R. c. Boucher, [2005] 3 R.C.S. 499, 2005 CSC 72
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
Éric Boucher Intimé
Répertorié : R. c. Boucher
Référence neutre : 2005 CSC 72.
No du greffe : 30256.
2005 : 10 mai; 2005 : 2 décembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Beauregard, Rothman et Forget), [2004] R.J.Q. 423, 183 C.C.C. (3d) 550, 22 C.R. (6th) 148, 6 M.V.R. (5th) 174, [2004] J.Q. no 531 (QL), qui a confirmé l’acquittement de l’accusé, [2001] J.Q. no 4670 (QL). Pourvoi accueilli, les juges Binnie, LeBel, Fish et Charron sont dissidents en partie.
Gaétan Plouffe et Germain Tremblay, pour l’appelante.
Alexandre St‑Onge et Marco LaBrie, pour l’intimé.
Le jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Major, Bastarache, Deschamps et Abella a été rendu par
1 La juge Deschamps — L’opinion d’un expert fondée sur un témoignage qui n’est pas crédible est-elle probante? Dans la négative, quelle preuve peut être utilisée pour contrer la présomption d’exactitude prévue à l’al. 258(1)g) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46 (« C. cr. »), suivant laquelle le taux indiqué par l’alcootest fournit, en l’absence de preuve contraire, une mesure exacte de l’alcoolémie au moment du test?
2 La Cour a examiné des questions de cette nature dans les arrêts R. c. St. Pierre, [1995] 1 R.C.S. 791, et R. c. Proudlock, [1979] 1 R.C.S. 525. Il ne s’agissait cependant pas du contexte spécifique de l’al. 258(1)g) C. cr. Il appert donc que des précisions sont requises.
3 L’intimé, Eric Boucher, est accusé d’avoir conduit un véhicule automobile alors que son alcoolémie dépassait la limite permise, le premier alcootest ayant révélé une alcoolémie de 93 mg et le deuxième une alcoolémie de 92 mg. L’accusation est portée devant la Cour municipale de Montréal. M. Boucher témoigne avoir consommé deux bières grand format dans une brasserie au cours des deux à trois heures ayant précédé son arrestation à 2 h 40 du matin. Il présente une preuve d’expert dans le but de démontrer que le taux indiqué par l’alcootest ne correspond pas au taux qui devrait être trouvé dans le sang d’une personne ayant ses caractéristiques physiques.
4 Se fondant sur la quantité d’alcool que M. Boucher dit avoir consommée, l’expert exprime l’avis que, pour un homme de 28 ans pesant 175 livres et mesurant 5 pieds et 11 pouces, le facteur d’élimination moyen est de 15 mg par heure et que l’alcoolémie aurait dû être 45 mg au moment de l’arrestation. Prenant un facteur d’absorption plus défavorable, soit 10 mg, l’alcoolémie aurait dû être 60 mg au moment de l’administration de l’alcootest. Il indique que, pour provoquer un résultat de 90 à 95 mg, la consommation aurait dû être le double de celle déclarée par M. Boucher. L’expert signale aussi que, si la consommation est faite dans les instants précédant l’arrestation, le taux indiqué peut différer du taux réel au moment de l’infraction reprochée, parce qu’alors l’alcool n’aurait pas encore été absorbé au moment de l’arrestation mais l’aurait été lors de l’administration du test.
5 La juge Baribeau de la Cour municipale déclare M. Boucher coupable. Elle est d’avis que le témoignage de ce dernier n’est pas crédible et que, de ce fait, il ne peut servir de base à l’expertise. Elle conclut donc que la présomption légale n’est pas renversée :
Cette preuve présentée par un expert repose sur le témoignage du défendeur quant aux faits. Mais si le juge ne croit pas le défendeur quant à sa consommation d’alcool, il n’y a pas de preuve contraire.
6 M. Boucher se pourvoit devant la Cour supérieure. Il prétend que la juge de la Cour municipale a commis une erreur de faits et de droit « dans son interprétation et son application de la preuve contraire » requise à l’encontre de la présomption attachée au résultat de l’alcootest. Il plaide aussi que la juge a mal évalué sa crédibilité. Le juge de la Cour supérieure est d’avis que la juge de la Cour municipale ne pouvait se limiter à l’analyse de la crédibilité de M. Boucher. Sans renverser la décision relative à la crédibilité, il formule les conclusions suivantes :
En conséquence, avec égard, même si le tribunal ne croit pas l’accusé quant à la quantité d’alcool consommée, cela ne suffit pas pour conclure à l’absence de preuve contraire. Le tribunal estime que l’analyse de l’ensemble de la preuve peut susciter un doute raisonnable quant à la présence d’alcool dans le sang au-delà de la limite permise lors de l’arrestation.
Ainsi, l’absence de symptômes autres que l’odeur d’alcool et le témoignage de l’expert dans l’éventualité d’une consommation supérieure à celle déclarée par l’accusé sont des éléments qui suscitent un doute raisonnable dont aurait dû bénéficier l’appelant.
([2001] J.Q. no 4670 (QL), par. 23-24)
7 La poursuite se pourvoit devant la Cour d’appel. L’appel se limite à une question de droit : la Cour supérieure pouvait-elle retenir le témoignage de l’expert, alors qu’il n’y avait pas de preuve crédible des faits sur lesquels l’opinion est fondée?
8 Les trois juges de la Cour d’appel exposent des motifs distincts ([2004] R.J.Q. 423). Le juge Rothman estime que le dossier concerne la nature de la preuve contraire requise par l’al. 258(1)c) C. cr. pour repousser la présomption d’exactitude du certificat d’analyse de sang. Il conclut que la juge de la Cour municipale a appliqué une norme de preuve erronée quant à ce qui constitue une preuve contraire au sens de l’al. 258(1)c) C. cr. Selon lui, que la juge de la Cour municipale ait cru M. Boucher ou non au sujet de sa consommation, l’ensemble de la preuve devait être pris en considération. Faisant appel aux principes énoncés dans R. c. W. (D.), [1991] 1 R.C.S. 742, il tire la conclusion suivante :
[traduction] . . . le témoignage de l’accusé et celui de l’expert, conjugués à l’absence de symptômes d’affaiblissement des facultés — exception faite de l’odeur d’alcool dans l’haleine de l’accusé — , ainsi que le taux d’alcool relativement bas consigné dans le certificat d’analyse étaient suffisants pour soulever un doute raisonnable quant au fait que l’accusé aurait conduit avec une alcoolémie excédant celle autorisée par la loi. [par. 28]
9 Le juge Beauregard est en désaccord avec la Cour supérieure et avec le juge Rothman concernant l’utilité du témoignage de l’expert. Il estime que l’expert ne pouvait aider à évaluer la plausibilité du témoignage de M. Boucher. Il conclut comme le juge Rothman en raison de la faiblesse des motifs invoqués par la juge de la Cour municipale pour écarter le témoignage de M. Boucher.
10 Le juge Forget, dissident, est d’avis que, compte tenu des résultats de 93 mg et de 92 mg, « on comprend facilement que les policiers n’aient pas noté chez l’accusé de symptômes physiques de l’effet de l’alcool autres que l’odeur dégagée par son haleine » (par. 32). Il conclut ainsi :
La juge d’instance ayant écarté le témoignage de Boucher sans que le juge de la Cour supérieure décèle d’erreur manifeste dans son appréciation de la preuve, la preuve d’expert ne permet donc pas de soulever un doute raisonnable pour repousser les présomptions d’exactitude et d’identité. [par. 50]
11 Puis, se fondant sur l’arrêt R. c. Latour (1997), 116 C.C.C. (3d) 279, de la Cour d’appel de l’Ontario, il estime que, sans preuve de la tolérance de M. Boucher à l’alcool, l’absence de symptômes physiques autres que l’odeur dégagée par son haleine ne constitue pas une preuve contraire permettant de repousser les présomptions édictées par le Code criminel.
12 La poursuite se pourvoit devant notre Cour. Elle plaide que la juge de la Cour municipale n’a pas commis d’erreur de droit en ne retenant pas le témoignage de l’expert à titre de preuve contraire, puisque ce témoignage est fondé sur celui de M. Boucher, lequel n’avait pas été retenu. S’appuyant sur les motifs du juge Rothman, M. Boucher réitère que la juge de la Cour municipale a fait erreur en ne retenant pas son témoignage.
1. Analyse
13 Compte tenu du renvoi à l’al. 258(1)c) C. cr. dans l’opinion du juge Rothman et de la mention des deux présomptions du Code criminel dans celle du juge Forget, il est utile de revoir la portée des règles énoncées aux al. 258(1)c), 258(1)d.1) et 258(1)g) C. cr. (dont le texte est reproduit en annexe). J’examinerai ensuite l’application du droit aux faits et terminerai par quelques commentaires sur l’argument de M. Boucher concernant sa crédibilité.
1.1 Les règles énoncées aux al. 258(1)c), 258(1)d.1) et 258(1)g) du Code criminel
14 Dans le cas où des échantillons d’haleine d’un accusé ont été prélevés conformément à un ordre donné en vertu du par. 254(3) C. cr., le Parlement a prévu, au par. 258(1) C. cr., des présomptions distinctes pour faciliter la preuve de l’alcoolémie : deux présomptions d’identité et une présomption d’exactitude. Suivant la présomption d’identité énoncée à l’al. 258(1)c) C. cr., l’alcoolémie de l’accusé au moment où l’infraction aurait été commise correspond à son alcoolémie au moment de l’alcootest. Selon l’al. 258(1)d.1) C. cr., si le taux d’alcool est supérieur à 80 mg au moment du test, il y a présomption qu’il l’était aussi au moment où l’infraction aurait été commise. La présomption d’exactitude de l’al. 258(1)g) C. cr. établit prima facie que le relevé du technicien fournit une mesure exacte de l’alcoolémie au moment de l’alcootest. Ces présomptions partagent certains points communs, tout en conservant leur caractère distinctif.
1.2 Points communs
15 La norme de preuve nécessaire pour réfuter les présomptions d’identité et d’exactitude est la même : le doute raisonnable. La défense n’a pas de fardeau de persuasion. Une preuve tendant à démontrer (1) que le taux d’alcoolémie inscrit sur le certificat n’est pas identique à celui qui existait au moment de l’infraction, (2) qu’il n’est pas supérieur à 80 mg ou (3) que le certificat ne reflète pas exactement le taux d’alcoolémie n’a pas à convaincre le tribunal suivant la prépondérance des probabilités. Cette preuve peut ressortir de celle présentée soit par le ministère public soit par l’accusé. Dans Proudlock, expliquant les mots « preuve contraire » figurant à l’al. 306(2)a) C. cr., la Cour dit ceci :
. . . la présomption ne constitue qu’une preuve prima facie. Le fardeau de la preuve n’est pas déplacé. L’accusé n’a pas à « établir » une défense ou une excuse, il lui suffit de soulever un doute raisonnable. S’il n’y a rien dans la preuve présentée par le ministère public qui puisse soulever un doute raisonnable, il incombe nécessairement à l’accusé de présenter une preuve s’il veut éviter une condamnation. Toutefois il n’a pas à prouver son innocence, il suffit qu’à la fin du procès, le juge du fond ait un doute raisonnable. [Je souligne; p. 548-549.]
16 Cette norme a été appliquée à l’expression « preuve contraire » au par. 258(1) C. cr. par notre Cour dans les affaires R. c. Crosthwait, [1980] 1 R.C.S. 1089, et St. Pierre, par. 102.
17 Le texte de l’al. 258(1)c) C. cr. prévoit explicitement que le taux d’alcool mesuré lors de l’administration du test durant les deux heures suivant l’utilisation du véhicule est, « en l’absence de toute preuve contraire », identique à celui qui existait lorsque l’infraction aurait été commise. Même si le libellé de l’al. 258(1)g) C. cr. ne contient pas l’expression « en l’absence de toute preuve contraire », ces mots y sont implicitement inclus en raison du par. 25(1) de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, qui permet de réfuter la présomption par une preuve contraire :
25. (1) Fait foi de son contenu en justice sauf preuve contraire le document dont un texte prévoit qu’il établit l’existence d’un fait sans toutefois préciser qu’il l’établit de façon concluante.
Voir : St. Pierre, par. 26, et P. Béliveau et M. Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénales (11e éd. 2004), par. 830.
1.3 Distinctions entre les présomptions
18 Bien que les distinctions entre les présomptions soient apparentes à la lecture du par. 258(1) C. cr., la jurisprudence avait tendance à les confondre. Notre Cour a donc précisé ces distinctions dans St. Pierre.
19 La présomption d’identité de l’al. 258(1)c) C. cr. peut être réfutée par une preuve tendant à montrer que l’alcoolémie au moment où l’infraction aurait été commise était différente de celle mesurée au moment de l’alcootest (St. Pierre, par. 44, 46 et 49). Ainsi, dans St. Pierre, après avoir été arrêtée mais avant de subir un alcootest, l’accusée avait bu deux petites bouteilles de vodka, fait qui pouvait réfuter la présomption que l’alcoolémie mesurée au moment du test correspondait à l’alcoolémie au moment où elle conduisait son véhicule.
20 Une telle preuve contraire présentée pour repousser la présomption d’identité n’a pas pour effet de faire perdre à la poursuite l’avantage de la présomption selon laquelle le certificat indique avec exactitude l’alcoolémie au moment de l’alcootest (ou présomption d’exactitude). Il demeure possible pour le ministère public de prouver que l’alcoolémie de l’accusé au moment où l’infraction aurait été commise dépassait 80 mg; un des éléments de preuve serait alors le relevé de l’alcootest dont l’exactitude n’est pas contestée. Une preuve additionnelle serait cependant nécessaire pour prouver l’alcoolémie au moment où l’infraction aurait été commise.
21 Une preuve contraire visant à réfuter la présomption d’exactitude de l’al. 258(1)g) C. cr. doit tendre à montrer que, dans les faits, le certificat ne reflète pas correctement le taux d’alcoolémie au moment de l’alcootest. Cette preuve doit soulever un doute raisonnable quant à l’exactitude du résultat de l’alcootest.
22 Peu après l’arrêt St. Pierre, le Parlement a modifié le Code criminel pour y ajouter l’al. 258(1)d.1) C. cr., qui élargit la présomption d’identité. Suivant cette nouvelle disposition, si l’alcoolémie de l’accusé était supérieure à 80 mg au moment de l’alcootest, elle sera, en l’absence de toute preuve contraire, présumée avoir été supérieure à 80 mg au moment où l’infraction aurait été commise. L’adoption de l’al. 258(1)d.1) C. cr. n’a pas eu pour effet de modifier le type de preuve nécessaire pour réfuter la présomption d’identité de l’al. 258(1)c) C. cr. ou la présomption d’exactitude de l’al. 258(1)g) C. cr., mais plutôt de renforcer la présomption d’identité.
23 Compte tenu des points communs et des distinctions susmentionnés, il y a maintenant lieu de se demander si les présomptions ont été réfutées en l’espèce.
2. L’application du droit aux faits de la présente affaire
24 Le moyen de défense invoqué par M. Boucher était que, vu sa consommation, son alcoolémie ne pouvait être celle indiquée par l’alcootest. Il contestait l’exactitude de l’alcootest et mettait en cause la présomption de l’al. 258(1)g) C. cr. Bien que l’expert ait fait allusion implicitement à la présomption d’identité de l’al. 258(1)c) C. cr. en mentionnant que, si la consommation avait lieu dans les minutes précédant le test, le taux révélé par l’alcootest pouvait ne pas être identique à celui existant lors de l’interception, telle n’était pas la thèse de la défense. C’est avec raison que le juge Rothman déclare que le litige concerne la nature de la preuve contraire requise pour repousser la présomption d’exactitude, mais c’est à tort que les parties et les juges se sont reportés à l’al. 258(1)c) C. cr. La question est donc la suivante : M. Boucher a-t-il présenté une preuve contraire faisant naître un doute raisonnable quant à l’exactitude des résultats de l’alcootest?
25 Le juge Rothman a conclu que la juge de la Cour municipale avait omis de considérer l’ensemble de la preuve comme le requiert l’arrêt W. (D.). Dans cet arrêt, notre Cour a suggéré une démarche permettant de déterminer si une preuve hors de tout doute raisonnable a été présentée dans les cas où la crédibilité est mise en doute. Cette précision était nécessaire parce que le juge du procès avait dit aux jurés que, pour arriver à un verdict, ils devaient décider s’ils ajoutaient foi à la preuve de la défense ou à celle de la poursuite. Cet exposé était erroné puisqu’il écartait une troisième possibilité : celle que les jurés puissent encore avoir un doute raisonnable soit en raison du témoignage de l’accusé, soit en tenant compte de l’ensemble de la preuve (p. 757). Suivant la directive préconisée dans cet arrêt (p. 758) :
(1) si le témoignage de l’accusé est cru, il doit être acquitté;
(2) si le témoignage de l’accusé n’est pas cru mais qu’il subsiste un doute raisonnable, il doit être acquitté;
(3) même si le témoignage ne suscite aucun doute, les jurés doivent tout de même se demander si, en raison de l’ensemble de la preuve acceptée, ils sont convaincus hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé.
26 Dans la présente affaire, la juge des faits n’a pas cru l’intimé et a conclu qu’il n’avait pas apporté de preuve contraire. Le juge de la Cour supérieure a infirmé ce jugement, non pas sur le fondement de la crédibilité comme il était invité à le faire, mais parce qu’il a conclu que la juge s’était trompée quant à la norme de preuve nécessaire pour réfuter la présomption. Il a estimé que l’ensemble de la preuve pouvait susciter un doute raisonnable quant à la présence d’alcool dans le sang au‑delà de la limite permise lors de l’arrestation (par. 23). Pour ma part, je suis d’avis que la juge des faits n’a pas commis d’erreur justifiant une intervention.
27 Dans l’évaluation des conséquences du rejet du témoignage de M. Boucher, je tiendrai pour acquise la conclusion de la juge des faits sur la crédibilité, puis j’expliquerai pourquoi il n’y a pas lieu d’intervenir sur la question de la crédibilité.
2.1 Conséquences du rejet du témoignage de M. Boucher
28 Quelles sont les conséquences du rejet du témoignage de M. Boucher? Aux termes de l’arrêt Proudlock, « si le juge du fond n’ajoute pas foi à la preuve ainsi présentée, la présomption légale joue » en l’absence de toute autre preuve (p. 542). Ou, comme le dit le juge Fish, alors membre de la Cour d’appel du Québec, dans R. c. Dubois (1990), 62 C.C.C. (3d) 90 :
[traduction] Une « preuve contraire » qui n’est pas retenue n’a évidemment pas pour effet de neutraliser la présomption créée par l’al. 258(1)c) du Code ou de la rendre inopérante. [En italique dans l’original; p. 92.]
29 Avec égards pour l’opinion contraire, il ne s’agissait pas en l’espèce d’un cas d’application de l’arrêt W. (D.). Pour neutraliser la présomption, la juge devait seulement avoir un doute raisonnable quant à l’exactitude du résultat de l’alcootest. La démarche énoncée dans W. (D.) ne constitue pas une formule sacro-sainte emprisonnant les tribunaux d’instance dans un carcan. Les juges d’instance* rendent quotidiennement des jugements oraux et limitent souvent leurs motifs à l’essentiel. Ce serait une erreur de leur imposer l’obligation d’expliquer par le menu le cheminement qu’ils ont suivi pour arriver au verdict. Il leur suffit de motiver leur jugement de façon à en permettre la compréhension par les parties et l’examen par les tribunaux d’appel : R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, 2002 CSC 26, et R. c. Burns, [1994] 1 R.C.S. 656. En l’espèce, en déclarant qu’elle ne croyait pas M. Boucher, la juge s’exprimait implicitement sur les deux premières étapes de W. (D.).
30 Mis à part le témoignage de M. Boucher, qui a été écarté, quelle autre preuve pouvait être prise en considération? Le témoignage de l’expert, disent le juge de la Cour supérieure et le juge Rothman de la Cour d’appel.
31 L’opinion de l’expert sur le taux d’alcoolémie qu’aurait dû indiquer l’alcootest reposait sur le témoignage de M. Boucher. L’expert n’a pas évalué la résistance de M. Boucher à l’alcool. Il a simplement fourni des données moyennes concernant l’alcoolémie d’un homme de 28 ans pesant 175 livres et mesurant 5 pieds 11 pouces, qui aurait consommé, durant une période de deux à trois heures, 44 onces de bière contenant cinq pour cent d’alcool. Si le juge ne croit pas qu’un accusé a consommé 44 onces de bière, le calcul fait par l’expert n’est d’aucune utilité. Ce témoignage ne fait qu’apporter des données théoriques qui diffèrent des faits servant d’assise au jugement. Si le témoignage de l’expert est fondé sur le témoignage de l’accusé et que celui-ci n’est pas cru, le témoignage du premier ne saurait éclairer le tribunal et constituer une preuve contraire. Que reste-t-il d’autre?
32 Le juge de la Cour supérieure et le juge Rothman sont d’avis que l’absence de symptômes autres que l’odeur d’alcool est aussi un élément qui peut susciter un doute raisonnable. Le juge Forget est plutôt d’opinion que cet élément est neutre. Il a, à mon avis, raison.
33 La preuve d’absence de symptômes est certes très pertinente à l’égard de l’accusation d’avoir conduit avec les facultés affaiblies. C’est d’ailleurs ce qui explique que la poursuite, à la clôture de sa preuve, ait demandé à la juge d’acquitter M. Boucher sur le chef de conduite avec les facultés affaiblies. Il en va tout autrement de l’accusation d’avoir conduit avec un taux supérieur à 80 mg d’alcool. L’infraction de conduite avec un taux supérieur à 80 mg ne requiert pas la preuve que les facultés sont affaiblies. L’absence de symptômes de l’affaiblissement des facultés n’est généralement pas suffisante pour constituer une preuve contraire permettant de repousser la présomption d’exactitude. En effet, l’absence de preuve des symptômes habituels de facultés affaiblies comme la démarche chancelante et la bouche pâteuse ne fournit pas d’information sur le taux réel d’alcoolémie. Des niveaux extrêmes d’alcoolémie sont habituellement accompagnés de tels symptômes, mais, à l’opposé, des niveaux infimes sont généralement compatibles avec l’absence de symptômes. L’absence de symptômes ne constitue donc pas, en soi, un fait significatif si le tribunal ne connaît pas le niveau de la tolérance de l’accusé à l’alcool.
34 Sur cet aspect, l’expert entendu dans la présente affaire n’éclaire pas la Cour sur la tolérance de M. Boucher à l’alcool. Il s’appuie sur des moyennes statistiques. Par définition, s’il s’agit de moyennes, c’est que toutes les personnes qui consomment de l’alcool ne réagissent pas de la même façon. Le degré de tolérance à l’alcool ne relève pas de la connaissance d’office, particulièrement lorsqu’il ne s’agit pas de niveaux extrêmes. La divergence de vues de deux juges de la Cour d’appel sur ce point est assurément indicative du besoin de recourir aux modes habituels de preuve pour cet élément. Tout comme le juge Forget, je suis d’accord avec l’énoncé suivant fait par la juge Charron, alors qu’elle siégeait à la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’affaire Latour :
[traduction] Deuxièmement, point plus important, la preuve en question ne saurait constituer une « preuve contraire ». Même en admettant qu’une personne « moyenne normale », présentant des résultats identiques d’alcootest, devrait manifester des signes plus marqués d’affaiblissement des facultés que ceux observés chez l’intimé, ce fait n’a aucune incidence en l’absence de preuve quant à la tolérance de celui-ci à l’alcool. Ce témoignage d’opinion, tel qu’il a été présenté, sans être rattaché à l’intimé, a un caractère purement spéculatif et n’a aucune valeur probante. [par. 14]
35 Ni le témoignage de M. Boucher, ni le témoignage de l’expert, ni l’absence des symptômes habituels d’ébriété (sauf l’odeur) ne constituent une preuve contraire. Quel autre élément constitue une preuve contraire? Pour le juge Rothman, le faible taux relevé par l’alcootest constitue un autre élément susceptible de soulever un doute raisonnable. Cependant, je vois difficilement comment la prise en considération des niveaux d’alcool de 93 mg et 92 mg (que le juge Rothman qualifie de bas) peut constituer une preuve que le résultat de l’alcootest serait inexact. Comment les résultats de 93 mg et 92 mg peuvent-ils démontrer que le résultat lui-même est inexact? Le résultat est justement la donnée que l’accusé prétend inexacte. Pour atteindre son but, l’accusé devrait logiquement chercher à discréditer cette donnée, pas à l’utiliser. Le résultat ne peut constituer à la fois la preuve et son contraire.
36 La juge de la Cour municipale dit que, parce qu’elle ne croit pas M. Boucher, le témoignage de l’expert ne constitue pas une preuve contraire. Par ces remarques, elle indique que, de la preuve qu’elle a entendue, seul le témoignage de l’expert serait susceptible de constituer une preuve contraire s’il avait une quelconque assise. Pour tirer cette conclusion, elle doit nécessairement avoir évalué la preuve dans son ensemble. À mon avis, le juge de la Cour supérieure et le juge Rothman ne pouvaient lui reprocher de ne pas avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve.
37 En somme, à moins de réévaluer le témoignage de M. Boucher et de lui accorder un poids différent de celui que la juge d’instance lui a donné, je ne vois aucun élément que celle-ci aurait écarté alors qu’elle aurait dû le prendre en considération et conclure à l’existence d’un doute raisonnable.
38 J’ajouterai un commentaire additionnel sur le témoignage de l’expert au sujet de la différence de taux, attribuable au délai d’absorption, entre le moment où l’infraction aurait été commise et celui du test. Ce témoignage est présenté comme une preuve contraire relativement à la présomption d’identité. Il est pertinent de rappeler que l’argument auquel l’expert a fait allusion n’est pas nouveau. Il a été avancé dans l’affaire St. Pierre, et notre Cour l’a rejeté :
Si toute preuve d’un écart entre l’alcoolémie de l’accusé au moment de l’alcootest et son alcoolémie lorsqu’elle était au volant pouvait être tenue pour une « preuve contraire » au sens de l’al. 258(1)c), et pouvait donc réfuter la présomption, alors la présomption pourrait être réfutée dans tous les cas. C’est tout simplement que l’alcoolémie d’une personne ivre change constamment par suite de l’absorption ou de l’élimination de l’alcool dans son sang. Une personne accusée d’une infraction de conduite avec une alcoolémie de « plus de 80 » pourrait simplement montrer que son alcoolémie a changé entre le moment de l’infraction et le moment de l’interpellation, parce qu’une partie de l’alcool a été assimilée entre temps et, ipso facto, la présomption énoncée à l’al. 258(1)c) serait privée d’effet. [. . .] Si ce processus normal d’absorption et d’élimination était considéré comme une « preuve contraire », alors la présomption serait inutile, car elle pourrait être réfutée dans tous les cas.
. . .
L’effet du processus biologique normal de la transformation de l’alcool par le métabolisme ne saurait en soi constituer une « preuve contraire », parce qu’il faut présumer que le législateur savait que l’alcoolémie variait continuellement et qu’il a néanmoins jugé bon d’établir cette présomption. Par conséquent, comme le dit le juge Arbour, ériger cela en « preuve contraire » équivaudrait tout au plus à attaquer la présomption elle‑même en démontrant qu’elle n’est qu’une fiction juridique et qu’elle ne devrait jamais être appliquée. À mon avis, une telle attaque contre la présomption ne doit pas être admise. [Je souligne; par. 59 et 61.]
39 Cet extrait de l’arrêt St. Pierre démontre l’inadmissibilité de la preuve présentée par l’expert en l’espèce au sujet du délai d’absorption. Le témoignage de l’expert n’est pas fondé sur la réaction à l’alcool de l’accusé personnellement mais plutôt sur le processus d’absorption en général et le caractère fictif de la présomption elle-même.
2.2 Mise en doute de la crédibilité
40 M. Boucher reprend devant notre Cour l’argument suivant lequel la juge de la Cour municipale n’aurait pas dû écarter son témoignage.
41 Il n’est pas nécessaire de rappeler tous les arrêts de notre Cour traitant de la norme d’intervention concernant les conclusions du juge d’instance sur la crédibilité des témoins. C’est avec une très grande réserve que les tribunaux d’appel abordent cette question. En l’espèce, tout comme mes collègues, j’estime que la juge de la Cour municipale a commis des erreurs de droit lorsqu’elle a énoncé les principes guidant l’analyse de la crédibilité de M. Boucher. Ces erreurs ne sont cependant pas fatales. J’ai dit plus tôt qu’il ne s’agit pas d’un cas d’application de l’arrêt W. (D.), et je suis d’avis qu’il ne s’agit pas non plus d’un cas d’application de l’arrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320.
42 La juge de la Cour municipale fait correctement état de la norme applicable, soit le doute raisonnable. Il est vrai qu’elle fait erreur lorsqu’elle mentionne que la preuve ne doit pas seulement être raisonnablement vraie : R. c. Duguay, [1993] A.Q. no 58 (QL) (C.A.). Cependant, comme ce commentaire suit immédiatement celui dans lequel elle formule la norme, j’estime que l’erreur ne justifie pas une intervention. La norme du doute raisonnable est appliquée quotidiennement par les juges d’instance. En l’espèce, le commentaire erroné ne faisait pas partie d’une directive à un jury. L’erreur relève davantage d’un problème de formulation que de l’expression d’une conception erronée du droit applicable.
43 La juge fait aussi erreur lorsqu’elle précise que la crédibilité de l’accusé et de ses témoins peut être appréciée au regard des résultats des alcootests avant l’application de la présomption. Elle se fondait alors sur les arrêts de la Cour d’appel du Québec et de celle de l’Ontario dans R. c. Bernard (1999), 140 C.C.C. (3d) 412, et R. c. Gilbert (1994), 92 C.C.C. (3d) 266, lesquels ne devraient pas être suivis sur cette question. Les résultats de l’alcootest ne peuvent être utilisés pour évaluer la crédibilité d’un témoin. Comme je l’ai expliqué précédemment, constituerait un raisonnement circulaire le fait de se reporter aux résultats du test pour déterminer s’il existe une preuve permettant de mettre en doute ces mêmes résultats. Cependant, malgré la mention de ce principe erroné en droit, la juge ne se reporte aucunement aux résultats des tests dans son analyse de la preuve. Comme elle expose des motifs détaillés sur la crédibilité de M. Boucher et ne fait aucune allusion aux résultats, prétendre que la formulation erronée a influencé l’analyse ne serait que spéculation. Les énoncés de la juge sur le droit, tout comme les motifs qu’elle donne pour rejeter le témoignage de M. Boucher, doivent être replacés dans leur contexte et être évalués dans leur ensemble.
44 Les principaux motifs invoqués par la juge de la Cour municipale pour rejeter le témoignage de M. Boucher ont un fondement purement factuel. Ils sont liés au parcours emprunté par celui-ci le soir de l’arrestation.
45 Selon le témoignage du policier Eric Lambert, un barrage principal est érigé sur le boulevard La Vérendrye, au nord du canal Lachine, pour intercepter les conducteurs ayant consommé de l’alcool. Les véhicules visés circulaient d’est en ouest. Un barrage principal est dressé, avec gyrophares, à 2 h du matin, dans un endroit peu achalandé. Comme les gyrophares bleu et rouge sont visibles de loin, les voies permettant d’éviter le barrage principal sont bloquées par des barrages secondaires. On a vu M. Boucher rouler sur La Vérendrye et tourner dans une voie d’évitement, où il a été intercepté.
46 Le policier Dany Godin explique à son tour que le barrage secondaire a été dressé pour intercepter les automobilistes qui voient le barrage principal et qui veulent l’éviter. La rue Le Caron, où ce barrage était placé, est la seule par laquelle les voitures pouvaient sortir du secteur. Une seule voiture y a été interceptée, celle de M. Boucher. Le policier témoigne avoir demandé à ce dernier pourquoi il avait quitté le boulevard La Vérendrye, alors qu’il roulait en direction de Ville La Salle où était située sa résidence, pour emprunter la rue Le Caron, mais dit n’avoir obtenu aucune réponse.
47 M. Boucher témoigne, en contre-interrogatoire, que son parcours habituel emprunte la rue St-Patrick, de l’autre côté du canal, et admet que le trajet « logique » aurait été de suivre le boulevard La Vérendrye jusqu’à Ville La Salle. Il ne donne pas d’explication sur son changement de direction. Il prétend d’abord n’avoir pas vu les gyrophares, mais dit ensuite qu’ils « étaient plus loin » :
Q. Ça va. Vous n’avez pas vu les barrages routiers?
R. Non.
Q. Donc, je comprends que vous n’avez pas vu du tout les gyrophares ou quoi que ce soit qui était devant vous. . .
R. Bien, ils étaient plus loin là, c’est. . .
Q. C’est ce qu’on dit, mais vous connaissez le sud/ouest là.
R. Oui, je connais le sud/ouest.
Q. D’accord, vous l’avez. . . vous avez entendu les policiers témoigner sur l’endroit où était installé. . .
R. Oui.
Q. . . . le barrage principal, vous admettez avec moi là que ce n’est pas loin. . .
R. Non.
Q. . . . de l’intersection Le Caron et le barrage principal?
R. C’est vrai.
Q. Ça ne fait pas 200 mètres?
R. J’ai aucune idée. . .
Q. D’accord.
R. . . . de la distance.
48 M. Boucher avait certes le droit de ne pas répondre aux questions du policier. La juge pouvait cependant prendre en considération le fait qu’il n’avait pas, la nuit de l’arrestation, suivi son chemin habituel ou un trajet logique. Ce changement du parcours n’était pas expliqué par la preuve et constituait un élément de preuve circonstancielle. La juge pouvait interpréter ce fait sous l’éclairage des réticences qui se dégageaient de son témoignage. Les présomptions de fait pouvaient jouer, là où la « logique » ne pouvait expliquer le comportement de M. Boucher avant son arrestation. L’extrait suivant du jugement oral est révélateur :
Lors de votre témoignage, je considère que vous avez essayé de justifier entre autres, dès l’interrogatoire en chef, pourquoi vous avez pris Le Caron, mais sans expliquer plus que ça, j’ai pris La Vérendrye pour prendre Le Caron. Compte tenu de la preuve à l’effet que habituellement, on prend au moins St-Patrick sinon et La Vérendrye jusqu’à La Salle et que ce soir-là, c’était La Vérendrye jusqu’à Ville La Salle, ça me met en doute votre crédibilité.
. . .
Ensuite, quant au [. . .] la preuve quant au barrage routier, j’ai en preuve que c’était impossible de ne pas le voir de la part de la poursuite. Vous me dites, écoutez, je n’ai rien vu! Je ne peux pas retenir votre version.
49 Il ne s’agit pas pour la Cour de réévaluer la preuve, mais de déterminer si l’exposé des motifs de la juge révèle que les erreurs de droit ont pu influencer son appréciation de la preuve. Je conclus par la négative. La juge a pu apprécier le comportement du témoin, le contenu de son témoignage et ses omissions; il ne s’agit pas d’un cas où un nouveau procès devrait être ordonné.
3. Conclusion
50 Pour toutes ces raisons, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et le jugement de la Cour supérieure et de rétablir le jugement de la Cour municipale déclarant l’intimé coupable d’avoir conduit avec un taux d’alcool supérieur à la limite permise.
Les motifs des juges Binnie, LeBel, Fish et Charron ont été rendus par
51 La juge Charron (dissidente en partie) — J’ai pris connaissance des motifs de la juge Deschamps et je suis d’accord que nous devons infirmer l’acquittement prononcé par les juges Rothman et Beauregard de la Cour d’appel (chacun pour des motifs différents) : [2004] R.J.Q. 423. Toutefois, pour les raisons qui suivent, je suis en désaccord avec l’analyse de la juge Deschamps en ce qui a trait à l’appréciation de la crédibilité de M. Boucher par la juge de première instance. Comme ont conclu le juge Downs de la Cour supérieure ([2001] J.Q. no 4670 (QL)) et la majorité de la Cour d’appel, la juge des faits a commis une erreur de principe fatale sur cette question — la juge Baribeau s’étant interrogée uniquement sur la question de savoir si elle croyait l’accusé sans déterminer si, malgré le fait qu’elle ne le croyait pas, le témoignage de M. Boucher soulevait néanmoins un doute raisonnable dans son esprit quant à la consommation d’alcool de ce dernier le soir en question. Pour ce motif, entre autres, je ne peux souscrire au rétablissement du jugement de première instance déclarant M. Boucher coupable. Je suis plutôt d’avis que nous devons ordonner un nouveau procès.
52 La crédibilité de M. Boucher constitue, en définitive, la question déterminante dans la présente affaire. J’explique pourquoi.
53 M. Boucher est accusé d’avoir conduit une automobile avec une alcoolémie de 93 mg par 100 ml de sang suivant un premier alcootest et de 92 mg suivant un deuxième. Ma collègue résume le témoignage de M. Boucher quant à sa consommation d’alcool et la preuve d’expert aux par. 3 et 4. Comme elle le note, M. Boucher a témoigné avoir consommé deux bières grand format dans une brasserie au cours des deux à trois heures ayant précédé son arrestation. Se fondant sur cette consommation, le témoin expert de la défense dit être d’avis que, pour un homme de l’âge, du poids et de la grandeur de M. Boucher, l’alcoolémie devrait plutôt se situer entre 45 et 60 mg. S’appuyant sur une hypothèse de consommation différente de la consommation déclarée par M. Boucher, l’expert exprime aussi l’opinion suivante :
En d’autres termes, si monsieur ne nous dit pas la vérité et qu’il a effectivement pris les 4 grosses bières, si on croit qu’elles se sont terminées dix minutes avant l’interception, même dans cette hypothèse-là, il pourrait être [. . .] il est tout à fait envisageable qu’il n’aurait pas dépassé, mais rendu au poste de police, il va atteindre un plateau et avoir les taux mis en preuve devant le tribunal.
54 Dans un premier temps, si le témoignage de M. Boucher quant à sa consommation d’alcool n’avait pas été écarté, la preuve d’expert aurait été susceptible de réfuter la présomption d’exactitude prévue à l’al. 258(1)g) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, puisque, dans le présent cas, l’expert était d’avis que les résultats de l’alcootest n’auraient pas excédé 60 mg. Par contre, sans son fondement factuel, l’opinion du témoin expert n’avait aucune valeur probante : R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24. En l’espèce, seul le témoignage de M. Boucher sur sa consommation d’alcool pouvait fournir ce fondement. Comme rien n’indique que la preuve d’expert n’était pas, en soi, digne de foi, l’appréciation de la crédibilité de M. Boucher devenait donc décisive. J’y reviendrai.
55 Dans un deuxième temps, dans l’hypothèse d’une consommation supérieure à celle déclarée par M. Boucher (soit quatre grosses bières menant aux résultats de 93 mg et 92 mg obtenus en l’espèce), la preuve d’expert, telle que résumée dans l’extrait précité, était offerte comme preuve contraire pour réfuter la présomption d’identité prévue à l’al. 258(1)c) qui précise que les résultats de l’alcootest correspondent au taux d’alcoolémie au moment de l’infraction. Sur cet aspect, je partage entièrement l’opinion de ma collègue (par. 39) selon laquelle le témoignage de l’expert n’était rien de plus qu’une allusion au fait que l’alcoolémie change constamment par suite de l’absorption ou de l’élimination de l’alcool dans le sang. Ce témoignage ne pouvait constituer une preuve contraire au sens de l’al. 258(1)c) : R. c. St. Pierre, [1995] 1 R.C.S. 791. En conséquence, le juge Downs de la Cour supérieure et le juge Rothman de la Cour d’appel ont tous deux fait erreur en se fondant en partie sur cet aspect de la preuve d’expert pour conclure à l’existence d’une preuve contraire. De plus, l’absence de symptômes d’ébriété à part l’odeur d’alcool, sans preuve d’expert quant au degré de tolérance de M. Boucher à l’alcool, ne constituait qu’un élément de preuve théorique qui, lui aussi, n’avait aucune valeur probante : R. c. Latour (1997), 116 C.C.C. (3d) 279 (C.A. Ont.).
56 Par conséquent, puisque la preuve d’expert fondée sur le témoignage de M. Boucher était le seul élément pouvant constituer une preuve contraire, le bien-fondé du verdict de la juge d’instance repose, en définitive, sur son appréciation de la crédibilité de M. Boucher. J’en fais donc l’analyse.
57 Il est important de souligner d’abord, comme le fait ma collègue au par. 15, que la norme de preuve requise pour réfuter les présomptions d’identité et d’exactitude est le doute raisonnable. M. Boucher n’avait pas à convaincre la juge d’instance qu’il n’avait bu que deux grosses bières; il lui suffisait de soulever un doute raisonnable dans l’esprit de la juge à cet égard. Cette dernière pouvait très bien ne pas croire que M. Boucher avait consommé seulement deux grosses bières, mais continuer toutefois de nourrir un doute quant à l’exactitude des résultats de l’alcootest par suite du témoignage de celui-ci. Ma collègue cite, au par. 28, des extraits de l’arrêt R. c. Proudlock, [1979] 1 R.C.S. 525, de notre Cour et des motifs du juge Fish, alors à la Cour d’appel du Québec, dans R. c. Dubois (1990), 62 C.C.C. (3d) 90, à l’appui de son affirmation au par. 29 qu’il ne s’agissait pas en l’espèce d’un cas d’application de l’arrêt R. c. W. (D.), [1991] 1 R.C.S. 742. Avec égards pour l’opinion de ma collègue, les extraits dans Proudlock et Dubois ne peuvent être lus ainsi. Le juge qui ne croit pas l’accusé quant à la quantité d’alcool qu’il a consommée mais qui a quand même un doute raisonnable à cet égard ne peut le condamner. Dans Dubois, le juge Fish le dit expressément à plusieurs reprises dans son jugement :
[traduction] Si le juge des faits considère que la « preuve contraire » soulève un doute raisonnable ou, selon la formule utilisée à l’occasion, que cette preuve pourrait raisonnablement être vraie, l’alcootest incriminant ne peut plus étayer une déclaration de culpabilité. . .
. . .
À mon humble avis, par conséquent, un résultat d’alcootest ne saurait étayer une déclaration de culpabilité fondée sur l’art. 253 s’il existe une preuve contraire qui soulève un doute raisonnable, qui dénote une possibilité raisonnable que l’accusé soit innocent ou qui pourrait raisonnablement être vraie. [En italique dans l’original; p. 92.]
Dans Proudlock, écrivant pour les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz et Pratte, le juge Pigeon précise que l’accusé n’a pas à persuader pour établir une preuve contraire, « il suffit qu’à la fin du procès, le juge du fond ait un doute raisonnable » (p. 549). Dans W. (D.), notre Cour a rappelé qu’il existe une différence bien réelle et importante entre, d’une part, donner foi à l’accusé (ce qui suppose que la prépondérance des probabilités le favorise) et, d’autre part, lui accorder le bénéfice du doute raisonnable. En conséquence, le juge devait instruire le jury à cet effet. Il ne fait nul doute que ces principes s’appliquent tout aussi bien au procès devant juge seul.
58 Le juge Downs de la Cour supérieure et les juges Rothman et Beauregard de la Cour d’appel (le juge Forget, dissident, n’exprime pas d’opinion sur cette question) ont tous conclu que la juge des faits avait commis une erreur de principe en s’interrogeant uniquement sur la question de savoir si elle croyait l’accusé, sans déterminer si, malgré le fait qu’elle ne le croyait pas, le témoignage de M. Boucher soulevait néanmoins un doute raisonnable dans son esprit. Comme je l’expliquerai, je suis d’accord que la juge d’instance a commis cette erreur. La juge Deschamps reconnaît que la juge d’instance a fait erreur, mais elle estime que l’erreur relève davantage d’un problème de formulation de la norme applicable que d’une conception erronée du droit applicable. Avec égards pour l’opinion de ma collègue, je ne partage pas cet avis.
59 Je conviens avec la juge Deschamps qu’il ne s’agit pas d’exiger une incantation rituelle dans tous les cas. La juge d’instance n’a pas à répéter la formule énoncée dans W. (D.) pour démontrer qu’elle s’est fondée sur des principes de droit corrects dans son appréciation de la crédibilité de l’accusé. De plus, la juge est présumée connaître ces principes. Ainsi, lorsqu’un juge d’instance déclare qu’il « rejette » le témoignage de l’accusé, il est généralement permis de conclure que le témoignage n’a pas soulevé de doute raisonnable dans son esprit. Par contre, ici, il ressort de l’ensemble des motifs de la juge des faits qu’elle a imposé un fardeau de preuve trop lourd à l’accusé.
60 Dès le début de son jugement, la juge Baribeau définit les paramètres de son raisonnement, affirmant devoir se demander : « est-ce que je crois le défendeur quant à la quantité d’alcool bue dans la période de temps qu’il le déclare ». Abordant plus précisément le renversement de la présomption d’exactitude par la preuve contraire, elle affirme que celle-ci « doit soulever un doute raisonnable et non pas seulement être raisonnablement vraie » (je souligne). Il s’agit ici d’une flagrante erreur de droit. Comme l’ont énoncé notre Cour dans Proudlock, et la Cour d’appel du Québec dans Dubois, un doute raisonnable peut être soulevé dans l’esprit du juge des faits si l’accusé présente une preuve qui est raisonnablement vraie. Derechef, la juge d’instance affirme que « si le juge ne croit pas le défendeur quant à sa consommation d’alcool, il n’y a pas de preuve contraire » et conclut enfin ainsi : « compte tenu que je ne peux pas retenir votre version, je n’ai pas de preuve contraire et je n’ai pas le choix que de vous déclarer coupable de l’infraction reprochée ». Il ressort de ces extraits que, tout au long de son jugement, la juge Baribeau considère qu’elle doit croire la version des faits de l’accusé pour conclure à l’existence d’une preuve contraire réfutant la présomption d’exactitude. Compte tenu de la répétition de l’erreur dans l’ensemble des motifs, je suis incapable de conclure à un simple défaut de formulation.
61 Ayant constaté que cette erreur était fatale au jugement condamnant M. Boucher, le juge Rothman a exprimé son accord avec le juge Downs de la Cour supérieure en concluant que, outre le témoignage de l’accusé, il existait quand même une preuve contraire dont aurait dû bénéficier M. Boucher. Comme je l’ai expliqué plus tôt, cette conclusion ne peut être retenue et un acquittement ne peut être prononcé en se fondant sur ces motifs.
62 Le second juge de la majorité, le juge Beauregard, ne s’est pas appuyé sur ces éléments de preuve pour acquitter M. Boucher. Il a d’abord décidé, tel que je l’ai indiqué plus tôt, que la juge d’instance avait commis une erreur de principe en considérant qu’elle devait croire la version des faits de l’accusé pour conclure à l’existence d’une preuve contraire réfutant la présomption d’exactitude. Compte tenu de cette erreur, le juge Beauregard s’est dit tenté d’accueillir le pourvoi et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès. Mais, suite à une étude plus approfondie des motifs de la juge des faits et de la preuve à l’appui, il a plutôt décidé, pour les motifs qui suivent, de se rallier au juge Rothman et d’acquitter M. Boucher :
Mais, plus je relis le jugement de la Cour municipale de Montréal, plus je constate que les motifs [de la] juge pour ne pas croire l’accusé ont peu de poids. De fait, la juge a erré en droit quant à deux des motifs : elle reproche à l’accusé d’avoir à deux occasions gardé le silence. La juge voit par ailleurs dans le témoignage de l’accusé des contradictions qui n’en sont pas.
Bref, le témoignage de l’accusé était plausible. Pas seulement plausible en théorie, mais plausible sous l’éclairage de l’ensemble des éléments de preuve et du fait qu’aucun de ces éléments ne tendait à montrer qu’il était mensonger.
Dans les circonstances, je suis d’accord avec la conclusion du juge Rothman. [par. 63-65]
63 Comme je l’expliquerai plus loin, je partage la conclusion du juge Beauregard selon laquelle les motifs invoqués par la juge des faits pour rejeter le témoignage de l’accusé ont peu de poids. Par contre, sauf tout le respect que je dois au juge Beauregard, ce dernier a outrepassé ses fonctions lorsqu’il a prononcé un acquittement en se fondant sur sa propre appréciation de la crédibilité de M. Boucher. En l’espèce, le verdict de la juge des faits, erroné puisque mal fondé en droit, n’était quand même pas déraisonnable. Le juge Beauregard devait plutôt ordonner la tenue d’un nouveau procès.
64 Avant que j’explique pourquoi les motifs exposés par la juge d’instance pour rejeter le témoignage de M. Boucher ont peu de poids, il y a lieu de noter une deuxième erreur de principe commise par cette dernière. La juge Baribeau s’est appuyée sur les arrêts R. c. Bernard (1999), 140 C.C.C. (3d) 412 (C.A. Qué.), et R. c. Gilbert (1994), 92 C.C.C. (3d) 266 (C.A. Ont.), pour affirmer que « [l]e juge peut soupeser la crédibilité de l’accusé et de ses témoins, entre autres quant à la consommation d’alcool en regard des résultats obtenus [aux] tests d’alcoolémie avant l’application de la présomption statutaire et également eu égard à l’ensemble de la preuve. » À l’instar de la juge Deschamps, je suis d’avis que ces décisions ne devraient pas être suivies en ce qui a trait au renversement de la présomption d’exactitude du résultat de l’alcootest. Comme le dit ma collègue : « constituerait un raisonnement circulaire le fait de se reporter aux résultats du test pour déterminer s’il existe une preuve permettant de mettre en doute ces mêmes résultats » (par. 43). Autrement dit, la juge d’instance ne pouvait pas invoquer le fait que le résultat même de l’alcootest indiquait une consommation plus élevée pour rejeter le témoignage de M. Boucher quand il a affirmé avoir bu seulement deux bières.
65 Il est toutefois important de souligner qu’il en va autrement dans les cas où il est clair que la défense attaque seulement la présomption d’identité, par exemple, lorsqu’un accusé témoigne qu’il a consommé huit onces d’alcool entre le moment de son arrestation et la prise d’échantillons d’haleine. Dans un tel cas, le juge des faits peut légitimement considérer le résultat de l’alcootest dans son appréciation de la preuve contraire présentée par l’accusé, puisque ce n’est pas l’exactitude de ce résultat qui est contestée, mais seulement le fait qu’il reflète le taux d’alcool dans le sang de l’accusé lorsque l’infraction a été commise. Ainsi, même si le juge des faits accepte le témoignage de l’accusé voulant qu’il ait bu de l’alcool entre le moment où il a été arrêté et le moment où il s’est soumis à l’alcootest, il peut considérer, entre autres facteurs, un résultat d’alcootest particulièrement élevé pour conclure que, malgré l’ingestion subséquente d’alcool, le taux d’alcool dans le sang de l’accusé dépassait déjà la limite permise lorsqu’il a été arrêté, et en conséquence rejeter sa preuve contraire.
66 Je conviens toutefois avec la juge Deschamps que, malgré cette référence erronée aux arrêts Bernard et Gilbert, la juge d’instance ne semble pas s’être fondée sur les résultats de l’alcootest pour rejeter le témoignage de l’accusé. En revanche, je partage l’opinion du juge Beauregard selon laquelle la juge Baribeau a fait erreur en droit quant à certains des motifs qu’elle a invoqués pour rejeter ce témoignage. Elle reproche à l’accusé d’avoir gardé le silence lorsque le policier « lui a demandé pourquoi il a pris Le Caron » et affirme que « ça, c’est un premier élément qui fait que je ne peux pas retenir votre version ». Le droit de garder le silence est un principe de justice fondamentale dont M. Boucher était en droit de se prévaloir et la juge des faits ne pouvait tirer une conclusion défavorable de son exercice : R. c. Chambers, [1990] 2 R.C.S. 1293; R. c. Turcotte, [2005] 2 R.C.S. 519, 2005 CSC 50. De plus, la juge des faits voit, dans le témoignage de l’accusé, plusieurs contradictions qui, après une lecture attentive de la transcription de la preuve, n’en sont pas, à mon avis. Vu les erreurs de droit déjà mentionnées et ma conclusion qu’il est nécessaire d’ordonner un nouveau procès, je ne vois pas l’utilité de revoir plus en détail ces supposées contradictions.
Conclusion
67 Étant donné que la juge du procès a imposé un fardeau de preuve trop lourd à l’intimé, qu’elle a commis plusieurs erreurs dans l’appréciation du témoignage de ce dernier et qu’il est impossible de déterminer jusqu’à quel point ces erreurs ont contribué à lui faire rejeter ce témoignage, étant donné toutefois que la Cour d’appel n’était pas habilitée à prononcer un acquittement, je suis d’avis d’accueillir l’appel et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.
ANNEXE
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46
258. (1) Dans des poursuites engagées en vertu du paragraphe 255(1) à l’égard d’une infraction prévue à l’article 253 ou dans des poursuites engagées en vertu des paragraphes 255(2) ou (3) :
. . .
c) lorsque des échantillons de l’haleine de l’accusé ont été prélevés conformément à un ordre donné en vertu du paragraphe 254(3), la preuve des résultats des analyses fait foi, en l’absence de toute preuve contraire, de l’alcoolémie de l’accusé au moment où l’infraction aurait été commise, ce taux correspondant aux résultats de ces analyses, lorsqu’ils sont identiques, ou au plus faible d’entre eux s’ils sont différents, si les conditions suivantes sont réunies :
. . .
(ii) chaque échantillon a été prélevé dès qu’il a été matériellement possible de le faire après le moment où l’infraction aurait été commise et, dans le cas du premier échantillon, pas plus de deux heures après ce moment, les autres l’ayant été à des intervalles d’au moins quinze minutes,
(iii) chaque échantillon a été reçu de l’accusé directement dans un contenant approuvé ou dans un alcootest approuvé, manipulé par un technicien qualifié,
(iv) une analyse de chaque échantillon a été faite à l’aide d’un alcootest approuvé, manipulé par un technicien qualifié;
d) lorsqu’un échantillon de sang de l’accusé a été prélevé conformément à un ordre donné en vertu du paragraphe 254(3), conformément à un mandat décerné en vertu de l’article 256 ou autrement avec le consentement de l’accusé, la preuve du résultat des analyses ainsi faites fait foi, en l’absence de toute preuve contraire, de l’alcoolémie de l’accusé au moment où l’infraction aurait été commise, ce taux correspondant aux résultats de ces analyses, lorsqu’ils sont identiques ou au plus faible d’entre eux s’ils sont différents, si les conditions suivantes sont réunies :
(i) au moment où l’échantillon a été prélevé, la personne qui le prélevait a pris un échantillon supplémentaire du sang de l’accusé et un échantillon a été gardé pour en permettre l’analyse à la demande de l’accusé et, si celui‑ci fait la demande visée au paragraphe (4) dans les six mois du prélèvement, une ordonnance de remise de l’échantillon a été rendue en conformité avec ce paragraphe,
(ii) les échantillons mentionnés au sous‑alinéa (i) ont été prélevés le plus tôt possible après le moment de la commission de l’infraction alléguée et dans tous les cas au plus tard deux heures après,
(iii) les échantillons mentionnés au sous‑alinéa (i) ont été prélevés par un médecin qualifié ou un technicien qualifié sous la direction d’un médecin qualifié,
(iv) les échantillons mentionnés au sous‑alinéa (i) ont été reçus de l’accusé directement, ou ont été placés directement, dans des contenants approuvés et scellés,
(v) l’analyse d’un échantillon placé dans un contenant approuvé a été faite;
d.1) si les analyses visées aux alinéas c) ou d) montrent une alcoolémie supérieure à quatre‑vingts milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang, le résultat de l’analyse fait foi, en l’absence de preuve tendant à démontrer que l’alcoolémie de l’accusé au moment où l’infraction aurait été commise ne dépassait pas quatre‑vingts milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang, d’une alcoolémie supérieure à quatre‑vingts milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang;
. . .
g) lorsque des échantillons de l’haleine de l’accusé ont été prélevés conformément à une demande faite en vertu du paragraphe 254(3), le certificat d’un technicien qualifié fait preuve des faits allégués dans le certificat sans qu’il soit nécessaire de prouver la signature ou la qualité officielle du signataire, si le certificat du technicien qualifié contient :
(i) la mention que l’analyse de chacun des échantillons a été faite à l’aide d’un alcootest approuvé, manipulé par lui et dont il s’est assuré du bon fonctionnement au moyen d’un alcool type identifié dans le certificat, comme se prêtant bien à l’utilisation avec cet alcootest approuvé,
(ii) la mention des résultats des analyses ainsi faites,
(iii) la mention, dans le cas où il a lui‑même prélevé les échantillons :
. . .
(B) du temps et du lieu où chaque échantillon et un spécimen quelconque mentionné dans la division (A) ont été prélevés,
(C) que chaque échantillon a été reçu directement de l’accusé dans un contenant approuvé ou dans un alcootest approuvé, manipulé par lui;
Pourvoi accueilli, les juges Binnie, LeBel, Fish et Charron sont dissidents en partie.
Procureurs de l’appelante : Gaétan Plouffe et Germain Tremblay, Montréal.
Procureurs de l’intimé : LaBrie, St‑Onge, Boucher, Huet, Gariépy, Longueuil.
* See Erratum [2007] 3 S.C.R. iv.