R. c. Lévesque, [2000] 2 R.C.S. 487
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
Renaud Lévesque Intimé
Répertorié: R. c. Lévesque
Référence neutre: 2000 CSC 47.
No du greffe: 26939.
2000: 23 mars; 2000: 12 octobre.
Présents: Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Bastarache, Binnie et Arbour.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (1998), 130 C.C.C. (3d) 107, [1998] A.Q. no 2680 (QL), J.E. 98‑2019, qui a accueilli l’appel formé par l’accusé contre sa sentence. Pourvoi accueilli, le juge Arbour est dissidente.
Henri‑Pierre Labrie et Dannie Leblanc, pour l’appelante.
Pauline Bouchard, pour l’intimé.
Le jugement du juge en chef McLachlin et des juges L’Heureux-Dubé, Gonthier,* Iacobucci, Bastarache et Binnie a été rendu par
Le juge Gonthier —
I. La question en litige
1 Le présent pourvoi soulève la question de la règle applicable à l’admission d’éléments de preuve nouveaux en appel d’une sentence. Dans l’arrêt Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, notre Cour a énoncé les principes gouvernant l’admission d’une nouvelle preuve en appel d’un verdict. Il s’agit de déterminer en l’espèce si les critères applicables sont les mêmes pour les deux types d’appel et si la majorité de la Cour d’appel a erré en admettant en preuve les deux rapports d’expert présentés par l’intimé, en dépit des objections de l’appelante.
II.II. Les faits
2 Le 22 juin 1996, en compagnie de deux complices, l’intimé se rend à la résidence de la famille Fortier dans le but de s’emparer de fortes sommes d’argent qu’il croit gardées dans un coffre-fort. Alors qu’ils se trouvent dans la remise située derrière la maison, les trois individus sont surpris par David Fortier, un adolescent de treize ans. Après l’avoir agrippé et ligoté, l’intimé le questionne au sujet de l’emplacement du coffre-fort et des personnes qui sont dans la maison. Il lui met une cartouche de fusil dans la bouche, qu’il recouvre de ruban adhésif, et le menace à plusieurs reprises, tant verbalement qu’avec son arme. Par la suite, l’intimé sort de la remise avec David, son arme pointée sur la tête du jeune garçon, et se dirige avec lui vers la maison. Les deux complices les suivent. Une fois dans la maison, l’intimé se jette sur Bertrand Fortier, le père de David, alors que celui-ci regarde la télévision avec son épouse. Une bagarre éclate et un coup de feu est tiré pendant l’échauffourée. Pendant ce temps, les deux complices s’enfuient et un des fils Fortier appelle la police. Monsieur Fortier réussit finalement à maîtriser l’intimé au sol et les policiers arrivent sur les lieux peu de temps après.
3 Le 18 décembre 1996, l’intimé plaide coupable à quinze chefs d’accusation reliés aux événements survenus le 22 juin 1996. En appel de sa sentence, l’intimé cherche à faire admettre en preuve trois nouveaux rapports. Le premier, daté du 3 avril 1997, est intitulé «Compte rendu d’évaluation psychologique/psychiatrique». Il a été préparé par le psychologue Marc Daigle pour le compte des services correctionnels canadiens. Le second rapport a été rédigé par le psychiatre Louis Morissette à la demande de l’intimé. Il est daté du 17 mars 1998. L’appelante s’oppose à ce que ces deux rapports soient admis en preuve, mais elle consent à l’admission du troisième rapport, soit celui du psychologue Jacques Bigras. Ce dernier est daté du 31 mars 1998 et a été préparé pour le compte des services correctionnels canadiens au terme d’un cours entrepris par l’intimé dans le cadre de sa détention.
III. Les dispositions législatives pertinentes
4 Les dispositions pertinentes du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, se lisent ainsi:
683. (1) Aux fins d’un appel prévu par la présente partie, la cour d’appel peut, lorsqu’elle l’estime dans l’intérêt de la justice:
a) ordonner la production de tout écrit, pièce ou autre chose se rattachant aux procédures;
b) ordonner qu’un témoin qui aurait été un témoin contraignable lors du procès, qu’il ait été appelé ou non au procès:
(i) ou bien comparaisse et soit interrogé devant la cour d’appel,
(ii) ou bien soit interrogé de la manière prévue par les règles de cour devant un juge de la cour d’appel, ou devant tout fonctionnaire de la cour d’appel ou un juge de paix ou autre personne nommée à cette fin par la cour d’appel;
c) admettre, comme preuve, un interrogatoire recueilli aux termes du sous-alinéa b)(ii);
d) recevoir la déposition, si elle a été offerte, de tout témoin, y compris l’appelant, qui est habile à témoigner mais non contraignable;
687. (1) S’il est interjeté appel d’une sentence, la cour d’appel considère, à moins que la sentence n’en soit une que détermine la loi, la justesse de la sentence dont appel est interjeté et peut, d’après la preuve, le cas échéant, qu’elle croit utile d’exiger ou de recevoir:
a) soit modifier la sentence dans les limites prescrites par la loi pour l’infraction dont l’accusé a été déclaré coupable;
b) soit rejeter l’appel.
IV. L’historique des procédures
A. Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, no 505-01-008036-960, 19 février 1997
5 Le 18 décembre 1996, l’intimé plaide coupable à des accusations d’enlèvement, de séquestration, d’agression armée, d’avoir proféré des menaces, de déguisement dans un dessein criminel, d’avoir braqué une arme à feu, de possession d’une arme à autorisation restreinte non enregistrée, de vol qualifié, d’introduction par effraction dans une maison d’habitation et de complot en vue de commettre un vol qualifié. Suite aux plaidoyers de culpabilité, le juge Yves Lagacé demande la confection d’un rapport présentenciel en vertu de l’art. 721 du Code criminel. Le 19 février 1997, après avoir entendu les représentations des deux procureurs et les témoignages de Bertrand Fortier, du frère de l’intimé, de l’agent de probation Philippe David et de l’intimé lui-même, le juge Yves Lagacé condamne ce dernier à plusieurs peines d’emprisonnement à être purgées de façon concurrente entre elles. La peine la plus sévère est une peine de dix ans et six mois d’emprisonnement pour le chef d’enlèvement.
B. Cour d’appel du Québec, [1998] A.Q. no 2680 (QL)
6 En appel, l’intimé dépose deux requêtes demandant l’autorisation de produire une nouvelle preuve, soit les rapports du psychologue Marc Daigle et du psychiatre Louis Morissette. Le 6 avril 1998, un banc de trois juges de la Cour d’appel (les juges Beauregard, Gendreau et Baudouin) défère cette requête au banc saisi de la requête pour permission d’en appeler de la sentence.
7 Le 8 juillet 1998, les requêtes sont entendues par les juges Deschamps, Chamberland et Nuss. Ils sont unanimes pour accueillir la requête en autorisation d’appel, car ils sont d’avis que le juge de première instance a commis une erreur en comparant la présente affaire à des affaires de prise d’otage en vue d’obtenir une rançon pour déterminer quelle était la sentence appropriée. Cette conclusion n’est pas en cause dans le présent pourvoi. La majorité de la Cour d’appel accueille également les requêtes pour la production d’une nouvelle preuve. Le juge Chamberland est dissident.
1. Le juge Deschamps (avec l’appui du juge Nuss)
8 Après avoir souligné que les principes dégagés dans l’arrêt Palmer, précité, doivent être appliqués de façon plus souple en matière criminelle qu’en matière civile et que les dispositions régissant l’admission d’une nouvelle preuve en appel diffèrent selon que la Cour statue sur un verdict (art. 683 du Code criminel) ou sur une sentence (art. 687 du Code criminel), le juge Deschamps affirme qu’une attitude libérale doit être adoptée en appel d’une sentence lorsque l’admissibilité d’éléments de preuve nouveaux est litigieuse. Elle conclut au par. 12: «si les deux articles [art. 683 et 687 du Code criminel] n’autorisent pas des règles différentes, j’estime à tout le moins que le texte de l’article 687 dicte une approche souple et généreuse».
9 Le juge Deschamps est d’avis que le rapport préparé par le psychologue Marc Daigle satisfait aux conditions d’admissibilité. Elle note que l’appelant n’a pas demandé à être soumis à cette évaluation et que le rapport a été rédigé moins de deux mois après celui de l’agent de probation qui a été soumis au juge de première instance. De plus, le rapport n’aurait pas pu être produit en première instance, car l’évaluation psychologique est postérieure à l’imposition de la sentence. Elle affirme au par. 15:
S’il est vrai que l’appelant aurait pu demander une expertise distincte à la suite de la réception du rapport prédécisionnel, je ne peux lui reprocher de ne pas l’avoir fait car, premièrement, l’appelant ne pouvait prévoir que monsieur Daigle aurait une opinion diamétralement opposée à celle de monsieur David et, deuxièmement, ce serait encourager une enchère d’expertises dans les cas où les accusés ne sont pas heureux des rapports prédécisionnels.
En définitive, le juge Deschamps estime qu’il est dans l’intérêt de la justice que le rapport du psychologue Daigle soit admis en preuve, car «il fait ressortir avec plus de détails le passé de l’appelant et fait voir sa personnalité sous une perspective qui n’apparaissait pas au dossier de première instance. Alors que le rapport prédécisionnel fait état de probabilités de récidive importantes, le rapport du psychologue Daigle est à l’effet contraire» (par. 16).
10 Selon le juge Deschamps, l’admissibilité du rapport préparé par le psychiatre Morissette est plus discutable. Elle fait remarquer que le rapport a été préparé à la demande de l’intimé et qu’un délai de treize mois s’est écoulé entre l’imposition de la sentence et la préparation du rapport. En outre, elle affirme que la partie du rapport où le Dr Morissette réplique au rapport de l’agent de probation n’a pas beaucoup de poids. Néanmoins, elle juge le rapport admissible, car il apporte un éclairage additionnel au rapport du psychologue Daigle.
11 En raison de l’erreur commise par le juge de première instance et à la lumière de la nouvelle preuve, le juge Deschamps substitue une peine de cinq ans et demi à la peine de dix ans et demi imposée par le juge Lagacé.
2. Le juge Chamberland (dissident)
12 Le juge Chamberland estime que les rapports du psychologue Daigle et du psychiatre Morissette ne doivent pas être admis en preuve. À son avis, l’intimé aurait pu, avec un minimum de diligence, solliciter d’autres opinions afin de contredire l’opinion de l’agent de probation sur sa personnalité et les présenter au juge de première instance. Il conclut au par. 31:
Je comprends que la disposition régissant la nouvelle preuve diffère selon que la Cour est appelée à statuer sur la condamnation (article 683 C. cr.) ou sur la sentence (article 687 C. cr.) mais, à mon avis, pas au point où la Cour doive, à moins de circonstances tout à fait exceptionnelles (que le présent dossier ne recèle pas) ou à moins, bien sûr, que l’autre partie y consente, recevoir une preuve aisément disponible en première instance (R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480; Palmer et Palmer c. R., [1980] 1 R.C.S. 759). En somme, je suis d’avis que le débat, ici contradictoire, sur la personnalité de l’appelant devait se faire en première instance, pas en appel.
13 Étant donné l’erreur commise par le juge de première instance lors de la détermination de la peine, le juge Chamberland substitue une peine de huit ans et six mois d’incarcération à la peine prononcée par le juge Lagacé. Il accueille la requête pour la production d’une nouvelle preuve à la seule fin d’admettre en preuve le rapport du psychologue Jacques Bigras.
V. Analyse
A. Les critères établis dans l’arrêt Palmer
14 Dans l’arrêt Palmer, précité, notre Cour a examiné le pouvoir discrétionnaire d’une cour d’appel d’admettre des éléments de preuve nouveaux en vertu de l’art. 610 du Code criminel, soit le prédécesseur de l’art. 683. Après avoir souligné que, d’après le libellé de l’art. 610, la considération prépondérante doit être «l’intérêt de la justice», le juge McIntyre énumère les principes applicables à la p. 775:
(1) On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles: voir McMartin c. La Reine.
(2) La déposition doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.
(3) La déposition doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi, et
(4) elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.
Dans l’arrêt R. c. M. (P.S.) (1992), 77 C.C.C. (3d) 402 (C.A. Ont.), à la p. 410, le juge Doherty écrit au sujet de ces principes:
[traduction] Les trois derniers critères constituent des conditions d’admissibilité d’éléments de preuve en appel. De fait, les deuxième et troisième critères font partie de l’analyse qualitative plus large requise par le quatrième facteur. Le premier critère, celui de la diligence raisonnable, n’est pas un préalable à l’admissibilité d’éléments de preuve «nouveaux» dans les appels en matière criminelle; il est plutôt un facteur qui doit être pris en considération pour décider si l’intérêt de la justice justifie l’admission de l’élément de preuve: McMartin c. The Queen, précité, aux pp. 148 à 150; R. c. Palmer, précité, à la p. 205.
J’estime qu’il s’agit d’une bonne description de la façon dont les principes énumérés dans l’arrêt Palmer interagissent.
15 Notre Cour a été appelée récemment à appliquer ces critères dans l’arrêt R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 579. Dans cette affaire, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique avait jugé que l’accusé n’avait pas satisfait au critère de diligence raisonnable et avait refusé d’admettre la nouvelle preuve. Le juge Major, pour la majorité, rappelle au par. 51 que la diligence raisonnable n’est qu’un facteur parmi d’autres et que son absence, particulièrement en matière criminelle, devrait être appréciée en fonction d’autres circonstances. Autrement dit, le défaut de satisfaire au critère de diligence raisonnable ne devrait pas être retenu pour écarter l’admission d’éléments de preuve nouveaux en appel si ceux-ci sont convaincants et s’il est dans l’intérêt de la justice de les admettre.
B. Critères applicables aux appels de sentence
16 Se fondant sur le libellé différent des art. 683 et 687 du Code criminel et sur le fait que les mots utilisés à l’art. 687 sont, selon elle, «à connotation beaucoup plus discrétionnaire» (par. 10), le juge Deschamps exprime l’opinion que les règles énoncées dans l’arrêt Palmer sont assouplies en appel d’une sentence. Avec égards, je ne partage pas cet avis. Bien que les règles relatives aux sources et genres de preuve soient assouplies en matière de sentence, les critères d’admission d’éléments de preuve nouveaux en appel sont les mêmes que l’appel porte sur un verdict ou une sentence.
17 Pour fins de comparaison, je reproduis à nouveau les passages pertinents des art. 683 et 687 du Code criminel:
683. (1) Aux fins d’un appel prévu par la présente partie, la cour d’appel peut, lorsqu’elle l’estime dans l’intérêt de la justice: . . .
687. (1) S’il est interjeté appel d’une sentence, la cour d’appel considère, à moins que la sentence n’en soit une que détermine la loi, la justesse de la sentence dont appel est interjeté et peut, d’après la preuve, le cas échéant, qu’elle croit utile d’exiger ou de recevoir: . . . [Je souligne.]
À première vue, le critère applicable ne me semble pas être différent: voir R. c. Hogan (1979), 50 C.C.C. (2d) 439 (C.A.N.-É.), à la p. 449; et R. c. Edwards (1996), 105 C.C.C. (3d) 21 (C.A. Ont.), à la p. 27. Si une cour d’appel croit utile de recevoir une preuve nouvelle, c’est qu’elle estime qu’il est dans l’intérêt de la justice de la recevoir. De plus, je vois mal comment le pouvoir discrétionnaire conféré aux cours d’appel à l’art. 687 pourrait être plus large que celui conféré à l’art. 683, car, s’il en était ainsi, les cours d’appel pourraient exercer leur pouvoir discrétionnaire d’une façon qui est contraire à l’intérêt de la justice. Or, on ne peut présumer que le législateur a voulu faire des lois dont l’application conduirait à des conséquences contraires à la justice: P.‑A. Côté, Interprétation des lois (3e éd. 1999), à la p. 562. À l’instar du juge McIntyre dans Palmer, précité, à la p. 775, je crois qu’il faut donner prépondérance à l’intérêt de la justice, et ce, peu importe que l’appel porte sur un verdict ou une sentence.
18 En tout état de cause, je crois que les critères établis par notre Cour dans l’arrêt Palmer commandent déjà une application souple et flexible et peuvent difficilement être assouplis davantage. Conformément aux trois derniers critères, une cour d’appel ne peut admettre que des éléments de preuve qui sont pertinents, plausibles et dont on peut raisonnablement penser qu’ils auraient influé sur le résultat s’ils avaient été produits en première instance avec les autres éléments de preuve. Assouplir ces critères aurait pour conséquence qu’une cour d’appel pourrait recevoir des éléments de preuve qui sont non pertinents, invraisemblables et qui n’auraient pas pu influer sur le résultat s’ils avaient été produits en première instance. J’estime qu’un tel assouplissement ne servirait à rien et serait contraire à l’intérêt de la justice.
19 Pour ce qui est du premier critère, soit le critère de diligence raisonnable, le défaut d’y satisfaire n’est pas toujours fatal. Comme le juge Major l’a affirmé dans Warsing, précité, au par. 51:
Il est souhaitable que la diligence raisonnable ne reste qu’un facteur parmi d’autres, et son absence, particulièrement en matière criminelle, devrait être appréciée en fonction d’autres circonstances. Si la preuve est convaincante et s’il est dans l’intérêt de la justice de l’admettre, alors le défaut de satisfaire à ce critère ne devrait pas être retenu pour en écarter l’admission.
Ce passage démontre clairement que le critère de diligence raisonnable doit être appliqué de façon souple et flexible. À mon avis, il n’est pas nécessaire de l’assouplir davantage dans le contexte des appels de sentence. Même si la diligence raisonnable n’est pas une condition essentielle à l’admission d’éléments de preuve nouveaux en appel, il s’agit d’un facteur important dont il faut tenir compte pour déterminer s’il est dans l’intérêt de la justice de recevoir ou non une nouvelle preuve. Comme le dit le juge Doherty dans l’affaire M. (P.S.), précitée, à la p. 411:
[traduction] Bien que l’omission de faire preuve de diligence raisonnable ne soit pas un facteur déterminant, il ne saurait en être fait abstraction dans la détermination de l’admissibilité d’un élément de preuve «nouveau». L’intérêt de la justice mentionné à l’art. 683 du Code criminel vise non seulement l’intérêt qu’a l’accusé à ce que sa culpabilité soit déterminée à la lumière de toute la preuve disponible, mais également l’intégrité du processus en matière criminelle. Le caractère définitif et le déroulement ordonné des procédures judiciaires sont essentiels à cette intégrité. Le système de justice criminelle est organisé de telle manière que le procès donne aux parties la possibilité de présenter leur preuve, et l’appel la possibilité de contester la justesse de ce qui s’est produit au procès. L’alinéa 683(1)d) du Code reconnaît que le rôle des cours d’appel peut être élargi dans des cas exceptionnels, mais le processus d’appel ne peut être utilisé couramment pour étoffer le dossier constitué au procès. S’il en était autrement, le procès perdrait son caractère définitif et serait repris en appel chaque fois qu’une partie réussirait à recueillir d’autres éléments de preuve avant l’audition de l’appel. Voilà pourquoi le caractère exceptionnel de l’admission d’éléments de preuve «nouveaux» en appel a été souligné: McMartin c. The Queen, précité, à la p. 148.
Le critère de la diligence raisonnable vise à préserver l’intégrité du processus, et il faut lui accorder le poids qui convient dans la détermination de l’admissibilité d’éléments de preuve «nouveaux» en appel.
Selon moi, ces considérations sont également pertinentes dans le contexte d’un appel d’une sentence. Par conséquent, la diligence raisonnable à produire une nouvelle preuve est un facteur dont il faut tenir compte lors d’un appel de sentence, au même titre que les trois autres critères énumérés dans l’arrêt Palmer.
20 Il est vrai que l’admission d’une preuve nouvelle en appel d’une sentence ne peut pas engendrer la tenue d’un nouveau procès, contrairement à l’admission d’éléments de preuve nouveaux en appel d’un verdict: voir le libellé des art. 687 et 683 du Code criminel. Néanmoins, je ne crois pas que cette différence justifie l’application de critères différents. L’intégrité du processus en matière pénale de même que le rôle des cours d’appel pourraient être menacés par l’admission d’éléments de preuve nouveaux de façon routinière en appel, car un système de détermination de la peine à deux niveaux serait ainsi créé. Un tel système à deux niveaux serait incompatible avec la norme de contrôle élevée applicable aux appels de sentence et les «profondes justifications fonctionnelles» qui la sous-tendent: voir R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, au par. 91. En effet, malgré la nouvelle preuve, le juge qui a infligé la peine, contrairement au juge d’appel, a l’avantage d’avoir pu apprécier directement les autres éléments de preuve, les témoignages et les observations présentées par les parties, en plus de bien connaître les besoins de la communauté où le crime a été commis et les conditions qui y règnent: voir M. (C.A.), précité, au par. 91. Par ailleurs, les cours d’appel ne sont pas le forum approprié pour trancher des questions de fait et elles ne devraient le faire que lorsque la nouvelle preuve possède certaines caractéristiques justifiant l’élargissement de leur rôle traditionnel. Notre Cour a déjà identifié ces caractéristiques dans l’arrêt Palmer. À mon avis, peu importe que l’appel porte sur un verdict ou une sentence, les critères énumérés par notre Cour dans Palmer sont les critères applicables lorsqu’une cour d’appel détermine si elle doit recevoir des éléments de preuve nouveaux.
21 En plus d’invoquer le libellé différent des art. 683 et 687 du Code criminel, le juge Deschamps fait référence à la jurisprudence des autres provinces. Plusieurs cours d’appel se sont penchées sur la question de l’admission d’éléments de preuve nouveaux en appel d’une sentence: voir R. c. Lockwood (1971), 5 C.C.C. (2d) 438 (C.A. Ont.); Hogan, précité; R. c. Irwin (1979), 48 C.C.C. (2d) 423 (C.A. Alta.); R. c. Langille (1987), 77 N.S.R. (2d) 224 (C.A.); R. c. Archibald (1992), 15 B.C.A.C. 301; R. c. Lemay, [1998] A.Q. no 1947 (QL) (C.A.); R. c. Gauthier, [1996] A.Q. no 952 (QL) (C.A.); R. c. McDow (1996), 147 N.S.R. (2d) 343 (C.A.); Edwards, précité; R. c. Riley (1996), 107 C.C.C. (3d) 278 (C.A.N.-É.); et R. c. Mesgun (1997), 121 C.C.C. (3d) 439 (C.A. Ont.). Certaines cours d’appel ont soutenu que les critères applicables étaient les mêmes, que l’appel porte sur un verdict ou une sentence: voir Hogan, précité, à la p. 449, et Edwards, précité, à la p. 27. D’autres ont affirmé que les règles relatives à l’admission d’éléments de preuve nouveaux étaient appliquées de façon plus souple ou informelle dans le contexte d’un appel d’une sentence: voir Hogan, précité, à la p. 453; Langille, précité; Edwards, précité, à la p. 28; et Riley, précité, à la p. 283. Toutefois, un examen attentif de la jurisprudence révèle que loin d’appliquer des critères différents, les cours d’appel ont invariablement appliqué les critères énoncés dans l’arrêt Palmer, que ce soit de façon implicite ou explicite (pour des exemples d’application du critère de diligence raisonnable, voir Lockwood, Hogan, Irwin, Langille, Edwards et Mesgun; pour des exemples d’application du critère de pertinence, voir Edwards et Lemay; et pour un exemple d’application des critères de plausibilité et d’influence sur le résultat, voir Langille). Par ailleurs, comme je l’ai expliqué ci-dessus, un assouplissement de la règle établie dans l’arrêt Palmer n’est ni souhaitable ni vraiment possible, étant donné sa souplesse inhérente et les exigences reliées à l’intérêt de la justice.
22 Je conclus donc que les critères énumérés dans l’arrêt Palmer sont applicables aux requêtes en production d’une preuve nouvelle en appel d’une sentence. Avant d’appliquer ces critères aux deux rapports en cause en l’espèce, j’estime qu’il est utile de discuter brièvement des concepts d’admissibilité et de valeur probante dans le contexte de l’admission d’éléments de preuve nouveaux en appel, ainsi que de certaines particularités du processus de détermination de la peine.
C. Les concepts d’admissibilité et de valeur probante
23 En droit de la preuve, les notions d’admissibilité et de valeur probante sont deux concepts distincts: voir Morris c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 190, aux pp. 192 (le juge McIntyre) et 203 (le juge Lamer). Le principe général applicable en matière d’admissibilité est qu’un élément de preuve pertinent est admissible, sauf s’il est assujetti à une règle d’exclusion: voir Morris, précité, à la p. 201, et J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), à la p. 23. Il appartient au juge des faits de déterminer la valeur probante qui doit être attribuée aux éléments de preuve admissibles: Morris, précité, à la p. 193 (le juge McIntyre).
24 Dans le contexte de l’admission d’éléments de preuve nouveaux en appel, cependant, les concepts d’admissibilité et de valeur probante se chevauchent. En effet, pour être admissible, il n’est pas suffisant qu’une preuve nouvelle rencontre l’exigence liminaire de pertinence. Elle doit également être plausible et susceptible d’avoir influé sur le résultat si elle avait été produite en première instance avec les autres éléments de preuve. Par conséquent, la valeur probante des éléments de preuve nouveaux doit, dans une certaine mesure, être examinée par une cour d’appel lorsqu’elle détermine l’admissibilité d’une preuve nouvelle. La question à se poser a été formulée ainsi par le juge McIntyre dans Palmer, précité, à la p. 777:
Si [la preuve nouvelle] est présentée au juge du fond qui y ajoute foi, aura-t-elle un poids et une force probante tels qu’elle puisse, compte tenu des autres éléments de preuve produits, influer sur le résultat? [Je souligne.]
Voir également McMartin c. The Queen, [1964] R.C.S. 484, à la p. 491, et R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480, aux pp. 491 et 492. L’évaluation de la valeur probante de la preuve nouvelle est toutefois limitée, car, après avoir conclu que la preuve est plausible, la cour d’appel doit présumer que le juge de première instance y aurait ajouté foi. Si la preuve nouvelle est admise, la cour d’appel doit à nouveau considérer sa valeur probante ainsi que celle de tous les autres éléments de preuve afin de déterminer si la peine imposée en première instance est «manifestement inappropriée»: R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227, aux par. 46 et 50; M. (C.A.), précité, au par. 90; et R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, 2000 CSC 5, au par. 125.
25 Déterminer la valeur probante d’éléments de preuve nouveaux en appel peut s’avérer une tâche difficile, car ceux-ci n’ont pas subi l’épreuve du contre-interrogatoire ou de la réfutation en première instance. Certaines cours d’appel expriment des réticences lorsqu’on leur demande d’admettre des éléments de preuve nouveaux qui contiennent des informations qui n’ont pas pu être vérifiées par l’autre partie. Dans l’affaire Riley, précitée, à la p. 284, le juge Pugsley écrit pour la majorité de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse:
[traduction] La formation a des réserves, toutefois, relativement à la façon dont des renseignements cruciaux ont été présentés à la cour par l’avocat de la défense et au fait que le ministère public n’a pas eu l’occasion d’apprécier ces renseignements et encore moins de les contester.
Voir également l’arrêt Archibald, précité. À mon avis, lorsque des éléments de preuve nouveaux sont contestés, ou lorsque le débat porte sur leur valeur probante, il est souhaitable qu’ils soient mis à l’épreuve avant d’être admis, et ce, principalement pour deux raisons: (1) cela facilite la détermination de la valeur probante de la nouvelle preuve et (2) cela est plus équitable à l’endroit de la partie qui s’oppose à l’admission de la nouvelle preuve. Cette «mise à l’épreuve» peut se faire de plusieurs façons. Dans l’affaire Riley, par exemple, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a donné à la Couronne l’occasion de produire des affidavits en réponse aux affidavits présentés par l’accusé. Les cours d’appel peuvent également permettre, par exemple, le contre-interrogatoire d’un témoin ou la production d’une preuve d’expert en réponse à une nouvelle preuve d’expert. Bref, elles peuvent faire tout ce que les pouvoirs qui leur sont conférés à l’art. 683 du Code criminel leur permettent de faire. En effet, les cours d’appel peuvent exercer les pouvoirs énumérés à l’art. 683 du Code criminel tant en appel d’une sentence qu’en appel d’un verdict: pour un exemple d’application de l’art. 683 lors d’un appel de sentence, voir R. c. Berry (1997), 196 A.R. 398 (C.A.), aux pp. 400 et 401.
26 La partie qui désire produire une preuve en réponse à la nouvelle preuve, contre-interroger un affiant ou un expert ou contester de toute autre façon la nouvelle preuve devrait présenter une requête formelle en ce sens à la cour d’appel. Il n’est pas suffisant, comme cela s’est produit en l’espèce, de mentionner au moment des plaidoiries sur le mérite de la requête visant la production d’éléments de preuve nouveaux que l’on aurait souhaité contre-interroger les auteurs des rapports. L’appelante ne peut pas, à mon avis, invoquer l’absence de contre-interrogatoire pour soutenir que la nouvelle preuve n’aurait pas dû être admise, car il lui appartenait de demander à la cour d’appel, en temps voulu, l’autorisation de contre-interroger les auteurs des rapports contestés.
27 Néanmoins, le défaut de mettre une preuve nouvelle à l’épreuve n’est pas fatal et ne la rend pas automatiquement admissible ou inadmissible. Pour être admissible en appel, un élément de preuve nouveau doit rencontrer les critères établis dans l’arrêt Palmer. Malgré l’absence de mise à l’épreuve, la cour d’appel doit évaluer quelles sont, à première vue, la pertinence, la plausibilité et la valeur probante de la preuve nouvelle. Elle doit déterminer si la nouvelle preuve a une force probante telle qu’elle aurait influé sur le résultat si elle avait été présentée au juge de première instance et que celui-ci lui avait ajouté foi. Dans le cas de l’opinion d’un expert, la valeur probante à accorder est directement reliée à la quantité et à la qualité des éléments de preuve admissibles sur lesquels elle est fondée: R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852, à la p. 897.
28 En résumé, la valeur probante d’un élément de preuve nouveau doit être considérée afin de déterminer son admissibilité en appel. Afin de faciliter la détermination de la valeur probante de la nouvelle preuve, il est souhaitable que la partie qui la conteste la mette à l’épreuve. Pour ce faire, elle devrait faire une requête formelle à la cour d’appel et préciser de quelle façon elle souhaite mettre la nouvelle preuve à l’épreuve. Le défaut d’une partie de mettre un élément de preuve nouveau à l’épreuve ne dispense pas une cour d’appel de l’application des critères établis dans l’arrêt Palmer.
29 L’application de ces critères dans le contexte d’un appel de sentence sera inévitablement teintée par les particularités propres au processus de détermination de la peine, même si, à la base, les critères d’admission d’une preuve nouvelle demeurent les mêmes. Je vais maintenant examiner brièvement quelques-unes de ces particularités et leur interaction avec les critères de l’arrêt Palmer.
D. Application des critères dans le contexte d’un appel de sentence
30 Comme le souligne le juge Macdonald dans l’affaire Langille, précitée, les règles strictes du procès ne s’appliquent pas à l’audience relative à la sentence. Par exemple, le juge peut recevoir des éléments de preuve par ouï-dire à l’étape de la détermination de la peine s’ils sont crédibles et fiables: voir R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368, à la p. 414. Cet assouplissement des règles s’explique par le fait qu’un juge doit déterminer la sentence appropriée en fonction de l’accusé et que, pour ce faire, il doit disposer des renseignements les plus complets possibles sur celui-ci. À mon avis, les critères de l’arrêt Palmer ne compromettent pas cet assouplissement des règles quant aux sources et genres de preuve sur lesquels un juge peut fonder sa sentence. En effet, les critères relatifs à l’admission d’une preuve nouvelle en appel n’ont pas trait aux sources et genres de preuve et ne commandent pas que les règles strictes du procès s’appliquent aux éléments de preuve nouveaux soumis en appel d’une sentence. Pour être admissible, la preuve nouvelle doit seulement être pertinente, plausible et susceptible d’avoir influé sur le résultat si elle avait été produite en première instance avec les autres éléments de preuve. Le critère de diligence raisonnable, quant à lui, vise à protéger l’intérêt et l’administration de la justice et à sauvegarder le rôle des cours d’appel: voir M. (P.S.), précité.
31 Une autre particularité du processus de détermination de la peine qu’il vaut la peine de souligner est l’importance de la preuve d’opinion. À l’étape de l’imposition de la sentence, le juge est souvent appelé à consulter des rapports préparés par des agents de probation, des agents des services correctionnels, des psychologues ou des psychiatres faisant état de leur opinion quant à la personnalité de l’accusé, ses chances de réhabilitation et les risques de récidive. Comme je l’ai noté plus tôt, la valeur probante à accorder à l’opinion d’un expert est directement reliée à la quantité et à la qualité des éléments de preuve admissibles sur lesquels elle est fondée: Lavallee, précité, à la p. 897. Par conséquent, avant de recevoir une nouvelle preuve d’opinion en appel, il peut être nécessaire de déterminer le fondement de cette opinion (par exemple, la version des événements sur laquelle l’expert s’est fondé, les documents qu’il a consultés, etc.) et de vérifier si les faits à la base de l’opinion ont été prouvés et sont crédibles.
32 Bien souvent, les éléments de preuve nouveaux soumis à une cour d’appel dans le contexte d’un appel de sentence portent sur des événements postérieurs à la sentence ou constituent des informations de l’administration pénitentiaire concernant la démarche de réadaptation et de réhabilitation d’un accusé: voir par exemple les affaires Archibald, Lemay, Gauthier, McDow, Riley et Mesgun. Il arrive fréquemment que la Couronne consente à la production de ces éléments de preuve nouveaux, car les faits rapportés prêtent rarement à controverse: voir Edwards, précité, à la p. 28; Gauthier, précité, au par. 14; McDow, précité, au par. 18; Mesgun, précité, au par. 8; et C. Ruby, Sentencing (5e éd. 1999), à la p. 607. En l’espèce, l’appelante a consenti à la production du rapport du psychologue Jacques Bigras. Il est important de rappeler que consentement ou pas, la production d’éléments de preuve nouveaux en appel n’est possible qu’avec la permission de la cour d’appel: Hogan, précité, à la p. 448. Les éléments de preuve portant sur des événements postérieurs à la sentence ou sur la démarche de réadaptation et de réhabilitation d’un accusé rencontrent généralement le critère de diligence raisonnable, car, de par leur nature même, ils n’étaient pas disponibles au moment du prononcé de la sentence. Toutefois, pour être jugée admissible, la preuve doit également rencontrer les autres critères, notamment celui d’être susceptible d’influer sur le résultat. Le consentement de la Couronne ou l’absence de contestation peut légitimement être pris en considération par la cour d’appel, notamment lors de son évaluation de la pertinence, de la plausibilité et de la valeur probante de la nouvelle preuve.
33 Ayant complété mon examen des concepts d’admissibilité et de valeur probante et des particularités du processus de détermination de la peine, je passe maintenant à l’application des critères de l’arrêt Palmer aux deux rapports en cause dans la présente affaire.
E. Application à l’espèce
34 En l’espèce, la majorité de la Cour d’appel a jugé (au par. 16) que le rapport du psychologue Daigle était admissible parce qu’il faisait ressortir avec plus de détails le passé de l’intimé et faisait voir sa personnalité sous une perspective qui n’apparaissait pas au dossier de première instance. Pour ce qui est du rapport du psychiatre Morissette, il a été reçu en preuve parce qu’il apportait un éclairage additionnel au rapport du psychologue Daigle (par. 17). Ces raisons ne sont pas suffisantes, selon moi, pour justifier l’admission de ces deux rapports, car elles pourraient justifier l’admission d’un éventail très large d’éléments de preuve supplémentaires en appel. En outre, recevoir en appel toute preuve qui ajoute certains détails à la preuve produite en première instance ou qui clarifie celle-ci serait contraire aux critères de l’arrêt Palmer et au rôle limité des cours d’appel en matière de détermination de la peine.
35 À mon avis, aucun des deux rapports n’aurait dû être admis en preuve. Il est utile de reproduire de nouveau les critères applicables, c’est-à-dire les critères énumérés dans l’arrêt Palmer, avec les adaptations nécessaires:
(1) On ne devrait généralement pas admettre un élément de preuve qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produit en première instance, à condition de ne pas appliquer ce principe général de matière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles.
(2) La preuve doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant à la sentence.
(3) La preuve doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi.
(4) La preuve doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits en première instance, elle aurait influé sur le résultat.
1. Rapport du psychologue Daigle
36 Le rapport du psychologue Daigle est pertinent, car celui-ci se prononce sur la personnalité de l’intimé, sa dangerosité et les risques de récidive. De plus, on peut raisonnablement ajouter foi à ce rapport, d’autant plus qu’il a été préparé de façon indépendante et non à la demande de l’intimé. Par ailleurs, il est possible de conclure que ce rapport particulier respecte le critère de diligence raisonnable. Bien que le psychologue Daigle se soit fondé sur des faits antérieurs au prononcé de la sentence et que l’intimé aurait pu solliciter l’opinion d’un autre psychologue quant à sa personnalité et sa dangerosité, ce rapport particulier n’était pas disponible au moment du prononcé de la sentence et l’intimé n’aurait pas pu l’obtenir avant. En effet, ce rapport a été rédigé à des fins de classification pour le compte des services correctionnels canadiens, alors que l’intimé se trouvait au Centre régional de réception de Québec.
37 Malgré ce qui précède, je conclus que le rapport du psychologue Daigle n’aurait pas dû être reçu en preuve par la Cour d’appel, car sa valeur probante n’est pas telle qu’il aurait pu influer sur le résultat s’il avait été présenté au juge de première instance. Je note tout d’abord que le psychologue Daigle n’a pas pris connaissance des procédures en première instance, n’a pas lu les témoignages ni consulté les documents de la cour (p. 1 du rapport). Bien qu’il n’ait pas préparé son rapport à la demande de l’intimé, il ne se fonde que sur sa version des faits. Or, cette version présente l’intimé comme étant une victime qui ne voulait pas commettre le vol et qui aurait agi sous la menace de ses complices (pp. 1 et 2 du rapport). La violence et les menaces faites à l’enfant sont évacuées du récit. De plus, selon le rapport, ce serait Bertrand Fortier qui se serait jeté sur l’intimé et non l’inverse (p. 2 du rapport). En outre, l’intimé a affirmé au psychologue Daigle qu’il avait voulu commettre ce vol afin de ramener auprès de lui son ex-compagne (p. 7 du rapport).
38 La version des faits qui est rapportée dans le rapport du psychologue Daigle est différente à bien des égards de celle que l’intimé a donnée sous serment en première instance. Je ne souligne que les contradictions les plus évidentes: l’intimé a affirmé dans son témoignage avoir voulu commettre le vol pour rembourser une dette de drogue; avoir planifié le coup avec un de ses complices; et avoir agrippé Bertrand Fortier alors qu’il était assis dans le salon.
39 Il est vrai que la version des faits rapportée dans le rapport du psychologue Daigle n’est pas complètement incompatible avec le témoignage de l’intimé en première instance. Dans son témoignage, l’intimé a aussi tenté de se présenter comme une victime en soutenant qu’il ne voulait pas aller commettre le vol; qu’il se serait sauvé s’il en avait eu l’occasion; et qu’il ne faisait qu’obéir aux ordres de ses complices lorsqu’il a attaché le jeune Fortier, lui a mis une cartouche dans la bouche et l’a pris en otage. Toutefois, le témoignage de l’intimé est confus et bourré de contradictions, en plus d’être incompatible avec le récit des membres de la famille Fortier. Le juge de première instance n’a clairement pas retenu la version des faits de l’intimé. Il a conclu que le coup avait été préparé (pp. 4 à 6 des motifs), que l’intimé avait égratigné le visage du jeune Fortier avec son arme (p. 6 des motifs) et l’avait menacé de mort à plusieurs reprises (p. 4 des motifs). Il affirme également à la p. 7 de ses motifs:
Il a été beaucoup question depuis vos représentations, au début des représentations sur sentence, que vous étiez effectivement une victime, je parlais de malchance tout à l’heure, on choisit ses amis, on choisit ses compagnes. Quand quelque chose ne marche pas, il ne faut pas toujours blâmer les autres.
Il ressort aussi clairement d’un échange qui s’est produit entre le juge de première instance et l’avocat de l’intimé juste avant le prononcé de la sentence que le juge n’accordait pas beaucoup de crédit à la théorie de la défense à l’effet que l’intimé était une victime dans la présente affaire.
40 Le psychologue Daigle s’est donc fondé sur une version qui n’a pas été retenue par le juge de première instance ou sur des faits qui n’ont pas été établis en preuve. Étant donné que la valeur probante à accorder à l’opinion d’un expert dépend de la quantité et de la qualité des éléments de preuve admissibles sur lesquels elle est fondée (Lavallee, précité, à la p. 897), je conclus qu’on ne peut accorder qu’une faible valeur probante au rapport préparé par le psychologue Daigle. Compte tenu de cette faible valeur probante et du fait que le juge de première instance a surtout insisté, lors du prononcé de la sentence, sur la gravité des infractions commises par l’intimé plutôt que sur sa personnalité, je suis d’avis que le rapport du psychologue Daigle n’aurait pas influé sur le résultat s’il avait été produit en première instance avec les autres éléments de preuve. Par conséquent, la Cour d’appel n’aurait pas dû le recevoir en preuve, car il ne rencontre pas les critères de l’arrêt Palmer.
2. Rapport du psychiatre Morissette
41 Le rapport préparé par le psychiatre Morissette ne respecte pas le critère de diligence raisonnable. Il est daté du 17 mars 1998, soit plus d’un an après le prononcé de la sentence. Contrairement au rapport du psychologue Daigle, l’opinion du psychiatre Morissette a été sollicitée par l’intimé. Je partage l’avis du juge Chamberland selon lequel l’intimé aurait pu, avec un minimum de diligence, solliciter cette opinion avant le prononcé de la sentence et présenter le rapport du psychiatre Morissette au juge de première instance dans le but de contredire l’opinion de l’agent de probation sur sa personnalité (voir Mesgun, précité, au par. 8).
42 Néanmoins, le défaut de satisfaire au critère de diligence raisonnable n’est pas toujours fatal: Warsing, précité, au par. 51. Il faut donc examiner les trois autres critères énumérés dans Palmer afin de déterminer s’ils ont un poids tel qu’ils l’emportent sur l’omission de satisfaire au critère de diligence raisonnable: R. c. McAnespie, [1993] 4 R.C.S. 501, aux pp. 502 et 503.
43 Comme le rapport préparé par le psychologue Daigle, le rapport rédigé par le psychiatre Morissette est pertinent, car il communique une opinion sur la personnalité de l’intimé, sa dangerosité et les risques de récidive. En outre, rien n’indique qu’on ne puisse raisonnablement y ajouter foi, même s’il a été préparé à la demande de l’intimé. Cependant, sa valeur probante est faible. À l’instar du psychologue Daigle, le psychiatre Morissette a fondé son opinion sur une version des faits qui n’a pas été établie ou retenue en première instance. Bien qu’il ait pris connaissance du rapport préparé par l’agent de probation, il ne semble pas avoir lu les témoignages ni consulté la transcription de ce qui s’est déroulé en première instance. La description qu’il fait des événements du 22 juin 1996 est très courte et ne reflète pas la gravité des infractions commises ni la violence qui a été employée. De plus, l’intimé a donné au psychiatre Morissette une explication complètement différente de celle qu’il a donnée sous serment en ce qui concerne sa participation aux événements. On peut lire à la p. 15 du rapport:
M. Lévesque explique maintenant que lors de son arrestation et lors de son arrivée au pénitencier, il ne voulait pas dire qu’il avait volé pour une femme [. . .], il ne voulait pas dire qu’il était suffisamment dépendant d’une femme pour voler [. . .] Il avait l’impression qu’il paraîtrait “mieux” s’il expliquait le motif de son vol par une dette de drogue. Il nous dit maintenant qu’il n’a jamais contracté de dette de drogue, qu’il n’a jamais fraudé un revendeur de drogue. Il explique que le seul but du vol était un gain financier pour impressionner Francine, M. Lévesque ayant l’impression que s’il avait plus d’argent, elle pourrait revenir à lui.
En outre, tous les détails de la vie amoureuse de l’intimé auxquels réfère le psychiatre Morissette n’ont pas été établis en preuve en première instance. Donc, pour les raisons que j’ai énoncées pour le rapport du psychologue Daigle, je conclus que le rapport du psychiatre Morissette possède une faible valeur probante et n’aurait pas influé sur le résultat s’il avait été produit en première instance avec les autres éléments de preuve.
44 À mon avis, comme dans l’affaire McAnespie, précitée, aux pp. 502 et 503, «les autres facteurs n’ont pas un poids tel en l’espèce qu’ils l’emportent sur l’omission de satisfaire au critère de la diligence raisonnable» (souligné dans l’original). Par conséquent, le rapport du psychiatre Morissette n’aurait pas dû être admis en preuve en appel.
VI. Dispositif
45 Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler le jugement de la Cour d’appel du Québec et, pour les raisons données par le juge Chamberland, de substituer une peine de huit ans et six mois d’incarcération à la peine imposée par le juge de première instance.
Version française des motifs rendus par
46 Le juge Arbour (dissidente) — J’ai pris connaissance des motifs de mon collègue le juge Gonthier dans le présent pourvoi. En toute déférence, j’estime qu’en raison des faits très particuliers de la présente affaire la majorité de la Cour d’appel pouvait admettre en preuve les rapports rédigés respectivement par M. Marc Daigle et par le Dr Louis Morissette. En l’espèce, lorsqu’il a déterminé la peine juste et appropriée, le juge du procès a fondamentalement mal qualifié le crime principal dont l’intimé avait été reconnu coupable, de sorte que la Cour d’appel a à toutes fins utiles dû déterminer à nouveau la peine. Dans ces circonstances particulières, il revenait à la Cour d’appel de se doter, en application du large pouvoir discrétionnaire que lui confère à cet égard le par. 683(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, de tout élément de preuve qu’elle croyait utile et nécessaire pour statuer sur la question de la peine. Par conséquent, je rejetterais le pourvoi.
47 Dans l’ensemble, je suis d’accord avec l’exposé que fait mon collègue, aux par. 16 à 22 de ses motifs, du droit régissant l’admission d’éléments de preuve nouveaux dans les appels relatifs à la peine. Toutefois, compte tenu de l’erreur fondamentale commise par le juge du procès, je ne crois pas que les principes énoncés par le juge Gonthier sont pertinents en ce qui concerne l’issue du présent pourvoi. Je suis en outre fortement en désaccord avec le juge Gonthier sur un autre point, puisqu’à mon avis l’arrêt R. c. Lavallee, [1990] 1 R.S.C. 852 (le juge Wilson), ne s’applique pas aussi strictement qu’il le prétend en matière de détermination de la peine.
48 La Cour d’appel a jugé à l’unanimité que le juge du procès avait commis une erreur en concluant que l’enlèvement en vue d’obtenir une rançon était l’infraction dominante commise par l’intimé. Personne n’a contesté devant nous la conclusion unanime de la Cour d’appel selon laquelle le vol qualifié constituait l’infraction centrale et dominante, et la prise d’otage était seulement «accessoire à l’opération criminelle principale menée par l’[intimé] et ses acolytes» ([1998] A.Q. no 2680 (QL), au par. 35).
49 L’erreur qu’a commise au départ le juge du procès en considérant l’enlèvement comme «le fait central reproché» à l’intimé, fait qu’il a décrit comme «l’un des crimes les plus graves au Code criminel [. . .] juste derrière le meurtre» (voir C.Q., no 505-01-008036-960, 19 février 1997, à la p. 2), a vicié l’ensemble de son analyse et entraîné l’infliction d’une peine qui ne reflétait pas adéquatement les circonstances de l’infraction. La tâche de la Cour d’appel ne consistait donc pas simplement à vérifier la justesse de la peine infligée en première instance et, à cette fin, à décider de l’admissibilité des rapports produits en appel par l’intimé à titre d’éléments de preuve nouveaux. Au contraire, ayant écarté la peine, la Cour d’appel devait intervenir, essentiellement afin de procéder à nouveau à la détermination de la peine à infliger à l’intimé. Dans ces circonstances, j’estime que la Cour d’appel avait le droit de prendre en considération ce qu’elle estimait être des éléments de preuve pertinents pour déterminer la peine juste et appropriée. À l’instar du juge chargé de déterminer la peine, une cour d’appel doit, en pareilles circonstances
joui[r] d’une grande latitude pour choisir les sources et le genre de preuves sur lesquelles [elle] peut fonder sa sentence. [Elle] doit disposer des renseignements les plus complets possibles sur les antécédents de l’accusé pour déterminer la sentence en fonction de l’accusé plutôt qu’en fonction de l’infraction.
(R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368, le juge Dickson (plus tard Juge en chef), à la p. 414.)
50 Cette «grande latitude» reflète le contexte juridique d’une audience de détermination de la peine — décrite dans l’arrêt R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, au par. 92, comme un «processus intrinsèquement individualisé» — où la tâche du juge qui inflige la peine consiste à dégager une image ou compréhension de l’accusé, notamment de sa situation passée et présente ainsi que de ses chances de réadaptation et des risques qu’il récidive, en vue de prononcer une peine juste et appropriée. Dans ce contexte, tout comme il a été reconnu dans l’arrêt Gardiner, précité, à la p. 414:
... il est manifeste qu’on ne doit pas enlever au juge la possibilité d’obtenir des renseignements pertinents en imposant toutes les restrictions des règles de preuve applicables à un procès . . .
Tout le monde sait que les règles strictes qui régissent le procès ne s’appliquent pas à l’audience relative à la sentence et il n’est pas souhaitable d’imposer la rigueur et le formalisme qui caractérisent normalement notre système de procédures contradictoires. La règle interdisant le ouï‑dire ne s’applique pas aux audiences relatives aux sentences. On peut recevoir des éléments de preuve par ouï‑dire s’ils sont crédibles et fiables.
51 La règle énoncée dans l’arrêt Lavallee, précité, selon laquelle le poids qu’il convient d’accorder à l’opinion d’un expert est directement lié à la quantité et à la qualité des éléments de preuve admissibles sur lesquels elle est fondée, découle de la règle générale qui régit l’inadmissibilité du ouï‑dire au procès, où les considérations relatives à la valeur probante sont cruciales vu la présomption d’innocence et l’équité fondamentale requise au procès. Le contexte de la détermination de la peine est tout à fait différent; il permet et même encourage le recours à des éléments de preuve qui ne seraient pas appropriés pour statuer sur la culpabilité ou l’innocence. Le ouï‑dire est admissible dans le cadre des procédures de détermination de la peine (voir le par. 723(5) du Code). Par exemple, les rapports des agents de probation admissibles en preuve, conformément à l’art. 721 du Code, contiennent inévitablement des opinions et du ouï‑dire, éléments qui ne seraient pas admissibles au procès. De même, les déclarations des victimes, préparées conformément au par. 722(2) du Code, doivent être prises en considération par le juge qui détermine la peine, et il peut leur accorder le poids qu’il estime approprié, indépendamment du fait qu’elles contiennent souvent des opinions n’émanant pas d’experts et des renseignements constituant du ouï‑dire qui, mêmes s’ils étaient pertinents, n’auraient aucune valeur probante au procès lui-même. Finalement, le par. 724(1) du Code indique expressément que «[l]e tribunal peut, pour déterminer la peine, considérer comme prouvés les renseignements qui sont portés à sa connaissance lors du procès ou dans le cadre des procédures de détermination de la peine . . .».
52 Selon moi, la nature du processus de détermination de la peine et les règles légales qui régissent ce processus visent à assurer que le tribunal qui prononce la peine dispose «des renseignements les plus complets possibles sur les antécédents de l’accusé» et que ces renseignements proviennent du plus large éventail de sources possible. Il n’est par conséquent pas approprié de lier la valeur probante des éléments de preuve produits en vertu de ces règles à la valeur probante des éléments de preuve produits au procès, et ainsi, plus précisément, de déterminer le poids à accorder à l’opinion d’un expert en se fondant sur la quantité et la qualité des éléments de preuve ne constituant pas du ouï‑dire qui ont été déposés au soutien de cette opinion. En fait, une telle exigence aurait pour effet de rendre illusoire la possibilité d’utiliser le ouï‑dire, qui a été reconnue et approuvée par notre Cour dans l’arrêt Gardiner, précité. Le tribunal qui détermine une peine doit être autorisé à recevoir tout élément de preuve crédible et fiable qui l’aide à comprendre aussi complètement que possible la situation du délinquant, et à se fonder sur un tel élément. La mesure dans laquelle un élément de preuve présenté dans le cadre de la détermination de la peine est incompatible avec les faits sur lesquels repose la déclaration de culpabilité est un facteur qui doit être pris en considération par le tribunal chargé de déterminer la peine, mais qui ne justifie pas en soi l’exclusion de l’élément de preuve en question. Le tribunal qui détermine la peine a le droit de rejeter toute partie de l’opinion d’un expert qui est fondée sur une mauvaise compréhension des circonstances de l’infraction, telles qu’elles ont été déterminées par le juge du procès, mais il peut utiliser tout éclairage que jette l’opinion de l’expert sur la personnalité de l’accusé, sa vie personnelle et affective, ainsi que sa dangerosité et les risques qu’il récidive.
53 En l’espèce, même si j’admets que les rapports Daigle et Morissette contiennent tous deux un récit des événements entourant les infractions commises par l’intimé qui diffère des faits retenus par le juge du procès, je ne peux souscrire à l’opinion selon laquelle ces rapports n’ont qu’une faible valeur probante.
54 À mon avis, il était loisible à la Cour d’appel de considérer que les deux rapports étaient suffisamment crédibles et fiables pour l’aider à se faire une image plus complète de l’intimé, puisque ces rapports étaient fondés sur l’évaluation psychologique faite par les experts à la suite de leur rencontre avec l’intimé. Par conséquent, j’estime que la Cour d’appel était autorisée à se fonder sur tout ou partie des opinions exprimées dans ces rapports pour déterminer la peine à infliger à l’intimé. Même si les rapports Daigle et Morissette ont été présentés comme des éléments de preuve nouveaux en appel, il n’ont pas été introduits seulement dans le but de démontrer que la peine infligée par le juge du procès était inappropriée, eu égard aux opinions exprimées subséquemment par ces experts. Comme je l’ai dit précédemment, la peine infligée par le juge du procès était inappropriée parce qu’il avait mal saisi quelle était l’infraction centrale dont l’intimé était déclaré coupable. Après avoir écarté cette peine, la Cour d’appel était donc libre d’admettre tout élément de preuve qu’elle estimait propre à l’aider à s’acquitter de son rôle dans la détermination de la peine.
55 Pour ces motifs, j’estime que la décision de la Cour d’appel d’admettre les rapports préparés par M. Marc Daigle et par le Dr Morissette était bien fondée et qu’elle doit être confirmée. Je rejetterais donc le pourvoi.
Pourvoi accueilli, le juge Arbour est dissidente.
Procureur de l’appelante: Le procureur général du Québec, Longueil.
Procureurs de l’intimé: Silver, Morena, Montréal.
* Voir Erratum [2001] 3 R.C.S. iv.