Université Trinity Western c. College of Teachers, [2001] 1 R.C.S. 772, 2001 CSC 31
British Columbia College of Teachers Appelant
c.
Université Trinity Western et
Donna Gail Lindquist Intimées
et
L’Alliance évangélique du Canada,
la Fédération des enseignantes‑enseignants
des écoles secondaires de l’Ontario,
la Conférence des évêques catholiques du Canada,
la British Columbia Civil Liberties Association,
EGALE Canada Inc.,
la Christian Legal Fellowship,
l’Église adventiste du septième jour au Canada et
l’Association canadienne des libertés civiles Intervenantes
Répertorié : Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers
Référence neutre : 2001 CSC 31.
No du greffe : 27168.
2000 : 9 novembre; 2001 : 17 mai.
Présents : Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.
en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1998), 59 B.C.L.R. (3d) 241, 116 B.C.A.C. 1, 190 W.A.C. 1, 169 D.L.R. (4th) 234, 58 C.R.R. (2d) 189, [1999] 7 W.W.R. 71, [1998] B.C.J. No. 3029 (QL), qui a rejeté l’appel de l’appelant contre un jugement de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique (1997), 41 B.C.L.R. (3d) 158, 2 Admin. L.R. (3d) 12, 47 C.R.R. (2d) 155, [1998] 4 W.W.R. 550, [1997] B.C.J. No. 2076 (QL), qui avait accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par les intimées. Pourvoi rejeté, le juge L’Heureux‑Dubé est dissidente.
Thomas R. Berger, c.r., Gary A. Nelson et Erin F. Berger, pour l’appelant.
Robert G. Kuhn, Kevin G. Sawatsky et Kevin L. Boonstra, pour les intimées.
David M. Brown et Adrian C. Lang, pour l’intervenante l’Alliance évangélique du Canada.
Susan Ursel et Maurice A. Green, pour l’intervenante la Fédération des enseignantes‑enseignants des écoles secondaires de l’Ontario.
William J. Sammon, pour l’intervenante la Conférence des évêques catholiques du Canada.
Timothy J. Delaney et James Gopaulsingh, pour l’intervenante la British Columbia Civil Liberties Association.
Kenneth W. Smith et Pam MacEachern, pour l’intervenante EGALE Canada Inc.
Dallas K. Miller, c.r., et Corina Dario, pour l’intervenante la Christian Legal Fellowship.
Gerald D. Chipeur et Barbara B. Johnston, pour l’intervenante l’Église adventiste du septième jour au Canada.
Andrew K. Lokan et Heather E. Bowie, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
Version française du jugement du juge en chef McLachlin et des juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel rendu par
1 Les juges Iacobucci et Bastarache — L’université Trinity Western (« UTW ») est un établissement privé situé à Langley, en Colombie-Britannique, et constitué sous le régime des lois de cette province. Elle a succédé au Trinity Western College en 1985; ce collège d’enseignement supérieur de premier cycle avait lui-même succédé à une société privée fondée en 1962. L’UTW est associée à l’Evangelical Free Church of Canada. Elle est un membre agréé de l’Association des universités et collèges du Canada et du Council for Christian Colleges and Universities. L’UTW offre six baccalauréats et quatre programmes de maîtrise. Donna Lindquist, une étudiante de troisième année à l’UTW, comptait suivre le programme de formation des enseignants à l’UTW en janvier 1998.
2 En 1985, l’UTW a établi un programme de formation des enseignants menant à un baccalauréat en enseignement après cinq années d’études, dont quatre à l’UTW et la cinquième sous l’égide de l’université Simon Fraser. En 1987, l’UTW a demandé au ministre de l’Éducation de la Colombie-Britannique l’autorisation d’assumer l’entière responsabilité du programme de formation des enseignants. Malgré l’approbation de principe qui semble avoir été donnée au Cabinet, le Ministre n’a pas donné suite à cette demande en raison de la création, cette année-là, du British Columbia College of Teachers (le « BCCT » ou l’« Ordre ») qui deviendrait l’organisme compétent pour l’examiner. En janvier 1988, l’UTW a présenté une demande au BCCT, mais ce dernier n’était pas prêt à l’examiner. La demande a donc été retirée et présentée de nouveau en janvier 1995. L’une des raisons pour lesquelles l’UTW souhaitait assumer l’entière responsabilité du programme était sa volonté d’assurer que tout ce programme reflète sa vision chrétienne du monde.
3 La philosophie de l’UTW est expressément décrite dans un document intitulé [TRADUCTION] « Responsabilités des membres de la communauté de l’université Trinity Western ». Elle est mise en œuvre au moyen de [TRADUCTION] « normes communautaires » destinées à refléter le mode de vie préféré des membres de la communauté de l’UTW; ces normes s’appliquent à la fois sur le campus et en dehors du campus et font l’objet d’une déclaration d’acceptation par les étudiants, le corps professoral et le personnel. Un extrait de la demande présentée en 1995 est intéressant :
[TRADUCTION] Trinity Western est une université relativement unique au Canada du fait qu’elle offre un enseignement supérieur responsable dans un contexte chrétien distinctif. Elle a pour mission de préparer des chrétiens à servir Dieu et leur prochain dans la société. Le programme d’enseignement de l’UTW, comme celui des universités publiques, repose sur une vision particulière du monde. À l’UTW, cette vision est chrétienne. Elle comprend notamment un profond respect pour l’intégrité et l’authenticité, une gestion responsable des ressources, le caractère sacré de la vie humaine, la compassion pour les personnes défavorisées et la justice pour tous. Cela fournit un cadre pour le développement des qualités de chef qui occupe une place importante dans le programme de l’UTW. Bien que son programme soit conçu pour les gens qui professent la foi chrétienne, l’université accueille quiconque souhaite entreprendre une formation de culture générale et est disposé à faire partie de la communauté de Trinity Western. Bien qu’elle conserve des liens structurels avec son église fondatrice, l’Evangelical Free Church, l’université répond aux besoins de toute la communauté chrétienne. L’appartenance confessionnelle des membres du corps professoral et de la population étudiante est très variée.
4 Le document des « normes communautaires », que les étudiants fréquentant l’UTW doivent signer, comporte le paragraphe suivant qui est à l’origine de la présente controverse :
[traduction] s’abstenir de se livrer à des pratiques que la bible condamne. Sont notamment visés l’ivresse (Éph. 5:18), les jurons ou les blasphèmes (Éph. 4:29, 5:4; Jacq. 3:1-12), le harcèlement (Jean 13:34-35; Rom. 12:9-21; Éph. 4:31), toute forme de malhonnêteté, dont la tricherie et le vol (Prov. 12:22; Col. 3:9; Éph. 4:28), l’avortement (Ex. 20:13; Ps. 139:13-16), toute activité liée à l’occultisme (Act. 19:19; Gal. 5:19) et les péchés sexuels, y compris les relations sexuelles avant le mariage, l’adultère, le comportement homosexuel et le visionnement de matériel pornographique (I Cor. 6:12-20; Éph. 4:17-24; 1 Thess. 4:3-8; Rom. 2:26-27; I Tim. 1:9-10). En outre, les membres mariés de la communauté acceptent de préserver le caractère sacré du mariage et de prendre toutes les mesures concrètes possibles pour éviter le divorce. [Nous soulignons.]
Les membres du corps professoral et du personnel sont tenus de signer un document des « normes communautaires » qui comporte un paragraphe similaire, y compris l’interdiction de tout comportement homosexuel.
5 Conformément aux politiques établies, le BCCT a confié à une équipe chargée d’approuver les programmes la tâche d’examiner la demande de l’UTW. Le 21 mars 1996, cette équipe a recommandé l’approbation de la demande d’agrément sous réserve de certaines conditions. Le 19 avril 1996, le comité des programmes de formation des enseignants a approuvé le rapport de l’équipe susmentionnée, en modifiant toutefois certaines conditions. Le 17 mai 1996, le conseil du BCCT (le « Conseil ») a rejeté le rapport et les recommandations. La motion a été adoptée pour deux motifs : l’UTW ne satisfaisait pas aux critères énoncés dans les règlements et les politiques du BCCT, et l’approbation ne servirait pas l’intérêt public en raison des pratiques discriminatoires de l’établissement. L’UTW a sollicité un nouvel examen. Après avoir obtenu un avis juridique sur la question, le Conseil a confirmé son rejet de la demande le 29 juin 1996. La motion adoptée le 29 juin motive le rejet en ces termes :
[TRADUCTION] Que l’appel que l’université Trinity Western a interjeté contre le rejet par l’Ordre de sa demande d’approbation d’un programme de formation des enseignants soit rejeté parce que le Conseil est toujours d’avis que le programme proposé suit des pratiques discriminatoires qui sont contraires à l’intérêt et à l’ordre publics dont l’Ordre doit tenir compte en vertu du mandat qui lui est confié par la Teaching Profession Act.
6 Le BCCT n’a pas rédigé de motifs expliquant son premier rejet de la demande ou celui qui a suivi un nouvel examen. La lettre du 22 mai 1996 que le registraire du BCCT a envoyée à l’UTW mentionne cependant des pratiques discriminatoires et [TRADUCTION] « en particulier, l’exigence que les étudiants signent un contrat de “Responsabilités des membres de la communauté de l’université Trinity Western” ». La seule autre explication écrite du rejet de la demande provient du bulletin d’information trimestriel d’automne 1996 du BCCT, dans lequel tout devient très clair. Le BCCT écrit :
[TRADUCTION] La Loi canadienne sur les droits de la personne et la Human Rights Act de la Colombie-Britannique interdisent la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. La charte des droits et les lois en matière de droits de la personne véhiculent les valeurs qui représentent l’intérêt public. Qualifier un comportement homosexuel de péché a pour effet d’exclure les personnes ayant une orientation homosexuelle. Le Conseil croit, et la loi l’appuie sur ce point, que l’orientation sexuelle est aussi inséparable d’une personne que la couleur. Les personnes ayant une orientation homosexuelle, comme les personnes de couleur, ont droit à la protection contre toute discrimination en vertu de la loi.
7 À la suite d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du BCCT, le juge Davies de la Cour suprême de la Colombie-Britannique ((1997), 41 B.C.L.R. (3d) 158) a conclu que le BCCT ne pouvait pas se servir de la disposition relative à l’intérêt public contenue dans la Teaching Profession Act, R.S.B.C. 1996, ch. 449, pour décider si le programme suivait des pratiques discriminatoires. Il était d’avis que les questions d’intérêt public dans la Loi ont trait à des normes d’enseignement et qu’elles ne pouvaient pas viser les croyances religieuses. Le juge Davies a également conclu que la décision du BCCT relative à la discrimination n’avait aucun fondement raisonnable. La Cour d’appel, à la majorité, madame le juge Rowles étant dissidente ((1998), 59 B.C.L.R. (3d) 241), a confirmé la décision de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique.
8 L’appelant devant notre Cour décrit ainsi la nature du pourvoi :
[TRADUCTION] La présente affaire relève vraiment du droit administratif. Le Conseil a-t-il excédé sa compétence en prenant en considération les pratiques discriminatoires de l’UTW pour refuser d’approuver son programme de baccalauréat en enseignement de cinq ans? Était-ce un facteur extrinsèque? Il s’agit là d’une question de droit et la norme de la décision correcte s’applique.
Si le Conseil avait le droit de prendre en considération des « pratiques discriminatoires », l’existence de telles pratiques et de conséquences discriminatoires était-elle prouvée [. . .]? Il faut déterminer, en l’espèce, si la décision du Conseil était manifestement déraisonnable.
Nous estimons que cette façon de procéder est la bonne et nous allons l’adopter, sauf en ce qui concerne la détermination des normes de contrôle applicables.
I. Les dispositions constitutionnelles, législatives et non législatives pertinentes
9 Charte canadienne des droits et libertés
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
a) liberté de conscience et de religion;
b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;
. . .
d) liberté d’association.
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.
Teaching Profession Act, R.S.B.C. 1996, ch. 449
[TRADUCTION]
4 L’Ordre a pour objet d’établir, compte tenu de l’intérêt public, les normes de formation, de responsabilité professionnelle et de compétence de ses membres, des personnes qui détiennent un certificat de compétence et des candidats à l’adhésion et, conformément à cet objet, d’encourager l’intérêt professionnel de ses membres pour ces questions.
21 Sous réserve de la présente loi, le conseil doit gérer et administrer les affaires de l’Ordre et, sans restreindre ce devoir, il peut :
. . .
b) nommer un employé de l’Ordre comme évaluateur habilité à examiner et à décider si des personnes qui présentent une demande de certificat de compétence ou d’adhésion à l’Ordre respectent la présente loi et les règlements de l’Ordre;
c) déléguer à un comité de l’Ordre le pouvoir énoncé à l’alinéa b), en sus ou en remplacement d’un seul ou de plusieurs évaluateurs nommés en vertu de cet alinéa;
. . .
i) approuver, aux fins de délivrance des brevets d’enseignement, le programme de toute faculté ou école reconnue de formation des enseignants.
23 (1) Le conseil peut adopter des règlements compatibles avec la présente loi et la School Act :
. . .
d) concernant la formation et les conditions d’admissibilité des enseignants et établissant des normes, politiques et procédures relatives à la formation et aux conditions d’admissibilité y compris, notamment, des normes, politiques et procédures concernant la profession, le régime scolaire et la spécialisation;
e) concernant la délivrance des certificats de compétence . . .
f) concernant les normes d’admission de personnes comme membres de l’Ordre;
. . .
1) mettant à exécution les pouvoirs du conseil énoncés dans la présente loi;
24 (1) Le registraire de l’Ordre doit déposer auprès du Ministre un exemplaire de tous les règlements adoptés par le conseil, certifiés sous le sceau de l’Ordre, dans les 10 jours suivant leur adoption.
(2) Le lieutenant-gouverneur en conseil peut rejeter un règlement concernant la formation ou la compétence des enseignants, ou encore la délivrance des brevets d’enseignement, dans les 60 jours suivant son dépôt en vertu du paragraphe (1).
40 Le membre touché par une décision ou ordonnance du comité des conditions d’admissibilité, du comité de discipline ou du conseil peut interjeter appel devant la Cour suprême contre cette décision ou ordonnance, et devant la Cour d’appel, avec l’autorisation d’un juge de cette cour, contre une décision ou ordonnance de la Cour suprême.
School Act, R.S.B.C. 1996, ch. 412
[TRADUCTION]
171 (1) Le Ministre doit constituer un conseil consultatif en matière d’éducation qui sera chargé de le conseiller sur les questions de politique générale touchant l’éducation.
. . .
174 (1) Le lieutenant-gouverneur en conseil peut constituer un seul ou plusieurs comités d’examen composés d’au moins deux membres, et le comité d’examen ainsi constitué doit comporter au moins un représentant du ministère de l’Éducation, compétences et formation, et une personne nommée pour représenter les universités désignées dans la University Act et la Trinity Western University Act.
School Regulation, B.C. Reg. 265/89
[traduction]
11 Le conseil consultatif en matière d’éducation peut conseiller le Ministre sur l’ensemble des politiques du système d’éducation, notamment en ce qui concerne :
a) le programme d’études et l’évaluation;
b) la profession d’enseignant;
c) la gestion du système;
d) les finances.
Bylaws of the British Columbia College of Teachers, règlement 5 — Comité des programmes de formation des enseignants
[TRADUCTION]
5.C. Approbation des programmes de formation des enseignants
5.C.01 Conformément à la Teaching Profession Act, le conseil de l’Ordre peut approuver, aux fins de délivrance des brevets d’enseignement, les programmes de formation des enseignants ou la révision des programmes des facultés d’éducation des universités reconnues par la loi en Colombie‑Britannique comme étant des établissements qui accordent des diplômes universitaires.
5.C.02 Le conseil établit les critères d’approbation, aux fins de délivrance des brevets d’enseignement, des programmes de formation des enseignants.
5.C.03 En ce qui concerne les programmes de formation des enseignants existants qui satisfont ou cherchent à satisfaire aux critères d’approbation établis par le règlement 5.C.02, l’approbation peut être accordée de façon permanente sur recommandation du comité des programmes de formation des enseignants.
5.C.04 Le conseil peut, à l’occasion, examiner les programmes de formation des enseignants des facultés d’éducation, approuvés en vertu du règlement 5.C.03.
5.C.05 En ce qui concerne les nouveaux programmes de formation des enseignants offerts par des établissements reconnus par la loi en Colombie-Britannique comme étant des établissements qui accordent des diplômes universitaires, l’approbation peut être accordée temporairement pour une période maximale de cinq ans :
a) conformément aux critères d’approbation établis en vertu du règlement 5.C.02;
b) sur recommandation du comité des programmes de formation des enseignants à la suite d’un examen.
Policies of the British Columbia College of Teachers
[TRADUCTION]
P5.C Approbation des programmes de formation des enseignants
P5.C.01 Critères d’approbation, aux fins de délivrance des brevets d’enseignement, des programmes de formation des enseignants
. . .
b) Les programmes doivent satisfaire aux critères suivants :
1.0 Contexte
1.1 Avoir un cadre institutionnel approprié en ce qui concerne le niveau et l’étendue des connaissances du personnel, les activités de recherche et d’érudition et l’engagement à former des enseignants.
2.0 Sélection
2.0 Avoir une politique précise de sélection et d’admission qui reconnaît l’importance du niveau d’instruction, de l’intérêt à travailler avec des jeunes et de l’aptitude à devenir enseignant.
3.0 Contenu
. . .
3.2 Avoir un contenu qui assure au moins 36 crédits par heure‑semestre de cours d’enseignement professionnel et de pédagogie. Cela doit comprendre au moins 12 semaines de stage pédagogique dirigé devant normalement se dérouler, en majeure partie, dans des écoles publiques. Le programme devrait reconnaître les avantages d’un stage prolongé dans une seule école.
3.3 Avoir un contenu qui confère une base de connaissances pédagogiques fondées sur la recherche actuelle.
3.4 Avoir un contenu qui confère une base de techniques pédagogiques fondées sur les principes de la pratique efficace et la recherche actuelle.
3.5 Avoir un contenu qui reconnaît la diversité de notre société et qui aborde, pendant la durée du programme, des questions philosophiques, déontologiques et sociales, en accordant une attention particulière aux domaines suivants :
3.5.1 Anglais, langue seconde
3.5.2 Questions relatives aux Premières nations
3.5.3 Égalité des sexes
3.5.4 Multiculturalisme et racisme
3.5.5 Étudiants ayant des besoins spéciaux
. . .
4.0 Intégration de la théorie à la pratique
. . .
4.3 Reconnaître que l’intégration de la théorie et à la pratique est favorisée par :
. . .
4.3.2 L’assurance que ceux qui enseignent des techniques pédagogiques et qui dirigent des stages aient une expérience récente ou une implication importante dans des salles de classe.
. . .
P5.C.03 Processus d’approbation, aux fins de la délivrance des brevets d’enseignement, des nouveaux programmes de formation des enseignants
1. Le comité des programmes de formation des enseignants supervise le processus d’approbation des programmes.
2. Un sous-comité d’approbation des programmes composé de trois membres du comité des programmes de formation des enseignants se réunit au besoin pour formuler des recommandations relatives à l’approbation des programmes.
3. Approbation de nouveaux programmes :
a. Chaque proposition sera examinée par le sous-comité d’approbation des programmes et le comité des programmes de formation des enseignants. À la suite d’un premier examen favorable, une équipe distincte chargée d’approuver les programmes sera constituée pour étudier la proposition. Le conseil constitue chaque équipe chargée d’approuver les programmes sur recommandation du comité des programmes de formation des enseignants.
b. Chaque équipe chargée d’approuver les programmes est composée de trois membres, dont :
i. Un membre du comité des programmes de formation des enseignants.
ii. Un formateur d’enseignants, qui n’est ni un employé ni un gestionnaire de l’établissement qui présente la demande, nommé à la suite de consultations avec les doyens des facultés d’éducation offrant des programmes approuvés et l’établissement qui présente la demande.
iii. Un membre de l’Ordre des enseignants nommé à la suite de consultations avec la British Columbia Teachers’ Federation.
Un membre du personnel ou un consultant sera nommé pour aider l’équipe.
c. L’équipe chargée d’approuver les programmes recommandera l’approbation ou le rejet au comité des programmes de formation des enseignants. Si l’approbation est recommandée, l’équipe chargée d’approuver les programmes recommandera que l’approbation soit accordée temporairement pour une certaine période, conformément au règlement 5.C.05, et pourra recommander des conditions à remplir avant d’envisager l’approbation permanente du programme.
d. Au cours de la dernière année de l’approbation temporaire, l’Ordre constituera une équipe chargée d’approuver les programmes qui devra faire des recommandations concernant une autre approbation temporaire ou une approbation permanente.
II. Les dispositions pertinentes des documents de l’UTW
10 Responsabilités des membres de la communauté de l’université Trinity Western (version destinée aux étudiants; également désignée sous le nom de normes communautaires)
[TRADUCTION]
préambule
Trinity Western est une université chrétienne qui se distingue par une mission claire :
La mission de l’université Trinity Western, en tant que ramification de l’église, est de former des chefs de file chrétiens pieux : des diplômés universitaires qui soient positifs et qui aient des objectifs à atteindre dans un esprit entièrement chrétien; des disciples de plus en plus fervents de Jésus-Christ qui rendent gloire à Dieu en remplissant la grande mission, servir Dieu et leur prochain dans les différents aspects de leur vie.
. . .
L’appartenance à la communauté de Trinity Western tient à une demande et à une invitation. Ceux qui acceptent une invitation à se joindre à la communauté acceptent d’en respecter les normes de conduite . . .
. . .
Les personnes qui sont invitées à devenir membres de notre communauté, mais qui ne peuvent pas complètement s’engager à en respecter les normes sont avisées de ne pas accepter l’invitation et de rechercher plutôt une situation d’apprentissage de la vie qui leur convient mieux.
valeurs fondamentales et normes communautaires
. . .
Parce que les normes communautaires visent à refléter le mode de vie préféré pour les membres de notre communauté plutôt que des « règles de campus », elles s’appliquent à la fois sur le campus et en dehors du campus. Tous les membres de la communauté doivent :
- se comporter comme des citoyens responsables.
- chercher sincèrement à atteindre la sainteté selon la bible.
- faire de la mission de l’université leur propre mission.
- limiter l’exercice de leur liberté chrétienne conformément à la mission de l’université et à l’intérêt supérieur des autres membres de la communauté.
application des normes communautaires aux étudiants
Il est reconnu que les étudiants n’auront pas tous des convictions personnelles totalement en accord avec l’application suivante de ces normes. Cependant, tous les étudiants doivent :
. . .
- respecter le commandement donné par jésus à ses disciples [. . .] répété par l’apôtre paul [. . .] de s’aimer les uns les autres. En général, cela exige d’avoir du respect pour son prochain sans égard à la race ou au sexe et pour la vie humaine à tous les stades, et également de prendre l’habitude d’édifier autrui et de faire preuve de compassion, de générosité et de patience.
- s’abstenir de se livrer à des pratiques que la bible condamne. Sont notamment visés l’ivresse (Éph. 5:18), les jurons ou les blasphèmes (Éph. 4:29, 5:4; Jacq. 3:1-12), le harcèlement (Jean 13:34-35; Rom. 12:9-21; Éph. 4:31), toute forme de malhonnêteté, dont la tricherie et le vol (Prov. 12:22; Col. 3:9; Éph. 4:28), l’avortement (Ex. 20:13; Ps. 139:13-16), toute activité liée à l’occultisme (Act. 19:19; Gal. 5:19) et les péchés sexuels, y compris les relations sexuelles avant le mariage, l’adultère, le comportement homosexuel et le visionnement de matériel pornographique (I Cor. 6:12-20; Éph. 4:17-24; 1 Thess. 4:3-8; Rom. 2:26-27; I Tim. 1:9-10). En outre, les membres mariés de la communauté acceptent de préserver le caractère sacré du mariage et de prendre toutes les mesures concrètes possibles pour éviter le divorce.
. . .
Cette application des normes communautaires n’est pas présentée comme une définition formaliste du bien et du mal. Elle offre plutôt des exemples concrets d’un engagement envers la mission de l’université Trinity Western, d’une part, et envers les confrères et consœurs de notre communauté universitaire, d’autre part. Bien qu’il se puisse qu’elles ne soient pas commandées par les Saintes Écritures, certaines attentes sont néanmoins souhaitables et essentielles pour que tous les membres de la communauté puissent réaliser leurs objectifs personnels. Par conséquent, tous les étudiants sont tenus de s’engager à suivre la présente application des normes communautaires et de respecter à la lettre cet engagement.
Responsabilités des membres de la communauté de l’université Trinity Western (version destinée aux membres du corps professoral et du personnel; également désignée sous le nom de normes communautaires)
Les normes communautaires sont essentiellement les mêmes que pour les étudiants, mais la disposition relative à leur application présente les différences suivantes :
[TRADUCTION]
application des normes communautaires au corps professoral, au personnel et à l’administration
L’université affirme au départ que l’existence de déclarations d’application distinctes n’a pas pour but de créer des normes différentes pour des groupes communautaires différents. Par conséquent, les mêmes valeurs fondamentales et principes bibliques sous-tendent les deux déclarations. Cette partie de la déclaration des normes communautaires applique à juste titre ces valeurs et principes communs aux situations auxquelles ont à faire face les employés et qui peuvent être différentes de celles auxquelles ont à faire face les étudiants. Les employés confirmeront et défendront en tout temps la déclaration d’application aux étudiants.
En conformité avec le préambule et les valeurs fondamentales du présent document, les employés sont censés :
. . .
- respecter le commandement donné par jésus à ses disciples [. . .] répété par l’apôtre paul [. . .] de s’aimer, de se chérir et de s’entraider les uns les autres. Ce commandement exige d’avoir le plus grand respect pour son prochain sans égard à la race, au sexe, à l’endroit, à la situation ou à l’âge, et interdit évidemment de causer des lésions corporelles à autrui ou de nuire à la réputation d’autrui par des commérages, des calomnies ou des indiscrétions. Il exige également de prendre l’habitude d’édifier autrui et de faire preuve de compassion, de générosité et de patience.
- s’abstenir de se livrer à des pratiques que la bible condamne. Seraient notamment visés l’ivresse (Éph. 5:18), et d’autres formes de consommation abusive de substances psychoactives, les blasphèmes et le langage peu édifiant (Éph. 4:29, 5:4; Jacq. 3:1-12), toute forme de harcèlement (Jean 13:34-35; Rom. 12:9-21; Éph. 4:31), toute forme de malhonnêteté, dont la tricherie, le vol et les affirmations mensongères (Prov. 12:22; Col. 3:9; Éph. 4:28), l’avortement (Ex. 20:13; Ps. 139:13-16), la gourmandise, toute activité liée à l’occultisme (Act. 19:19; Gal. 5:19) et les péchés sexuels, y compris l’indécence, le visionnement de matériel pornographique, les relations sexuelles avant le mariage et l’adultère, le concubinage et le comportement homosexuel (I Cor. 6:12-20; Éph. 4:17-24; 1 Thess. 4:3-8; Rom. 2:26-27; I Tim. 1:9-10). En outre, les membres mariés de la communauté acceptent de préserver le caractère sacré du mariage et de prendre toutes les mesures concrètes possibles pour éviter le divorce.
- prendre très au sérieux la position de confiance et d’influence qu’un employé occupe dans ses rapports avec les étudiants, et toujours afficher un comportement prudent, discret et respectueux. Cela est particulièrement important pour le corps professoral dont le rapport d’autorité direct avec les étudiants doit être caractérisé par l’intégrité et le dévouement. Les employés acceptent également de confirmer l’application des normes communautaires de l’université aux étudiants.
Explication du Code des normes communautaires fournie aux étudiants
[TRADUCTION] Quand vous avez décidé de fréquenter l’UTW, vous vous êtes engagé(e) à observer des normes différentes de celles du reste du monde. Les « règles », ou normes communautaires, visent non pas à vous empoisonner l’existence, mais à établir un climat compatible avec notre profession de foi.
Il se pourrait que vous ne soyiez pas totalement d’accord avec ces normes. Il se pourrait qu’elles ne soient pas compatibles avec vos croyances. Toutefois, quand vous avez décidé de fréquenter l’UTW, vous avez accepté d’assumer ces responsabilités. Si vous ne pouvez pas les tolérer ou les respecter, vous devriez peut-être alors songer à fréquenter une université de la satisfaction instantanée ou une université où tout est permis.
Profession de foi (du corps professoral)
[TRADUCTION] En sa qualité d’université chrétienne, Trinity Western adopte ouvertement un régime philosophique unificateur auquel tous les membres du corps professoral et du personnel sont soumis sans réserve. L’université s’identifie au christianisme orthodoxe historique et s’engage à le promouvoir conformément à la profession de foi officielle . . .
. . .
□ Je souscris sans réserve à la profession de foi susmentionnée et j’accepte de toujours défendre ce point de vue auprès des étudiants et des amis de l’université Trinity Western.
□ Je souscris sous réserve à la profession de foi susmentionnée. (Préciser toutes les réserves sur une feuille distincte.)
Date ___________________ Signature _________________________
□ Je me sens incapable de signer la profession de foi susmentionnée pour les raisons précisées. (Préciser toutes les raisons sur une feuille distincte.)
Déclaration de liberté d’enseignement de l’UTW
[TRADUCTION] Par conséquent, l’université Trinity Western soutient que l’endoctrinement arbitraire et les réponses simplistes et toutes faites à toutes les questions sont incompatibles avec le respect chrétien de la vérité, l’interprétation chrétienne de la dignité et des libertés de la personne, et les techniques et objectifs d’enseignement chrétien de qualité.
En revanche, l’université Trinity Western rejette, pour le motif qu’elle est incompatible avec la nature humaine et le théisme fondé sur des révélations, une définition de la liberté d’enseignement qui prescrit arbitrairement et exclusivement le pluralisme sans engagement, nie l’existence de points de référence fixes, maximise la recherche de la vérité au point de supposer qu’elle ne peut jamais être découverte et comporte une exonération absolue de toute responsabilité morale et religieuse envers la communauté dans laquelle on vit.
L’université Trinity Western s’engage plutôt, quant à elle, à assurer la liberté dans l’enseignement et la recherche d’une manière explicite, c’est‑à‑dire dans des limites conformes au fondement confessionnel du groupe dont elle est responsable, mais dans un environnement où les gens sont libres de poser des questions et de discuter et où la recherche honnête est encouragée. Les étudiants sont libres de s’informer, ont accès à la vaste gamme de renseignements représentatifs de chaque discipline et sont assurés que leurs enseignants s’efforcent raisonnablement de présenter et d’évaluer de manière équitable et pondérée toutes les matières. La vérité ne craint pas la recherche honnête.
III. Analyse
(1) Le BCCT a-t-il compétence pour prendre en considération des pratiques discriminatoires?
11 L’article 4 de la Teaching Profession Act (la « Loi ») habilite le BCCT à [traduction] « établir, compte tenu de l’intérêt public, les normes de formation, de responsabilité professionnelle et de compétence de ses membres, des personnes qui détiennent un certificat de compétence et des candidats à l’adhésion et [. . .] [à] encourager l’intérêt professionnel de ses membres ». C’est cette mention de l’intérêt public qui, selon le BCCT, justifie qu’il prenne en considération la politique d’admission de l’UTW pour décider s’il y a lieu d’agréer le programme de formation des enseignants de cet établissement. Le BCCT soutient que les programmes d’enseignement doivent être offerts dans un milieu qui reflète les valeurs relatives aux droits de la personne et que ces valeurs peuvent servir à évaluer l’incidence de pratiques discriminatoires sur la pédagogie. Bien que le BCCT n’ait pas tenu compte de l’existence d’établissements particuliers comme l’UTW pour concevoir ses règlements et ses politiques, il prétend que tous les établissements qui souhaitent former des enseignants qui occuperont un poste dans le système d’éducation public doivent convaincre le BCCT qu’ils fourniront un cadre institutionnel qui préparera convenablement les futurs enseignants au milieu scolaire public et, en particulier, à la diversité des élèves des écoles publiques.
12 L’UTW fait valoir que le BCCT n’a pas été créé pour décider si des croyances religieuses sont acceptables ou pour faire respecter la législation sur les droits de la personne de manière à éliminer tout risque de discrimination dans le système scolaire. Elle estime que, selon une interprétation contextuelle de l’expression « intérêt public » à l’art. 4, le BCCT n’est habilité qu’à établir des normes destinées à garantir que les enseignants recevront une formation adéquate, qu’ils seront compétents et qu’ils auront une bonne moralité. Selon l’UTW, le BCCT n’est pas autorisé à décider si les croyances religieuses des étudiants et du personnel de l’UTW peuvent engendrer un risque de discrimination ou la perception chez le public que ces étudiants feront preuve de discrimination quand ils travailleront au sein du système d’éducation public.
13 Dans l’arrêt Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, notre Cour a reconnu que les enseignants servent d’intermédiaires pour transmettre des valeurs. Il est évident que le caractère pluraliste de la société et l’ampleur de la diversité au Canada sont des éléments importants dont les futurs enseignants doivent prendre conscience parce qu’ils caractérisent la société dans laquelle ils seront appelés à travailler et expliquent pourquoi il est nécessaire pour eux de respecter et de promouvoir les droits des minorités. Pour déterminer l’aptitude à devenir enseignant, il faut donc tenir compte de toutes les caractéristiques du programme de formation de l’UTW. Nous partageons l’opinion de madame le juge Rowles selon laquelle [TRADUCTION] « [i]l ressort clairement des expressions “responsabilité professionnelle et [. . .] compétence de ses membres” que l’Ordre peut prendre en considération l’incidence que les programmes de formation des enseignants des écoles publiques ont sur la compétence et la responsabilité professionnelle des gens qui obtiennent leur diplôme après les avoir suivis » (par. 197). Le pouvoir d’établir des normes, prévu à l’art. 4 de la Loi, doit être interprété en fonction de l’objectif général de la Loi et, en particulier, du besoin de veiller à ce que « les fonctions publiques soient exercées de manière à ne pas saper la confiance du public » (Ross, précité, par. 84). Les écoles sont censées développer le civisme, former des citoyens responsables et offrir un enseignement dans un milieu où les préjugés, le parti pris et l’intolérance n’existent pas. Il ne conviendrait donc pas, dans ce contexte, de limiter la portée de l’art. 4 à la détermination des compétences et des connaissances.
14 Nous estimons donc que le BCCT avait compétence pour prendre en considération des pratiques discriminatoires en traitant la demande de l’UTW. Toutes les parties ont reconnu que la norme de la décision correcte s’appliquait à la décision rendue en l’espèce parce qu’elle était déterminante sur le plan de la compétence et excédait l’expertise des membres du Conseil.
(2) La décision du Conseil du BCCT était-elle justifiée?
a) La norme de contrôle
15 Pour répondre à cette question, il nous faut déterminer quelle est la norme de contrôle appropriée dans les circonstances. Comme nous l’avons vu, l’appelant estime que la norme de la décision manifestement déraisonnable s’applique. Dans son mémoire, l’appelant n’avance aucun argument substantiel à ce sujet, mais son point de vue est pratiquement le même que celui de l’intervenante, la Fédération des enseignantes‑enseignants des écoles secondaires de l’Ontario. Ces parties considèrent essentiellement que le BCCT est un tribunal spécialisé qui possède une grande expertise dans le domaine de l’éducation. Il est expressément investi d’un large pouvoir discrétionnaire de déterminer quels facteurs doivent être pris en considération lorsqu’il s’agit d’approuver des programmes de formation. L’établissement des critères applicables pour déterminer si un programme est approprié pour le système scolaire public est une décision de politique générale polycentrique qui exige de soupeser des facteurs multiples et des intérêts opposés. Le législateur a prévu que ces décisions devraient être prises par le Conseil. L’UTW intimée soutient que la norme de la décision correcte s’applique parce que la décision en cause a pour but de protéger les minorités et de promouvoir les droits de la personne. L’expertise du Conseil ne s’étend pas aux questions de droits de la personne; le Conseil est surtout composé d’enseignants qui ne possèdent aucune expérience en matière d’évaluation d’intérêts opposés dans la société. De plus, aucune clause privative ne s’applique et l’art. 40 de la Loi prévoit un droit d’appel. La Loi permet également au lieutenant-gouverneur en conseil de rejeter un règlement adopté par le BCCT.
16 En Cour d’appel, le juge Goldie a examiné la méthode pragmatique et fonctionnelle adoptée pour la première fois dans l’arrêt U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, et a conclu que l’absence de clause privative, le manque d’expertise du BCCT relativement aux questions touchant les droits de la personne et l’objet de la mesure législative militaient en faveur de l’application de la norme de la décision correcte. Il a toutefois jugé que la conception erronée de la vision que l’UTW a du monde et l’erreur commise en concluant à l’existence de comportement intolérant étaient des erreurs de fait et étaient manifestement déraisonnables. Dans ses motifs de dissidence, madame le juge Rowles a examiné séparément, d’une part, la question de la compétence et celle de l’existence de pratiques discriminatoires en général, qui étaient des questions de droit, et d’autre part, la question de l’incidence des pratiques discriminatoires ou celle de savoir si l’agrément du programme était en réalité contraire à l’intérêt public, qui étaient des questions de fait, et a appliqué des normes différentes dans chaque cas. Elle a appliqué la norme de la décision correcte aux questions de droit et la norme de la décision raisonnable simpliciter aux questions de fait.
17 Dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, le juge Bastarache a résumé la jurisprudence récente de la Cour en matière de normes de contrôle afin de fournir aux juges et aux avocats un cadre de référence facile à consulter. Il a souligné que, selon la méthode pragmatique et fonctionnelle, l’accent est toujours mis sur la disposition qui est interprétée par le tribunal administratif et que certaines dispositions doivent faire l’objet de plus de retenue que d’autres, même si elles se trouvent dans la même loi. L’arrêt Pushpanathan n’a pas modifié les arrêts Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, et Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748. Il propose le recours aux quatre mêmes facteurs de base. En ce qui concerne, par exemple, le facteur de l’expertise, il vaut la peine de noter que Pezim portait sur le pouvoir discrétionnaire d’une commission des valeurs mobilières de déterminer ce qui était dans l’intérêt public; dans cette affaire, la Cour a conclu que, dans le cas où un tribunal administratif participe de façon importante à l’établissement de politiques, il faut faire preuve d’une plus grande retenue. En l’espèce, nous devons également nous prononcer sur le pouvoir discrétionnaire d’un organisme administratif de déterminer ce qui est dans l’intérêt public. Toutefois, le présent contexte est très différent. Nous avons déjà mentionné que le par. 171(1) de la School Act prévoit que le ministre de l’Éducation doit constituer un conseil consultatif en matière d’éducation [traduction] « qui sera chargé de le conseiller sur les questions de politique générale touchant l’éducation ». L’article 11 de la School Regulation explique le rôle du conseil consultatif en matière d’éducation et prévoit qu’il peut conseiller le Ministre sur [traduction] « l’ensemble des politiques du système d’éducation, notamment en ce qui concerne: [. . .] b) la profession d’enseignant ». Même si le BCCT adoptait des règlements sur les pratiques discriminatoires en vertu de la disposition de l’art. 4 relative à l’intérêt public, ces règlements devraient être déposés auprès du Ministre dans les 10 jours et pourraient être rejetés, conformément à l’art. 24 de la Teaching Profession Act. En conséquence, le BCCT n’est pas le seul intervenant officiel qui soit chargé d’établir des politiques. Il ne possède pas non plus l’expertise nécessaire pour interpréter la portée des droits de la personne ou pour concilier des droits opposés. On ne saurait prétendre sérieusement que la détermination de la bonne moralité, qui est une question personnelle, est suffisante pour étendre la compétence du BCCT à l’évaluation de la croyance religieuse, de la liberté d’association et du droit à l’égalité en général. Comme on l’a mentionné dans l’arrêt Pushpanathan, l’expertise du tribunal doit être évaluée en fonction de la question litigieuse et de l’expertise relative du tribunal administratif lui-même. Le BCCT a sollicité un avis juridique avant de rejeter pour la dernière fois la demande de l’UTW; il s’en est remis à l’expertise de quelqu’un d’autre en ce qui concerne la question dont nous sommes saisis. Il a établi des normes pour les enseignants, mais cela n’a jamais compris l’interprétation des codes des droits de la personne. L’absence de clause privative, l’expertise du BCCT, la nature de la décision et le contexte législatif militent tous en faveur de l’application la norme de la décision correcte.
18 Nous avons déjà souligné que la Cour d’appel avait appliqué une norme moins stricte aux conclusions que le BCCT a tirées relativement à l’existence de pratiques discriminatoires et quant à savoir, à supposer que de telles pratiques existent, si elles ont engendré la perception qu’il tolère cette conduite discriminatoire. La norme moins stricte a également été appliquée à la conclusion du BCCT que le système scolaire a ou n’a pas créé un risque que les diplômés de l’UTW n’offrent pas à tous les étudiants un milieu libre de toute discrimination. Nous ne croyons pas que des normes différentes devraient s’appliquer dans les présentes circonstances. L’existence de pratiques discriminatoires est fondée sur l’interprétation des documents de l’UTW et des valeurs et principes en matière de droits de la personne. Il s’agit d’une question de droit qui touche le domaine des droits de la personne et non pas essentiellement celui de l’enseignement.
19 La perception que le public a des croyances religieuses des diplômés de l’UTW et la déduction que ces croyances engendreront un milieu scolaire malsain ont, à notre avis, très peu à voir, s’il en est, avec l’expertise particulière des membres du BCCT. Nous croyons qu’il est particulièrement important de souligner ici que nous ne sommes pas dans une situation où le Conseil traite de la conduite discriminatoire d’un enseignant, comme c’était le cas dans l’affaire Ross. En l’espèce, la preuve est hypothétique et exige de prendre en considération la conduite et les croyances futures potentielles des diplômés d’un programme de formation des enseignants offert exclusivement par l’UTW. Par contre, dans l’affaire Ross, la preuve démontrait que la conduite de l’enseignant avait empoisonné l’atmosphère de l’école (Ross, précité, par. 38-40 et 101). Qui plus est, le Conseil n’est pas particulièrement en mesure de déterminer la portée de la liberté de religion et de conscience, et de soupeser ces droits en fonction du droit à l’égalité dans le cadre d’une société pluraliste. La dimension publique de la liberté religieuse et le droit de décider de sa propre conduite morale étaient reconnus bien avant l’adoption de la Charte (voir Saumur c. City of Quebec, [1953] 2 R.C.S. 299, p. 329) et sont considérés comme des questions de droit. La question de l’adaptation aux croyances est une question de droit qui a été examinée dans les arrêts R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, et Ross. Les perceptions étaient une préoccupation dans Ross, mais elles étaient fondées sur une conduite, et non simplement sur des croyances. L’intimée en l’espèce a soutenu que refuser l’agrément du programme engendrerait la perception que le BCCT n’accorde aucune importance à la liberté de religion et de conscience et qu’il approuve des caractéristiques stéréotypées relativement aux diplômés de l’UTW. Tout cela pour dire que, même s’il était loisible au BCCT de fonder sa décision sur une perception plutôt que sur une preuve de discrimination réelle ou d’un risque réel de discrimination, il n’y a aucune raison de faire preuve de retenue envers cette décision.
b) La preuve de discrimination
20 Il y a en réalité deux éléments à prendre en considération sous cette rubrique : Les documents internes de l’UTW révèlent-ils l’existence de pratiques discriminatoires? Dans l’affirmative, ces pratiques discriminatoires suffisent-elles à établir l’existence d’un risque de discrimination suffisant pour empêcher les diplômés de l’UTW d’enseigner dans les écoles publiques?
21 Le BCCT s’est servi des documents internes de l’UTW pour établir l’existence de discrimination envers les homosexuels. Il a conclu que l’inclusion du comportement homosexuel dans la liste des pratiques condamnées par la Bible est un signe d’intolérance qui ne peut pas être écarté par l’adoption d’autres valeurs. Le programme et les pratiques de l’UTW et, en particulier, les déclarations exigées des étudiants et des membres du corps professoral ont été condamnés parce qu’ils reflétaient les croyances des signataires. Selon le BCCT, la discrimination envers les homosexuels était institutionnalisée; voir la décision majoritaire du juge Goldie, par. 58.
22 La Cour d’appel, à la majorité, était d’avis que le BCCT avait mal compris la preuve à la première étape en définissant de manière trop stricte la vision que l’UTW avait du monde. Elle a souligné que les documents de l’UTW ne mentionnent ni les homosexuels ni l’orientation sexuelle, mais font seulement état des pratiques auxquelles on demande à l’étudiant de renoncer de son propre gré pendant qu’il fréquente l’UTW. Ces pratiques comprennent l’ivresse, les blasphèmes, le harcèlement, la malhonnêteté, l’avortement, l’occultisme et les péchés sexuels de nature hétérosexuelle ou homosexuelle. Notre Cour ne dispose d’aucune preuve que quelqu’un a été refusé parce qu’il ne voulait pas signer le document ou que quelqu’un a été renvoyé pour ne pas s’y être conformé. Par contre, il est prouvé que les étudiants admis à l’UTW ne partagent pas tous la vision chrétienne du monde.
23 L’appelant soutient qu’il n’y a aucune distinction entre les personnes homosexuelles et le comportement homosexuel, et que la mention des pécheurs est une condamnation de quiconque se livre à des pratiques homosexuelles; pratiques et identité sont connexes. Le BCCT fait remarquer que le vol et la tricherie sont des choix de comportement, alors que l’orientation sexuelle ne l’est pas. La question n’est donc pas de savoir si des étudiants ont été refusés à l’UTW en raison de leur orientation sexuelle, mais de savoir si un étudiant homosexuel pourrait en toute bonne foi signer la déclaration et considérer qu’il est accepté sur un pied d’égalité par la communauté de l’UTW.
24 L’intimée affirme que le point de vue du BCCT est simplement fondé sur la désapprobation morale des croyances religieuses des étudiants et des membres du corps professoral de l’UTW. Il ne tient pas compte des antécédents des diplômés et particulièrement du fait que les normes communautaires de l’UTW exigent que les étudiants et les membres du corps professoral témoignent du respect envers leur prochain, prennent conscience de tous les différents points de vue philosophiques et sociaux, et prêchent la tolérance comme principe de base; voir le mémoire, par. 79.
25 Bien que les normes communautaires soient énoncées sous la forme d’un code de conduite plutôt que sous celle d’un article de foi, nous concluons qu’un étudiant homosexuel ne serait pas tenté de présenter une demande d’admission et qu’il ne pourrait signer le prétendu contrat d’étudiant qu’à un prix très élevé sur le plan personnel. L’UTW ne s’adresse pas à tout le monde; elle est destinée à combler les besoins des gens qui ont en commun un certain nombre de convictions religieuses. Cela dit, la politique d’admission de l’UTW n’est pas suffisante en soi pour établir l’existence de discrimination au sens de notre jurisprudence relative à l’art. 15. Il importe de souligner qu’il s’agit d’un établissement privé qui échappe en partie à l’application de la législation de la Colombie‑Britannique relative aux droits de la personne et auquel la Charte ne s’applique pas. Affirmer que l’adhésion volontaire d’une personne à un code de conduite fondé sur ses croyances religieuses, dans un établissement privé, est suffisante pour déclencher l’application de l’art. 15 serait incompatible avec la liberté de conscience et de religion qui coexiste avec le droit à l’égalité.
26 Cela ne revient pas à dire que le BCCT a eu tort de prendre en considération des préoccupations d’égalité conformément à sa compétence en matière d’intérêt public. Comme nous l’avons déjà affirmé, le BCCT a eu raison de prendre en considération des préoccupations relatives à l’égalité en vertu de la disposition concernant l’intérêt public figurant à l’art. 4 de la Teaching Profession Act. Dans l’arrêt Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, par. 67, le juge Cory a, au nom de notre Cour à la majorité, analysé l’importance de l’égalité dans la société canadienne :
Les droits garantis par le par. 15(1) de la Charte sont fondamentaux pour le Canada. Ils reflètent les rêves les plus chers, les espérances les plus élevées et les aspirations les plus nobles de la société canadienne. L’adoption du suffrage universel a eu pour effet de reconnaître, jusqu’à un certain point, l’importance de l’individu. En adoptant le par. 15(1), dont les dispositions ont une large portée et se caractérisent par un grand souci de justice fondamentale, le Canada a franchi une autre étape dans la reconnaissance de l’importance fondamentale et de la dignité inhérente de chacun. Cette démarche est non seulement louable, mais essentielle à la réalisation d’un objectif admirable : le droit de chacun à la dignité. C’est le moyen d’inspirer aux Canadiens un sentiment de fierté. Pour qu’il y ait égalité, la valeur et l’importance intrinsèques de chaque individu doivent être reconnues sans égard à l’âge, au sexe, à la couleur, aux origines ou à d’autres caractéristiques de la personne. Cette reconnaissance devrait alors susciter chez tous les Canadiens un sentiment de dignité et de valorisation tout en leur inspirant la plus grande fierté et la satisfaction d’appartenir à une grande nation.
27 La garantie d’égalité qui figure dans la Charte et dans la législation de la Colombie‑Britannique relative aux droits de la personne inclut la protection contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Dans l’arrêt Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, notre Cour a confirmé à l’unanimité que l’orientation sexuelle est un motif analogue à ceux énumérés au par. 15(1) de la Charte. De plus, les juges majoritaires ont expressément reconnu que les gais et les lesbiennes, « à titre individuel ou comme couples, forment une minorité identifiable, victime encore aujourd’hui de désavantages sociaux, politiques et économiques graves » (par. 175, le juge Cory; voir également le par. 89, le juge L’Heureux-Dubé). Cette affirmation a récemment été confirmée par notre Cour à la majorité dans l’arrêt M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3, par. 64. Voir également les arrêts Vriend, précité, et Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120, 2000 CSC 69. Bien que sa décision n’ait été pas été fondée directement sur la Charte ou sur la législation de la province relative aux droits de la personne, le BCCT avait le droit de consulter ces instruments pour décider s’il serait dans l’intérêt public de permettre la formation d’enseignants d’école publique à l’UTW.
28 Cependant, le BCCT est, du même coup, tenu de prendre en considération des questions de liberté religieuse. L’article 15 de la Charte protège aussi contre la « discriminatio[n] fondé[e] sur [. . .] la religion ». De même, l’al. 2a) de la Charte prévoit que « [c]hacun a les libertés fondamentales suivantes : [. . .] liberté de conscience et de religion ». La législation de la Colombie-Britannique relative aux droits de la personne respecte les libertés religieuses en permettant aux établissements confessionnels de faire preuve de discrimination fondée sur la religion dans leur politique d’admission. Dans l’arrêt Big M Drug Mart, précité, p. 336 -337, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a expliqué de façon élégante, au nom des juges majoritaires, l’importance de la liberté de religion dans la société canadienne :
Une société vraiment libre peut accepter une grande diversité de croyances, de goûts, de visées, de coutumes et de normes de conduite. Une société libre vise à assurer à tous l’égalité quant à la jouissance des libertés fondamentales et j’affirme cela sans m’appuyer sur l’art. 15 de la Charte. La liberté doit sûrement reposer sur le respect de la dignité et des droits inviolables de l’être humain. Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l’on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d’empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation. Toutefois, ce concept signifie beaucoup plus que cela.
La liberté peut se caractériser essentiellement par l’absence de coercition ou de contrainte. Si une personne est astreinte par l’État ou par la volonté d’autrui à une conduite que, sans cela, elle n’aurait pas choisi d’adopter, cette personne n’agit pas de son propre gré et on ne peut pas dire qu’elle est vraiment libre. L’un des objectifs importants de la Charte est de protéger, dans des limites raisonnables, contre la coercition et la contrainte. La coercition comprend non seulement la contrainte flagrante exercée, par exemple, sous forme d’ordres directs d’agir ou de s’abstenir d’agir sous peine de sanction, mais également les formes indirectes de contrôle qui permettent de déterminer ou de restreindre les possibilités d’action d’autrui. La liberté au sens large comporte l’absence de coercition et de contrainte et le droit de manifester ses croyances et pratiques. La liberté signifie que, sous réserve des restrictions qui sont nécessaires pour préserver la sécurité, l’ordre, la santé ou les mœurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui, nul ne peut être forcé d’agir contrairement à ses croyances ou à sa conscience.
Une majorité religieuse, ou l’État à sa demande, ne peut, pour des motifs religieux, imposer sa propre conception de ce qui est bon et vrai aux citoyens qui ne partagent pas le même point de vue. La Charte protège les minorités religieuses contre la menace de «tyrannie de la majorité».
Il est intéressant de noter que cet extrait laisse présager la situation même qui s’est matérialisée en l’espèce, à savoir celle dans laquelle on prétend que la liberté de religion d’une personne porte atteinte aux droits et libertés fondamentaux d’une autre personne. La question qui est au cœur du présent pourvoi est de savoir comment concilier les libertés religieuses d’individus qui souhaitent fréquenter l’UTW avec les préoccupations d’égalité des élèves du système scolaire public de la Colombie-Britannique, préoccupations qui peuvent être partagées par les parents de ces élèves et par la société en général.
29 À notre avis, nous sommes en présence d’une situation dans laquelle il y a lieu de régler tout conflit éventuel en délimitant correctement les droits et valeurs en cause. Essentiellement, une bonne délimitation de la portée des droits permet d’éviter un conflit en l’espèce. Ni la liberté de religion ni la protection contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ne sont absolues. Comme le juge L’Heureux-Dubé l’a affirmé à ce propos, au nom des juges majoritaires, dans l’arrêt P. (D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141, p. 182 :
Comme la Cour l’a réitéré à maintes occasions, la liberté de religion, comme toute liberté, n’est pas absolue. Elle est limitée de façon inhérente par les droits et libertés des autres. Alors que les parents sont libres de choisir et de pratiquer la religion de leur choix, ces activités peuvent et doivent être restreintes lorsqu’elles contreviennent au meilleur intérêt de l’enfant, sans pour autant violer la liberté de religion des parents. [Nous soulignons.]
30 De même, les juges Iacobucci et Major ont tiré la conclusion suivante dans l’arrêt B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315, par. 226 :
Tout comme il existe des limites à la liberté d’expression (p. ex., l’al. 2b) ne protège pas les actes violents: R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731, aux pp. 753 et 801; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, aux pp. 732 et 830), il y a également des limites à la portée de l’al. 2a), particulièrement lorsqu’on a recours à cette disposition pour préserver une activité qui menace le bien‑être physique et psychologique d’autrui. En d’autres termes, bien que la liberté de croyance puisse être vaste, la liberté d’agir suivant ces croyances est beaucoup plus restreinte, et c’est cette liberté qui est en cause en l’espèce. [Nous soulignons.]
31 En outre, la Charte doit s’interpréter comme un tout, de manière à éviter de privilégier un droit au détriment d’un autre. Comme le juge en chef Lamer l’a affirmé, au nom de notre Cour à la majorité, dans l’arrêt Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, p. 877 :
Il faut se garder d’adopter une conception hiérarchique qui donne préséance à certains droits au détriment d’autres droits, tant dans l’interprétation de la Charte que dans l’élaboration de la common law. Lorsque les droits de deux individus sont en conflit, [. . .] les principes de la Charte commandent un équilibre qui respecte pleinement l’importance des deux catégories de droits.
32 Par conséquent, bien que le BCCT ait eu raison d’évaluer l’incidence de la politique d’admission de l’UTW sur le milieu des écoles publiques, il n’aurait pas dû s’en tenir à cela. Le Human Rights Code, R.S.B.C. 1996, ch. 210, établit expressément des exceptions dans le cas d’établissements confessionnels, et le législateur a reconnu que l’UTW était un établissement affilié à une église particulière dont il connaissait bien les opinions. Alors que le BCCT affirme qu’il ne refuse ni aux étudiants ni aux membres du corps professoral de l’UTW le droit d’avoir des opinions religieuses particulières, il a déduit, sans aucune preuve tangible à l’appui, que de telles opinions limiteront la prise en compte de questions sociales par les diplômés de l’UTW et auront un effet préjudiciable sur le milieu d’apprentissage dans les écoles publiques. Il est indéniable que la décision du BCCT impose un fardeau aux membres d’un groupe religieux particulier et les empêche, en fait, d’exprimer librement leurs croyances religieuses et de s’associer pour les mettre en pratique. Si l’UTW n’abandonne pas ses normes communautaires, elle renoncera à l’agrément et au plein contrôle d’un programme de formation des enseignants donnant accès au système scolaire public. Les étudiants sont aussi touchés parce que, en affirmant leurs convictions religieuses et en fréquentant l’UTW, ils ne pourront obtenir leur brevet d’enseignement dans une école publique que s’ils fréquentent l’université publique pendant au moins un an. Ce sont là des facteurs importants. Le BCCT devait déterminer si les droits en cause étaient vraiment en conflit.
33 Les normes communautaires de l’UTW, qui ne font que dicter la conduite des gens qui fréquentent l’UTW ou qui y travaillent, ne sont pas suffisantes pour étayer la conclusion que le BCCT doit s’attendre à un comportement intolérant dans les écoles publiques. En fait, si les normes communautaires de l’UTW pouvaient être suffisantes en soi pour justifier le rejet de la demande d’agrément, on voit mal comment le même raisonnement ne pourrait pas servir à refuser de délivrer un brevet d’enseignement aux membres d’une confession particulière. La diversité de la société canadienne se reflète en partie dans les multiples organisations religieuses qui caractérisent le paysage social et il y a lieu de respecter cette diversité d’opinions. En ne tenant pas compte de l’incidence de sa décision sur le droit à la liberté de religion des membres de l’UTW, le BCCT n’a pas soupesé les différents droits en jeu dans son évaluation des prétendues pratiques discriminatoires de l’UTW. En conséquence, notre Cour doit le faire.
34 La prise en considération des valeurs relatives aux droits de la personne dans ces circonstances comprend celle de la place des établissements privés dans notre société et la conciliation de droits et valeurs opposés. La liberté de religion, de conscience et d’association coexiste avec le droit d’être exempt de toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Même si l’exigence que les étudiants et les membres du corps professoral adoptent les normes communautaires engendre un traitement différentiel défavorable du fait qu’elle dissuaderait probablement les étudiants et les enseignants homosexuels de tenter de joindre les rangs de l’université, il faut prendre en considération la vraie nature de l’engagement en cause et le contexte dans lequel il est pris. Bien des universités canadiennes, dont l’université St. Francis Xavier, l’université Queen’s, l’université McGill et le Concordia University College of Alberta, ont été par tradition affiliées à une religion. En outre, l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 consacre le droit à l’enseignement confessionnel public dans notre Constitution, dans le cadre du compromis historique qui a rendu possible la Confédération. L’article 17 de la Loi sur l’Alberta, L.R.C. 1985, app. II, no 20, et de la Loi sur la Saskatchewan, L.R.C. 1985, app. II, no 21, l’art. 22 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, L.R.C. 1985, app. II, no 8, et la clause 17 des Conditions de l’union de Terre-Neuve au Canada ratifiées par la Loi sur Terre‑Neuve, L.R.C. 1985, app. II, no 32, allaient dans le même sens. Bien que les garanties constitutionnelles aient fait l’objet d’une modification constitutionnelle à Terre-Neuve en 1998 et qu’elles aient été supprimées au Québec en 1997, elles demeurent en vigueur en Ontario, en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba.
35 Un autre aspect de ce contexte est la Human Rights Act, S.B.C. 1984, ch. 22, mentionnée par la Cour d’appel et les intimées (désormais le Human Rights Code), qui prévoit, à l’art. 19 (désormais l’art. 41), qu’on ne considère pas qu’un établissement confessionnel enfreint la Loi quand il donne la préférence aux membres de sa confession. On ne saurait raisonnablement conclure que les établissements privés sont protégés, mais que leurs diplômés sont de fait jugés indignes de participer pleinement à des activités publiques. Dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, p. 554, le juge McIntyre a fait remarquer qu’une « conséquence naturelle de la reconnaissance d’un droit doit être l’acceptation sociale de l’obligation générale de le respecter et de prendre des mesures raisonnables afin de le protéger ». En l’espèce, on peut raisonnablement déduire que la législature de la Colombie-Britannique n’a pas considéré que la formation selon une philosophie chrétienne était contraire en soi à l’intérêt public, étant donné qu’elle a adopté cinq projets de loi en faveur de l’UTW entre 1969 et 1985. Quoique les homosexuels puissent être dissuadés de fréquenter l’UTW, un établissement privé qui préconise des croyances religieuses particulières, cela ne les empêchera pas de devenir enseignants. De plus, rien dans les normes communautaires de l’UTW n’indique que les diplômés de l’UTW ne traiteront pas les personnes homosexuelles d’une manière équitable et respectueuse. En effet, la preuve révèle que les diplômés du programme de formation des enseignants, offert conjointement par l’UTW et l’USF, sont devenus jusqu’à maintenant des enseignants compétents dans des écoles publiques, et notre Cour ne dispose d’aucune preuve de comportement discriminatoire de la part de l’un de ces diplômés. Bien qu’elle ne soit pas concluante étant donné qu’aucun étudiant n’a encore été diplômé après avoir suivi un programme de formation des enseignants offert exclusivement par l’UTW, cette preuve est intéressante. Les étudiants qui fréquentent l’UTW sont libres d’adopter des règles de conduite personnelles basées sur leurs croyances religieuses, pourvu qu’ils ne portent pas atteinte aux droits d’autrui. Leur liberté de religion n’est pas respectée si son exercice entraîne le déni du droit à une participation pleine et entière dans la société. Manifestement, la restriction de la liberté de religion doit être justifiée par la preuve que l’exercice de cette liberté aura, dans les circonstances de la présente affaire, une incidence préjudiciable sur le système scolaire.
36 Au contraire, dans des cas comme celui dont nous sommes saisis*, il convient généralement de tracer la ligne entre la croyance et le comportement. La liberté de croyance est plus large que la liberté d’agir sur la foi d’une croyance. En l’absence de preuve tangible que la formation d’enseignants à l’UTW favorise la discrimination dans les écoles publiques de la Colombie-Britannique, il y a lieu de respecter la liberté des individus d’avoir certaines croyances religieuses pendant qu’ils fréquentent l’UTW. Le BCCT a raison de ne pas exiger que les universités publiques qui offrent un programme de formation des enseignants excluent les candidats ayant des croyances sexistes, racistes ou homophobes. Force est de constater que la tolérance de croyances divergentes est la marque d’une société démocratique.
37 Cependant, il en va tout autrement si quelqu’un agit sur la foi de ces croyances. L’enseignant du système scolaire public qui a un comportement discriminatoire peut faire l’objet de procédures disciplinaires devant le BCCT. Le comportement discriminatoire qu’un enseignant d’une école publique adopte dans l’exercice de ses fonctions devrait toujours faire l’objet de procédures disciplinaires. Notre Cour a cependant statué qu’il convenait de faire montre d’une plus grande tolérance à l’égard du comportement qu’un enseignant adopte en dehors de ses heures de travail. Des mesures disciplinaires peuvent néanmoins être prises lorsque le comportement discriminatoire adopté en dehors des heures de travail empoisonne le milieu scolaire. Comme le juge La Forest l’a affirmé, au nom de la Cour à l’unanimité, dans l’arrêt Ross, précité, par. 45 :
C’est en raison de cette position de confiance et d’influence que nous exigeons de l’enseignant qu’il se conforme à des normes élevées au travail comme à l’extérieur du travail, et c’est l’érosion de ces normes qui est susceptible d’entraîner, dans la collectivité, une perte de confiance dans le système scolaire public. Loin de moi l’idée de vouloir ainsi soumettre la vie entière des enseignants à un contrôle démesuré dicté par des normes morales plus strictes. Cela risquerait d’entraîner une violation importante des droits à la protection de la vie privée et des libertés fondamentales des enseignants. Toutefois, lorsque l’«empoisonnement» d’un milieu scolaire est imputable au comportement d’un enseignant après ses heures de travail, et qu’il est susceptible d’entraîner une perte correspondante de confiance dans l’enseignant et dans l’ensemble du système, ce comportement après le travail devient alors pertinent.
Ainsi, il est possible de concilier la liberté de religion et les droits à l’égalité qui sont en conflit dans le présent pourvoi, en en circonscrivant la portée.
38 Pour que le rejet de la demande d’agrément de l’UTW soit légitime, il aurait fallu que les craintes du BCCT reposent sur une preuve particulière. Le BCCT aurait pu solliciter des rapports sur les élèves-enseignants ou encore des avis de directeurs d’école. Il aurait pu examiner les dossiers disciplinaires mettant en cause des diplômés de l’UTW et d’autres enseignants affiliés à une école chrétienne du genre. Toute crainte devrait concerner un risque et non des perceptions générales. L’appelant a laissé entendre, dans son argumentation, que l’absence de problème peut s’expliquer par la participation de l’université Simon Fraser pendant la cinquième année. Cela est plutôt difficile à accepter. Après avoir conclu que les étudiants de l’UTW ont des préjugés fondamentaux en raison de leurs croyances religieuses, comment le BCCT aurait-il pu croire que placer la dernière année du programme sous l’égide de l’université Simon Fraser corrigerait la situation? L’université Simon Fraser supervise huit heures‑crédits suivies à l’extérieur du campus de l’UTW. Rien ne prouve que cette formation-là a un lien quelconque avec le problème d’intolérance appréhendé, ni que le mandat de l’université Simon Fraser a été modifié depuis qu’elle a été chargée de superviser la dernière année du programme en 1985. Compte tenu de la preuve, il est évident que la participation de l’université Simon Fraser n’a jamais rien eu à voir avec l’intolérance appréhendée depuis le début jusqu’à aujourd’hui. L’organisation du programme en 1985 nécessitait une aide en raison du besoin de présenter un élément de formation professionnelle pour la délivrance d’un brevet à de futurs enseignants (voir d.a., p. 45, 47, 48, 62, 64, 90, 95 et 133). La collaboration avait pour but d’épauler une petite faculté qui en était à ses tout débuts (d.a., p. 128, 132 et 298). Rien ne permet de déduire que la cinquième année corrigeait des attitudes.
(3) L’argument selon lequel l’UTW ne satisfaisait pas à d’autres critères
39 L’appelant a fait valoir qu’il existait d’autres questions non résolues quant à l’état de préparation du programme de l’UTW et que ce fait aurait dû à lui seul empêcher la délivrance d’un mandamus. Nous ne sommes pas de cet avis. Dans le procès-verbal de la première réunion du Conseil tenue le 16 mai 1996, on trouve une analyse approfondie du libellé des conditions et du rejet final de la demande d’agrément. Les craintes exprimées ont trait à la question de la discrimination. On n’y parle pas de critères explicites auxquels il n’a pas été satisfait. À l’étape du nouvel examen, les critères abordés précédemment ne sont pas mentionnés, analysés ou inclus dans la décision finale. Cela est étayé par l’affidavit dans lequel M. Harro Van Brummelen affirme que la seule question abordée par le Conseil était celle des pratiques discriminatoires. Le rapport destiné aux membres va dans le même sens. Quoi qu’il en soit, les conditions imposées par le comité des programmes de formation des enseignants et rattachées à l’ordonnance de type mandamus délivrée par le juge de première instance répondent suffisamment à toutes ces questions.
(4) L’ordonnance de mandamus est-elle justifiée?
40 L’ordonnance de mandamus que le juge de première instance a rendue dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire doit être annulée s’il n’a pas agi de manière judiciaire. En pratique, l’ordonnance de mandamus est invalidée si le juge de première instance a commis une erreur de principe, s’il a très mal compris la preuve, s’il s’est fondé sur des considérations non pertinentes ou n’a pas tenu compte de considérations pertinentes, s’il n’était pas fondé à exercer son pouvoir discrétionnaire ou s’il a par ailleurs commis une erreur de droit (voir Khalil c. Canada (Secrétaire d’État), [1999] 4 C.F. 661 (C.A.)). Le BCCT a soutenu que l’exercice du pouvoir discrétionnaire n’était pas fondé en l’espèce. Nous ne sommes pas de cet avis.
41 L’appelant s’appuie sur l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, que notre Cour a confirmé à [1994] 3 R.C.S. 1100, pour soutenir que le recours au mandamus n’est possible que dans le cas où la loi ordonne d’accomplir un devoir précis, écartant toute discrétion en la matière. En fait, Apotex reconnaît clairement que les organismes qui ont un pouvoir décisionnel discrétionnaire peuvent tout de même faire face à une ordonnance judiciaire de mandamus dans certains cas. L’appelant soutient également que, en l’espèce, même si on considère que les pratiques discriminatoires ne justifient pas le rejet de la demande d’agrément, le BCCT devait quand même déterminer si les autres critères avaient été respectés. Étant donné qu’il a rejeté le rapport de son comité, le Conseil doit donc maintenant pouvoir décider si l’UTW a satisfait à tous les critères pertinents. On fait valoir qu’il doit, compte tenu de la [TRADUCTION] « nature confessionnelle de l’UTW », déterminer si le degré de contrôle et d’évaluation recommandé par le comité des programmes de formation des enseignants est approprié et si les problèmes de préparation de la bibliothèque et du corps professoral ont été résolus.
42 Nous avons déjà traité du respect des critères autres que la discrimination. Nous ajouterions que l’accent que le BCCT met encore sur la nature confessionnelle de l’UTW est troublant. Il devrait être clair que l’accent mis sur la nature confessionnelle de l’UTW est le même que celui qui a d’abord été mis sur les allégations de pratiques discriminatoires. Le BCCT ne peut pas tenir compte de la nature confessionnelle de l’UTW pour déterminer si les diplômés de cet établissement fourniront un milieu d’apprentissage approprié aux élèves des écoles publiques, dans la mesure où il n’y a aucune preuve que les particularités de l’UTW présentent un risque réel pour le système d’enseignement public. L’incidence réelle de la nature confessionnelle de l’UTW sur le milieu de l’enseignement est ce qui a été examiné dans les présents motifs. Les conditions qui se rattachent à l’approbation de cinq ans donnée par le comité des programmes de formation des enseignants continuent de s’appliquer et prévoient la surveillance du programme afin d’assurer que les diplômés de l’UTW fournissent un milieu d’enseignement approprié, libre de toute discrimination notamment. Le BCCT a la responsabilité de garantir que les programmes en vigueur dans tous les établissements privés et publics de formation des enseignants continuent de servir l’intérêt public et il possède tous les pouvoirs nécessaires pour qu’il puisse s’acquitter de ses obligations à cet égard.
43 L’ordonnance de mandamus était justifiée parce que l’art. 4 de la Loi entravait l’exercice du pouvoir discrétionnaire du BCCT et parce que le rejet de la demande d’agrément reposait uniquement sur la prise en considération de pratiques discriminatoires. En tenant compte des préceptes religieux de l’UTW au lieu de l’incidence réelle de ces croyances sur le milieu scolaire, le BCCT s’est fondé sur des considérations non pertinentes. Il a donc agi inéquitablement. Il n’y a aucune raison de renvoyer la question de l’agrément au BCCT dans les circonstances. Nous tenons à ajouter que, bien qu’il soit difficile d’établir un lien entre l’exigence d’une cinquième année d’études sous l’égide de l’université Simon Fraser et l’affirmation, au par. 58 de la réplique déposée par l’appelant, que [TRADUCTION] « les étudiants qui souhaitent enseigner dans des écoles publiques doivent tous passer une année de formation professionnelle dans une université publique », nous estimons que l’affirmation susmentionnée est tout simplement erronée. Le BCCT précise, dans cette affirmation, qu’il refusera un programme complet à tous les établissements privés quelles que soient les circonstances. Cela est contraire à sa mission.
44 Compte tenu de tous ces facteurs, nous ne croyons pas qu’il soit justifié de renvoyer l’affaire au BCCT et de s’ingérer ainsi dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance. Il n’y a pas d’ingérence dans le pouvoir discrétionnaire du BCCT quand toutes ses craintes ont été dissipées ou écartées conformément à la loi.
45 En raison des conclusions que nous tirons relativement à la question principale, nous n’avons pas à aborder la question de l’atteinte aux droits individuels que la Charte garantit à l’intimée Donna Gail Lindquist.
46 Le pourvoi est rejeté avec dépens en faveur des intimés.
Version française des motifs rendus par
47 Le juge L’Heureux-Dubé (dissidente) — Le présent pourvoi porte essentiellement sur l’établissement du meilleur milieu d’enseignement possible pour les étudiants des écoles publiques de la Colombie-Britannique. Comme notre Cour l’a affirmé dans l’arrêt Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, par. 42 :
Une école est un centre de communication de toute une gamme de valeurs et d’aspirations sociales. Par l’entremise de l’éducation, elle définit, dans une large mesure, les valeurs qui transcendent la société. Lieu d’échange d’idées, l’école doit reposer sur des principes de tolérance et d’impartialité de sorte que toutes les personnes qui se trouvent en milieu scolaire se sentent également libres de participer. [Je souligne.]
Le juge La Forest a également fait remarquer, dans l’arrêt R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, p. 299, qu’« [a]ucune preuve n’est nécessaire pour démontrer l’importance de l’éducation dans notre société ou son importance pour le gouvernement. Tous les citoyens informés savent et comprennent que l’État a un intérêt légitime, voire impérieux, à l’égard de l’éducation de la jeunesse. » Bref, il est d’intérêt public vital de créer et de maintenir un climat favorable dans les salles de classe de notre pays, qui constituent les incubateurs intellectuels des citoyens canadiens les plus vulnérables et les plus impressionnables. L’enseignement « éveille les enfants aux valeurs que la société espère promouvoir et développer » : Ross, précité, par. 82.
48 La présente controverse découle d’une décision rendue en 1996 par le conseil du British Columbia College of Teachers (« BCCT »), qui a refusé d’approuver la demande d’agrément d’un programme de formation des enseignants soumise par l’université Trinity Western (« UTW »). Le 17 mai 1996, le Conseil a adopté la résolution suivante :
[traduction] Que la demande de nouveau programme de formation des enseignants soumise par l’université Trinity Western soit rejetée parce qu’elle ne satisfait pas complètement aux critères et parce qu’il est contraire à l’intérêt public d’approuver un programme de formation des enseignants offert par un établissement privé qui paraît se livrer à des pratiques discriminatoires que la loi interdit dans les établissements publics.
Le 22 mai 1996, le registraire du BCCT a écrit à un vice-doyen de l’UTW pour lui expliquer que [traduction] « les membres du Conseil ont pris en considération l’ensemble ou une partie des questions suivantes lorsqu’ils ont voté au sujet de la recommandation » :
[traduction]
· Les pratiques discriminatoires ayant cours à l’université Trinity Western, en particulier l’exigence que les étudiants signent un contrat de « Responsabilités des membres de la communauté de l’université Trinity Western ».
. . .
· L’aptitude des diplômés à enseigner dans les divers milieux sociaux complexes du système scolaire public, et leur niveau de préparation à cet égard.
. . .
· La capacité du corps professoral d’offrir un programme de portée suffisamment large et détaillé . . .
L’UTW a interjeté appel contre la décision du BCCT et une audience a été tenue le 14 juin 1996. Le 29 juin 1996, le BCCT a confirmé qu’il rejetait la demande d’agrément en adoptant une résolution ainsi libellée : [traduction] « Que l’appel que l’université Trinity Western a interjeté contre le rejet par [le BCCT] de sa demande d’approbation d’un programme de formation des enseignants soit rejeté parce que le Conseil est toujours d’avis que le programme proposé suit des pratiques discriminatoires qui sont contraires à l’intérêt et à l’ordre publics dont [le BCCT] doit tenir compte en vertu du mandat qui lui est confié par la Teaching Profession Act ».
49 L’UTW a présenté une requête en contrôle judiciaire de la décision du BCCT. Le juge Davies de la Cour suprême de la Colombie-Britannique ((1997), 41 B.C.L.R. (3d) 158) a annulé cette décision et a ordonné au Conseil d’approuver le programme de l’UTW sous réserve de certaines conditions explicites. Il a conclu que le BCCT n’avait pas compétence pour prendre en considération les pratiques discriminatoires. Il a ajouté que la décision du BCCT n’avait aucun fondement raisonnable. La Cour d’appel à la majorité (les juges Goldie et Braidwood) a confirmé la décision de première instance, madame le juge Rowles étant dissidente : (1998), 59 B.C.L.R. (3d) 241. À l’instar du juge Davies, les juges majoritaires ont considéré que le BCCT avait outrepassé sa compétence. Subsidiairement, [traduction] « les décisions du Conseil qui sont consacrées dans les résolutions examinées reflètent une erreur de droit et sont manifestement déraisonnables sur le plan des faits. Elles n’ont pas à faire l’objet de retenue judiciaire » (par. 115).
I. La compétence du BCCT
50 Le présent pourvoi soulève deux questions relevant du droit administratif : une question préliminaire de compétence et une détermination subséquente de la norme de contrôle applicable à la décision du BCCT. En ce qui a trait à la compétence, je suis d’accord avec mes collègues que l’art. 4 de la Teaching Profession Act, R.S.B.C. 1996, ch. 449, habilitait le BCCT à prendre en considération des pratiques discriminatoires en évaluant la demande de l’UTW. Pour reprendre les termes de madame le juge Rowles, au par. 200 :
[traduction] D’après le mandat qui lui est confié par la Loi, [le BCCT] a un large pouvoir discrétionnaire d’approuver des programmes de formation des enseignants et d’établir les normes applicables autant aux programmes mêmes qu’aux diplômés. Même si ces normes doivent être reliées, en dernier ressort, à “[la] formation, [à la] responsabilité professionnelle et [à la] compétence” des futurs enseignants des écoles publiques, cette compétence comporte un pouvoir discrétionnaire suffisamment large pour décider quels sont les facteurs pertinents dans l’établissement de ces normes. L’existence de discrimination est sûrement pertinente quant à l’un ou l’autre de ces domaines de compétence [du BCCT].
II. La norme de contrôle
51 En ce qui concerne la norme de contrôle applicable à la décision du BCCT, je ne partage toutefois pas l’avis de mes collègues. L’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, appuie la norme du caractère manifestement déraisonnable. Dans cet arrêt, notre Cour a établi quatre catégories de facteurs à prendre en considération pour déterminer quelle norme de contrôle s’applique. Je souligne, au départ, que l’arrêt Pushpanathan indique que « [l’]absence de clause privative n’implique pas une norme élevée de contrôle, si d’autres facteurs commandent une norme peu exigeante » (par. 30). Le premier facteur, celui des clauses privatives, ne s’applique pas en l’espèce, alors que les trois autres facteurs, à savoir l’expertise, l’objet de la loi dans son ensemble et de la disposition en cause et le point de savoir si la question qui se pose est une question de droit ou de fait, militent tous en faveur de l’adoption de la norme du caractère manifestement déraisonnable.
52 L’arrêt Pushpanathan souligne l’importance primordiale d’évaluer l’expertise du tribunal (au par. 33) :
L’évaluation de l’expertise relative comporte trois dimensions: la cour doit qualifier l’expertise du tribunal en question; elle doit examiner sa propre expertise par rapport à celle du tribunal; et elle doit identifier la nature de la question précise dont était saisi le tribunal administratif par rapport à cette expertise.
En l’espèce, tous ces facteurs militent en faveur d’un degré élevé de retenue judiciaire. Comme l’a reconnu la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, le BCCT possède [traduction] « une expertise relative dans le domaine de l’établissement des normes d’admission à la profession d’enseignant » : Casson c. British Columbia College of Teachers, [2000] B.C.J. No. 1038 (QL), par. 29 et 22-25. Le BCCT, qui est composé en majorité d’enseignants, représente en outre une profession autonome. Dans l’arrêt Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869, p. 890, notre Cour a insisté sur la retenue dont il y a lieu de faire preuve à l’égard des professions autonomes : « l’efficacité de l’autonomie administrative repose en grande partie sur le concept de l’examen effectué par des pairs » (je souligne). Dans le contexte de la profession juridique, la Cour a affirmé, à la p. 888, que « l’assemblée législative du Manitoba s’est exprimée, et elle l’a fait clairement. La Loi sur la Société du Barreau vise manifestement à laisser aux avocats l’administration de la profession juridique et, à moins qu’une intervention des tribunaux ne soit manifestement justifiée, cette expression de la volonté du législateur devrait être respectée. » La Teaching Profession Act représente, elle aussi, une expression claire de la volonté du législateur, et le BCCT est un organisme autonome similaire. Comme l’ont précisé les juges majoritaires de la Cour d’appel, [traduction] « [l]’économie de la Teaching Profession Act porte à croire [que] le législateur a jugé [que] les enseignants avaient besoin de peu de directives pour établir les normes applicables à la formation des futurs enseignants » (par. 97).
53 Au sujet de l’objet de la Loi dans son ensemble, qui est le troisième facteur énuméré dans l’arrêt Pushpanathan, on peut lire au par. 36 de cet arrêt :
Dans l’arrêt Southam, la Cour a conclu, au par. 48, que les «objectifs visés par la Loi sont davantage “économiques” que strictement “juridiques”», parce que les objectifs généraux de la Loi «sont des questions que les gens d’affaires et les économistes sont plus à même de comprendre que les juges en général». Elle a appuyé cette conclusion sur le fait que la loi avait créé un tribunal dont les membres avaient une connaissance spécialisée dans ces domaines. Présent[e] aussi une importance [. . .] le fait [que le tribunal administratif] joue un «rôle protecteur» vis‑à‑vis du public investisseur et qu’il joue aussi un rôle en matière d’établissement des politiques; arrêt Pezim, précité, à la p. 596.
Chacun de ces aspects est ici présent. La décision du BCCT relative au programme de formation des enseignants de l’UTW touche au cœur même de la raison d’être de la Teaching Profession Act et les juges, qui n’ont pas l’expertise des enseignants, ne devraient la modifier que si elle est manifestement déraisonnable. Comme le juge La Forest l’a fait remarquer dans l’arrêt Jones, précité, p. 304, « [à] mon avis, on ne peut reprocher à la province d’adopter la philosophie qui est souvent appliquée dans les tribunaux des États‑Unis, savoir que [traduction] “Le tribunal n’est tout simplement pas le meilleur endroit pour débattre les questions de politique en matière d’éducation et pour mesurer la qualité de l’enseignement” ». En outre, les écoliers vulnérables requièrent de la part du BCCT une protection beaucoup plus grande que le public investisseur dans l’arrêt Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557. Du reste, chaque décision qui relève de la compétence du BCCT, comme celle relative, en l’espèce, à l’agrément d’un programme de formation des enseignants, est essentielle à l’établissement d’une politique d’enseignement. Dans le domaine de l’établissement des politiques, il existe une répartition des tâches qui fait en sorte que le BCCT est le complément d’autres organismes en la matière. Comme l’a fait observer madame le juge Rowles (au par. 173) :
[traduction] Ce mandat relatif à l’établissement des politiques se reflète dans le libellé de l’art. 4 de la Loi. Cette disposition législative exige que [le BCCT] tienne « compte de l’intérêt public » en établissant des normes.
54 L’arrêt Pushpanathan, précité, indique que l’objet de la disposition particulière de la loi en cause est pertinent pour déterminer la norme de contrôle. La décision du BCCT a été rendue conformément à l’al. 21i) de la Loi, qui lui permet [traduction] « [d’]approuver, aux fins de délivrance des brevets d’enseignement, le programme de toute faculté ou école reconnue de formation des enseignants ». Cette disposition fait intervenir des principes « vagues, non limitatifs », ce qui commande la retenue judiciaire selon l’arrêt Pushpanathan (par. 36). Le BCCT possède, en vertu de la Loi, un large pouvoir discrétionnaire d’examiner les programmes de formation des enseignants. De plus, il a rendu une décision polycentrique qui tient compte des intérêts pédagogiques des enseignants, des étudiants, des parents et du public. L’arrêt Pushpanathan souligne que « certains problèmes exigent la prise en compte de nombreux intérêts simultanément et l’adoption de solutions de nature à assurer en même temps un équilibre entre les coûts et les bénéfices pour de nombreuses parties distinctes. Quand un régime administratif ressemble davantage à ce modèle, les cours de justice feront preuve de retenue » (par. 36).
55 La décision du BCCT porte également sur une question de fait dont la nature fait appel à l’expertise de ce tribunal administratif. Cette caractéristique se rapporte au quatrième facteur de l’arrêt Pushpanathan, qui consiste à déterminer si le tribunal est saisi d’une question de droit ou de fait. La question de savoir de quelle façon le programme de l’UTW peut influer sur le niveau de préparation de ses diplômés à l’enseignement dans les écoles publiques est une question de fait à laquelle seule l’expertise des membres du BCCT qui, en majorité, ont l’expérience des salles de classe permet de répondre. Je suis d’accord avec madame le juge Rowles, lorsqu’elle écrit : [traduction] « En ce qui a trait à la question factuelle de l’incidence des pratiques, je suis d’avis que la décision du Conseil doit faire l’objet de retenue judiciaire. La question de savoir si les pratiques discriminatoires étaient contraires à l’intérêt public sur les plans de la formation, de la responsabilité professionnelle et de la compétence des enseignants des écoles publiques m’apparaît relever clairement de l’expertise et de la compétence [du BCCT] » (par. 150).
56 Madame le juge Rowles décrit avec soin la compétence du BCCT en matière d’intérêt public (au par. 173) : [traduction] « L’“intérêt public” doit être défini non pas au hasard mais en fonction du champ de compétence particulier du [BCCT], c’est-à-dire l’établissement, dans l’intérêt public, des normes de formation, de responsabilité professionnelle et de compétence de ses membres qui enseignent dans les écoles publiques » (je souligne). Ce faisant, elle paraphrase l’art. 4 de la Teaching Profession Act. D’autres dispositions de cette loi militent également en faveur d’un mode d’interprétation contextuel de l’« intérêt public ». Le BCCT joue le rôle de gardien de la profession d’enseignant dans une école publique et il est chargé de garantir que ses membres ont les qualifications requises, établies par des experts, pour enseigner dans les classes de la province. Les alinéas 23(1)d) et 23(1)f) de la Loi prévoient que le BCCT peut adopter des règlements :
[traduction]
d) concernant la formation et les conditions d’admissibilité des enseignants et établissant des normes, politiques et procédures relatives à la formation et aux conditions d’admissibilité y compris, notamment, des normes, politiques et procédures concernant la profession, le régime scolaire et la spécialisation;
. . .
f) concernant les normes d’admission de personnes comme membres [du BCCT]; [Je souligne.]
57 L’interprétation législative des responsabilités du BCCT eu égard à l’«intérêt public» doit se faire en fonction de l’objet visé et non pas de façon nébuleuse. Comme la Cour d’appel du Manitoba l’a affirmé dans l’arrêt Lindsay c. Manitoba (Motor Transport) (1989), 62 D.L.R. (4th) 615, p. 626 : [traduction] « Ces mots, qui ne sont ni précis ni clairs en soi, doivent s’interpréter en fonction du contexte dans lequel ils sont utilisés ». Le juge Philp ajoute ensuite : [traduction] « Il n’y a pas de doute, selon moi, que la définition de l’intérêt public n’est pas une “question de politique générale” qui relève entièrement de la Commission; il ne s’agit pas non plus d’une conclusion de fait. C’est une formulation d’opinion et, lorsque la Commission agit dans les limites de sa compétence, la définition qu’elle donne relève de sa compétence administrative exclusive » (p. 628 (je souligne)).
58 La Teaching Profession Act oblige le BCCT à évaluer tout élément d’un programme de formation d’enseignants qui peut toucher [traduction] «[la] formation, [la] responsabilité professionnelle et [la] compétence de ses membres ». Il importe peu que les établissements confessionnels privés jouissent de la protection du Human Rights Code de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 210. Le BCCT doit examiner tous les programmes de formation d’enseignants en fonction des mêmes éléments, c’est-à-dire en fonction des normes qu’il a lui-même fixées grâce à son expertise. Il n’a jamais jugé ni considéré que les diplômés de l’UTW sont « indignes de participer pleinement à des activités publiques », comme l’insinuent mes collègues (par. 35). Au contraire, le BCCT a indiqué à ces étudiants le chemin pour atteindre les conditions requises pour enseigner dans les écoles publiques. Ces mesures sont parfaitement compatibles avec le mandat contextualisé du BCCT d’établir et d’appliquer des normes pour ses membres, [traduction] « compte tenu de l’intérêt public ».
59 Il est erroné de caractériser la décision du BCCT comme une évaluation ou une interprétation de valeurs relatives aux droits de la personne, qui va au-delà de l’expertise de ce tribunal. La décision du BCCT a fait appel à une valeur pertinente et incontestée véhiculée par la Charte ou relative aux droits de la personne, celle de l’égalité, dans le contexte limité de l’évaluation de l’incidence que la proposition de l’UTW aurait dans les salles de classe. L’égalité est une composante centrale de l’intérêt public que le BCCT est chargé de protéger dans les salles de classe de la province. Comme l’écrit le juge Cory dans l’arrêt Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 92, la Charte canadienne des droits et libertés est « une réaffirmation des valeurs fondamentales qui guident et façonnent notre société démocratique » (je souligne). Le BCCT pouvait et, en fait, devait tenir compte de la valeur de l’égalité en évaluant l’incidence que le programme de l’UTW aurait sur le climat des salles de classe. Dans l’arrêt Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5, p. 13-14, la Cour a statué que « la Constitution, en sa qualité de loi suprême, doit être respectée par les tribunaux administratifs appelés à interpréter la loi ». Je partage le point de vue de madame le juge Rowles, qui a posé la question suivante (au par. 171) : [traduction] « S’il en est ainsi, pourquoi ne s’attendrait-on pas également à ce qu’un tribunal administratif prenne en considération les valeurs véhiculées par la Charte? »
60 Le BCCT n’agissait pas à titre de tribunal des droits de la personne et n’était pas tenu de prendre en considération d’autres valeurs véhiculées par la Charte ou relatives aux droits de la personne, qui n’ont rien à voir avec l’intérêt public veillant à garantir que les enseignants aient les qualifications requises pour favoriser le maintien d’un climat favorable dans les salles de classe des écoles publiques. Par conséquent, il n’est pas pertinent en ce qui concerne la norme de contrôle applicable que « le Conseil [ne soit] pas particulièrement en mesure de déterminer la portée de la liberté de religion et de conscience, et de soupeser ces droits en fonction du droit à l’égalité dans le cadre d’une société pluraliste » (les juges Iacobucci et Bastarache, par. 19). L’approche du BCCT, fondée sur l’égalité et axée sur le maintien d’un climat favorable dans les salles de classe des écoles publiques, justifie l’application de la norme du caractère manifestement déraisonnable parce qu’elle met directement en cause la spécialisation du tribunal.
61 Si le BCCT avait dû appliquer une valeur non clairement reconnue par la Charte ou non reliée aux droits de la personne, ou une valeur non pertinente quant à la décision en l’espèce, ou encore s’il n’avait pas appliqué une valeur clairement pertinente, sa décision serait alors manifestement déraisonnable. Aucun de ces scénarios ne s’est produit en l’espèce. Les juges Iacobucci et Bastarache écrivent que « [l]e BCCT a la responsabilité de garantir que les programmes en vigueur dans tous les établissements privés et publics de formation des enseignants continuent de servir l’intérêt public . . . » (par. 42). Le BCCT a l’expertise nécessaire pour déterminer les critères utiles à cette fonction de surveillance et son évaluation de ces éléments doit faire l’objet d’une grande retenue. Voir, de manière générale, l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 65 : [traduction] « La retenue au sens de respect ne demande pas la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision . . . (D. Dyzenhaus, “The Politics of Deference: Judicial Review and Democracy”, dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 286.) »
62 Les circonstances de la présente affaire sont analogues à celles de l’arrêt P. (D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141, dans lequel il y avait conflit entre la liberté de religion invoquée et le meilleur intérêt d’un enfant dans le contexte des droits de visite et de sortie des parents. Dans mes motifs, j’ai souligné, à la p. 181, qu’« en statuant sur le meilleur intérêt de l’enfant, le tribunal ne fait le procès ni d’une religion ni de l’exercice qu’un parent peut en faire pour lui ou pour elle‑même, mais examine uniquement la manière dont l’exercice par un parent, d’une religion donnée à l’occasion des droits de visite et de sortie, influe sur le meilleur intérêt de l’enfant ». Voir également B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315, par. 228, les juges Iacobucci et Major :
. . . dans l’arrêt [. . .] P. (D.) c. S. (C.), précité, le juge L’Heureux‑Dubé (s’exprimant au nom de la majorité sur ce point) conclut, à la p. 182, que:
Comme la Cour l’a réitéré à maintes occasions, la liberté de religion, comme toute liberté, n’est pas absolue. Elle est limitée de façon inhérente par les droits et libertés des autres. Alors que les parents sont libres de choisir et de pratiquer la religion de leur choix, ces activités peuvent et doivent être restreintes lorsqu’elles contreviennent au meilleur intérêt de l’enfant, sans pour autant violer la liberté de religion des parents. [Souligné par les juges Iacobucci et Major.]
Dans le présent pourvoi, les croyances religieuses personnelles alléguées et l’intérêt public se croisent de façon similaire. Les actes accomplis dans la vie privée peuvent avoir une incidence dans le domaine des activités publiques. Chacun doit assumer les conséquences juridiques de ses croyances personnelles, dans la mesure où ces conséquences ne portent pas atteinte à des droits fondamentaux. L’attention spécialisée que le BCCT prête au climat des salles de classe signifie que l’accent est mis sur le meilleur intérêt des étudiants des écoles publiques, tout comme il est mis sur le meilleur intérêt des enfants dans le cas des conflits relatifs aux droits de garde et de visite. Dans aucune de ces situations, les enfants ne devraient-ils être exposés à un risque fondé sur la religion.
63 Le BCCT a confiné raisonnablement son examen à son champ d’expertise pédagogique. Rien dans la décision contestée n’indique que la foi religieuse des intimées a influé sur le résultat. La Loi confie au BCCT le mandat d’agir dans l’intérêt public en ne délivrant un brevet d’enseignement qu’aux enseignants qui sont bien préparés à affronter les rigueurs des salles de classe des écoles publiques. La religion d’un enseignant ou d’un groupe d’enseignants n’est jamais en cause devant le BCCT étant donné qu’elle ne peut pas entrer en ligne de compte dans ses décisions en matière d’agrément de programmes ou de délivrance de brevets d’enseignement. Quelle que soit la confession de l’établissement ou de l’individu concerné, tous les candidats doivent convaincre le BCCT qu’ils ont les qualifications requises pour enseigner dans une école publique. En réalité, si le BCCT avait pris en considération la religion des intimées en rendant sa décision, il aurait non seulement fait preuve de discrimination, mais encore il aurait commis une erreur de droit relative à sa compétence. Le BCCT s’intéressait à l’incidence d’une pratique discriminatoire sur les salles de classe des écoles publiques; il était sans importance pour sa décision que cette pratique soit fondée ou non sur la religion. Le BCCT doit nécessairement procéder à un tel examen de toute pratique discriminatoire dans le cadre de son mandat de tenir compte de l’intérêt public en délivrant des brevets d’enseignement.
64 En l’espèce, la liberté de religion de l’enseignant éventuel n’est donc pas en cause à l’étape du droit administratif. J’examinerai, vers la fin des présents motifs, les arguments fondés sur la Charte que l’UTW et Donna Lindquist ont invoqués. Au moment où le présent litige a pris naissance, Mme Lindquist étudiait à l’UTW et comptait s’inscrire, en septembre 1998, au programme de formation des enseignants s’il était approuvé. Le 4 septembre 1996, elle a signé de son propre gré le contrat des normes communautaires analysé plus loin dans les présents motifs.
65 Je ne partage pas l’avis de mes collègues qu’il incombait au BCCT de « concilier les libertés religieuses d’individus qui souhaitent fréquenter l’UTW avec les préoccupations d’égalité des élèves du système scolaire public de la Colombie‑Britannique » (par. 28). Cette façon de raisonner revient à transformer le mandat et le rôle que le BCCT tient de la Loi en mandat et rôle d’un organisme des droits de la personne. Cela suppose que le BCCT aurait dû régler ce que mes collègues ont qualifié rétrospectivement de conflit d’intérêts. Il n’y a, selon moi, aucun conflit de cette nature en l’espèce. Donna Lindquist n’a pas participé à la décision du BCCT et, de toute façon, sa liberté de religion n’avait pas à être prise en considération. Les intérêts en matière d’égalité que partagent les élèves des écoles publiques de la Colombie‑Britannique n’ont pas non plus été pris en considération dans le but de protéger les droits que leur garantit la Charte. La valeur d’égalité véhiculée par la Charte ou relative aux droits de la personne n’a plutôt été appliquée que dans la mesure où elle a trait au climat des salles de classe. J’estime qu’il est difficile de forcer un tribunal administratif à apprécier les droits ou valeurs, inconciliables prétend‑on, que des étudiants de l’UTW, comme Donna Lindquist, et des élèves anonymes des écoles publiques de la Colombie-Britannique tiennent de la Charte. À mon sens, il convient davantage de respecter le critère de l’arrêt Pushpanathan et d’examiner les arguments de tierces parties fondés sur la Charte dans le cadre d’une analyse appropriée effectuée en vertu de la Charte non pas conjointement avec un contrôle judiciaire d’une décision de droit administratif, mais plutôt à la suite d’un tel contrôle.
66 C’est précisément ce que l’arrêt Ross souligne au par. 32. Le juge La Forest écrit que « la norme de droit administratif et celle dictée par la Charte ne sont pas fondues en une seule norme. Lorsque les questions en litige ne sont pas touchées par la Charte, la norme de contrôle appropriée est celle du droit administratif. [. . .] Comme l’a fait remarquer le juge en chef Dickson [dans l’arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038], l’analyse mieux structurée et plus subtile qui est fondée sur l’article premier constitue le cadre approprié pour l’examen des valeurs protégées par la Charte. » J’adopte donc, dans les présents motifs, une méthode en deux étapes qui consiste d’abord à examiner le droit administratif, où il convient de faire preuve de retenue à l’égard du BCCT selon les facteurs de l’arrêt Pushpanathan, et ensuite à apprécier les arguments fondés sur la Charte qu’invoquent l’UTW et les tierces parties touchées par la décision du BCCT.
III. Application de la norme du caractère manifestement déraisonnable à la présente affaire
67 J’aborde maintenant l’application de la norme du caractère manifestement déraisonnable à la décision du BCCT. Comme le juge Cory l’a fait observer dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, p. 963-964, « si la décision qu’a rendue la Commission, agissant dans le cadre de sa compétence, n’est pas clairement irrationnelle, c’est‑à‑dire, de toute évidence non conforme à la raison, on ne saurait prétendre qu’il y a eu perte de compétence. Visiblement, il s’agit là d’un critère très strict ». Auparavant, dans l’arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, p. 237, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) avait formulé la question en ces termes : « l’interprétation de la Commission est‑elle déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s’appuyer sur la législation pertinente et d’exiger une intervention judiciaire? »
68 La conclusion du BCCT à l’existence de pratiques discriminatoires est liée à la prise en considération par le Conseil de « [l]’aptitude des diplômés à enseigner dans les divers milieux sociaux complexes du système scolaire public, et [de] leur niveau de préparation à cet égard » (voir par. 48 des présents motifs). Ces deux éléments de cause et effet seront analysés l’un après l’autre. Premièrement, le BCCT a exprimé la crainte que le contrat des normes communautaires de l’UTW, que les étudiants et les membres du corps professoral et du personnel sont tenus de signer, soit discriminatoire envers les homosexuels. Tous les étudiants et les membres du corps professoral et du personnel doivent
[traduction] s’abstenir de se livrer à des pratiques que la bible condamne. Sont notamment visés l’ivresse (Éph. 5:18), les jurons ou les blasphèmes (Éph. 4:29, 5:4; Jacq. 3:1-12), le harcèlement (Jean 13:34-35; Rom. 12:9-21; Éph. 4:31), toute forme de malhonnêteté, dont la tricherie et le vol (Prov. 12:22; Col. 3:9; Éph. 4:28), l’avortement (Ex. 20:13; Ps. 139:13-16), toute activité liée à l’occultisme (Act. 19:19; Gal. 5:19) et les péchés sexuels, y compris les relations sexuelles avant le mariage, l’adultère, le comportement homosexuel et le visionnement de matériel pornographique (I Cor. 6:12-20; Éph. 4:17-24; 1 Thess. 4:3-8; Rom. 2:26-27; I Tim. 1:9-10). [Je souligne. Ce texte provient de la version du code destinée aux étudiants qui est presque identique à celle fournie aux employés.]
Je fais remarquer, en passant, que l’expression « comportement homosexuel » n’est pas définie et pourrait s’entendre d’une vaste gamme d’activités qui ne vont pas jusqu’aux rapports sexuels. Le préambule des codes des normes communautaires précise que [traduction] « [l]es personnes qui sont invitées à devenir membres de notre communauté, mais qui ne peuvent pas complètement s’engager à en respecter les normes sont avisées de ne pas accepter l’invitation et de rechercher plutôt une situation d’apprentissage de la vie [ou de travail] qui leur convient mieux » (je souligne).
69 Je constate avec regret qu’à diverses reprises, dans le cours de cette affaire, on a avancé l’argument qu’il est possible de séparer la condamnation du « péché sexuel » que représente le « comportement homosexuel » et l’intolérance à l’égard des gens qui ont une orientation homosexuelle ou bisexuelle. Selon ce point de vue, on peut aimer le pécheur tout en condamnant le péché. Cependant, pour reprendre les propos de l’intervenante EGALE, [traduction] « [f]orcer quelqu’un à déroger à son identité est néfaste et cruel. Cela a un effet destructeur sur le plan psychologique. Les pressions exercées pour que des jeunes qui tentaient d’accepter leur orientation sexuelle modifient leur comportement et nient leur identité sexuelle se sont révélées extrêmement dommageables dans leur cas » (mémoire, par. 34). La distinction statut/conduite ou identité/pratique établie pour les homosexuels et les bisexuels devrait être complètement rejetée, comme l’affirme madame le juge Rowles : [traduction] « La législation en matière de droits de la personne prévoit que certaines pratiques sont inséparables de l’identité, de sorte que condamner la pratique revient à condamner la personne » (par. 228). Elle ajoute que « le genre de tolérance requis [par l’égalité] n’est pas étiolé au point de comprendre l’acceptation générale de toutes les personnes, mais la condamnation des caractéristiques de certaines personnes » (par. 230). Cela revient non pas à laisser entendre que la personne qui adopte un comportement homosexuel est automatiquement une personne homosexuelle ou bisexuelle, mais à contester l’idée qu’il est possible de condamner une pratique si essentielle à l’identité d’une minorité vulnérable et protégée sans pour autant faire preuve de discrimination à l’égard de ses membres ni porter atteinte à leur dignité humaine et à leur personnalité.
70 À titre préliminaire également, je tiens à souligner la pertinence de l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis Bob Jones University c. United States, 461 U.S. 574 (1983). Dans cet arrêt, la cour a refusé d’accorder une exonération fiscale à un établissement confessionnel qui, à l’époque, interdisait les fréquentations et les mariages interraciaux sur la foi de croyances religieuses apparemment sincères. Le juge en chef Burger a affirmé, au nom de la cour, [traduction] « [qu’]il ne saurait plus y avoir aucun doute que la discrimination raciale dans l’enseignement contrevient aux conceptions profondes et généralement acceptées de justice élémentaire » (p. 592). Il a ajouté que « [l’]université Bob Jones [. . .] prétend qu’elle ne fait pas preuve de discrimination raciale. Elle souligne qu’elle permet désormais aux personnes de toutes les races de s’inscrire, sous réserve seulement des restrictions en matière de conduite qu’elle impose à tous les étudiants, notamment son interdiction des associations d’hommes et de femmes de races différentes et des mariages interraciaux » (p. 605). L’exemple que cet arrêt américain fournit, soit l’interdiction des fréquentations et des mariages interraciaux, est difficile à distinguer, sur le plan des principes, de l’interdiction du comportement homosexuel ici en question. Pour paraphraser le juge en chef Burger, j’estime qu’il ne saurait plus y avoir aucun doute que la discrimination, fondée sur l’orientation sexuelle, dans l’enseignement contrevient aux conceptions profondes et généralement acceptées de justice élémentaire.
71 Ce ne sont pas les croyances religieuses des étudiants ou des membres du corps professoral de l’université Bob Jones qui ont motivé la décision de la Cour suprême des États-Unis, mais plutôt une règle de conduite disciplinaire qui interdisait les fréquentations et les mariages interraciaux. De même, dans la présente affaire où la différence marquante est le motif de discrimination, soit l’orientation sexuelle, c’est le Code des normes communautaires qui est en cause. Voir B. MacDougall, « Silence in the Classroom: Limits on Homosexual Expression and Visibility in Education and the Privileging of Homophobic Religious Ideology » (1998), 61 Sask. L. Rev. 41, p. 78 : [traduction] « Lorsqu’on supprime la caractérisation religieuse d’une question de discrimination fondée sur la race ou sur le sexe, la question devient beaucoup plus simple. Il devrait également en être ainsi de l’homosexualité. » J’estime donc qu’il est alarmiste, de la part de mes collègues, d’affirmer que « si les normes communautaires de l’UTW pouvaient être suffisantes en soi pour justifier le rejet de la demande d’agrément, on voit mal comment le même raisonnement ne pourrait pas servir à refuser de délivrer un brevet d’enseignement aux membres d’une confession particulière » (par. 33).
72 La conclusion du BCCT que le Code des normes communautaires de l’UTW comporte des pratiques discriminatoires est loin d’être manifestement déraisonnable. Le Code n’est pas une représentation des croyances; les croyances des étudiants de l’UTW ne sont pas en cause dans la présente affaire. En fait, il est impossible de savoir quelles sont les croyances de chaque étudiant car, comme on le reconnaît dans le Code, les croyances relèvent, en définitive, d’un choix personnel. Par contre, la signature du contrat des normes communautaires par l’étudiant ou l’employé le rend complice d’un acte de discrimination manifeste, mais non illégal, contre les homosexuels et les bisexuels. En toute déférence, je m’explique mal pourquoi mes collègues considèrent que cette signature s’inscrit dans le cadre de la liberté de croyance plutôt que dans celui de la liberté plus restreinte d’agir sur la foi d’une croyance (par. 36). Dans l’affaire Ross, précitée, la commission d’enquête a souligné que la législation en matière de droits de la personne « n’interdit pas à une personne d’avoir des pensées ou des idées discriminatoires. Toutefois, elle peut limiter le droit de cette personne d’être un enseignant lorsque ces idées sont exprimées publiquement d’une manière qui a des répercussions sur le milieu scolaire ou si ces idées influencent la façon dont l’enseignant traite ses élèves en classe » (par. 39 (je souligne)). Peu importe que la signature que les étudiants de l’UTW apposent au contrat des normes communautaires reflète ou non leurs véritables croyances, il n’est pas manifestement déraisonnable que le BCCT considère que leurs manifestations publiques de discrimination peuvent influer sur les milieux scolaires publics dans lesquels les diplômés de l’UTW souhaitent enseigner.
73 L’exigence que les étudiants et les employés de l’UTW endossent une politique discriminatoire envers ceux qui s’adonnent au « péché sexuel » du « comportement homosexuel » a de nombreuses répercussions. Comme mes collègues le reconnaissent, au par. 25, « un étudiant homosexuel ne serait pas tenté de présenter une demande d’admission et [. . .] il ne pourrait signer le prétendu contrat d’étudiant qu’à un prix très élevé sur le plan personnel ». Il y a lieu d’ajouter à cela qu’en pratique les membres homosexuels ou bisexuels du corps professoral et du personnel seraient eux aussi exclus du campus. Il s’agit d’un autre fait important car [traduction] « les membres du corps professoral doivent vraiment adopter ces normes et accepter d’enseigner conformément aux principes de l’école » (madame le juge Rowles, par. 265). Il est manifestement raisonnable de présumer l’existence d’une incidence négative sur la diversité et le pluralisme du campus. Cela est particulièrement vrai à la lumière de la recommandation de l’équipe du BCCT chargée d’approuver les programmes que les membres agrégés du corps professoral de l’UTW soient des enseignants en détachement du système scolaire public afin [traduction] « [d’]assurer une vision élargie du monde », étant donné qu’ils [traduction] « influencent considérablement le développement de l’élève-enseignant » (d.a., pp. 250 et 249). Je suis d’accord avec madame le juge Rowles que [traduction] « le “message” qu’envoie le contrat des normes communautaires de l’UTW, non seulement aux gais et aux lesbiennes mais également à chacun des membres de la communauté de l’UTW, est discriminatoire d’une façon qui peut être jugée contraire à l’intérêt public » (par. 226).
74 Je reconnais que la tolérance est également une valeur fondamentale des normes communautaires, qui exhortent notamment les étudiants à témoigner du [traduction] « respect pour son prochain, sans égard à la race ou au sexe ». Cette déclaration et d’autres déclarations similaires, comme celles qu’on trouve dans le document légèrement différent destiné aux membres du corps professoral et du personnel, peuvent bien englober implicitement la tolérance envers les gens qui ont une orientation homosexuelle ou bisexuelle et donner lieu à des interactions exemptes de discrimination. Cependant, je partage le point de vue de madame le juge Rowles que [traduction] « l’intérêt public dans le système scolaire public peut également commander davantage que la simple tolérance. Comme on l’a affirmé dans l’arrêt [Ross], précité, les enseignants des écoles publiques et les personnes qui administrent et régissent le système scolaire public peuvent être formellement tenus de garantir l’absence de discrimination dans nos écoles publiques » (par. 230). Voir Ross, précité, par. 50 « il ne suffit pas pour le conseil scolaire d’assumer un rôle passif. Il a l’obligation de maintenir un milieu scolaire positif pour toutes les personnes qu’il sert et il doit toujours veiller à écarter tout ce qui pourrait nuire à cette obligation. »
75 La décision du BCCT répond à une question plus complexe que celle de savoir si les diplômés de l’UTW seraient intolérants et feraient manifestement preuve de discrimination dans les écoles publiques. Pour rendre sa décision relative à la demande d’agrément, le BCCT s’était notamment demandé si, en raison du manque de préparation des diplômés, les pratiques discriminatoires de l’UTW étaient susceptibles d’avoir des effets préjudiciables sur le climat des salles de classe. Comme en fait foi le rapport qu’il a présenté à ses membres à l’automne 1996, le BCCT était préoccupé par [traduction] « l’intégrité et les valeurs du système scolaire public et par les établissements et programmes qui prépareront les diplômés à enseigner dans le système public ». On y ajoutait ceci :
[traduction] La motion adoptée par le Conseil reflète la conviction de la majorité que le contrat des normes communautaires de l’université Trinity Western fait preuve de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.
. . .
Qualifier un comportement homosexuel de péché a pour effet d’exclure les personnes ayant une orientation homosexuelle.
. . .
Les membres du Conseil ont également exprimé la crainte que la vision particulière du monde que l’université Trinity Western a en ce qui concerne le comportement homosexuel ait un effet préjudiciable sur le milieu d’apprentissage des écoles publiques. Selon le [BCCT], il est essentiel à l’exercice de la profession que l’enseignant soit en mesure de soutenir tous les enfants indépendamment de leur race, de leur couleur, de leur religion ou de leur orientation sexuelle, et ce, avec respect et sans porter de jugement à leur égard.
Le BCCT estimait donc que la seule manifestation par l’UTW de pratiques discriminatoires concernant le comportement homosexuel, soit le contrat des normes communautaires, pourrait avoir un effet négatif sur le climat des salles de classe.
76 Jusqu’à maintenant, tous les diplômés de l’UTW ont été requis de compléter leur cinquième année du programme de développement professionnel sous l’égide de l’université Simon Fraser (« USF »). Il n’y a donc aucun antécédent permettant d’évaluer la manière dont se comporteraient les diplômés de l’UTW en l’absence de cette cinquième année. Abstraction faite de ce problème méthodologique, je ne crois pas que des épisodes de comportement manifestement discriminatoire constituent des éléments de preuve au regard desquels la décision du BCCT doive être testée. Le BCCT se préoccupe du climat des salles de classe et il est manifestement raisonnable qu’il ait conclu à des conséquences possibles sur ce climat si les étudiants étaient autorisés à compléter leurs cinq années de formation dans le cadre du programme offert par leur université. Il est raisonnable pour le BCCT de craindre que les diplômés de l’UTW ne soient pas tout à fait préparés à enseigner dans le milieu diversifié des salles de classe des écoles publiques.
77 Mes collègues posent la question suivante : « Après avoir conclu que les étudiants de l’UTW ont des préjugés fondamentaux en raison de leurs croyances religieuses, comment le BCCT aurait-il pu croire que placer la dernière année du programme sous l’égide de l’université Simon Fraser corrigerait la situation? » (par. 38). En toute déférence, je ne suis pas d’accord que le BCCT ait tiré une telle conclusion qu’il existait des « préjugés fondamentaux en raison de [. . .] croyances religieuses ». De même, « [l]e programme et les pratiques de l’UTW et, en particulier, les déclarations exigées des étudiants et des membres du corps professoral [n’]ont [pas] été condamnés parce qu’ils reflétaient les croyances des signataires » (par. 21). Je répète que les croyances des étudiants de l’UTW n’ont pas été prises en considération dans la décision en cause (voir par. 63 et 72 des présents motifs). Le BCCT a simplement conclu à l’existence de pratiques discriminatoires en raison de la signature du contrat des normes communautaires. Je ne souscris pas non plus à l’idée que la cinquième année ne permet pas, d’une manière ou d’un autre, de « corrige[r] la situation ». C’est une question qu’il appartient aux éducateurs, et non pas aux juges, de trancher. Les croyances n’ont pas à être « corrigées » à la façon orwellienne, mais il est raisonnable de conclure que les enseignants doivent être en mesure de faire face à différents climats de salle de classe.
78 Sans me prononcer sur l’efficacité de l’exigence de la cinquième année, j’aimerais, pour les fins du dossier, énoncer les raisons qui pourraient inciter le BCCT à l’imposer. Il s’agit non pas d’un débat de fond, mais plutôt d’un exercice visant à montrer que l’exigence n’est pas irrationnelle en soi et qu’elle ne rend pas manifestement déraisonnable la décision du BCCT. La suppression de l’exigence d’une cinquième année supervisée par l’université Simon Fraser signifierait que ce serait désormais non plus cette dernière, mais plutôt l’UTW, un établissement qui prescrit une pratique discriminatoire, qui recommanderait la délivrance de brevets d’enseignement à des étudiants. Les étudiants de l’UTW n’auraient pas à réfléchir, comme c’est le cas dans le cadre du présent programme, sur les raisons pour lesquelles ils ne peuvent compléter leur formation à leur propre université avant de faire leur entrée dans le système scolaire public. L’année passée à l’USF pourrait être perçue comme ayant une importance symbolique à titre de catalyseur de cette introspection. Qui plus est, le BCCT pourrait raisonnablement conclure que la suppression de cette cinquième année engendrerait un coût pédagogique inacceptable en ce sens que les étudiants de l’UTW seraient moins exposés à la diversité et aux valeurs qui s’y rattachent. À l’heure actuelle, les étudiants de l’USF suivent à l’UTW des cours donnés sous l’égide de leur propre université. Au cours de l’année passée à l’USF, tant les membres du corps professoral que les étudiants de l’USF se rendent sur le campus de l’UTW (les étudiants de l’UTW se rendant, quant à eux, sur le campus de l’USF). Les étudiants de l’UTW sont ainsi exposés à une diversité de personnes et de valeurs qu’ils ne connaîtraient peut-être pas à l’UTW. La cinquième année permet également à des professeurs agrégés de l’USF de superviser le stage pédagogique.
79 Pendant la cinquième année, les étudiants de l’UTW passent sept semaines à l’UTW, six semaines à l’USF et 19 semaines en stage pédagogique, tout cela sous la supervision du personnel de l’USF. Le BCCT pouvait rationnellement juger que cela encourage l’interaction entre les étudiants de l’UTW et le corps professoral, le personnel et la population étudiante apparemment plus diversifiés de l’USF. Nous ne devrions pas mettre en question ce qui paraît être l’opinion d’expert du BCCT, soit que cette période est précieuse pour inculquer aux enseignants les compétences requises pour promouvoir et favoriser différents climats dans les salles de classe. Les croyances n’ont pas à changer, mais il n’est pas manifestement déraisonnable d’espérer qu’une personne fasse montre d’une plus grande ouverture d’esprit ou modifie ses attitudes. Il s’agit d’une question vitale, car [traduction] « [l]es attitudes des enseignants peuvent décider de l’acceptation ou du rejet de soi par les étudiants homosexuels » : J. H. Fontaine, « The Sound of Silence: Public School Response to the Needs of Gay and Lesbian Youth », dans M. B. Harris, dir., School Experiences of Gay and Lesbian Youth: The Invisible Minority (1997), 101, p. 105.
80 Au lieu de se plonger dans le contexte scolaire, ceux qui nous pressent de rejeter le présent pourvoi ne tiennent aucun compte du besoin pressant pour les enseignants des écoles publiques d’être attentifs aux préoccupations des étudiants homosexuels et bisexuels. Il est raisonnable d’insister pour que les diplômés des programmes agréés de formation des enseignants soient en mesure de faire en sorte qu’il règne, dans les salles de classe, un climat accueillant qui tienne compte le plus possible des besoins d’une population étudiante variée. Le rôle moderne de l’enseignant s’est diversifié et comporte autant un volet de conseiller qu’un volet d’éducateur. La Cour a souligné, dans l’arrêt Ross, précité, qu’« [e]n raison de la position de confiance qu’ils occupent, [les enseignants] exercent une influence considérable sur leurs élèves » (par. 43).
81 Comme l’a fait remarquer l’intervenante EGALE, il est très important de se rappeler, dans le contexte du présent pourvoi, que [traduction] « [p]arce que les jeunes homosexuels ou bisexuels sont presque toujours en minorité dans leur propre famille, ils ne bénéficient pas, lorsqu’ils commencent l’école, du soutien et de la compréhension dont les membres d’autres groupes minoritaires jouissent de la part de leur famille. Les écoles constituent donc une importante source secondaire de soutien pour les étudiants qui sont aux prises avec des problèmes de sexualité, et elles peuvent neutraliser l’effet d’un milieu familial hostile » (mémoire, par. 14). Voir également MacDougall, loc. cit., p. 44 : [traduction] « Nombreuses sont les familles qui affirment clairement que la découverte que leur enfant est homosexuel est la pire nouvelle qui puisse leur être annoncée, et que cela peut mener à l’exclusion du groupe familial »; K. A. Lahey, Are We “Persons” Yet? Law and Sexuality in Canada (1999), p. 197 : [traduction] « Les jeunes [homosexuels] qui sont exclus de leur famille bénéficient d’un soutien émotif et social insuffisant et perdent totalement le “filet de sécurité sociale” que représente leur famille. Cela les mène à la rue et peut les conduire au commerce du sexe ou à la consommation de drogues ou encore les jeter dans un engrenage de relations malsaines. »
82 La preuve montre qu’il existe un besoin pressant d’améliorer la situation des étudiants homosexuels et bisexuels dans les salles de classe au Canada. Dans son analyse bibliographique, intitulée Les expériences des jeunes gais à l’ère du VIH (1996), Santé Canada a fait remarquer ceci, aux p. 21 et 22 :
La discrimination implicite et explicite règne dans tout le système scolaire. Les écoles assument rarement leurs responsabilités à l’égard des jeunes lesbiennes, des bisexuels et des gais. Que ce soit en raison du manque de visibilité des modèles de comportement de gais dans le programme ou d’épithètes méprisantes dans les couloirs d’écoles, bien des jeunes gais voient l’école comme un endroit effrayant et hostile.
Un jeune gai qui a trouvé son identité, ou un autre qui n’en est pas certain, se voient bombarder de messages clairs ou subtils à l’effet que l’homosexualité n’est pas de mise. Les préjugés hétérosexuels dans les manuels scolaires et le manque d’information au sujet de l’homosexualité ne soutiennent guère les nombreux intérêts et besoins spéciaux des jeunes gais.
Cela conduit bien des jeunes à nier leur identité gaie et à rester dans l’anonymat à l’école. . .
Bien des enseignants et des conseillers ne se sentent guère à l’aise avec l’homosexualité et n’ont pas les compétences nécessaires pour aider un adolescent ou une adolescente qui les aborde avec des questions sur l’homosexualité. Étant donné que le corps enseignant manque de savoir-faire à cet égard, il rate des occasions d’aider les jeunes lesbiennes, bisexuels et gais avant qu’une crise ne survienne.
Voir également I. T. Kroll et L. B. Warneke, « The Dynamics of Sexual Orientation & Adolescent Suicide » (1995), p. 40 : [traduction] « En raison des fardeaux additionnels de l’anomie, du rejet et de la violence, le décrochage chez les jeunes qui ont une orientation homosexuelle demeure un grave problème. »
83 Dans un article daté du 3 avril 2000, la présidente de la Commission des droits de la personne de la Colombie-Britannique, Mary-Woo Sims, écrit que [traduction] « [l]es étudiants homosexuels, bisexuels et transsexuels subissent l’isolement, le harcèlement, l’intimidation et la violence à l’école. [. . .] [Ils] ont besoin de savoir qu’il y a d’autres étudiants et enseignants vers lesquels ils peuvent se tourner pour obtenir du soutien et de la compréhension » : voir « Gay/Straight Alliance Clubs — Understanding Our Differences» http://www.bchumanrights.org/text_only/PressReleases2000.asp#Gaystraightallianceclubs‑understandingourdifferences . Elle a analysé les résultats d’une étude intitulée Being Out: Lesbian, Gay, Bisexual & Transgender Youth in B.C.: an Adolescent Health Survey (1999). Fait important, ce sondage effectué en Colombie‑Britannique a permis de constater que 39 pour 100 des répondants [traduction] « ont révélé à un enseignant ou à un conseiller scolaire qu’ils étaient gais ou lesbiennes » (p. 6). Un tel résultat démontre qu’il est impératif de s’assurer que les étudiants homosexuels et bisexuels se sentent libres de demander des conseils à leurs enseignants. Il n’était pas manifestement déraisonnable que le BCCT conclue que, s’ils ne passaient pas une année sous l’égide de l’USF, les diplômés de l’UTW pourraient avoir une incidence négative sur le climat favorable requis dans les salles de classe en raison de leur engagement à respecter les normes communautaires. Il n’est pas manifestement déraisonnable que le BCCT croie que la tentative louable d’éliminer l’homophobie, réelle ou perçue, dans les écoles publiques consiste notamment à exiger que les étudiants de l’UTW complètent une cinquième année de formation sous la supervision d’un autre établissement.
84 Le rapport de la Colombie-Britannique révèle aussi que 37 pour 100 des jeunes gais et lesbiennes interrogés se sentent exclus à l’école. Aucun des jeunes n’a attribué une note élevée à la qualité de ses relations familiales. Presque 40 pour 100 de ceux-ci avaient une estime de soi particulièrement faible. Les deux tiers ont déclaré avoir souvent entendu d’autres étudiants faire des commentaires homophobes à l’école. Au cours de la dernière année, presque un étudiant sur cinq a été victime de violence physique à l’école.
85 Cette étude a permis de constater que 46 pour 100 des jeunes gais et lesbiennes avaient fait au moins une tentative de suicide. L’âge moyen des jeunes qui avaient fait une première tentative de suicide était de 13 ans. Voir aussi l’arrêt Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, par. 174, le juge Cory : « une étude menée par la Commission des droits de la personne du Québec a indiqué que l’isolement, le harcèlement et la violence imposés par le public et le rejet par la famille se sont traduits chez les jeunes homosexuels par un taux de suicide et de tentatives de suicide supérieur à celui des adolescents hétérosexuels », et Kroll et Warneke, loc. cit. : [traduction] « Le Canada compte l’un des taux de suicide chez les jeunes les plus élevés au monde. [. . .] Le tiers des adolescents qui se suicident semblent avoir une orientation homosexuelle. Le fait d’être continuellement aux prises avec la crainte et le rejet de la société décourage un bon nombre de ces jeunes. [. . .] L’isolement cognitif, émotif et social, l’homophobie constante manifestée et intériorisée, de même que l’absence de soutien peuvent amener les adolescents qui ont une orientation homosexuelle à percevoir le suicide comme leur seule porte de sortie. [. . .] Les adolescents qui restent dans l’anonymat et qui sont conscients de l’attirance qu’ils ressentent pour les personnes du même sexe, mais qui n’ont pas encore affirmé leur identité homosexuelle, risquent davantage de se suicider » (voir introduction et p. 1 et 4).
86 Compte tenu de ces statistiques et de ces observations, l’affirmation que [traduction] « [l]’homophobie [. . .] est une leçon que les étudiants (tant homosexuels qu’hétérosexuels) apprennent dans le cadre du programme d’études informel » est fort plausible : voir S. L. Nichols, « Gay, Lesbian, and Bisexual Youth: Understanding Diversity and Promoting Tolerance in Schools » (1999), 99 Elementary School Journal 505, p. 514. Voir également MacDougall, loc. cit., p. 41 : [traduction] « Le facteur le plus important qui contribue à perpétuer l’homophobie et la marginalisation des homosexuels, y compris la haine de soi que ressentent les homosexuels, est l’endoctrinement hétérosexiste intense que les enfants subissent. Cet endoctrinement se fait en grande partie dans les établissements d’enseignement. » Dans ce contexte, la décision du BCCT de refuser d’agréer l’UTW de façon inconditionnelle se veut une mesure proactive raisonnable destinée à prévenir tout problème de perception que pourraient avoir les étudiants, les parents, les collègues ou les membres du personnel à l’égard des enseignants qui n’ont pas complété une année de formation sous la supervision de l’USF, mais qui ont signé le contrat des normes communautaires. Comme l’intervenante la Fédération des enseignantes-enseignants des écoles secondaires de l’Ontario l’a noté dans sa plaidoirie :
[traduction] Affirmer qu’il faut attendre que le mal soit fait revient à affirmer que les enfants serviront de cobayes, alors que nous avons en fait le pouvoir de familiariser les étudiants de l’UTW, avant leur entrée dans le système scolaire public, avec la gamme des valeurs qu’ils sont censés répandre et respecter pendant qu’ils travaillent dans le système d’enseignement public.
87 Je suis d’accord avec madame le juge Rowles [traduction] « [qu’]il est loisible au Conseil de se préoccuper de savoir si les diplômés du programme visé par la demande d’agrément seront perçus comme défendant des valeurs non discriminatoires dans les salles de classe des écoles publiques » (par. 197 (je souligne)). Voir également l’arrêt Ross, précité, par. 44 :
Le comportement de l’intermédiaire qu’est l’enseignant doit traduire son adhésion à ces valeurs, croyances et connaissances que le système scolaire cherche à communiquer. Son comportement est évalué en fonction de la position même qu’il occupe, et non en fonction de la question de savoir si le comportement en cause a été adopté en classe ou ailleurs. L’enseignant est perçu dans la collectivité comme l’intermédiaire par lequel passe le message éducatif, et en raison de la position qu’il y occupe, il n’est pas en mesure de [traduction] «choisir le chapeau qu’il portera et dans quelle occasion» (voir Re Cromer and British Columbia Teachers’ Federation (1986), 29 D.L.R. (4th) 641 (C.A.C.‑B.), à la p. 660); ce chapeau d’enseignant, il ne l’enlève donc pas nécessairement à la sortie de l’école et, pour certains, il continue à le porter même après les heures de travail. C’est ce que [Allison] Reyes affirme, [«Freedom of Expression and Public School Teachers» (1995), 4 Dal. J. Leg. Stud. 35], à la p. 37:
[traduction] L’intégrité du système d’éducation dépend aussi en grande mesure de la perception de l’intégrité des enseignants. C’est dans cette mesure que l’expression à l’extérieur de la classe devient pertinente. Bien que les activités des enseignants à l’extérieur de la classe ne semblent pas influer directement sur leur capacité d’enseigner, elles peuvent entrer en conflit avec les valeurs perpétuées par le système d’éducation. [Les italiques sont de Mme Reyes.]
88 Il n’est pas manifestement déraisonnable que le BCCT ait rejeté la demande d’agrément dans les cas où la collectivité qui perçoit les enseignants des écoles publiques comprend des étudiants, parents, collègues et membres du personnel qui sont homosexuels ou bisexuels, des étudiants qui ont des proches et des amis homosexuels et bisexuels, ainsi que des adolescents à la recherche de leur propre identité sexuelle. Comme notre Cour l’a précisé dans l’arrêt Ross, par. 82, « [l]a création d’un milieu d’enseignement non discriminatoire où règne l’égalité et l’instauration d’un climat d’équité et de tolérance dans la classe revêtent une importance prépondérante dans l’éducation des jeunes enfants. Cela aide à promouvoir le respect de soi et l’acceptation par autrui » (je souligne). Au paragraphe 43 de cet arrêt, le juge La Forest conclut également :
Les enseignants sont inextricablement liés à l’intégrité du système scolaire. [. . .] Le comportement d’un enseignant influe directement sur la perception qu’a la collectivité de sa capacité d’occuper une telle position de confiance et d’influence, ainsi que sur la confiance des citoyens dans le système scolaire public en général. [Je souligne.]
Le comportement visé en l’espèce est simplement la signature, par les étudiants de l’UTW, du contrat des normes communautaires et son incidence potentielle sur le milieu d’apprentissage des écoles publiques.
89 Compte tenu de l’importance prépondérante des perceptions dans une salle de classe, je juge tristement ironique l’accent que mes collègues mettent sur la nécessité d’une preuve incontestable de l’existence d’un comportement discriminatoire. L’arrêt Ross prône une conception plus large du milieu scolaire (au par. 100) : « Pour éviter la discrimination, le milieu scolaire doit être un milieu où tous sont traités sur un pied d’égalité et encouragés à participer pleinement » (je souligne). De plus, la principale métaphore pour décrire la discrimination dont sont victimes les homosexuels et les bisexuels est celle du placard (« closet »), c’est-à-dire l’anonymat, souvent marqué par la peur, dans lequel ils se réfugient afin de passer inaperçus. En fait, les luttes livrées dans le passé contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ont été qualifiées de combat contre [traduction] « l’apartheid du placard » : W. N. Eskridge Jr., Gaylaw: Challenging the Apartheid of the Closet (1999). Voir, de manière générale, l’arrêt M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3, par. 64, le juge Cory : « Dans l’arrêt Egan [. . .] notre Cour, à la majorité, a explicitement reconnu que les gais, les lesbiennes et les bisexuels, “à titre individuel ou comme couples, forment une minorité identifiable, victime encore aujourd’hui de désavantages sociaux, politiques et économiques graves” (par. 175, le juge Cory; voir également, par. 89, le juge L’Heureux‑Dubé). »
90 Comme l’a écrit un commentateur, [traduction] « [l]es étudiants homosexuels de tous âges et de tous niveaux de scolarité ont ceci en commun que leur identité a été vilipendée, dénigrée ou complètement ignorée. Le fait que cette identité personnelle transcende toutes les frontières ethniques, culturelles, économiques et géographiques ou l’appartenance à un sexe rend les étudiants homosexuels universellement présents, quoique facilement invisibles » : C. Mathison, « The Invisible Minority: Preparing Teachers to Meet the Needs of Gay and Lesbian Youth » (1998), 49 Journal of Teacher Education 151, p. 154. Je crois que c’est le point de vue des étudiants qui importe avant tout et que, même si les diplômés de l’UTW n’accomplissent ouvertement aucun acte discriminatoire, ce point de vue justifie amplement la décision du BCCT.
91 En l’absence d’un climat favorable dans les salles de classes, les étudiants homosexuels et bisexuels seront forcés de rester dans l’ombre et hésiteront à se confier à leurs enseignants. Ils seront victimes d’un effacement identitaire et forcés d’endurer ce que le professeur Kathleen Lahey a qualifié de [traduction] « “spirale du silence” dans laquelle les lesbiennes et les gais modifient leur comportement afin d’éviter les effets des préjugés » : voir Brillinger c. Brockie (2000), 37 C.H.R.R. D/15, par. 34. La décision du BCCT, selon laquelle les diplômés de l’UTW seront plus susceptibles de faire régner un climat accueillant dans les salles de classe après avoir participé au programme de l’USF pendant un an, n’est pas manifestement déraisonnable. La plupart des éléments de preuve pertinents en l’espèce ont trait à la réalité de milieux scolaires hostiles à laquelle font face les étudiants homosexuels et bisexuels. En empiétant sur le domaine de la pédagogie, les tribunaux infligent un revers aux tentatives du BCCT d’assurer la réceptivité et l’empathie de ses membres à l’égard des antécédents et des caractéristiques de tous les étudiants.
IV. Arguments fondés sur la Charte
92 Ayant conclu au terme de mon analyse du droit administratif que la décision du BCCT n’était pas manifestement déraisonnable, je vais maintenant aborder les arguments fondés sur la Charte que les intimées ont avancés. Leur argumentation concerne des allégations de violation des al. 2b), d) et a), ainsi que de l’art. 15.
93 Je partage l’avis de madame le juge Rowles, la seule à avoir examiné les arguments fondés sur la Charte en Cour d’appel, que [traduction] « [l]a signature du contrat des normes communautaires de l’UTW peut bien être une activité expressive protégée par l’al. 2b), mais il ne s’ensuit pas que les conséquences de cette activité échappent à tout examen par l’organisme responsable de la délivrance des brevets d’enseignement » (par. 270). L’arrêt Ross précise que les tribunaux saisis d’allégations de violation de l’al. 2b) doivent déterminer « si l’action gouvernementale attaquée a pour objet ou pour effet de restreindre la liberté d’expression d’un particulier » (par. 64). Contrairement à la situation dans l’arrêt Ross, le but visé ici n’est pas de restreindre la liberté d’expression. La décision du BCCT vise plutôt le maintien d’un climat favorable dans les salles de classe. Il en résulte cependant une restriction de la liberté d’expression de Mme Lindquist en ce sens que les étudiants de l’UTW qui signent le contrat des normes communautaires perdent la chance d’obtenir automatiquement un brevet d’enseignement les autorisant à enseigner dans des écoles publiques. Ayant conclu à l’existence d’une violation des droits individuels, je vais présumer, sans toutefois le décider, qu’il y a également entrave à la liberté d’expression de l’UTW. À mon avis, ces violations sont justifiées au regard de l’article premier.
94 Mes collègues écrivent que « nous sommes en présence d’une situation dans laquelle il y a lieu de régler tout conflit éventuel en délimitant correctement les droits et valeurs en cause. Essentiellement, une bonne délimitation de la portée des droits permet d’éviter un conflit en l’espèce » (par. 29). J’estime que, compte tenu des faits dont nous sommes saisis, il est plus approprié de procéder à une analyse fondée sur l’article premier; dans l’arrêt Ross, précité, la Cour a, dans des circonstances similaires, encouragé et effectué elle-même l’analyse fondée sur l’article premier (voir par. 66 des présents motifs). Voir également l’arrêt R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, par. 153, les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et Bastarache : « Lorsqu’ils sont appelés à déterminer si une atteinte est justifiée au sens de l’article premier, les tribunaux doivent tenir compte des droits et des valeurs opposés qui existent dans notre démocratie »; B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, précité, par. 118, le juge La Forest : « Je suis heureux de constater que mes collègues conviennent que l’évaluation des droits opposés pourrait être intégrée dans une analyse fondée sur l’article premier puisque, à l’exception de dispositions spécifiques comme la “justice fondamentale”, cette analyse représente le seul instrument d’évaluation prévu sous le régime de la Charte. Cette dernière ne prévoit aucune évaluation directe de droits constitutionnels l’un par rapport à l’autre. Elle vise plutôt l’ingérence gouvernementale et législative dans les droits garantis; voir l’art. 32 de la Charte. » L’approche contextuelle de l’article premier assure une protection à tous les intérêts en cause et permet d’examiner soigneusement toutes les répercussions de la mesure étatique contestée voir l’opinion de madame le juge Wilson, dans Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, p.1355-1356 (« La méthode contextuelle tente de mettre clairement en évidence l’aspect du droit ou de la liberté qui est véritablement en cause dans l’instance ainsi que les aspects pertinents des valeurs qui entrent en conflit avec ce droit ou cette liberté. Elle semble mieux saisir la réalité du litige soulevé par les faits particuliers et être donc plus propice à la recherche d’un compromis juste et équitable entre les deux valeurs en conflit en vertu de l’article premier. »). L’analyse suivante de la violation de l’al. 2b) accorde au contexte cette attention impérative et utile.
95 Le contexte, en l’espèce, commande de faire preuve de retenue à l’égard de la décision contestée en raison du milieu d’enseignement public et de la vulnérabilité du groupe qu’on cherche à protéger : voir Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, par. 87 : « le contexte est l’indispensable support qui permet de bien qualifier l’objectif de la disposition attaquée, de décider si cet objectif est justifié et d’apprécier si les moyens utilisés ont un lien suffisant avec l’objectif valide pour justifier une atteinte à un droit garanti par la Charte ». Comme notre Cour l’a affirmé dans l’arrêt Ross, précité, par. 82 : « Il ne fait aucun doute que tenter de promouvoir l’égalité, le respect et la tolérance dans le système d’enseignement canadien est un objectif louable. Toutefois, l’autre facteur déterminant en l’espèce est la nature des services éducatifs en question: il s’agit ici de l’éducation de jeunes enfants. » Voir également Sharpe, précité, par. 169, les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et Bastarache : « En raison de leur immaturité physique, mentale et émotive, les enfants forment un des groupes les plus vulnérables de la société »; Office des services à l’enfant et à la famille de Winnipeg c. K.L.W., [2000] 2 R.C.S. 519, 2000 CSC 48, par. 73 : « les enfants sont vulnérables et [. . .] dépendent de leurs parents ou d’autres personnes responsables des soins pour les nécessités de la vie de même que pour leur développement et leur bien‑être physique, affectif et intellectuel. La protection des enfants est en conséquence devenue un objectif universellement reconnu: voir la Convention relative aux droits de l’enfant, R.T. Can. 1992 no 3, maintenant ratifiée par 191 États, dont le Canada. »
96 Dans la section portant sur le droit administratif, mon examen de l’objectif sous-jacent de la décision du BCCT, qui est de protéger le climat des salles de classe dans les écoles publiques en garantissant que les enseignants satisfont aux normes requises du BCCT, montre qu’il s’agit là d’un objectif urgent et réel, comme l’exige l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Je suis d’avis que la décision du BCCT satisfait également au critère de proportionnalité énoncé dans l’arrêt Oakes. La restriction de la liberté d’expression comporte un lien rationnel avec l’objectif du BCCT de maintenir un climat favorable et accueillant dans les salles de classe. L’activité expressive en cause, soit la signature du contrat des normes communautaires, est elle-même à l’origine de la préoccupation du BCCT concernant les répercussions qu’aurait sur l’enseignement la suppression de l’année à l’USF du programme de formation des enseignants de l’UTW. La restriction de cette activité expressive a donc un lien rationnel avec le mandat du BCCT de protéger l’intérêt public. Comme je l’ai indiqué dans mon analyse du droit administratif, le BCCT craignait raisonnablement une détérioration du climat des salles de classe; il n’est pas nécessaire de faire une preuve scientifique de cause à effet entre l’objectif visé et le moyen choisi pour l’atteindre : voir l’arrêt Ross, précité, par. 101.
97 De plus, je partage l’opinion de madame le juge Rowles [traduction] « [qu’il] serait inapproprié pour notre Cour de proposer ou d’adopter un ensemble précis de conditions à remplir pour satisfaire à l’objectif impérieux que le Conseil poursuit dans le système scolaire public » (par. 291). Comme madame le juge McLachlin (maintenant Juge en chef) l’a écrit, au nom des juges majoritaires, dans l’arrêt RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 160, « [s]i la loi se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables, les tribunaux ne concluront pas qu’elle a une portée trop générale simplement parce qu’ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l’objectif et à la violation ». Voir aussi l’arrêt Adler c. Ontario, [1996] 3 R.C.S. 609, par. 220, le juge McLachlin :
Lorsque des questions sociales sont en jeu, les tribunaux abordent avec énormément de retenue la décision du législateur pour ce qui est de déterminer l’atteinte requise pour réaliser la fin souhaitée. Il n’est pas difficile d’évoquer des solutions hypothétiques qui pourraient porter moins atteinte au droit en question que la solution retenue par le législateur. Cela n’est pas suffisant en soi pour permettre aux tribunaux de déclarer que la solution du législateur viole la Charte. Pourvu que la mesure se situe à l’intérieur d’une gamme de solutions acceptables au problème, elle satisfait au critère de l’atteinte minimale: Edwards Books, précité, Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123, R. c. Chaulk, [1990] 3 R.C.S. 1303.
Du fait qu’elle se situe dans la gamme de solutions acceptables, la décision du BCCT satisfait au volet de l’atteinte minimale du critère de l’arrêt Oakes. Enfin, l’ampleur des effets préjudiciables sur l’UTW et ses étudiants comme Mme Lindquist est plus que compensée par les gains salutaires qui en résulteront vraisemblablement dans les salles de classe. Je suis donc d’avis que la violation de l’al. 2b) entraînée par la décision du BCCT est justifiée au regard de l’article premier.
98 Vu que je conclus, dans les présents motifs, à l’absence de violation injustifiée de droits individuels, l’argument de Mme Lindquist fondé sur l’al. 2d) échoue également puisque les étudiants de l’UTW ne sont pas inconstitutionnellement empêchés d’exercer collectivement leurs droits individuels : voir Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Territoires du Nord‑Ouest (Commissaire), [1990] 2 R.C.S. 367, p. 403, le juge Sopinka. Les commentaires que j’ai faits dans cet arrêt sont tout aussi pertinents en l’espèce, mais uniquement en ce qui concerne le contrat des normes communautaires : « Bien que leur poursuite puisse être légitime, les objectifs de certaines associations peuvent être soit sexistes soit racistes ou encore de quelque autre manière méprisables. Je considère qu’il est difficile d’affirmer que la liberté visée à l’al. 2d) a été conçue pour englober ces objectifs » (p. 393).
99 En outre, les intimées soutiennent qu’il a été porté atteinte à leur liberté de religion. L’argument de l’UTW se heurte au fait que notre Cour n’a pas encore décidé si une entité morale confessionnelle peut invoquer l’al. 2a) ou si, en contestant la décision du BCCT, l’UTW a qualité pour agir de plein droit : voir l’arrêt Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157. Je vais présumer, sans toutefois le décider, que l’UTW peut invoquer l’al. 2a). J’estime cependant que cet argument n’est pas fondé. Je souscris à l’analyse analogue que madame le juge Wilson fait de la délivrance d’un certificat par une école confessionnelle dans l’arrêt Jones, précité, p. 312. Comme c’était le cas dans cette affaire, la mesure étatique contestée en l’espèce « ne porte pas atteinte à la liberté religieuse; elle compose avec elle. Elle [. . .] autorise des écoles, comme celle de [l’intimée l’UTW], qui ont une orientation religieuse. C’est une législation souple qui n’a qu’un seul but — que tous les enfants reçoivent un enseignement adéquat. »
100 Quant à l’argument fondé sur l’al. 2a) que Mme Lindquist a avancé à titre individuel, je m’en tiens à l’analyse de l’al. 2a) qui figure dans les motifs dissidents que j’ai rédigés dans Adler, précité, par. 72 :
Si l’alinéa 2a) de la Charte s’intéresse avant tout aux restrictions qu’il faut apporter à une possibilité d’ingérence coercitive de l’État dans le « choix » initial objectif qu’une personne fait de sa religion, l’art. 15, lui, garantit que les conséquences sur le plan du comportement et de la foi — liées à ce choix initial et non considérées comme facultatives par celui qui invoque ces droits — ne seront pas touchées par des mesures prises par l’État d’une façon qui porte atteinte à la dignité et à la considération inhérentes dont il faut faire preuve envers tout être humain. En conséquence, les mécanismes de protection prévus à l’art. 15 pourraient être d’une plus grande étendue que ceux visés à l’al. 2a) du fait que notre préoccupation passe alors de l’aspect coercitif de la mesure prise par l’État à son incidence sur la valeur et la dignité de la personne et du groupe dans le contexte socio‑économique du jour.
Je vais donc confiner mon évaluation des droits religieux que la Charte garantit à Donna Lindquist à l’argument fondé sur l’art. 15 qu’elle avance. Il n’y a eu aucune violation des droits que lui garantit l’al. 2a).
101 Madame le juge Rowles a conclu que, dans la présente affaire, [traduction] « en fréquentant l’école confessionnelle de leur choix, les étudiants étaient exclus du processus de délivrance automatique d’un brevet d’enseignement les autorisant à enseigner dans des écoles publiques. Cela constitue un effet préjudiciable lié aux convictions religieuses des étudiants » (par. 276). Elle a donc décidé qu’il y avait violation de l’art. 15. Cette décision a précédé l’arrêt de notre Cour Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497. Compte tenu des lignes directrices réunies et appliquées dans cet arrêt et dans la jurisprudence subséquente, j’estime que Mme Lindquist n’a pas démontré l’existence d’une violation de l’art. 15.
102 D’après les lignes directrices de l’arrêt Law, il faut se demander si la mesure étatique contestée établit entre le demandeur et d’autres personnes une distinction formelle fondée sur une seule ou plusieurs caractéristiques personnelles. Il faut également se demander si le demandeur fait l’objet d’une différence de traitement fondée sur un seul ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues. La distinction et la différence de traitement qui résultent de la décision du BCCT sont fondées non pas sur la religion de Mme Lindquist, mais sur la signature même du contrat des normes communautaires par les étudiants de l’UTW. Il y a tout lieu de croire que le BCCT serait tout aussi préoccupé si un établissement laïque privé imposait une pratique discriminatoire (en supposant, pour les fins de la discussion, que cet équivalent laïque hypothétique de l’UTW échapperait également à l’application de la législation relative aux droits de la personne). La décision contestée est tout à fait neutre quant à la religion de la demanderesse. J’estime que le présent pourvoi illustre le genre de contestation fondée sur l’art. 15 que la Cour a prédit dans l’arrêt Law. Dans cet arrêt, le juge Iacobucci parle de cas de « discrimination par suite d’effets préjudiciables [. . .] où une loi s’appliquant indistinctement à tous omet de tenir compte des caractéristiques ou de la situation personnelles du demandeur sans toutefois porter atteinte à sa dignité. Dans de tels cas, on pourrait dire que, la loi ayant un effet vraiment différent sur le demandeur, il y a une différence de traitement réelle entre le demandeur et les autres personnes, sans qu’il y ait pour autant discrimination au sens du par. 15(1) » (par. 86 (je souligne)).
103 L’arrêt Law, précité, par. 53, décrit ce que signifie la dignité humaine :
La dignité humaine signifie qu’une personne ou un groupe ressent du respect et de l’estime de soi. Elle relève de l’intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelles qui n’ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne. Elle est rehaussée par des lois qui sont sensibles aux besoins, aux capacités et aux mérites de différentes personnes et qui tiennent compte du contexte sous‑jacent à leurs différences. La dignité humaine est bafouée lorsque des personnes et des groupes sont marginalisés, mis de côté et dévalorisés, et elle est rehaussée lorsque les lois reconnaissent le rôle à part entière joué par tous dans la société canadienne. Au sens de la garantie d’égalité, la dignité humaine n’a rien à voir avec le statut ou la position d’une personne dans la société en soi, mais elle a plutôt trait à la façon dont il est raisonnable qu’une personne se sente face à une loi donnée. La loi traite‑t‑elle la personne injustement, si on tient compte de l’ensemble des circonstances concernant les personnes touchées et exclues par la loi? [Je souligne.]
Ce qui importe, pour reprendre mes motifs dans l’arrêt Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, « [j]e tiens à souligner que la “personne raisonnable” prise en considération dans cette analyse subjective‑objective [de la dignité humaine] comprend et admet non seulement la situation des personnes qui sont comme elle, mais elle est également sensible à la situation d’autrui. Par conséquent, dans les cas où une mesure législative produit des effets sur divers groupes, spécialement si ces groupes sont défavorisés, cette analyse subjective‑objective tiendra compte des expériences et besoins particuliers de chacun de ces groupes » (par. 65 (dernier soulignement ajouté)). À mon avis, le groupe défavorisé en l’espèce est celui composé des élèves homosexuels et bisexuels des écoles publiques, qui sont généralement aux prises avec la « préexistence d’un désavantage, de vulnérabilité, de stéréotypes ou de préjugés » (Law, précité, par. 63). C’est leur dignité humaine qui est véritablement en jeu.
104 L’arrêt Law énumère trois autres facteurs contextuels utiles pour déterminer si une mesure étatique a porté atteinte à la dignité humaine. Avant d’examiner ces facteurs, j’aimerais préciser que je reconnais que Mme Lindquist a pu elle-même se sentir traitée différemment en raison de ses croyances religieuses. J’estime néanmoins qu’une analyse à la fois subjective et objective des facteurs contextuels de l’arrêt Law révèle que la décision du BCCT d’attacher des conséquences à la signature du contrat des normes communautaires par les étudiants de l’UTW ne porte pas atteinte à la dignité humaine de Mme Lindquist. Une personne raisonnable qui aurait des caractéristiques similaires à celles de la demanderesse, qui serait bien informée des circonstances et du contexte et qui les prendrait en considération de façon rationnelle, pour citer l’arrêt Law, par. 61, n’aurait pas l’impression d’être moins capable ou de moins mériter d’être reconnue ou valorisée en tant qu’être humain ou en tant que membre de la société canadienne qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération voir l’arrêt Law, précité, par. 49, où on cite Egan, précité, par. 39, le juge L’Heureux-Dubé.
105 Elle tiendrait compte du fait qu’un établissement public ne pourrait pas obliger ses étudiants à se livrer à la pratique discriminatoire de l’UTW. Cette discrimination obligatoire fait en sorte que l’accent mis par le BCCT sur la complicité des étudiants de l’UTW à cet égard ne peut pas être qualifié de stéréotype. Selon l’arrêt Law, précité, par. 64, « [u]n stéréotype peut se définir comme une conception erronée à partir de laquelle une personne ou, la plupart du temps un groupe, est injustement dépeint comme possédant des caractéristiques indésirables, ou des caractéristiques que le groupe, ou au moins certains de ses membres, ne possède pas. » En l’espèce, il est indéniable que les étudiants de l’UTW apposent leur signature à un document discriminatoire.
106 Notre personne raisonnable ferait également observer que, bien que l’exemption religieuse de l’application de la législation relative aux droits de la personne permette aux établissements confessionnels de formation des enseignants de s’autogérer sans l’intervention de l’État en Colombie-Britannique, dès que les diplômés demandent un brevet d’enseignement les autorisant à enseigner dans des écoles publiques, l’intérêt public revêt alors une importance prépondérante et des exigences laïques raisonnables peuvent être imposées sans porter atteinte à la liberté de religion : voir l’arrêt Jones, précité. Si l’exemption religieuse pouvait permettre aux diplômés de l’UTW d’échapper à un examen complet de leurs aptitudes à travailler et d’être perçus comme étant efficaces dans diverses salles de classe, ces étudiants seraient alors avantagés par rapport aux diplômés des établissements publics, que les intimées proposent comme groupe de comparaison approprié. Priver les étudiants de l’UTW d’un tel avantage ne porte pas atteinte à leur dignité humaine.
107 Les quatre facteurs contextuels décrits dans l’arrêt Law indiquent tous qu’il n’y a pas lieu de conclure qu’il y a eu atteinte à la dignité humaine de Mme Lindquist. J’ai déjà mentionné que le groupe historiquement défavorisé en l’espèce est composé des étudiants homosexuels et bisexuels des écoles publiques. Le deuxième facteur pertinent auquel renvoie l’arrêt Law consiste à déterminer si la mesure étatique tient compte de la situation véritable du demandeur. La décision du BCCT tenait compte du fait que des étudiants comme Mme Lindquist avaient signé le contrat des normes communautaires. Pourtant, le BCCT n’a pas tenu compte de la situation de Mme Lindquist sur le plan religieux parce que celle-ci n’a pas pris part aux procédures et parce que le motif énuméré qu’est la religion n’était pas pertinent pour les fins de la décision. J’estime cependant que cela ne porte pas atteinte à la dignité humaine de Mme Lindquist, étant donné que les droits que lui garantit la Charte n’auraient pas pu être dûment considérés lors des délibérations du BCCT.
108 Le troisième facteur relevé dans l’arrêt Law est l’objet ou l’effet d’amélioration : « Un objet ou un effet apportant une amélioration qui est compatible avec l’objet du par. 15(1) de la Charte ne violera vraisemblablement pas la dignité humaine de personnes plus favorisées si l’exclusion de ces personnes concorde largement avec les besoins plus grands ou la situation différente du groupe défavorisé visé par les dispositions législatives » (par. 72). Voir également l’arrêt Lovelace c. Ontario, [2000] 1 R.C.S. 950, 2000 CSC 37, par. 95, où on analyse la manière dont le texte du par. 15(2) sert d’outil d’interprétation du par. 15(1) et où on cite, en les approuvant, les propos que madame le juge Wilson a tenus dans l’arrêt Harrison c. Université de la Colombie‑Britannique, [1990] 3 R.C.S. 451, p. 474-475 : « Par ses termes mêmes, le par. 15(2) nous assure de la constitutionnalité des mesures destinées à améliorer la situation de ceux qui sont défavorisés [. . .] (en d’autres termes, ceux qui ont été victimes de la discrimination). De cette façon, le par. (2) renforce la notion adoptée par cette Cour dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, selon laquelle la garantie d’égalité vise essentiellement à protéger contre la discrimination. » Dans les présents motifs, j’ai expliqué pourquoi les étudiants homosexuels et bisexuels ont un besoin pressant de disposer d’un climat accueillant et favorable dans les salles de classe. La décision du BCCT tente d’atténuer l’effet sur ce groupe défavorisé d’une pratique discriminatoire à laquelle se livre le groupe représenté par l’auteur de la demande fondée sur l’art. 15. Cela représente nettement une mesure destinée à améliorer la situation, mesure qui ne porte pas atteinte à la dignité humaine de Mme Lindquist.
109 Le quatrième facteur de l’arrêt Law a trait à la nature du droit touché et m’indique également qu’il n’y a eu aucune atteinte perceptible à la dignité humaine de Mme Lindquist. Dans l’arrêt Law, on a cité, en l’approuvant, la partie pertinente de mes motifs dans l’arrêt Egan, précité. Dans ce dernier arrêt, j’avais écrit que « les droits du groupe qui est complètement exclu ou ignoré seront touchés plus gravement que si la distinction législative reconnaît ou accommode effectivement le groupe, de façon cependant plus limitée que certains le souhaiteraient » (par. 64 (souligné dans l’original)). Voir également l’arrêt Lovelace, précité, par. 88. Selon moi, la décision du BCCT n’a pas une incidence assez grave sur Mme Lindquist pour que nous puissions conclure que son droit de ne pas étudier sous l’égide de l’USF est touché à tel point qu’il y a atteinte à sa dignité humaine. Il lui est toujours loisible de demander au BCCT de lui délivrer un brevet d’enseignement à titre individuel, et l’exigence de passer une année à l’USF n’est pas trop onéreuse en ce qui la concerne ou en ce qui a trait à l’avenir du milieu d’enseignement de l’UTW. La décision du BCCT ne fait que maintenir le status quo ante des étudiants de l’UTW. Elle ne touche que le droit de Mme Lindquist à la délivrance automatique d’un brevet d’enseignement dont bénéficient les étudiants de l’UTW, puisque l’UTW ne possède aucun droit à la délivrance d’un tel brevet par le BCCT. Le BCCT cherche non pas à pénaliser les futurs enseignants provenant de l’UTW, mais à garantir qu’ils ont les qualifications requises pour enseigner dans les écoles publiques de la Colombie-Britannique.
110 Je termine donc mon analyse fondée sur la Charte en concluant que l’on n’a pas démontré l’existence d’une atteinte aux droits à l’égalité que l’art. 15 garantit à Mme Lindquist.
V. Conclusion
111 J’ai conclu que le BCCT avait compétence pour prendre en considération les pratiques discriminatoires de l’UTW. Appliquant la norme de contrôle du caractère manifestement déraisonnable, j’ai ensuite démontré pourquoi il y a lieu de confirmer la décision du BCCT de ne pas agréer un programme autonome de formation des enseignants offert par l’UTW. Enfin, j’ai rejeté les contestations de la décision fondées sur la Charte. Pour ces motifs, j’accueillerais le pourvoi et j’annulerais les ordonnances du juge de première instance.
Pourvoi rejeté avec dépens, le juge L’Heureux‑Dubé est dissidente.
Procureurs de l’appelant : Nelson & Vanderkruyk, Vancouver.
Procureurs des intimées : Kuhn & Company, Abbotsford (Colombie‑Britannique).
Procureurs de l’intervenante l’Alliance évangélique du Canada : Stikeman, Elliott, Toronto.
Procureurs de l’intervenante la Fédération des enseignantes‑enseignants des écoles secondaires de l’Ontario : Green & Chercover, Toronto.
Procureurs de l’intervenante la Conférence des évêques catholiques du Canada : Barnes, Sammon, Ottawa.
Procureurs de l’intervenante la British Columbia Civil Liberties Association : Lindsay Kenney, Vancouver.
Procureurs de l’intervenante EGALE Canada Inc. : Elliott & Kim, Toronto.
Procureurs des intervenantes la Christian Legal Fellowship et l’Église adventiste du septième jour au Canada : Fraser Milner Casgrain, Calgary.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Gowling, Strathy & Henderson, Toronto.
* Voir Erratum [2002] R.C.S. iv