peine appropriée, quelle que soit la fin poursuivie, à moins que l’infraction en question n’ait fait l’objet d’une déclaration de culpabilité. La Couronne veut faire cette preuve nouvelle, non pas pour prouver la commission de cette autre infraction, mais uniquement pour établir le caractère de M. Angelillo — distinction qui a été reconnue par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Edwards (2001), 155 C.C.C. (3d) 473, mais rejetée par la Cour d’appel en l’espèce. Compte tenu des arguments relatifs à la peine qui ont été présentés et plus particulièrement du rapport présentenciel, selon lequel M. Angelillo « a effectué une remise en question qui paraît sincère face à ses agirs inadéquats » et son « passage devant la Cour [a] eu un impact dissuasif majeur », la Couronne prétend que la preuve nouvelle satisfait aisément le critère de la pertinence.
5 Bien que je conclue que la preuve nouvelle est pertinente et que je reconnaisse que, en principe, il est possible dans certains cas d’admettre des éléments de preuve tendant à démontrer la commission d’une autre infraction pour laquelle le délinquant n’a pas été condamné, afin de permettre au tribunal de déterminer la peine juste et appropriée, je suis d’avis, pour les motifs qui suivent, de rejeter le présent pourvoi. Puisque la preuve nouvelle constitue le fondement d’autres accusations portées contre M. Angelillo et pour lesquelles il n’a pas encore subi son procès, elle ne peut être admise que dans le cadre de la procédure prévue aux al. 725(1)b) ou b.1) C. cr. Entre autres conditions, cette procédure exige le consentement du délinquant. Qui plus est, je suis d’avis que la Couronne n’a pas fait preuve de diligence raisonnable. Par conséquent, la décision de la Cour d’appel de ne pas admettre la preuve nouvelle est confirmée et le pourvoi est rejeté.
2. Faits et historique judiciaire
2.1 Cour du Québec
6 Le 13 janvier 2003, devant la Cour du Québec, M. Angelillo plaide coupable à une accusation de vol de plus de 5 000 $, en contravention de l’al. 334a) C. cr. À plus de 37 occasions au cours d’une période d’environ un mois et demi, M. Angelillo, qui travaille alors comme agent de sécurité, a omis de faire des dépôts dont il était chargé par son employeur, s’appropriant plutôt ces sommes d’argent. Il a ainsi détourné plus de 425 000 $, dont il a utilisé une part importante pour payer des dettes contractées auprès de personnes associées au crime organisé, qui les menaçaient, lui et sa famille. La police a également saisi 150 000 $ lors d’une perquisition à sa résidence.
7 Rien au dossier n’indique clairement pourquoi l’audience de détermination de la peine n’a pris fin que le 21 avril 2004, soit plus de 15 mois après le plaidoyer de culpabilité. La juge Corte condamne alors M. Angelillo à une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour à purger dans la collectivité, assortie d’une période de probation de deux ans, et lui ordonne de verser 268 430 $ à titre de dommages-intérêts en application de l’art. 738 C. cr. Ce faisant, le tribunal se range aux arguments de la défense plutôt qu’à ceux de la Couronne, qui demandait une peine de trois ans d’incarcération ferme.
8 La juge Corte souligne que le délinquant n’a pas d’antécédents judiciaires, qu’il a plaidé coupable dès le début des procédures, qu’il a exprimé des remords et qu’il a fait l’objet d’un rapport présentenciel favorable. Elle note aussi que M. Angelillo occupe alors trois emplois et qu’il est l’unique soutien de son épouse et de ses trois enfants, âgés de 15 mois, quatre ans et sept ans respectivement. De plus, se reportant au rapport présentenciel, daté du 15 mai 2003, la juge mentionne que le délinquant « a effectué une remise en question sincère face à ses agirs inadéquats, qu’il s’est mobilisé dans un processus de réinsertion sociale [. . .] et également un suivi thérapeutique » et « son passage à la Cour a eu un impact dissuasif majeur chez le contrevenant ». Le rapport indique également que M. Angelillo ne représente pas un grand danger et que les risques de récidive sont faibles. La juge Corte précise que le cas de M. Angelillo comporte une particularité : il a volé parce que sa vie et celle de sa famille étaient menacées par des créanciers ayant un lien avec le crime organisé. Un élément de preuve matérielle confirme que M. Angelillo avait reçu des menaces, ce qui n’est pas contesté par la Couronne. La juge Corte conclut donc qu’en l’espèce les objectifs pénologiques de dissuasion et de dénonciation peuvent être respectés par l’infliction d’une peine avec sursis assortie de certaines conditions restrictives de liberté.
2.2 La preuve nouvelle
9 Par suite de cette décision, la Couronne a saisi la Cour d’appel de requêtes sollicitant la permission d’interjeter appel, le sursis à l’exécution de la peine et la permission de produire une preuve nouvelle. Par cette dernière requête, elle entend déposer des éléments de preuve démontrant : (1) que le 20 août 2003, M. Angelillo a été arrêté à un comptoir Insta-Chèque alors qu’il tentait d’encaisser un faux chèque certifié de la Banque Nationale du Canada, libellé à son ordre, au montant de 12 000 $; (2) que le 21 janvier 2004, lors d’une perquisition au domicile de M. Angelillo, les policiers ont trouvé un tampon de la Banque Nationale avec l’inscription « chèque certifié », ainsi qu’une trousse de départ comportant une série de chèques non personnalisés, objets provenant d’une succursale de la Banque Nationale où M. Angelillo faisait des travaux d’entretien ménager. Ces allégations constituent le fondement des nouvelles accusations portées contre M. Angelillo.
10 La Couronne prétend que ces éléments de preuve n’étaient pas disponibles en première instance et qu’elle a fait preuve de diligence pour produire devant la juge Corte toute la preuve pertinente. Elle présente, à l’appui de cette prétention, un affidavit de la procureure responsable du dossier en première instance. Selon cet affidavit, au début du mois de juin 2003, par suite d’une indiscrétion de la part de la sergente détective chargée du dossier, qui a informé M. Angelillo des intentions de la Couronne quant à la peine demandée, la procureure de la Couronne a annoncé à la sergente détective que sa présence à l’audience de détermination de la peine ne serait plus requise et qu’elle communiquerait dorénavant exclusivement avec son supérieur. Avant l’audience, la procureure a vérifié les plumitifs, qui n’ont rien révélé au sujet de M. Angelillo, mais elle n’a contacté ni la sergente détective ni son supérieur. Le 21 avril 2004, peu après le prononcé de la sentence par la juge Corte, la sergente détective a rencontré par hasard la procureure au Palais de justice et lui a fait part des faits que la Couronne cherche à introduire à titre de preuve nouvelle. L’affidavit du policier chargé de la nouvelle enquête indique, quant à lui, que la sergente détective était au courant de cette enquête depuis le 19 janvier 2004.
2.3 Cour d’appel
11 La Cour d’appel du Québec (les juges Beauregard, Mailhot et Doyon) rejette les trois requêtes de la Couronne, puisque, selon elle, les éléments de preuve ne sont pas pertinents. La cour indique d’abord que, en raison de la présomption d’innocence, le fait que M. Angelillo ait été accusé ne prouve rien. Elle souligne ensuite qu’en l’espèce ce n’est pas le fait qu’il a été accusé d’un autre crime que la Couronne veut prouver mais le bien-fondé de l’accusation. À cet égard, la Cour d’appel rejette la prétention de la Couronne voulant que la preuve nouvelle soit admissible comme preuve de caractère en vertu des principes énoncés par le juge Rosenberg dans Edwards. Selon elle, il est incompatible avec la présomption d’innocence de prendre en compte, aux fins de détermination de la peine, des faits susceptibles de fonder une accusation criminelle distincte qui n’a pas fait l’objet d’une condamnation (par. 11). Elle conclut que la prise en compte d’éléments de preuve tendant à démontrer qu’un accusé a commis une autre infraction pour laquelle il n’a pas été condamné équivaut à le punir plus sévèrement pour avoir commis un acte à l’égard duquel il pourrait en fin de compte être déclaré non coupable (par. 14).
3. Analyse
3.1 Admissibilité de la nouvelle preuve
12 Comme il a été indiqué plus haut, le tribunal d’appel saisi d’une requête en admissibilité d’une preuve nouvelle doit décider, en vertu du par. 687(1) C. cr., s’il est utile d’exiger ou de recevoir une preuve supplémentaire. C’est donc le souci de servir l’intérêt de la justice qui doit guider le tribunal d’appel dans son appréciation de l’admissibilité d’une preuve nouvelle.
13 Dans l’arrêt Lévesque, par. 35, la Cour a adapté à l’appel d’une peine les quatre critères qui permettent de circonscrire l’intérêt de la justice aux fins d’admission d’une preuve nouvelle en appel d’un verdict, critères qui avaient été énoncés dans Palmer :
(1) On ne devrait généralement pas admettre un élément de preuve qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produit en première instance, à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles.
(2) La preuve doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant à la sentence.
(3) La preuve doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi.
(4) La preuve doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu'avec les autres éléments de preuve produits en première instance, elle aurait influé sur le résultat.
14 Dans Lévesque, la Cour a reconnu que les règles strictes du procès ne s’appliquent pas à l’audience relative à la sentence, car, pour déterminer la peine appropriée, le juge doit disposer des renseignements les plus complets possibles sur l’accusé (par. 30). La Cour a statué que les critères de l’arrêt Palmer ne compromettent pas cet assouplissement des règles et elle a souligné qu’ils étaient tout aussi importants lorsque l’appel porte sur la sentence. Il est utile en l’espèce de rappeler pourquoi :
L’intégrité du processus en matière pénale de même que le rôle des cours d'appel pourraient être menacés par l'admission d'éléments de preuve nouveaux de façon routinière en appel, car un système de détermination de la peine à deux niveaux serait ainsi créé. Un tel système à deux niveaux serait incompatible avec la norme de contrôle élevée applicable aux appels de sentence et les « profondes justifications fonctionnelles » qui la sous-tendent : voir R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, au par. 91. En effet, malgré la nouvelle preuve, le juge qui a infligé la peine, contrairement au juge d’appel, a l'avantage d'avoir pu apprécier directement les autres éléments de preuve, les témoignages et les observations présentées par les parties, en plus de bien connaître les besoins de la communauté où le crime a été commis et les conditions qui y règnent : voir M. (C.A.), précité, au par. 91. Par ailleurs, les cours d'appel ne sont pas le forum approprié pour trancher des questions de fait et elles ne devraient le faire que lorsque la nouvelle preuve possède certaines caractéristiques justifiant l’élargissement de leur rôle traditionnel. Notre Cour a déjà identifié ces caractéristiques dans l'arrêt Palmer. À mon avis, peu importe que l'appel porte sur un verdict ou une sentence, les critères énumérés par notre Cour dans Palmer sont les critères applicables lorsqu'une cour d'appel détermine si elle doit recevoir des éléments de preuve nouveaux. [par. 20]
15 Conformément aux trois derniers critères de l’arrêt Palmer, une cour d’appel ne peut donc admettre que des éléments de preuve qui sont pertinents, plausibles et dont on peut raisonnablement penser qu’ils auraient influé sur le résultat s’ils avaient été produits en première instance avec les autres éléments de preuve. Pour ce qui est du premier critère, la Cour a affirmé à plusieurs reprises qu’on ne devrait pas invoquer le défaut de satisfaire au critère de la diligence raisonnable pour refuser d’admettre des éléments de preuve nouveaux en appel s’ils sont convaincants et s’il est dans l'intérêt de la justice de les admettre (Lévesque, par. 15; R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 579, par. 51). Il n’en demeure pas moins que c’est un critère important, qui vise plus particulièrement à protéger l’intérêt et l’administration de la justice et à sauvegarder le rôle des cours d’appel (Lévesque, par. 30, citant R. c. M. (P.S.) (1992), 77 C.C.C. (3d) 402 (C.A. Ont.), p. 410).
16 En l’espèce, je suis d’avis que la Couronne n’a pas fait preuve de diligence raisonnable et que, compte tenu de l’intérêt de l’administration de la justice, ce manquement est déterminant. Le conflit entre la procureure de la Couronne et la sergente détective explique peut‑être pourquoi les éléments de preuve faisant aujourd’hui l’objet de la requête de la Couronne n’ont pas été présentés à l’audience de détermination de la peine, mais il ne constitue pas une preuve de diligence raisonnable. La preuve démontre sans équivoque que, n’eût été cette rupture de la communication, la Couronne aurait été à même de soumettre les éléments de preuve pertinents à la juge de première instance. Il ne saurait être dans l’intérêt de l’administration de la justice de sanctionner cette absence de coordination et de collaboration entre la Couronne et la force policière.
17 Puisque je suis d’avis que l’absence de diligence raisonnable constitue le critère déterminant en l’espèce, il n’est pas nécessaire de trancher la question du caractère décisif de la preuve nouvelle ou de décider si les éléments de preuve nouveaux — qui sont vivement contestés par M. Angelillo — sont suffisamment crédibles. Par contre, j’estime qu’il peut être utile de faire quelques observations générales sur la pertinence de la preuve d’actes qui n’ont pas fait l’objet ni d’une accusation ni d’une condamnation puisqu’il appert que la Cour d’appel a rejeté d’emblée le raisonnement du juge Rosenberg de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Edwards. Notamment, la cour a indiqué qu’elle ne voyait pas la distinction que fait le juge Rosenberg lorsqu’il enseigne qu’on ne saurait faire la preuve de tels actes dans le but d’obtenir une peine démesurée contre le délinquant pour l’infraction en cause ou le punir pour avoir commis une infraction pour laquelle il n’a pas été condamné, mais que la preuve de tels actes peut être faite dans le but de faire la lumière sur la situation et le caractère du délinquant. Je suis d’avis que le juge Rosenberg a raison quand il fait cette distinction et que cette dernière est importante. Je traiterai donc d’abord de certains principes généraux d’admissibilité des faits extrinsèques pour déterminer la peine et je commenterai ensuite la pertinence des éléments de preuve que la Couronne voulait produire en l’espèce.
3.2 La présomption d’innocence et la détermination de la peine
18 Tout accusé jouit de la présomption d’innocence. Ce droit fondamental est non seulement énoncé à l’art. 6 C. cr. mais il est aussi garanti par l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. La présomption d’innocence n’est cependant pas immuable. De toute évidence, au stade de l’infliction de la peine, elle a été effectivement réfutée relativement à l’infraction pour laquelle l’accusé a été condamné. Afin de déterminer la peine juste et appropriée, le juge peut donc, sans contredit, tenir compte des faits qui constituent l’infraction prouvée. De plus, la détermination de la peine est un processus individualisé pour lequel il faut prendre en considération, non seulement les circonstances de l’infraction, mais aussi la situation particulière du contrevenant. Tout d’abord, j’aimerais souligner que les conditions d’admissibilité et la norme de preuve applicables pour établir toutes les circonstances pertinentes aux fins de détermination de la peine sont des questions qui ont déjà été abordées par la Cour et qu’il ne s’agit en rien de principes nouveaux.
19 Dans l’arrêt unanime Lees c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 749, le juge McIntyre a affirmé qu’un élément de preuve tendant à démontrer une possible infraction n’ayant pas fait l’objet d’un procès était admissible dans les circonstances, parce que l’appelant avait présenté une preuve de bonne réputation, et que l’élément susmentionné, produit en réplique, portait sur « la réputation, la conduite et l’attitude de l’[accusé], des éléments qui peuvent à juste titre être pris en considération pour établir la sentence » (p. 754). En conséquence, la Cour a statué que le juge du procès n’avait pas commis d’erreur en acceptant en preuve le témoignage d’un policier selon lequel, à peine un an après l’infraction reprochée en l’espèce, l’accusé avait une arme et un masque dans son appartement et préparait, de son propre aveu, un autre crime. En se fondant sur cette preuve, le juge du procès a dit qu’il n’était « pas convaincu que l’accusé ait reçu sa leçon » (p. 753). Le juge McIntyre insiste sur ces motifs du juge du procès pour distinguer cette affaire de celles où il était évident que le tribunal a rendu une peine plus sévère sur la base d’infractions antérieures au procès qui n’ont pas été prouvées et n'ont fait l'objet d'aucune poursuite (p. 754).
20 Dans R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368, la Cour a reconnu l’importance, d’une part, d’obtenir toute l’information pertinente et, d’autre part, de respecter les droits de l’accusé, lors de l’audience de détermination de la peine. Le juge Dickson s’est exprimé en ces termes :
Une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doit remplir est la détermination de la sentence. Les enjeux sont importants pour l'individu et la société. La détermination de la sentence constitue une étape décisive du système de justice pénale et il est manifeste qu'on ne doit pas enlever au juge la possibilité d'obtenir des renseignements pertinents en imposant toutes les restrictions des règles de preuve applicables à un procès. D'autre part, il faut que le rassemblement et l’évaluation de ces éléments de preuve soient justes. La liberté de l'accusé en dépend largement et il faut que les renseignements fournis soient exacts et sûrs.
Tout le monde sait que les règles strictes qui régissent le procès ne s'appliquent pas à l'audience relative à la sentence et il n'est pas souhaitable d'imposer la rigueur et le formalisme qui caractérisent normalement notre système de procédures contradictoires. La règle interdisant le ouï-dire ne s'applique pas aux audiences relatives aux sentences. On peut recevoir des éléments de preuve par ouï-dire s'ils sont crédibles et fiables. Jusqu'ici, le juge a joui d'une grande latitude pour choisir les sources et le genre de preuves sur lesquelles il peut fonder sa sentence. Il doit disposer des renseignements les plus complets possibles sur les antécédents de l'accusé pour déterminer la sentence en fonction de l'accusé plutôt qu'en fonction de l'infraction. [p. 414]
La Cour a estimé que, afin de protéger l’accusé, la norme de preuve applicable pour établir les circonstances aggravantes était celle de la preuve hors de tout doute raisonnable.
21 Depuis les arrêts Lees et Gardiner, la détermination de la peine a beaucoup évolué, notamment à la suite de l’entrée en vigueur en 1996 de la partie XXIII du Code criminel. En effet, la partie XXIII forme un véritable code pénologique à l’intérieur du Code criminel, ce qui permet maintenant d’aborder les questions de détermination de la peine de façon beaucoup plus systématique : voir R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, par. 93; R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, 2000 CSC 5, par. 14. Ainsi, c’est le Code criminel qui établit les conditions d’admissibilité de faits extrinsèques à l’infraction visée par la peine, et toute la jurisprudence antérieure doit être revue à la lumière de ces nouvelles dispositions. Cependant, comme nous le verrons, les principes établis dans Lees et Gardiner ont été retenus dans les nouvelles dispositions de la partie XXIII.
3.3 Principes de détermination de la peine
22 Les principes de détermination de la peine sont maintenant codifiés et sont énoncés aux art. 718 à 718.2 C. cr. Ces dispositions confirment que l’infliction de la peine est un processus individualisé, qui doit prendre en compte non seulement les circonstances de l’infraction mais aussi la situation particulière du délinquant (voir Gladue; Proulx, par. 82). Par conséquent, les objectifs de la détermination de la peine ne peuvent être pleinement réalisés que si le tribunal dispose des informations pertinentes pour l’appréciation de la situation, du caractère et de la réputation de l’accusé. Le tribunal devra donc prendre en considération des faits extrinsèques à l’infraction, faits dont la preuve devra souvent être établie par l’admission d’éléments de preuve additionnels.
23 Puisque le délinquant ne doit être puni que pour l’infraction en cause, en règle générale le tribunal n’admettra pas d’éléments de preuve concernant d’autres infractions non prouvées. En l’espèce, la Cour d’appel a à juste titre rappelé les propos suivants du juge LeBel dans l’affaire R. c. Pelletier, [1989] A.Q. no 1651 (QL) (C.A.) :
Si l’on peut démontrer la nature de la personnalité de l’accusé et ainsi, établir son dossier criminel antérieur, l’étape de la sentence ne doit pas devenir une occasion de punir indirectement l’accusé pour des infractions que l’on n’a pu établir par le mode normal de preuve et de procédure ou que l’on n’a pas voulu porter.
24 Le Code criminel contient maintes dispositions qui prévoient l’admissibilité, à l’audience de détermination de la peine, d’éléments de preuve qui, de par leur nature, peuvent démontrer que le délinquant a commis une autre infraction. Premièrement, preuve peut être faite de toutes condamnations antérieures. L’admissibilité de cette preuve extrinsèque ne pose généralement aucun problème. Entre autres, l’al. 721(3)b) précise que, sauf détermination contraire du tribunal, ce renseignement figure dans le contenu de tout rapport présentenciel. Il ne fait aucun doute que le tribunal peut prendre en compte l’existence de condamnations antérieures pour déterminer la peine appropriée. Ce faisant toutefois, le tribunal ne doit pas punir le délinquant de nouveau. Le principe fondamental de la proportionnalité exige que la peine soit proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant; par conséquent, une condamnation antérieure ne saurait justifier une peine démesurée. Ce principe, énoncé à l’art. 718.1 C. cr., assure au délinquant récidiviste le droit de ne pas être « puni de nouveau », qui lui est garanti par l’al. 11h) de la Charte. La peine infligée risque d’être plus sévère dans le cas d’un délinquant récidiviste, mais cette conséquence ne porte pas atteinte au droit de ce délinquant de ne pas être puni de nouveau. Dans les limites de la proportionnalité, la peine infligée dans un tel cas n’est que le reflet du processus individualisé de la détermination de la peine.
25 Deuxièmement, aux termes des al. 725(1)b) ou b.1), le tribunal est tenu de prendre en considération, pour la détermination de la peine, d’autres accusations portées contre le délinquant pour lesquelles il n’a pas été condamné lorsque certaines conditions sont remplies. Lorsque cette procédure est invoquée, il va de soi que le tribunal considérera les faits constituant le fondement de ces autres accusations. De plus, l’al. 725(1)c) autorise le tribunal à prendre en considération les faits liés à la perpétration de l’infraction sur lesquels pourrait être fondée une accusation distincte. Comme cet article est tout particulièrement pertinent en l’espèce, je reproduis son texte en entier ci‑après :
725. (1) Pour la détermination de la peine, le tribunal :
a) est tenu, s’il est possible et opportun de le faire, de prendre en considération toutes les infractions dont le délinquant a été déclaré coupable par le même tribunal et de déterminer la peine à infliger pour chacune;
b) est tenu, si le procureur général et le délinquant y consentent, de prendre en considération toutes autres accusations, relevant de sa compétence, portées contre le délinquant à l’égard desquelles celui-ci consent à plaider coupable et plaide coupable et de déterminer la peine à infliger pour chacune, à l’exception de celle qui, à son avis, devrait, pour l’intérêt public, faire l’objet d’une nouvelle poursuite;
b.1) est tenu de prendre en considération chacune des autres accusations portées contre le délinquant — à l’exception de celle qui, à son avis, devrait, pour l’intérêt public, faire l’objet d’une nouvelle poursuite — si les conditions suivantes sont remplies :
(i) le procureur général et le délinquant y consentent,
(ii) l’accusation relève de sa compétence,
(iii) la procédure s’est déroulée dans le cadre d’une audience publique,
(iv) le délinquant reconnaît la véracité des faits en cause,
(v) le délinquant reconnaît avoir commis l’infraction en cause;
c) peut prendre en considération les faits liés à la perpétration de l’infraction sur lesquels pourrait être fondée une accusation distincte.
(1.1) Pour l’application des alinéas (1)b) et b.1), le procureur général ne peut donner son consentement qu’après avoir tenu compte de l’intérêt public.
(2) Sont notés sur la dénonciation ou l’acte d’accusation :
a) les accusations prises en considération au titre de l’alinéa (1)b.1);
b) les faits pris en considération au titre de l’alinéa (1)c).
Aucune autre poursuite ne peut être prise relativement à une infraction mentionnée dans ces accusations ou fondée sur ces faits, sauf si la déclaration de culpabilité pour laquelle la peine est infligée est écartée ou annulée en appel.
26 Puisqu’en l’espèce la preuve nouvelle a donné lieu à d’autres accusations contre M. Angelillo, ces accusations auraient pu faire l’objet de l’application de l’al. 725(1)b) ou b.1), mais aucun de ces alinéas ne pouvait être invoqué sans le consentement de M. Angelillo. Par ailleurs, l’al. 725(1)c) — qui permet la prise en considération de faits liés à la perpétration de l’infraction qui n’ont pas fait l’objet d’une accusation — ne requiert pas le consentement du délinquant. La portée de cette disposition est discutée dans l’arrêt R. c. Larche, [2006] 2 R.C.S. 762, 2006 CSC 56. Je souligne tout simplement pour les besoins de mon analyse que, même si de nouvelles accusations n’avaient pas été portées contre M. Angelillo, cette disposition n’aurait pu être invoquée, puisque les faits allégués dans la preuve nouvelle n’étaient pas « liés à la perpétration de l’infraction » au sens de cet alinéa. Lorsque les conditions prévues à l’art. 725 sont remplies, la prise en considération d’autres infractions ne porte pas atteinte aux droits du délinquant. Comme le précise le législateur, sont alors notés dans ces cas, sur la dénonciation ou l’acte d’accusation, les accusations ou faits pris en considération et, aux termes du par. 725(2), « [a]ucune autre poursuite ne peut être prise relativement à une infraction mentionnée dans ces accusations ou fondée sur ces faits ».
27 Troisièmement, si aucun alinéa du par. 725(1) ne trouve application, on pourrait être en présence du genre de preuve extrinsèque qui était en cause dans Edwards. Ainsi que l’a reconnu le juge Rosenberg, les éléments de preuve qui se rapportent à un des objectifs ou principes de détermination de la peine énoncés dans le Code criminel peuvent parfois démontrer que le délinquant a commis une autre infraction qui n’a jamais fait l’objet d’une accusation et pour laquelle il n’a pas été condamné. Ces faits peuvent quand même être pertinents et ils ne doivent pas être exclus d’emblée dans tous les cas. Comme c’est souvent le cas, la recevabilité de la preuve dépend du but dans lequel on cherche à la faire admettre. Par exemple, supposons le cas — malheureusement trop fréquent — d’un époux condamné pour voies de faits sur sa conjointe. Comme l'infraction perpétrée par le délinquant constitue un mauvais traitement de sa conjointe, il s’agit d’une circonstance aggravante visée à l’al. 718.2a)(ii). Selon l’art. 718, le tribunal est tenu de déterminer la peine appropriée qui saura, entre autres, dénoncer le comportement du délinquant, dissuader celui-ci de toute récidive, l’isoler au besoin et susciter la conscience chez lui de ses responsabilités, notamment par la reconnaissance du tort qu’il a causé. Il importe donc que le tribunal obtienne toute l’information pertinente. C’est à cette fin que plusieurs dispositions du Code criminel permettent l’admission d’éléments de preuve à l’audience de détermination de la peine.
28 D’entrée de jeu, le tribunal peut ordonner le dépôt d’« un rapport écrit concernant l’accusé afin d’aider le tribunal à infliger une peine » : par. 721(1). Sauf détermination contraire du tribunal, ce rapport doit contenir des renseignements sur l’accusé : son âge, son degré de maturité, son caractère, son comportement et son désir de réparer le tort qu’il a causé : al. 721(3)a). L’article 723 dispose que le tribunal est tenu de donner tant à la poursuite qu’à la défense la possibilité de présenter des observations sur les faits pertinents liés à la détermination de la peine et de prendre connaissance des éléments de preuve que les parties jugent utile de déposer. L’article 726.1 énonce clairement que tous ces éléments doivent entrer en ligne de compte dans la détermination de la peine :
726.1 Pour déterminer la peine, le tribunal prend en considération les éléments d’information pertinents dont il dispose, notamment les observations et les arguments du poursuivant et du délinquant ou de leur représentant.
29 Ensuite, le Code criminel exige explicitement la prise en compte de renseignements ou d’éléments de preuve touchant à la situation particulière de l’accusé à l’étape de la détermination des modalités de la peine. Ainsi, la « réputation du délinquant » est un élément à considérer avant d’ordonner une période de probation (par. 731(1)) ou une peine à exécution discontinue (par. 732(1)). De même, lorsque le tribunal est appelé à décider, en vertu de l’art. 742.1, si une peine d’emprisonnement avec sursis est appropriée comme ce fut le cas en l’espèce, il doit également, dans le cadre de son analyse, se demander s’il est convaincu que le fait pour le délinquant de purger sa peine dans la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci.
30 Je reviens à mon exemple du conjoint qui a commis des voies de faits sur sa conjointe. La preuve extrinsèque pourrait établir qu’il s’agit d’un cas isolé où le délinquant a exprimé des remords et démontré qu’il est capable de modifier son comportement afin d’éviter tout risque de récidive. Au contraire, la preuve pourrait démontrer qu’il s’agit plutôt d’un incident fréquent dans la vie commune du couple, qui risque de se répéter chaque fois que le délinquant est intoxiqué ou irrité. Dans la deuxième hypothèse, le délinquant ne saurait prétendre que les faits extrinsèques à l’infraction qui révèlent son caractère violent ne sont pas pertinents parce que cette preuve est susceptible de démontrer la commission d’autres voies de faits pour lesquelles il n’a pas été accusé ni condamné. Ces faits sont pertinents et, à mon avis, ils sont en principe admissibles, car ils se rapportent aux objectifs et principes de détermination de la peine qui sont expressément prévus par le Code criminel. Le délinquant ne peut pas invoquer la présomption d’innocence pour faire exclure la preuve de caractère, puisque la présomption a été effectivement réfutée relativement à l’infraction pour laquelle il a été condamné.
31 Je ne peux me ranger à l’opinion du juge Fish qui n’admet aucune preuve d’actes tendant à démontrer la commission d’une autre infraction pour laquelle le délinquant n’a pas été inculpé, sauf dans le cadre de l’al. 725(1)c). Comme il est expliqué dans Larche, cette disposition permet au tribunal de prendre en considération les faits liés à la perpétration de l’infraction sur lesquels pourrait être fondée une accusation distincte. Je reconnais que, dans certains cas, de tels faits peuvent également être révélateurs en ce qui a trait au caractère ou à la réputation du délinquant. Cependant, une preuve de réputation ou de caractère ne se rattache pas toujours aisément à une infraction distincte. Elle n’est pas non plus toujours liée à la perpétration de l’infraction — parfois elle ne se rapporte qu’à la situation du délinquant. En toute déférence, si le juge Fish avait raison, un rapport présentenciel qui mentionne des faits démontrant que le délinquant a un caractère violent, qu’il est toxicomane, qu’il manque de respect envers l’autorité du tribunal ou qu’il n’a tiré aucune leçon risquerait de violer la présomption d’innocence, puisque ces faits pourraient très bien tendre à établir la commission de voies de fait, de possession de stupéfiants, de manquement à un engagement ou de quelque autre infraction. Je ne crois pas que la présomption d’innocence ait cet effet. Elle ne constitue pas une règle de preuve générale rendant inadmissible tout élément de preuve extrinsèque pertinent pour déterminer la peine applicable à l’infraction en cause chaque fois que cet élément est susceptible de démontrer la commission d’une autre infraction. Cela ne veut pas dire que le délinquant ne jouit d’aucune protection procédurale à l’égard de ces éléments de preuve extrinsèque. Plusieurs principes viennent s’ajouter afin d’assurer au délinquant son droit à un procès équitable. Je m’explique.
32 Si la preuve extrinsèque est contestée, le poursuivant doit en faire la preuve formelle. Puisque ces faits seront sans doute aggravants, ils doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable (al. 724(3)e)). Le tribunal ne peut infliger une peine au délinquant qu’à l’égard de l’infraction pour laquelle celui-ci a été condamné et cette peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction. De plus, le juge peut et doit exclure des éléments de preuve qui sont par ailleurs pertinents si leur effet préjudiciable l’emporte sur leur valeur probante, compromettant ainsi le droit du délinquant à un procès équitable. Enfin, le tribunal doit faire la distinction entre la prise en compte de faits démontrant la commission d’une infraction n’ayant fait l’objet d’aucune accusation dans le but de punir l’accusé pour cette autre infraction, et leur prise en compte pour établir la réputation et le caractère du délinquant ou le risque de récidive, dans le but de déterminer la peine appropriée pour l’infraction en cause. Dans mon exemple, la peine infligée risque d’être plus contraignante dans le cas d’un délinquant violent que dans le cas d’un délinquant ayant commis un acte isolé, mais cette conséquence ne porte nullement atteinte à la présomption d’innocence. La peine risque également d’être plus contraignante dans le cas d’un délinquant récidiviste lorsque la Couronne fait la preuve d’antécédents judiciaires, mais cette conséquence ne porte pas atteinte au droit de ce délinquant de ne pas être « puni de nouveau », droit garanti par l’al. 11h) de la Charte. Dans chacun des cas, et ce, toujours dans les limites de la proportionnalité, la peine plus sévère n’est que le reflet du processus individualisé de la détermination de la peine.
33 Finalement, le juge Fish craint que la Couronne puisse aisément, et même de bonne foi, éviter l’application de l’art. 725 en retirant ou reportant une nouvelle inculpation dans le seul but d’introduire la preuve d’actes subséquents comme faits aggravants et d’obtenir une peine plus sévère (par. 59). Je ne crois pas que ce danger soit réel. Il faut se rappeler, comme l’indique lui-même le juge Fish dans l’arrêt Larche, par. 39, qu’« on ne doit pas retarder abusivement les procédures pour aggraver la peine : R. c. Parisien (1971), 3 C.C.C. (2d) 433 (C.A.C.-B.) ». Dans cet arrêt, la Cour d’appel a réduit la peine en raison des agissements de la Couronne.
3.4 Pertinence de la preuve nouvelle en l’espèce
34 En l’espèce, aux principes généraux de la détermination de la peine s’ajoutait, conformément à l’art. 742.1 C. cr., la question de savoir si le tribunal était convaincu que le fait pour le délinquant de purger sa peine dans la collectivité ne mettait pas en danger la sécurité de celle-ci. Il est utile de reproduire ici cet article, qui établit les conditions devant être remplies pour l’octroi d’un sursis à l’emprisonnement :
742.1 Lorsqu’une personne est déclarée coupable d’une infraction — autre qu’une infraction pour laquelle une peine minimale d’emprisonnement est prévue — et condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans, le tribunal peut, s’il est convaincu que le fait de purger la peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci et est conforme à l’objectif et aux principes visés aux articles 718 à 718.2, ordonner au délinquant de purger sa peine dans la collectivité afin d’y surveiller le comportement de celui-ci, sous réserve de l’observation des conditions qui lui sont imposées en application de l’article 742.3.
35 Dans Proulx, la Cour a conclu que les facteurs à considérer selon l’art. 742.1 comprennent le risque de récidive et la gravité du préjudice susceptible de découler d’une récidive, y compris les risques de préjudice pécuniaire (par. 75). Le risque pour la collectivité devant être apprécié au cas par cas, il n’est ni souhaitable, ni même possible, d’élaborer une liste exhaustive des éléments dont il faut tenir compte pour arriver à une conclusion sur cette question. Je souligne toutefois que la Cour a cité avec approbation (au par. 70), la liste de facteurs établie par la juge Rousseau-Houle, de la Cour d’appel du Québec, dans R. c. Maheu, [1997] R.J.Q. 410, p. 418 :
. . . 1) la nature de l’infraction, 2) les circonstances pertinentes de celle‑ci, ce qui peut mettre en cause les événements antérieurs et postérieurs, 3) le degré de participation de l’inculpé, 4) la relation de l’inculpé avec la victime, 5) le profil de l’inculpé, c’est‑à‑dire son occupation, son mode de vie, ses antécédents judiciaires, son milieu familial, son état mental, 6) sa conduite postérieurement à la commission de l’infraction, 7) le danger que représente pour la communauté particulièrement visée par l’affaire, la mise en liberté de l’inculpé.
36 Le fait que M. Angelillo avait été inculpé de deux nouvelles fraudes, toutes deux supposément commises alors qu’il attendait le prononcé de sa peine, était sûrement pertinent pour apprécier le danger que représente pour la communauté sa mise en liberté. La juge Corte aurait pu, si elle avait estimé la chose nécessaire, remettre l’audience de détermination de la peine à une date postérieure à l’enquête pour mise en liberté provisoire à l’égard de ces nouvelles accusations, afin d’être mieux informée du risque découlant des actes subséquents.
37 De plus, comme il a été mentionné précédemment, M. Angelillo a choisi de présenter des éléments de preuve ayant trait à sa moralité. Dans sa plaidoirie concernant la détermination de la peine, la procureure de M. Angelillo s’est opposée à la position de la Couronne, qui demandait au tribunal d’infliger une peine de trois ans d’emprisonnement ferme. Elle a invoqué des facteurs atténuants tels que « la présence de remords et de regrets » s’appuyant plus particulièrement sur le rapport présentenciel, qui précise que M. Angelillo « a effectué une remise en question qui paraît sincère face à ses agirs inadéquats » et que son « passage devant la Cour [a] eu un impact dissuasif majeur », et conclut que M. « Angelillo présente peu de dangerosité et que les risques d’une récidive sont faibles ». Si la procureure de la Couronne avait été au courant des nouveaux faits, elle aurait pu demander au tribunal d’ordonner la mise à jour du rapport présentenciel, puisque ce dernier datait déjà de presqu’un an. Il est raisonnable de croire que l’auteur du nouveau rapport présentenciel aurait peut-être exprimé une opinion plus réservée quant au risque de récidive de M. Angelillo. Sans cette démarche, le tribunal risquait d’être berné — ce qui s’est effectivement produit prétend la Couronne. Je conviens qu’il est dans l’intérêt de la justice d’éviter un tel résultat. À cet égard, il importe de noter que, lors de l’audition du présent pourvoi, les procureurs ont informé la Cour que le 20 août 2004, soit quatre mois après le prononcé de la peine, alors que M. Angelillo a comparu relativement aux événements que la Couronne entend prouver, celle-ci ne s’est pas opposée à sa remise en liberté sous caution. Si aucune raison ne militait alors contre sa remise en liberté, il est difficile de conclure que le tribunal a effectivement été berné.
4. Dispositif
38 Pour ces motifs, la décision de la Cour d’appel de ne pas admettre la preuve nouvelle est confirmée et le pourvoi est rejeté.
Version française des motifs des juges Binnie et Fish rendus par
Le juge Fish —
I
39 Je conviens avec la juge Charron que le pourvoi doit être rejeté. Je souscris également aux motifs qui sous‑tendent sa conclusion.
40 Avec égards, toutefois, je ne puis partager l’opinion de ma collègue que les tribunaux chargés de déterminer la peine peuvent prendre en compte des infractions non connexes et n’ayant fait l’objet d’aucune accusation. Le législateur a traité de la question à l’al. 725(1)c) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46. En vertu de cette disposition, ces tribunaux peuvent prendre en considération les infractions n’ayant pas fait l’objet d’accusations, seulement si elles sont liées à l’infraction reprochée, c’est‑à‑dire seulement si leurs faits constitutifs sont « liés à la perpétration [du crime pour lequel l’accusé doit être condamné] ». Le législateur a en outre pris soin de veiller à ce que les délinquants ne puissent être punis plus d’une fois à cet égard : les infractions que le tribunal chargé d’infliger la peine prend en considération en vertu de l’al. 725(1)c) ne peuvent justifier d’autres poursuites contre le délinquant.
41 La juge Charron permettrait aux tribunaux appelés à prononcer la peine de prendre en compte des infractions, même non connexes, n’ayant fait l’objet d’aucune accusation, et elle les priverait de la protection que le législateur a expressément prévue pour les infractions connexes. Par ailleurs, comme nous le verrons plus loin, cette assertion s’appuie sur la thèse discutable que la preuve visant à établir des circonstances aggravantes — la perpétration d’autres infractions — n’est pas soumise dans le but de punir, quoique la présentation de tels éléments aura presque invariablement cet effet.
II
42 Il s’agit en l’espèce d’un pourvoi contre la décision de la Cour d’appel du Québec de rejeter l’appel du ministère public contre une peine d’emprisonnement avec sursis infligée au stade du procès. Devant la Cour d’appel et, encore une fois, devant la Cour, le ministère public a cherché à présenter, à titre de preuve nouvelle, des faits qui constituaient le fondement d’autres accusations contre M. Angelillo. Je souligne, par souci de clarté, que la demande du ministère public concerne uniquement des infractions ayant fait l’objet d’accusations.
43 La Cour d’appel a refusé d’admettre la preuve du ministère public et la juge Charron confirmerait cette décision pour deux motifs : premièrement, parce que la preuve d’infractions ayant fait l’objet d’accusations mais non de poursuites ne peut être admise que si les exigences de l’art. 725 du Code criminel ont été remplies — ce qui n’est pas le cas en l’espèce; deuxièmement, parce que le ministère public n’a pas fait preuve de diligence, ce qui est contraire à Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759. Comme la juge Charron l’indique clairement, sans les nouveaux éléments de preuve, l’appel du ministère public devant la Cour d’appel ne pouvait être accueilli et il en est de même du présent pourvoi.
44 C’est pour ces motifs que la juge Charron rejetterait le pourvoi. Comme je l’ai mentionné au début, je souscris à la conclusion de ma collègue et aux motifs énoncés à son appui.
45 J’aborde maintenant la question sur laquelle nous sommes en désaccord.
III
46 Il y a à peine une décennie, le législateur a instauré un ensemble complet de dispositions sur la détermination de la peine. Comme le dit la juge Charron, ensemble, ces dispositions forment « un véritable code pénologique » (par. 21). Et, dans ce « code », le législateur a énoncé à l’art. 725 les exigences à respecter pour prendre en compte, dans la détermination de la peine, d’autres infractions à l’égard desquelles le délinquant n’a pas subi de procès ni n’a été condamné.
47 Les infractions ayant fait l’objet d’accusations mais non de poursuites, comme c’est le cas en l’espèce, ne peuvent être prises en considération à moins de satisfaire aux exigences des al. 725(1)b) ou b.1). Comme l’explique ma collègue, ces conditions n’ont pas été remplies, et c’est pour cette raison que ces infractions ne pouvaient entrer en ligne de compte pour la détermination de la peine de M. Angelillo — même si le ministère public avait fait preuve de diligence.
48 Les faits constitutifs de ces infractions demeurent tout aussi pertinents pour établir « la situation et le caractère » de M. Angelillo que si aucune accusation n’avait été portée. Ma collègue conclut néanmoins, et bien sûr je souscris à sa conclusion, que ces faits ne peuvent être admis en preuve parce qu’ils ne répondent pas aux conditions d’admissibilité établies par le législateur aux al. 725(1)b) et b.1) du Code criminel. Pourtant, elle admettrait ces éléments de preuve si les accusations n’avaient pas — ou pas encore — été portées. Comme je l’ai dit au début, je ne partage pas ce point de vue.
49 Quoi qu'il en soit, le législateur a prévu à l’al. 725(1)c) que les infractions n’ayant fait l’objet d’aucune accusation ne peuvent être prises en considération que si elles se fondent sur des « faits liés à la perpétration de l'infraction » pour laquelle le délinquant se verra infliger une peine. Par souci de brièveté, j’appellerai ces infractions des « infractions connexes ».
50 Dans R. c. Larche, [2006] 2 R.C.S. 762, 2006 CSC 56, rendu en même temps que le présent arrêt, j’ai traité de façon assez détaillée de cette exigence de connexité. Le critère qui y est énoncé devrait dans une large mesure dissiper les préoccupations légitimes de la juge Charron au sujet des cas de violence conjugale où des actes similaires commis antérieurement, mais n’ayant pas fait l’objet d’accusations, constitueraient néanmoins des « faits liés à la perpétration de l'infraction » au sens de l’al. 725(1)c) : Larche, par. 54-55.
51 Le législateur a choisi de ne pas permettre au juge qui détermine la peine de prendre en considération tous les éléments de preuve concernant la situation et le caractère du délinquant. La règle que propose la juge Charron conférerait aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de tenir compte des infractions pour lesquelles aucune accusation n’a été portée et qui ne sont pas liées à la perpétration de l’infraction. En pratique, cette approche aurait pour effet de passer outre à la restriction inhérente à l’al. 725(1)c) et de la rendre totalement superflue.
52 Par ailleurs, la règle proposée par la juge Charron ne comporterait pas les garanties procédurales que le législateur a prévues dans le cadre de l’art. 725 du Code criminel. Le paragraphe 725(2) interdit d’entamer par la suite des poursuites relativement aux infractions qui n’ont pas fait l’objet d’accusations, mais que le tribunal a prises en considération en vertu de l’al. 725(1)c). Ces infractions doivent être mentionnées dans la dénonciation ou l’acte d’accusation. Cette mesure protège l’accusé contre la double peine, sauf si la condamnation relative à l’infraction pour laquelle il a été reconnu coupable est annulée ou infirmée en appel.
53 Il est vrai, comme le mentionne ma collègue, que des condamnations antérieures peuvent à juste titre être prises en compte dans la détermination de la peine pour une infraction subséquente. En l’instance, toutefois, il s’agissait de savoir si le tribunal chargé de déterminer la peine pouvait prendre en considération des infractions subséquentes pour lesquelles l’intimé n’avait pas été condamné. Ma collègue répondrait à cette question par l’affirmative, si des accusations n’avaient pas été portées. Selon elle, le tribunal peut, en ce qui concerne « la situation et le caractère » du délinquant — ou, plus exactement peut‑être en l’espèce, « la situation et le caractère futurs » du délinquant, tenir compte d’infractions, antérieures ou subséquentes, non connexes et n’ayant fait l’objet d’aucune accusation. Avec égards, je ne puis partager son opinion.
54 Pour ce qui est des condamnations antérieures, le dossier est clos — aucune autre poursuite ne peut être intentée. En l’espèce, non seulement des poursuites peuvent être mais elles ont effectivement été intentées.
55 Selon la proposition de ma collègue, des poursuites pourraient être ultérieurement engagées pour des infractions qui n’ont fait l’objet d’aucune accusation et qui ont déjà entraîné l’imposition d’une peine plus sévère à l’égard d’une infraction pour laquelle le délinquant a été inculpé. Et, lorsque l’infraction n’ayant fait l’objet d’aucune accusation concerne des faits survenus après ceux pour lesquels le délinquant a été accusé et condamné, elle donnerait presque invariablement lieu à une boucle de rétroaction. Le délinquant serait alors plus sévèrement puni pour la première infraction parce qu’il en a par la suite commis une deuxième. Une fois que cette deuxième infraction aura fait l’objet d’une accusation, il sera vraisemblablement puni plus sévèrement pour cette nouvelle infraction à cause de l’infraction antérieure déjà sanctionnée par une peine plus sévère compte tenu de la deuxième infraction pour laquelle il n’a pas encore été inculpé.
56 Dans ce contexte, je note en passant que les arrêts R. c. Edwards (2001), 155 C.C.C. (3d) 473 (C.A. Ont.), et Lees c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 749, sur lesquels ma collègue s’appuie, peuvent aisément se distinguer de la présente affaire. Dans Edwards, les faits en litige concernaient en partie une infraction qui aurait été commise en Jamaïque 18 ans auparavant et à l’égard de laquelle il n’était donc pas possible de porter des accusations au Canada. Les autres faits allégués portaient sur la preuve d’[traduction] « antécédents de violence », question que j’ai déjà examinée plus haut (par. 50). Dans Lees non plus aucune accusation n’avait été portée et « la possibilité d’une autre infraction [était] même douteuse » (le juge McIntyre, p. 754).
57 Rien dans les présents motifs ne vise à remettre en question l’admissibilité au Canada de la preuve de condamnations antérieures si le législateur ou une règle reconnue de common law l’autorisent. Je n’affirme pas non plus que les rapports présentenciels ne peuvent faire mention des éléments dont il est question au par. 31 des motifs de la juge Charron (preuve de toxicomanie, d’une prédisposition à la violence, etc.). Les faits en question qui concernent d’autres infractions, faisant ou non l’objet d’accusations, doivent toutefois être admissibles en preuve en vertu de l’art. 725 ou d’une autre disposition législative.
58 Le désaccord de la juge Charron ne porte que sur les infractions ne faisant l’objet d’aucune accusation, celles‑ci étant à son avis admissibles en preuve si elles concernent « la situation et le caractère » du délinquant, et ce, que les exigences de l’al. 725(1)c) du Code criminel soient ou non remplies. Selon elle, si j’ai bien compris, dans les cas où les infractions ne faisant l’objet d’aucune accusation concernent la situation et le caractère du délinquant et que les exigences de l’al. 725(1)c) sont remplies, elles ne peuvent faire l’objet d’autres poursuites; toutefois, si elles concernent la situation et le caractère du délinquant et que les exigences de l’al. 725(1)c) ne sont pas remplies, le délinquant peut par la suite être inculpé et puni pour les infractions déjà prises en considération. Bref, comme nous l’avons déjà vu, la juge Charron permettrait que les tribunaux chargés de déterminer la peine tiennent compte des infractions, même non connexes, n’ayant fait l’objet d’aucune accusation, et elle les priverait de la protection que le législateur a expressément prévue pour les infractions connexes.
59 De plus, selon l’approche préconisée par la juge Charron, le ministère public pourrait contourner les restrictions imposées par le législateur à l’art. 725 en retirant une accusation ou en attendant, pour accuser un délinquant d’une infraction, que le juge du procès ait décidé s’il y a lieu de la considérer comme une circonstance aggravante pour fixer la peine visant à punir une infraction distincte et non connexe. Dans les deux cas, le ministère public n’agirait pas forcément de mauvaise foi. Il ne ferait qu’appliquer les règles proposées par ma collègue.
60 Par surcroît, et avec égards, je n’estime pas convaincante la distinction que fait la juge Charron entre faire la preuve d’une infraction n’ayant pas fait l’objet de poursuites, dans le but de punir l’accusé, et en faire la preuve « pour établir la réputation et le caractère du délinquant ou le risque de récidive, dans le but de déterminer la peine appropriée pour l’infraction en cause » (par. 32 (en italique dans l’original)).
61 Il me semble que toute preuve qui se rapporte à une infraction n’ayant pas fait l’objet de poursuites et qui est introduite par le ministère public au stade de la détermination de la peine vise à punir et est présentée dans ce but — soit parce qu’elle entraînerait une peine plus sévère, soit parce qu’elle empêcherait l’imposition d’une peine moins contraignante.
62 La juge Charron reconnaît cette réalité (par. 32). Elle concède que les faits admis en preuve à l’égard des infractions n’ayant pas fait l’objet d’accusations « seront sans doute aggravants ». Et, dans l’exemple qu’elle cite à propos d’un conjoint violent, ma collègue mentionne que la preuve de l’infraction qui n’a fait l’objet d’aucune accusation pourrait très bien entraîner une peine plus contraignante.
63 À mon sens, tout fait considéré comme étant « aggravant » est mis en preuve en vue de punir. D’ailleurs, l’al. 718.2a) mentionne expressément le principe que les peines devraient être adaptées « aux circonstances aggravantes [. . .] liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du délinquant ». De plus, l’al. 718.2d) prévoit que les peines d’emprisonnement ne devraient pas être infligées « lorsque les circonstances [. . .] justifient » l’imposition, — et il s’agit là de l’expression qu’utilise ma collègue — « de sanctions moins contraignantes ».
64 Vu ce qui précède, je ne peux conclure que la preuve des infractions n’ayant fait l’objet d’aucune accusation — facteur aggravant reconnu — peut être admise au motif qu’elle concerne « la situation et le caractère » du délinquant, mais qu’elle ne vise pas à le punir. Les délinquants dont la peine a été adaptée à ces circonstances aggravantes — infractions n’ayant pas fait l’objet d’accusations — seront en droit de penser qu’ils ont été plus sévèrement punis à cause de celles‑ci.
65 Il y a près d'un demi‑siècle, H. L. A. Hart parlait de cet aspect de la question en termes on ne peut plus clairs. Traitant de l’éventuelle distinction à faire entre prendre en compte « la situation et le caractère » du délinquant et prendre en compte « la sanction » pour déterminer la peine à infliger — dans le contexte de ce qui était considéré en Europe centrale depuis au moins 1908 comme de la pénologie [traduction] « à deux volets » — le professeur Hart a affirmé :
[traduction] [L]a manière dont le système « à deux volets » a été élaboré peut nous sembler relever pour ainsi dire de la métaphysique : on prend soin de distinguer les sanctions qui sont censées être fonction du « degré de culpabilité », c’est‑à‑dire être axées sur l’acte criminel, et les simples « mesures » qui tiennent compte du caractère du délinquant et des besoins de la société. Le récent code pénal allemand fait cette distinction, même si certains déplorent son caractère artificiel. Assurément, le prisonnier qui, après avoir purgé une peine de trois ans, se fait dire qu’il en a terminé avec sa sanction, mais qu’une période de détention préventive de sept ans l’attend et que cette « mesure » est prise non pas pour le punir, mais pour protéger la société, pourrait penser — mais ne le dirait pas nécessairement en ces termes — qu’on le tourmente en appliquant une mesure relevant d’un conceptualisme stérile.
(Punishment and the Elimination of Responsibility (1962), p. 12)
Le prisonnier ne se laisserait pas émouvoir non plus par l’explication de ma collègue qu’une peine plus sévère pour une infraction faisant l’objet d’une accusation ne sanctionne pas l’infraction qui, n’ayant fait l’objet d’aucune accusation, justifie une plus grande sévérité.
66 Je reviens maintenant sur deux considérations importantes.
67 D’abord, ma collègue convient que la preuve d’autres infractions n’est pas admissible du simple fait qu’elle permet de faire la lumière sur la situation et le caractère du délinquant. C’est pourquoi la preuve produite n’est pas admissible en l’espèce : bien qu’elle concerne manifestement la situation et le caractère de M. Angelillo, elle ne satisfait pas aux exigences prescrites par le législateur à l’art. 725 du Code criminel. Même si le ministère public avait fait preuve de diligence, cette preuve ne serait pas admissible. Les infractions faisant l’objet d’accusations, comme c’est le cas en l’espèce, peuvent difficilement jouer un rôle moins important dans l’évaluation de la situation et du caractère du délinquant que les infractions qui n’ont fait l’objet d’aucune accusation et que ma collègue admettrait en preuve précisément parce qu’aucune accusation n’a été portée.
68 Plus important encore peut‑être, le législateur a prévu l’admission en preuve des infractions ne faisant pas l’objet d’accusations, seulement si elles ont un lien avec l’infraction à l’égard de laquelle la peine sera infligée. Il ne s’agit pas d’un oubli de la part du législateur. Celui-ci a choisi de ne pas permettre la présentation d’une preuve relative à des infractions non connexes et n’ayant fait l’objet d’aucune accusation. On ne devrait donc pas le faire par ordonnance judiciaire. Encore moins faudrait‑il écarter, dans le cas de ces infractions, la protection que le législateur a expressément accordée aux infractions connexes et ne faisant pas l’objet d’accusations.
IV
69 Je ne crois pas, contrairement à ce que laisse entendre ma collègue (par. 31), que les délinquants puissent invoquer la présomption d’innocence pour exclure la preuve d’infractions non connexes et n’ayant fait l’objet d’aucune accusation. Ils n’ont d’ailleurs pas besoin de le faire : à mon avis, une telle preuve est inadmissible pour les raisons susmentionnées. Je crois néanmoins utile d’ajouter quelques mots à la proposition de la juge Charron que le délinquant ne peut invoquer la présomption d’innocence pour exclure la preuve d’infractions n’ayant pas fait l’objet de poursuites parce que « la présomption a été effectivement réfutée relativement à l’infraction pour laquelle il a été condamné » (par. 30 (je souligne)).
70 Bien sûr, il est vrai, comme le mentionne la juge Charron, que la présomption d’innocence est écartée advenant une condamnation — mais uniquement une condamnation relative à l’infraction reprochée. Une déclaration de culpabilité pour des accusations ayant fait l’objet de poursuites n’a aucune incidence sur l’innocence présumée du délinquant en ce qui concerne des infractions à l’égard desquelles il n’a jamais été inculpé ou reconnu sa culpabilité.
71 Rien n’empêche le procureur général de porter des accusations contre le délinquant à l’égard de tels crimes. Bien sûr, celui-ci doit alors être présumé innocent jusqu’à preuve du contraire. Je ne vois pas très bien pourquoi les délinquants qui bénéficient de la présomption d’innocence quant aux infractions pour lesquelles ils sont inculpés ne peuvent invoquer cette présomption lorsque, au stade de la détermination de la peine relative à une autre infraction, ils sont susceptibles de se voir infliger une sanction plus sévère à cause d’infractions qui n’ont pas fait l’objet d’accusations.
72 En fait, c’est parce que, au stade de la détermination de la peine, la présomption d’innocence s’applique de toute évidence aux infractions n’ayant fait l’objet d’aucune accusation que, selon l’al. 724(3)e) du Code criminel, le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable leur perpétration — même si le législateur a permis qu’elles soient admises en preuve en vertu de l’art. 725. Sinon, en l’absence d’un aveu de culpabilité, elles ne peuvent être prises en compte dans la détermination de la peine pour toute autre infraction.
V
73 Sous réserve de ce qui précède, je suis d’accord avec la juge Charron et je conviens plus particulièrement que le pourvoi doit être rejeté.
Pourvoi rejeté.
Procureur de l’appelante : Procureur général du Québec, Montréal.
Procureurs de l’intimé : Dufresne Hébert Comeau, Montréal.