COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. Larche, [2006] 2 R.C.S. 762, 2006 CSC 56
Date : 20061208
Dossier : 30384
Entre :
Sa Majesté la Reine
Appelante / Intimée au pourvoi incident
et
Jean‑Paul Larche
Intimé / Appelant au pourvoi incident
Et entre :
Sa Majesté la Reine
Appelante / Intimée au pourvoi incident
et
Honorable Robert Sansfaçon, en sa qualité de
juge de la Cour du Québec
Intimé
et
Jean‑Paul Larche
Intimé / Appelant au pourvoi incident
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron
Motifs de jugement :
(par. 1 à 73)
Le juge Fish (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella et Charron)
______________________________
R. c. Larche, [2006] 2 R.C.S. 762, 2006 CSC 56
Sa Majesté la Reine Appelante/Intimée au pourvoi incident
c.
Jean‑Paul Larche Intimé/Appelant au pourvoi incident
et
Sa Majesté la Reine Appelante/Intimée au pourvoi incident
c.
Honorable Robert Sansfaçon, en sa qualité de
juge de la Cour du Québec Intimé
et
Jean‑Paul Larche Intimé/Appelant au pourvoi incident
Répertorié : R. c. Larche
Référence neutre : 2006 CSC 56.
No du greffe : 30384.
2005 : 8 novembre; 2006 : 8 décembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI et POURVOI INCIDENT contre des arrêts de la Cour d’appel du Québec, [2004] R.J.Q. 1107, 21 C.R. (6th) 250, [2004] J.Q. no 2984 (QL) et [2004] J.Q. no 2988 (QL), qui ont modifié une décision du juge Bellavance (2003), 15 C.R. (6th) 222, [2003] J.Q. no 8699 (QL), et une décision du juge Sansfaçon. Pourvoi et pourvoi incident rejetés.
Yvan Poulin et Michel F. Denis, pour l’appelante/intimée au pourvoi incident.
Thomas P. Walsh, pour l’intimé Jean‑Paul Larche/appelant au pourvoi incident.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Fish —
I
1 Au Canada, les délinquants sont punis seulement à l’égard des crimes pour lesquels ils ont été spécifiquement inculpés et pour lesquels ils ont été valablement déclarés coupables.
2 À cette règle générale, il existe une seule véritable exception : pour déterminer la peine, le juge peut prendre en considération toute infraction pour laquelle aucune accusation n’a été portée et qui est liée à la perpétration de l’infraction.
3 En l’espèce, le juge du procès a appliqué l’al. 725(1)c) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, malgré les objections de l’avocat du ministère public, et la question déterminante est de savoir s’il était en droit de le faire. Je conviens avec les tribunaux d’instance inférieure qu’il l’était.
4 La Cour d’appel a toutefois conclu que le juge du procès avait commis deux erreurs : premièrement, il a pris en considération une infraction pour laquelle aucune accusation n’a été portée et qui échappait à sa compétence territoriale puisqu’elle avait été commise entièrement aux États‑Unis; deuxièmement, il a infligé des peines concurrentes, ne tenant pas compte de l’exigence de la loi selon laquelle la peine pour le second chef d’accusation doit être consécutive ([2004] R.J.Q. 1107). Je souscris aux conclusions de la Cour d’appel sur ces deux points.
5 Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi du ministère public contre l’arrêt de la Cour d’appel, qui a confirmé le pouvoir du juge du procès d’appliquer l’al. 725(1)c). Je suis également d’avis de rejeter le pourvoi incident de M. Larche contre la conclusion de la Cour d’appel que le juge du procès n’avait pas compétence pour inscrire la troisième note.
II
6 L’intimé Jean‑Paul Larche a participé à une opération criminelle qui consistait à exporter de la marijuana des Cantons de l’Est, au Québec, vers les États‑Unis et à en rapatrier au Canada le produit de la vente. De ce fait, M. Larche et d’autres personnes ont été arrêtés et inculpés au Canada en juin 2002. Moins d’un mois plus tard, ils ont été mis en accusation aux États‑Unis pour la même opération.
7 M. Larche a été accusé au Canada sous deux chefs, le premier pour complot en vue de produire de la marijuana, d’en posséder et d’en faire le trafic, et d’avoir en sa possession les produits de ces actes; le second, pour avoir commis des infractions liées à la drogue au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle.
8 Les deux chefs d’accusation ont été rédigés comme si l’entreprise criminelle sous‑jacente, de nature clairement transnationale, s’arrêtait à la frontière canado‑américaine. Les infractions auraient été commises :
. . . à Sutton, Sutton Junction, Canton de Sutton, West‑Brome, Lac Brome, Bromont, Cowansville et St‑Alphonse de Granby, dans le district de Bedford, à Ange‑Gardien, dans le district de Saint‑Hyacinthe, à Lacolle et Saint-Bernard‑de‑Lacolle, dans le district d’Iberville, à Rock Island, dans le district de Saint‑François, à Longueuil, dans le district de Longueuil, et ailleurs dans la province de Québec . . . [Je souligne.]
9 Les deux chefs d’accusation étaient ainsi formulés en prévision d’une éventuelle demande d’extradition des autorités américaines concernant un acte d’accusation reprochant à M. Larche d’avoir comploté, essentiellement au cours de la même période, en vue de faire le trafic de la marijuana au Vermont « et ailleurs ». Il ressort du dossier que, plus de trois ans plus tard, la demande d’extradition était toujours enlisée aux États‑Unis en raison de problèmes de traduction. Toutefois, à l’audition du pourvoi, l’avocat du ministère public nous a avisés qu’une demande d’extradition avait été reçue et que la délivrance d’une sommation ou d’un mandat était imminente.
10 M. Larche a plaidé coupable aux deux chefs d’accusation devant le juge Sansfaçon, de la Cour du Québec. L’avocat de la défense a cependant contesté la formulation de l’acte d’accusation. Il a soutenu que le ministère public avait artificiellement fractionné ce qui constituait en réalité un seul complot.
11 L’avocat du ministère public a répondu ce qui suit :
Mon collègue, un des reproches ou la façon dont il voit la position de la Couronne c’est qu’on aurait mis un mur et que les infractions commises de part et d’autre de la frontière, on tenterait de les dissocier. Telle n’est pas la position de la Couronne. La position de la Couronne est celle‑ci : le rôle de Monsieur Larche relativement à l’ensemble des faits qui sont devant vous aujourd’hui est hybride. [1er rôle] Monsieur Larche a un rôle important en matière de recyclage de produits de la criminalité en faisant le transport des sommes d’argent appartenant à l’organisation de Marc‑André Cusson. [. . .] Monsieur Larche se trouve être le lieutenant de Monsieur Cusson en matière de récupération d’argent aux États‑Unis.
[2e rôle] L’autre rôle que la Couronne prête à Monsieur Larche, c’est le fait d’être présent et de coordonner les exportations de stupéfiants. C’est le rôle qui va être plus amplement décrit par Monsieur Brousseau, mais qui l’est déjà devant vous selon la preuve faite, que Monsieur donne les routes, les directions, est là au moment du déchargement et dirige les opérations. [Je souligne.]
12 L’avocat de la défense n’a pas contesté ces allégations. S’y fondant au contraire, il a instamment demandé au juge du procès — malgré les objections du ministère public — d’appliquer l’al. 725(1)c) du Code criminel pour déterminer la peine. Selon lui, les propres observations du ministère public sur la peine indiquaient que les conditions préalables à l’application de cette disposition étaient remplies. M. Larche avait pris part aux opérations de l’organisation de M. Cusson tant au Canada qu’aux États‑Unis. Sa participation à ces crimes constituait, aux termes de l’al. 725(1)c), des « faits liés à la perpétration de[s] infraction[s] » pour lesquelles une peine devait lui être infligée. Toujours selon cette disposition, ce sont des faits « sur lesquels pourrait être fondée une accusation distincte ».
13 Le juge Sansfaçon était du même avis et, appliquant le par. 725(2) du Code criminel, il a noté sur l’acte d’accusation trois « faits » — ou infractions pour lesquelles aucune accusation n’a été portée :
1. Entre décembre 2001 et juillet 2002, Jean‑Paul Larche a participé à l’exportation de marihuana, du Québec vers le Massachussetts, pour le compte de l’organisation criminelle dirigée par Marc‑André Cusson et ce, à 3 (trois) occasions.
2. Entre décembre 2001 et juillet 2002, Jean‑Paul Larche a rapporté des États‑Unis à plusieurs occasions, des sommes totalisant entre 500 000 $ et 600 000 $ en devises américaines provenant de la vente de marihuana et ce, pour le compte de l’organisation criminelle dirigée par Marc‑André Cusson.
3. Le 31 mai 2002, dans l’État du Vermont, Jean‑Paul Larche a été en possession d’une somme de 110 000 $ en devises américaines (événement du Yankee Barn Home, au New Hampshire) provenant de la vente de marihuana et ce, pour le compte de l’organisation criminelle dirigée par Marc‑André Cusson.
14 Les deux premières notes décrivent ce qui peut raisonnablement être considéré comme la moitié manquante d’une seule entreprise criminelle constituant le véritable fondement de l’acte d’accusation. Comme je l’ai expliqué précédemment, cette partie a été « isolée » des infractions reprochées, en prévision d’une éventuelle demande d’extradition de M. Larche de la part des États‑Unis. Les deux notes concernent des faits relevant de la compétence des tribunaux canadiens et je conviens avec la Cour d’appel que le juge Sansfaçon pouvait prendre ces faits en considération pour déterminer la peine. Conformément au par. 725(2), il devait ensuite les noter sur l’acte d’accusation, ce qu’il a fait.
15 Comme la Cour d’appel, toutefois, j’estime que l’al. 725(1)c) s’applique seulement aux infractions pour lesquelles aucune accusation n’a été portée et qui relèvent de la compétence des tribunaux canadiens. La troisième note ne satisfait manifestement pas à cette condition. Elle concerne un événement entièrement survenu au Vermont. Ce seul fait suffit pour rejeter le pourvoi incident de M. Larche, qui cherche à réactiver cette note.
III
16 L’article 725 du Code criminel est ainsi libellé :
725. (1) Pour la détermination de la peine, le tribunal :
a) est tenu, s’il est possible et opportun de le faire, de prendre en considération toutes les infractions dont le délinquant a été déclaré coupable par le même tribunal et de déterminer la peine à infliger pour chacune;
b) est tenu, si le procureur général et le délinquant y consentent, de prendre en considération toutes autres accusations, relevant de sa compétence, portées contre le délinquant à l’égard desquelles celui‑ci consent à plaider coupable et plaide coupable et de déterminer la peine à infliger pour chacune, à l’exception de celle qui, à son avis, devrait, pour l’intérêt public, faire l’objet d’une nouvelle poursuite;
b.1) est tenu de prendre en considération chacune des autres accusations portées contre le délinquant — à l’exception de celle qui, à son avis, devrait, pour l’intérêt public, faire l’objet d’une nouvelle poursuite — si les conditions suivantes sont remplies :
(i) le procureur général et le délinquant y consentent,
(ii) l’accusation relève de sa compétence,
(iii) la procédure s’est déroulée dans le cadre d’une audience publique,
(iv) le délinquant reconnaît la véracité des faits en cause,
(v) le délinquant reconnaît avoir commis l’infraction en cause;
c) peut prendre en considération les faits liés à la perpétration de l’infraction sur lesquels pourrait être fondée une accusation distincte.
(1.1) Pour l’application des alinéas (1)b) et b.1), le procureur général ne peut donner son consentement qu’après avoir tenu compte de l’intérêt public.
(2) Sont notés sur la dénonciation ou l’acte d’accusation :
a) les accusations prises en considération au titre de l’alinéa (1)b.1);
b) les faits pris en considération au titre de l’alinéa (1)c).
Aucune autre poursuite ne peut être prise relativement à une infraction mentionnée dans ces accusations ou fondée sur ces faits, sauf si la déclaration de culpabilité pour laquelle la peine est infligée est écartée ou annulée en appel.
17 L’article 725 a été adopté dans le cadre de la Loi modifiant le Code criminel (détermination de la peine) et d’autres lois en conséquence, L.C. 1995, ch. 22 (projet de loi C‑41), qui a remplacé entièrement la partie XXIII (Détermination de la peine) du Code criminel. Il est entré en vigueur en 1996.
18 Le ministère public allègue que l’art. 725 est la codification de principes de common law existants, plus particulièrement de principes énoncés dans R. c. Garcia, [1970] 3 C.C.C. 124 (C.A. Ont.). S’il en est ainsi des al. 725(1)a) et b) et, dans une certaine mesure, de l’al. b.1), le reste de l’art. 725 — y compris l’al. 725(1)c) et le par. 725(2), qui nous intéressent en l’espèce — est de droit nouveau.
19 Selon Garcia, les faits pouvant fonder des accusations distinctes pouvaient être pris en considération pour la détermination de la peine seulement s’ils faisaient l’objet d’autres accusations. L’arrêt R. c. Robinson (1979), 49 C.C.C. (2d) 464 (C.A. Ont.), également cité par le ministère public, va dans le même sens. L’alinéa 725(1)b) et, quoique de façon plus structurée, l’al. b.1) expriment donc, sous forme de disposition législative, la pratique reconnue par les arrêts Garcia et Robinson. Voir R. c. Howlett (2002), 163 O.A.C. 48 (C.A.), par. 13.
20 Par contre, l’al. 725(1)c) autorise le tribunal à prendre en considération les faits qui pourraient constituer le fondement d’une accusation distincte qui n’a pas — du moins pas encore — été portée.
21 Comme l’ont souligné les juges Cory et Iacobucci dans R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, par. 39 :
On ne peut interpréter les termes de l’al. 718.2e) en consultant simplement les décisions antérieures pour voir si l’on y retrouve des énoncés de principe similaires. L’adoption de la nouvelle partie XXIII a marqué une étape majeure, soit la première codification et la première réforme substantielle des principes de détermination de la peine dans l’histoire du droit criminel canadien. Chacune des dispositions de la partie XXIII, y compris l’al. 718.2e), doit être interprétée dans son contexte global, compte tenu des dispositions qui l’entourent.
22 Cette mise en garde s’applique en l’espèce. La meilleure façon de saisir le sens de l’al. 725(1)c) et du par. 725(2) est non pas d’examiner la jurisprudence, mais de se rapporter à leur libellé clair et de tenir compte de leur objet évident et de leur relation non seulement avec le reste de l’art. 725, mais également avec les autres dispositions de la partie XXIII du Code criminel et avec l’esprit du Code criminel dans son ensemble.
23 J’ai déjà mentionné que la question déterminante dans le présent pourvoi est de savoir si l’al. 725(1)c) peut s’appliquer sans le consentement du ministère public, comme c’est le cas en l’espèce. À cette question, le texte même de l’art. 725 appelle une réponse affirmative. Le législateur a prévu que le juge du procès ne peut appliquer les al. b) et b.1) sans le consentement du ministère public et du délinquant. Une telle exigence n’est pas indiquée à l’al. c). Il est impossible qu’il s’agisse d’un oubli de la part du législateur. S’il avait eu l’intention d’exiger l’obtention du consentement du ministère public ou de l’accusé comme condition préalable à l’application de l’al. 725(1)c) par le juge du procès, il l’aurait indiqué, comme il l’a fait dans les deux alinéas précédents du même paragraphe du Code.
24 Cette façon d’envisager la question est tout à fait conforme à l’objet de la disposition. Interprétés conjointement, l’al. 725(1)c) et le par. 725(2) visent deux objectifs principaux.
25 Premièrement, l’alinéa 725(1)c) dissipe tout doute quant à savoir si le juge chargé de la détermination de la peine peut prendre en compte, à titre de facteurs aggravants, d’autres infractions pour lesquelles aucune accusation n’a été portée et qui satisfont aux exigences de l’al. 725(1)c).
26 Deuxièmement, le par. 725(2) empêche l’accusé d’être puni deux fois pour la même infraction : cumulativement, comme circonstance aggravante liée à l’infraction reprochée, puis comme accusation distincte pouvant être subséquemment portée pour les mêmes faits. Cette protection est essentielle puisque les garanties habituelles ne seraient pas applicables : si l’accusé était plus tard inculpé relativement à des infractions prises en considération par le juge du procès en vertu de l’al. 725(1)c), il ne pourrait invoquer la défense autrefois convict ni la règle interdisant les condamnations multiples dégagée dans Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729, à moins d’être accusé du « même délit ».
27 J’ai indiqué dès le départ que l’al. 725(1)c) est la seule véritable exception à la règle selon laquelle, au Canada, les délinquants sont punis seulement à l’égard des crimes pour lesquels ils ont été spécifiquement inculpés et pour lesquels ils ont été valablement déclarés coupables. Je ne considère pas les al. 725(1)b) et b.1) comme de véritables exceptions à la règle parce qu’ils concernent tous deux des infractions faisant l’objet d’accusations distinctes pour lesquelles le délinquant peut être puni seulement (1) avec son consentement et (2) s’il consent à plaider coupable (al. b)) ou « reconnaît la véracité des faits en cause » et « reconnaît avoir commis l’infraction en cause » (al. b.1)).
28 Comme nous l’avons vu, l’al. 725(1)c) autorise le tribunal, pour la détermination de la peine, à prendre en considération tout fait lié à la perpétration de l’infraction même s’il pourrait constituer le fondement d’une accusation distincte. Ces infractions pour lesquelles aucune accusation n’a été portée mais dont la preuve est établie seront, si elles sont prises en considération, invariablement considérées comme des « circonstances aggravantes » au sens de l’al. 718.2a) et des dispositions connexes du Code criminel. Certes, les circonstances ou facteurs aggravants ne constituent pas tous en soi des crimes. Par exemple, les condamnations antérieures du délinquant et la vulnérabilité de la victime en raison de son infirmité ou de son âge ne sont pas en soi des infractions. Toutefois, tout comme les infractions pour lesquelles aucune accusation n’a été portée mais qui peuvent être prises en compte en vertu de l’al. 725(1)c), il s’agit de circonstances aggravantes et non atténuantes parce qu’elles entraînent l’infliction de peines plus sévères, et non plus légères.
29 La position du ministère public en l’espèce illustre bien l’effet typique de l’al. 725(1)c) : le ministère a demandé au juge du procès de condamner M. Larche à six ans d’emprisonnement, moins le temps déjà purgé, s’il appliquait l’al. 725(1)c) ou entre trois et quatre ans d’emprisonnement s’il ne l’appliquait pas.
30 En appel, la peine de trois ans prononcée par le juge du procès a été portée à six ans en raison de l’exigence de l’art. 467.14 du Code criminel, selon lequel les peines infligées pour des crimes commis au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle doivent être purgées consécutivement. Conformément à sa thèse sur l’inopportunité d’appliquer l’art. 725 et ses observations présentées au procès, le ministère public a recommandé à la Cour d’appel d’infliger une peine totale de trois ans — deux ans pour le premier chef et un an, consécutif, pour le deuxième. Cette recommandation a été reprise devant la Cour.
31 En présentant cette thèse, le ministère public ne faisait pas preuve de compassion ou de clémence. Il voulait simplement veiller à ce que M. Larche puisse ensuite être extradé aux États‑Unis pour y subir son procès relativement à l’autre moitié des crimes commis dans ce pays. Si M. Larche y est déclaré coupable, il est passible d’une peine de prison minimale de cinq ans et maximale de quarante ans. C’est sous cet angle qu’il faut considérer la recommandation du ministère public qu’une peine totale de trois ans soit imposée pour les accusations canadiennes dans la mesure où l’al. 725(1)c) ne serait pas appliqué.
IV
32 Il ressort de leur libellé clair que l’al. 725(1)c) et le par. 725(2), interprétés conjointement, sont à la fois discrétionnaires et impératifs. Discrétionnaire, parce que le tribunal peut — et non doit — prendre en considération les faits qui pourraient fonder d’autres accusations; impératif, parce que si le tribunal choisit d’en tenir compte, il doit — et non peut — noter qu’il l’a fait.
33 À mon avis, le pouvoir discrétionnaire que confère aux juges l’al. 725(1)c) n’est pas limité par l’art. 718.2, qui énumère les principes de détermination de la peine que les tribunaux doivent prendre en compte. Selon l’un de ces principes, énoncé à l’al. 718.2a), « la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes ». Bien que libellé en termes impératifs — « Le tribunal détermine » et « devrait » — , l’art. 718.2 doit être lu dans son contexte global selon le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50.
34 Voyons d’abord le contexte de l’art. 718.2. Cette disposition fait partie d’un régime de détermination des peines détaillé, complexe et exhaustif adopté, comme je l’ai déjà mentionné, par le législateur en 1995. L’« objectif essentiel » et les principes du prononcé des peines sont établis à l’art. 718. Sous la rubrique « Principe fondamental », l’art. 718.1 prévoit que « [l]a peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. » Dans ce contexte, sous la rubrique « Principes de détermination de la peine », l’art. 718.2 dispose :
718.2 Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants :
a) la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant; sont notamment considérées comme des circonstances aggravantes des éléments de preuve établissant . . .
35 Pour prendre en considération ce principe, le tribunal n’a pas à l’appliquer sans égard pour les autres principes de détermination de la peine prévus par le Code ou établis par des décisions judiciaires contraignantes. Ce principe ne prévaut pas non plus sur l’art. 725.
V
36 On a soutenu devant la Cour que l’application de l’al. 725(1)c) requiert, comme condition préalable implicite, le consentement de l’accusé ou du ministère public — ou des deux.
37 Le ministère public fait valoir qu’il serait « absurde » et contraire au pouvoir discrétionnaire de la poursuite de conclure que l’al. 725(1)c) permet à l’accusé d’éviter « unilatéralement » l’extradition ou d’échapper à une peine plus sévère par suite de la décision du ministère public de fractionner les accusations. Il s’ensuit, allègue le ministère public, que l’al. 725(1)c) ne peut s’appliquer sans son consentement.
38 Cet argument ne peut être retenu parce que l’application de l’al. 725(1)c) n’est subordonnée au consentement « unilatéral » d’aucune des parties. Son application demeure en tout temps soumise au pouvoir discrétionnaire du juge qui détermine la peine.
39 Il est vrai que les tribunaux ne doivent pas intervenir à la légère dans le pouvoir discrétionnaire de la poursuite. Mais on ne doit pas retarder abusivement les procédures pour aggraver la peine : R. c. Parisien (1971), 3 C.C.C. (2d) 433 (C.A.C.‑B.), particulièrement à la p. 437. Il ne faut pas non plus fractionner artificiellement les infractions pour atteindre un objectif similaire.
40 En l’espèce, la Cour d’appel a conclu que l’al. 725(1)c) ne peut être appliqué qu’avec le consentement de l’accusé. Se fondant sur sa décision antérieure dans R. c. Pearson, [2001] R.J.Q. 69, elle a affirmé :
Si l’application de l’article 725(1)c) nécessite le consentement de l’accusé, c’est donc nécessairement parce qu’il permet de prendre en considération des faits extrinsèques à la perpétration de l’infraction pour laquelle il a plaidé coupable. Effectivement, il ne saurait être question, considérant le droit de tout accusé à la présomption d’innocence, de prendre en compte des faits dépassant le strict cadre de l’infraction pour laquelle l’accusé doit être puni sans que ce dernier ait été jugé pour cette infraction. [En italique dans l’original; par. 25.]
41 Cette position découle de la crainte légitime qu’on se serve de la condamnation ou du plaidoyer de culpabilité de l’accusé pour le punir pour des actes répréhensibles non envisagés. L’acte d’accusation doit être suffisamment précis quant aux faits pour que l’accusé comprenne les circonstances ou l’« affaire » reprochées, et suffisamment précis quant au droit pour le renseigner sur l’accusation qu’il doit repousser parmi toutes celles susceptibles de caractériser l’acte : R. c. G.R., [2005] 2 R.C.S. 371, 2005 CSC 45.
42 Toutefois, en toute déférence pour l’opinion contraire, cette crainte ne permet pas de donner à la disposition une interprétation large en considérant qu’elle comporte l’exigence du consentement de l’accusé là où le législateur a choisi de ne pas énoncer une telle exigence. Au contraire, le législateur a spécifiquement prévu, à l’al. 724(3)e), une procédure permettant de prendre en considération des faits aggravants malgré l’opposition de l’accusé.
43 L’alinéa 724(3)e) prévoit que « lorsqu’un fait pertinent est contesté [. . .] le poursuivant est tenu de prouver hors de tout doute raisonnable tout fait aggravant ou toute condamnation antérieure du délinquant ». Comme je l’ai mentionné, les faits pertinents pour la détermination de la peine selon l’al. 725(1)c) sont habituellement des faits aggravants. Il y a litige lorsque l’accusé refuse de reconnaître la véracité de ces faits ou, en d’autres termes, lorsqu’il ne consent pas à l’application de l’al. 725(1)c). Cette procédure permet, à mon avis, d’envisager l’application de l’al. 725(1)c) sans le consentement de l’accusé.
44 L’exigence de la preuve hors de tout doute raisonnable à l’art. 724 est impérative compte tenu de la présomption d’innocence, qui s’applique à toutes les infractions présumées. L’objectif de l’al. 725(1)c) est d’infliger une peine plus sévère en se fondant sur une infraction pour laquelle aucune accusation n’a été portée. Lorsque le délinquant nie sa culpabilité à l’égard de cette infraction, la présomption d’innocence s’applique.
45 Outre l’exigence d’une preuve hors de tout doute raisonnable, le législateur a prévu deux autres garanties à l’al. 725(1)c). La conjugaison de ces trois garanties, appliquées avec vigueur, est suffisante pour dissiper les préoccupations importantes exprimées par la Cour d’appel du Québec dans Pearson et, de nouveau, dans le présent pourvoi.
46 Premièrement, comme l’a indiqué le juge Rosenberg dans R. c. Edwards (2001), 54 O.R. (3d) 737 (C.A.), [traduction] « les occasions où [l’al. 725(1)c)] peut être invoqué sont soigneusement circonscrites par l’exigence que les faits soient liés à la perpétration de l’infraction sous‑jacente » (par. 35). Les infractions non connexes, auxquelles le délinquant ne s’attendrait pas à être confronté, sont exclues. Deuxièmement, on peut faire confiance aux juges pour refuser, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que leur confère l’al. 725(1)c), de prendre en considération des infractions n’ayant pas fait l’objet d’une inculpation, s’il en résultait une injustice pour l’accusé — ou d’ailleurs pour le ministère public, par exemple en le prenant par surprise, l’empêchant ainsi prématurément de porter des accusations additionnelles.
47 L’alinéa 725(1)c) comporte trois éléments qu’on peut ainsi décomposer : « Pour la détermination de la peine, le tribunal : [. . .] [1] peut prendre en considération les faits [2] liés à la perpétration de l’infraction [3] sur lesquels pourrait être fondée une accusation distincte. » Je le répète : l’emploi du verbe « peut » signifie que l’application de la disposition est discrétionnaire. L’exigence que les faits soient « liés à la perpétration de l’infraction » et qu’ils puissent « fond[er] une accusation distincte » constitue une double condition préalable à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.
48 Je vais d’abord analyser l’exigence que les faits soient liés à la perpétration de l’infraction. Le législateur a clairement indiqué la nécessité d’établir un lien ou une connexité entre la conduite criminelle pour laquelle aucune accusation n’a été portée et l’infraction dont le délinquant a été déclaré coupable.
49 Il faut également, en appliquant l’art. 725 malgré l’opposition de l’accusé, veiller à ce que l’audience de détermination de la peine ne devienne pas un « procès à l’intérieur d’un procès ». Cette observation est pertinente dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal, lorsque les conditions préalables à l’application de l’al. 725(1)c) ont été remplies, surtout à cause de la nécessité pour l’accusé de connaître l’étendue du risque auquel il est exposé et de son droit à un procès avec jury pour certaines infractions. Toutefois, la nécessité d’éviter une série de procès dérivés à l’étape de la détermination de la peine revêt tout au plus une importance secondaire quand il s’agit de déterminer si une infraction pour laquelle aucune accusation n’a été portée est liée à la perpétration de l’infraction à l’égard de laquelle il faut infliger une peine.
50 À mon avis, la question de savoir si des faits sont liés à la perpétration de l’infraction doit ultimement être déterminée au cas par cas. Toutefois, de façon générale, les cas où il est possible d’établir un lien suffisant me paraissent constituer deux grandes catégories. Comme je l’expliquerai, ces deux catégories ne sont pas étanches, ni mutuellement exclusives, et elles se chevauchent souvent.
51 La première catégorie concerne la connexité dans le temps, le lieu ou les deux. Elle découle de l’idéal visé par l’al. 725(1)c) : en principe, une seule opération fait l’objet d’une seule déclaration de culpabilité et d’une seule peine qui tient compte de toutes les circonstances. Dans son application, ce principe est naturellement subordonné aux contraintes établies par le législateur dans les dispositions habilitantes du Code criminel, notamment l’art. 725.
52 Dans Edwards, le juge Rosenberg fait référence au concept de res gestae appliqué dans R. c. Gourgon (1981), 58 C.C.C. (2d) 193 (C.A.C.‑B.). La notion de res gestae — ou « les choses faites » (H. Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien (3e éd. 2004), p. 503-504) — renvoie à un lien spatial et temporel étroit et peut donc être utile dans le présent contexte.
53 Dans R. c. Paré, [1987] 2 R.C.S. 618, la Cour a examiné la question de savoir si l’homicide coupable « concomitant » d’un attentat à la pudeur devait « coïncide[r] exactement » avec l’attentat sous‑jacent ou simplement faire partie de la même chaîne d’événements ou de la même affaire. La juge Wilson a adopté, au nom de la cour à l’unanimité, la notion de « seule et même affaire » (voir p. 632 et 634).
54 La notion de res gestae et le terme « concomitant » renvoient tous deux à une interprétation plus étroite que l’expression « faits liés à la perpétration de l’infraction » employée à l’al. 725(1)c). Les faits « liés » à la perpétration d’une infraction représentent plus que l’opération directe qui y a donné lieu. Ainsi, en plus de viser les faits d’une seule opération, l’al. 725(1)c) s’applique également, à mon avis, à la catégorie plus large des faits connexes qui renseignent le tribunal de façon plus générale sur les circonstances de l’infraction.
55 On ne peut à bon droit déclarer que les « faits » (ou infractions pour lesquelles aucune accusation n’a été portée) de ce genre survenus à des endroits ou des moments différents font partie de l’opération visée par l’accusation pour laquelle le contrevenant doit être condamné. Le tribunal pourrait cependant avoir recours à l’al. 725(1)c) si les faits en question ont un lien tellement étroit avec l’infraction reprochée qu’ils font partie des circonstances de sa perpétration. Pour déterminer s’ils satisfont à l’exigence de connexité, le tribunal doit accorder l’importance qu’il faut à leur proximité dans le temps et à leur valeur probante en tant que preuve du système ou d’un constant comportement criminel.
56 En l’espèce, le juge Sansfaçon a clairement indiqué dans ses motifs que l’exportation et la vente de marijuana aux États‑Unis ainsi que le rapatriement au Canada du produit de la vente constituaient l’essence même de l’entreprise. De par son objet et son modus operandi, cette entreprise ne s’arrêtait pas à la frontière. Ses éléments constitutifs sont inextricablement interreliés et, dans l’ensemble, les infractions reprochées avaient en fait été perpétrées en partie au nord et en partie au sud de la frontière. Je suis donc convaincu que les faits mentionnés dans les trois notes étaient « liés à la perpétration de l’infraction » et qu’ils satisfont par conséquent à l’exigence de connexité.
57 La seconde condition de l’al. 725(1)c) est qu’il doit s’agir de faits sur lesquels « pourrait être fondée une accusation distincte ». La question est de savoir si cela signifie une accusation distincte au Canada. Je réponds par l’affirmative. Conclure autrement équivaudrait à autoriser les tribunaux canadiens à infliger, par le mécanisme indirect de l’art. 725, des peines pour des crimes entièrement commis à l’étranger et à s’arroger une compétence extraterritoriale que le législateur ne leur a pas conférée.
58 Cette condition sur le plan de la compétence est particulièrement pertinente quant à la troisième note inscrite par le juge du procès. Celle‑ci concerne une infraction pour laquelle aucune accusation n’a été portée et qui a été entièrement commise aux États‑Unis, en particulier, un incident survenu le 31 mai 2002 dans le Vermont. Agissant sur la foi de renseignements fournis par la GRC, la Drug Enforcement Administration (« DEA ») a commencé ce jour‑là à suivre M. Larche alors qu’il se dirigeait vers la frontière canadienne avec sur lui 110 000 $US en espèces. Il se sentait surveillé par la police. Espérant apparemment récupérer plus tard l’argent, il l’a déposé précipitamment à titre de versement initial pour l’achat d’une maison « Yankee Barn ». Les agents de la DEA n’étaient alors pas loin derrière — et l’ont battu de vitesse.
59 Selon l’arrêt Libman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 178, le critère de la compétence territoriale est fondé sur le « lien réel et important » avec le Canada (États‑Unis d’Amérique c. Lépine, [1994] 1 R.C.S. 286). Les faits « liés à la perpétration de l’infraction » ont souvent — mais pas toujours — un lien réel et important avec le Canada. Les membres de phrase ne sont ni synonymes ni de même portée, même si les enquêtes qu’ils commandent peuvent parfois se chevaucher. Ainsi, ma conclusion antérieure que la troisième note concerne des faits liés à la perpétration de l’infraction ne signifie pas pour autant que celle‑ci répond également au critère du « lien réel et important » avec le Canada.
60 Ce lien a été jugé inexistant dans des affaires plus convaincantes que le présent pourvoi. Par exemple, dans R. c. B. (O.) (1997), 116 C.C.C. (3d) 189 (C.A. Ont.), un camionneur canadien avait agressé sexuellement sa petite‑fille canadienne de 13 ans dans son véhicule enregistré au Canada alors qu’il voyageait aux États‑Unis en direction du Canada. Il a été conclu que les tribunaux canadiens n’avaient pas compétence.
61 Bien que M. Larche ait eu l’intention d’opérer de la façon habituelle le jour de l’incident de la maison « Yankee Barn », le destin est intervenu et il n’est pas revenu au Canada avec l’argent. L’incident s’est entièrement produit aux États‑Unis. Je conviens avec la Cour d’appel que les tribunaux canadiens n’ont donc pas compétence sur cet incident et je rejetterais le pourvoi incident formé par M. Larche à cet égard.
62 Pour ce qui est de la présente espèce, si l’on considère l’entreprise criminelle dans son ensemble, on s’aperçoit qu’il existait bel et bien un lien réel et important avec le Canada quant aux faits relatés dans les deux premières notes. Ceux‑ci s’apparentent à l’élément d’extranéité d’une fraude transnationale prenant source au Canada, pour laquelle les tribunaux canadiens ont compétence selon l’arrêt Libman.
VI
63 Comme les deux premières notes du juge Sansfaçon satisfont aux conditions préalables à l’application de l’al. 725(1)c), il ne reste plus qu’à déterminer si, en exerçant son pouvoir discrétionnaire, le tribunal chargé de déterminer la peine aurait néanmoins dû refuser de les prendre en considération. Plus précisément, dans quelle mesure le principe de la courtoisie internationale s’applique‑t‑il à l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par l’al. 725(1)c)?
64 À supposer que le principe de la courtoisie internationale puisse, en théorie, militer contre l’application de l’al. 725(1)c) dans certains cas, le juge Sansfaçon n’avait aucune raison de croire qu’il était déterminant en l’espèce. Malgré la lettre de janvier 2003 indiquant que les États‑Unis [traduction] « ont l’intention de demander l’extradition du défendeur Larche dans un avenir très proche » (d.a., p. 361 (je souligne)), aucune demande d’extradition n’avait été présentée au moment de la détermination de la peine ou exécutée entre l’instance en cour d’appel et le moment où la Cour a été saisie de l’affaire.
65 Refuser d’appliquer l’al. 725(1)c) dans une affaire où aucune demande d’extradition n’était en cours aurait eu pour conséquence de priver le droit canadien de l’effet recherché en raison d’un événement qui pouvait ne jamais se produire.
66 En outre, je ne vois pas clairement comment le principe de la courtoisie internationale pourrait s’appliquer en vertu de l’al. 725(1)c), même si une demande d’extradition a été présentée.
67 Dans la mesure où il y a compétence concurrente entre le Canada et les États‑Unis, comme il semble que ce soit le cas en l’espèce, le droit applicable est l’article 17 bis de notre traité d’extradition bilatéral (Traité d’extradition entre le Canada et les États‑Unis d’Amérique, R.T. Can. 1976 no 3 (mod. R.T. Can. 1991 no 3, art. VII)). Le principe qui y est consacré est celui du choix du ressort et non celui du partage de la compétence. Ce choix s’effectue au niveau exécutif du gouvernement et le moment approprié pour donner effet à la courtoisie doit précéder le dépôt d’accusations par l’un ou l’autre ressort. À cette étape, le principe de la courtoisie favorise l’intervention d’une entente quant à l’endroit où le délinquant devrait être poursuivi pour une seule infraction transnationale.
68 L’élection du for envisagée par le traité est faite dès lors que l’un des ressorts a porté des accusations et déclaré l’accusé coupable. Punir le délinquant pour tous les aspects de l’opération relevant de la compétence du tribunal déterminant la peine sert bien l’objectif du traité, à savoir qu’une seule partie signataire — et non les deux — doit juger et punir l’accusé. Les États‑Unis ont apparemment une disposition législative analogue à l’al. 725(1)c) et les tribunaux canadiens ne se sont pas opposés à son application d’une manière nous empêchant d’infliger au Canada une nouvelle punition au prisonnier : voir United States of America c. Fordham (2005), 196 C.C.C. (3d) 39, 2005 BCCA 197.
VII
69 Le ministère public a demandé conseil quant à la meilleure procédure à suivre pour contester une décision rendue en application de l’art. 725. Comme la Cour l’a confirmé récemment dans R. c. Russell, [2001] 2 R.C.S. 804, 2001 CSC 53, le certiorari s’applique seulement dans les cas où le tribunal a outrepassé la compétence que lui confère la loi ou lorsqu’il a violé les principes de justice naturelle, ce qui équivaut à un abus de compétence.
70 Il ressort clairement de Sanders c. La Reine, [1970] R.C.S. 109, que l’appel est le bon véhicule procédural à utiliser lorsqu’il est possible d’interjeter appel. Il en va de même pour le ministère public. Un des facteurs clés dans Dubois c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 366, où la Cour a décidé que le ministère public pouvait avoir recours au certiorari, est l’absence du droit d’appel (même si le ministère public disposait d’autres recours comme la mise en accusation directe ou le dépôt d’une nouvelle accusation). De même, il a été statué que le ministère public ne peut se prévaloir du certiorari pour faire annuler une ordonnance d’arrêt des procédures puisque l’al. 676(1)c) prévoit un plein droit d’appel contre une telle ordonnance : R. c. Mallet, [2000] A.N.‑B. no 197 (QL) (C.A.).
71 Lorsque le ministère public cherche à contester la peine prononcée par le juge du procès, comme c’est le cas en l’espèce, l’al. 676(1)d) du Code criminel lui accorde le droit d’interjeter appel avec l’autorisation de la cour d’appel. Il a d’ailleurs introduit un tel recours parallèlement à sa demande de certiorari.
72 En conséquence, l’appel, et non le certiorari, constitue le recours approprié en l’espèce.
VIII
73 Pour tous ces motifs, je suis d’avis, comme je l’ai dit au début, de rejeter à la fois le pourvoi du ministère public et le pourvoi incident de M. Larche. Les notes 1 et 2 inscrites par le juge du procès devraient donc demeurer inchangées et la note 3 devrait être rayée, comme l’a ordonné la Cour d’appel.
Pourvoi et pourvoi incident rejetés.
Procureur de l’appelante/intimée au pourvoi incident : Procureur général du Canada, Montréal.
Procureur de l’intimé Jean‑Paul Larche/appelant au pourvoi incident : Thomas P. Walsh, Sherbrooke.