LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 septembre 2021
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 1050 FP-B
Pourvoi n° G 20-10.851
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 SEPTEMBRE 2021
M. [G] [Y], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 20-10.851 contre l'arrêt rendu le 15 octobre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 11), dans le litige l'opposant à la société SNCF voyageurs, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de l'EPIC SNCF mobilités, défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Marguerite, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [Y], de la SAS Cabinet Colin - Stoclet, avocat de la société SNCF voyageurs, les plaidoiries de Me [S] et celles de Me Colin, et l'avis de Mme Berriat, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 juin 2021 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Marguerite, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mme Farthouat-Danon, M. Schamber, Mme Leprieur, MM. Rinuy, Pion, Ricour, Pietton, Mmes Cavrois, Pécaut-Rivolier, Monge, Le Lay, conseillers, Mmes Ala, Chamley-Coulet, M. [Y], conseillers référendaires, Mme Berriat, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 octobre 2019), M. [Y], employé en dernier lieu en qualité de chef subdivision conduite du changement au sein de la direction de l'infrastructure de l'EPIC SNCF mobilités, aux droits duquel vient la société SNCF voyageurs, a fait l'objet le 29 juin 2015 d'une radiation des cadres, après avis du conseil de discipline.
2. Il a saisi la juridiction prud'homale afin de contester la régularité et le bien-fondé de cette mesure.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que la radiation des cadres est régulière et bien fondée et de le débouter de l'intégralité de ses demandes afférentes à cette radiation, alors « que selon le statut du personnel de la SNCF, lorsqu'une majorité absolue de voix converge vers un niveau de sanction, ce niveau constitue l'avis du conseil de discipline, il y a alors un seul avis, le directeur ne peut prononcer une sanction plus sévère ; que lorsqu'aucun niveau de sanction ne recueille la majorité des voix, le conseil a émis plusieurs avis ; que dans ce cas, il y a lieu de tenir compte des avis émis par le conseil de discipline en déterminant une majorité, ou tout au moins le partage des avis en deux parties ; que pour ce faire, les voix qui se sont portées sur la plus sévère des sanctions s'ajoutent à l'avis ou aux avis du degré inférieur qui se sont exprimés ; que le directeur ne peut prononcer une sanction plus sévère à l'avis ainsi déterminé ; qu'en l'espèce, pour dire le licenciement justifié, la cour d'appel a retenu que le directeur avait pu prononcer la sanction correspondant à l'avis le plus élevé, à savoir la radiation des cadres, dès lors que le conseil de discipline s'était prononcé à trois voix pour cette radiation et trois voix pour un avertissement avec mise à pied et rétrogradation ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses constatations que le directeur ne pouvait prononcer un licenciement à défaut de majorité absolue convergeant vers un tel niveau de sanction, la cour d'appel a violé le référentiel RH00144 interne à la SNCF, ensemble les articles 6.10 et 6.11 du chapitre 9 du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 6.10 et 6.11 du chapitre 9 du référentiel RH0001 de la SNCF, portant statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel, et les mentions portées sous l'article 26.8 du référentiel RH 00144 interne à la SNCF, dans sa version du 11 juillet 2012 :
5. Il résulte de la lecture combinée de ces articles que, lorsqu'une majorité absolue de voix converge vers un niveau de sanction, ce niveau constitue l'avis du comité de discipline, il y a alors un seul avis, le directeur ne peut prononcer une sanction plus sévère. Mais, lorsqu'aucun niveau de sanction ne recueille la majorité des voix, le conseil a émis plusieurs avis et, dans ce cas, il y a lieu de tenir compte des avis émis par le conseil pour déterminer une majorité, ou tout au moins le partage des avis en deux parties. Pour ce faire, les voix qui se sont portées sur la plus sévère des sanctions s'ajoutent à l'avis ou aux avis du degré inférieur qui se sont exprimés, jusqu'à avoir trois voix.
6. En conséquence, en cas de partage de voix en deux parties égales de trois voix chacune, la sanction la plus sévère n'ayant pas recueilli la majorité absolue des voix exprimées, il y a lieu d'ajouter les voix qui se sont portées sur cette sanction à l'avis ou aux avis du degré inférieur qui se sont exprimés. Le directeur peut prononcer une sanction correspondant à l'avis le plus élevé ainsi déterminé.
7. Pour dire la mesure de radiation des cadres régulière, l'arrêt retient que le conseil de discipline s'est prononcé par trois voix pour la radiation des cadres et par trois voix pour un dernier avertissement avec mise à pied de douze jours et rétrogradation à la qualification inférieure et que le directeur pouvait donc prononcer la sanction la plus sévère, à savoir la radiation des cadres.
8. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le directeur ne pouvait prononcer une radiation des cadres, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne l'EPIC SNCF mobilités à verser à M. [Y] en deniers ou quittance avec intérêts légaux à compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation les sommes de 1 582,66 euros à titre de rappel de prime plus 158,26 euros pour congés payés afférents avec remise du bulletin de salaire correspondant et attestation Pôle emploi rectifiés, l'arrêt rendu le 15 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la société SNCF voyageurs aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société SNCF voyageurs et la condamne à payer à M. [Y] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux septembre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [Y].
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que la radiation des cadres est régulière et bien fondée et d'AVOIR débouté le salarié de l'intégralité de ses demandes afférentes à cette radiation.
AUX MOTIFS QUE sur l'application des dispositions statutaires, [?] dans sa séance du 25 juin 2015, le conseil de discipline composé de six membres a émis l'avis suivant : 3 voix pour la radiation des cadres et 3 voix pour un dernier avertissement avec mise à pied de 12 jours et rétrogradation à la qualification inférieure ; que dès lors, la radiation des cadres étant la sanction la plus sévère, c'est à bon droit et par une application stricte et exacte des textes précités que le directeur a prononcé la radiation des cadres ; que sur les faits reprochés, [?] le délai de prescription des faits poursuivis ne court qu'à compter du jour où l'employeur a une connaissance exacte, de la nature et de la réalité des faits reprochés ; qu'en l'espèce, les faits signalés par le délégué du personnel à l'employeur ont nécessité une enquête qui seule a révélé tant les circonstances que l'ampleur des faits de harcèlement dénoncés ; que cette enquête a été menée dans un délai normal de réaction de l'employeur qui, alerté le 12 février 2015, a saisi le 10 mars 2015 un cabinet extérieur pour mener une enquête et a ensuite engagé la procédure disciplinaire dès le 12 mai 2015, lendemain de la réception du rapport [Z] de sorte que la prescription des faits ne peut pas être valablement soulevée par l'appelant ; que la demande d'explications préalable adressée au salarié ne peut, contrairement à ce que soutient M. [Y], être considérée comme une sanction mais constitue un préalable à l'engagement d'une procédure disciplinaire visant à recueillir la version du salarié mis en cause par la plainte de Mme [B] conformément à l'article 4 du chapitre 9 du statut des relations collectives avec le personnel SNCF, ce qui constitue une garantie essentielle de la procédure disciplinaire et non une sanction, contrairement à ce que soutient l'appelant ; que par ailleurs, l'étude du dossier fait ressortir que non seulement l'employeur n'a pas engagé la procédure à la légère puisque dès l'alerte et le signalement donnés par le délégué syndical, il a fait procéder à une enquête par un cabinet d'éthique extérieur qui a entendu M. [Y] ainsi que 21 autres salariés, le rapport précisant que les auditions ont été étendues à des personnes autres que celles identifiées par l'employeur (page 5) ; que d'une part, M. [Y], dont il est précisé dans le rapport qu'il a été entendu deux fois, en début et en fin d'enquête sans que la durée de l'entretien ne soit limitée, ne justifie pas avoir demandé au cabinet [Z] l'audition de trois anciens salariés dont il communique les attestations à la cour qui, selon les conclusions de la SNCF, non démentie sur ce point, ont été produites devant le conseil de discipline ; que d'autre part, M. [Y], régulièrement convoqué par lettre du 26 mai 2015 dont il a accusé réception le 29, à l'entretien préalable fixé au 4 juin, a été entendu par le conseil de discipline après avoir pu prendre connaissance du dossier au moins 8 jours calendaires (article 10.1 du RH 00144) avant la réunion qui s'est tenue le 25 juin 2015, de sorte qu'il ne peut être reproché à la SNCF de n'avoir mis à disposition le dossier que le 15 juin 2015 comme le soutient l'appelant ; qu'au regard de ce qui précède et de ce qui a été chronologiquement exposé ci-avant, la cour considère que la procédure disciplinaire a été loyalement menée et sans partialité à l'encontre de M. [Y] ; [?] sur les demandes à caractère financier ; qu'il convient [?] de rejeter les autres demandes de M. [Y] (indemnité pour non-respect de la procédure, dommages-intérêts pour préjudice moral, dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et dommages intérêts pour préjudice de carrière et perte de droit à la retraite) ; qu'en effet, il résulte des pièces versées aux débats et de la chronologie des faits rappelée ci-avant que la procédure disciplinaire a été parfaitement respectée ainsi que prévue au RH 00001 et RH 0144 et que M. [Y] a bénéficié de toutes les garanties disciplinaires avant la prise de décision avec possibilité de prendre connaissance de son dossier, conformément aux délais statutaires et réglementaires, avant comparution devant le conseil de discipline et prise de la décision en sorte que la procédure est régulière ; que par ailleurs, la mesure de radiation des cadres reposant sur une faute grave, les autres demandes doivent être rejetées, M. [Y] n'établissant pas le caractère abusif ou vexatoire de la rupture, parfaitement justifiée après que l'employeur a mis en oeuvre les garanties statutaires et fait diligenter une enquête préalable.
AUX MOTIFS à les supposer adoptés QUE sur la demande d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement [?] il ressort des discussions et des pièces versées aux débats que la procédure de licenciement n'est entachée d'aucune irrégularité [?] ; que sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral liés aux motifs infâmants et vexatoires du licenciement [?] il ressort des pièces versées aux débats que la procédure de licenciement a été respectée, qu'elle n'est entachée d'aucune irrégularité, et que la mise à pied à titre conservatoire ne peut être considérée comme mesure vexatoire [?] ; que sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice de carrière et perte de droits à la retraite [?] le Conseil a dit que le licenciement de Monsieur [G] [Y] était fondé sur une cause réelle et sérieuse.
1° ALORS QU'un salarié ne peut être sanctionné deux fois pour les mêmes faits ; que constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ; que constitue une telle sanction la demande d'explications écrites mise en oeuvre à la suite de faits considérés comme fautifs par l'employeur et donnant lieu à établissement de documents écrits conservés dans le dossier disciplinaire individuel du salarié ; qu'en l'espèce, en se bornant à énoncer que la demande d'explications adressée au salarié ne pouvait « être considérée comme une sanction mais constitue un préalable à l'engagement d'une procédure disciplinaire » sans rechercher si les demandes formulées par l'employeur et les réponses écrites du salarié étaient conservées dans le dossier disciplinaire individuel de ce dernier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe non bis in idem et de l'article L. 1331-1 du code du travail.
2° ALORS QUE selon le statut du personnel de la SNCF, lorsqu'une majorité absolue de voix converge vers un niveau de sanction, ce niveau constitue l'avis du conseil de discipline, il y a alors un seul avis, le directeur ne peut prononcer une sanction plus sévère ; que lorsqu'aucun niveau de sanction ne recueille la majorité des voix, le conseil a émis plusieurs avis ; que dans ce cas, il y a lieu de tenir compte des avis émis par le conseil de discipline en déterminant une majorité, ou tout au moins le partage des avis en deux parties ; que pour ce faire, les voix qui se sont portées sur la plus sévère des sanctions s'ajoutent à l'avis ou aux avis du degré inférieur qui se sont exprimés ; que le directeur ne peut prononcer une sanction plus sévère à l'avis ainsi déterminé ; qu'en l'espèce, pour dire le licenciement justifié, la cour d'appel a retenu que le directeur avait pu prononcer la sanction correspondant à l'avis le plus élevé, à savoir la radiation des cadres, dès lors que le conseil de discipline s'était prononcé à trois voix pour cette radiation et trois voix pour un avertissement avec mise à pied et rétrogradation ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses constatations que le directeur ne pouvait prononcer un licenciement à défaut de majorité absolue convergeant vers un tel niveau de sanction, la cour d'appel a violé le référentiel RH00144 interne à la SNCF, ensemble les articles 6.10 et 6.11 du chapitre 9 du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel.