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10/07/2020 | FRANCE | N°19PA02576

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 10 juillet 2020, 19PA02576


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL (société à responsabilité limitée) Financière La Rotonde a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 mars et 31 décembre 2013, en qualité de société-mère intégrante de sa filiale, la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code

de justice administrative.

Par un jugement n° 1812609/1-2 du 2 avril 2019, le Tribu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL (société à responsabilité limitée) Financière La Rotonde a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 31 mars et 31 décembre 2013, en qualité de société-mère intégrante de sa filiale, la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1812609/1-2 du 2 avril 2019, le Tribunal administratif de Paris lui a accordé la décharge demandée et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais de justice.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 2 août 2019, le 29 janvier 2020 et le 12 février 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :

1°) d'annuler l'article 1er du jugement n° 1812609/1-2 du 2 avril 2019 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de remettre à la charge de la SARL Financière La Rotonde les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés contestées dont le tribunal l'a déchargée, en droits et pénalités.

Il soutient que :

- sa requête est recevable ;

- le jugement attaqué est irrégulier, les premiers juges ayant statué au-delà des conclusions qui leur étaient soumises en accordant une décharge totale à l'intimée, alors que la rectification portant sur le profit sur le Trésor à raison du rappel de taxe sur la valeur ajoutée sur une régularisation d'avoir n'était pas contestée ;

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, les premiers juges n'ayant pas clairement exposé les raisons pour lesquelles ils ont estimé que la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse était excessivement sommaire ;

- les premiers juges n'ont pas tenu compte de la circonstance que la vérification de comptabilité portait sur une période ayant couru en l'espèce jusqu'au 31 décembre 2013 ;

- sur le fond, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la méthode de reconstitution en cause était excessivement sommaire ;

- c'est à bon droit que le service a estimé que la comptabilité de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse était tenue au moyen de systèmes informatisés ;

- dès lors qu'il s'est régulièrement fondé sur le VI de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, le service n'était pas tenu d'accorder à la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse les garanties prévues par le II de l'article L. 47 A de ce même livre ;

- c'est sans méconnaître les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales et les droits de la défense que le service, qui n'a pas fondé les rectifications en litige sur des documents obtenus de tiers, a estimé que la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse s'était dotée d'un logiciel permissif.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 janvier 2020, le 8 janvier 2020, le 3 février 2020, le 10 février 2020 et le 16 mars 2020, la SARL Financière La Rotonde, représentée par Me E... A... et Me H... A..., conclut au rejet de la requête du ministre et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête du ministre est irrecevable, faute d'avoir été introduite par un agent compétent pour le représenter ;

- en tout état de cause, aucun des moyens du ministre n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le décret du 6 juin 2018 portant nomination du directeur général adjoint de la direction générale des finances publiques ;

- l'arrêté du 15 mai 2019 portant délégation de signature à la direction générale des finances publiques ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant la société Financière La Rotonde.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse, qui exploite le restaurant La Rotonde sis 105, boulevard du Montparnasse dans le 6ème arrondissement de Paris, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période ayant couru du 1er avril 2012 au 31 décembre 2013. A l'issue de ce contrôle, diligenté selon la procédure de rectification contradictoire et faisant suite à une procédure de visite et de saisie fondée sur l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, le service a rejeté la comptabilité de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse et reconstitué son chiffre d'affaires. En conséquence, la SARL Financière La Rotonde, mère de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse et redevable de l'impôt sur les sociétés mis à sa charge en sa qualité de société intégrante, a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos les 31 mars et 31 décembre 2013, assorties de l'intérêt de retard et de la majoration de 80 % pour manoeuvres frauduleuses prévue par le c de l'article 1729 du code général des impôts. Par un jugement du 2 avril 2019, le Tribunal administratif de Paris a accordé à la société Financière La Rotonde la décharge des cotisations en cause, en droits et pénalités, et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice adminstrative. Le ministre de l'action et des comptes publics relève appel de ce jugement en tant qu'il a fait droit aux conclusions en décharge de la SARL Financière La Rotonde.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la SARL Financière La Rotonde :

2. Aux termes de l'article 1 du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / (...) 2° Les (...) directeurs adjoints (...) ". L'article 410 de l'annexe II au code général des impôts dispose que : " Chaque fonctionnaire de la direction générale des finances publiques (...) peut déléguer sa signature aux agents placés sous son autorité dans les conditions fixées par le directeur général des finances publiques (...) ".

3. Par un décret du 6 juin 2018, M. D... F... a été nommé directeur général adjoint de la direction générale des finances publiques, recevant ainsi compétence pour signer, au nom du ministre de l'action et des comptes publics, tous actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous son autorité. Par un arrêté du 15 mai 2019 régulièrement publié, M. F... a délégué sa signature à M. C... G..., administrateur des finances publiques adjoint, pour l'ensemble des litiges relevant du service juridique de la fiscalité de la direction générale des finances publiques, à l'effet de signer, notamment, les requêtes formées par l'administration devant les cours administratives d'appel. Dès lors que M. G... avait qualité, en vertu de cette délégation, pour signer au nom du ministre de l'action et des comptes publics la requête présentée devant la Cour administrative d'appel de Paris sous le n° 19PA02576, celle-ci ne peut être regardée comme ayant été introduite par un agent incompétent à cette fin. La fin de non-recevoir opposée par la SARL Financière La Rotonde, qui ne saurait utilement se prévaloir du décret n° 2013-577 du 2 juillet 2013 relatif aux délégation de signatures accordées aux agents des services déconcentrés de la direction générale des finances publiques, au nombre desquels ne figure pas M. G..., ne peut donc être accueillie.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Après avoir constaté que la comptabilité de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse était tenue à l'aide de quatre caisses tactiles dont les données étaient transférées sur le disque dur d'un ordinateur utilisant le logiciel Prores, le vérificateur, assisté d'agents en résidence à la cellule de contrôle informatisé de la direction spécialisée du contrôle fiscal d'Ile-de-France Ouest, a pris acte de ce qu'aucune donnée informatique antérieure au 8 janvier 2013 n'avait pu lui être présentée. Il a également constaté que les tickets de caisse du restaurant La Rotonde n'étaient pas numérotés, lacune faisant obstacle au contrôle de leur enchaînement numérique. Les agents de l'administration fiscale ont par ailleurs relevé des anomalies dans l'évolution du compteur général des lignes et dans les sommes de contrôle ressortant de la majorité des tickets analysés. Enfin, en sus de ces incohérences rendant impossible une analyse de la séquentialité des recettes du restaurant La Rotonde, le vérificateur et les agents spécialisés, après avoir examiné l'ordinateur équipé du logiciel Prores à l'occasion du droit de visite et de saisie exercé le 19 novembre 2013, ont constaté l'existence d'un dossier " Prefetch " contenant trois fichiers " WebTable.exe ", identifiés comme permettant la suppression de recettes à l'aide d'un outil extérieur. Au vu de ces éléments convergents en faveur de la mise en évidence d'un système généralisé de minoration de recettes au sein du restaurant, c'est donc à bon droit que la comptabilité de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse a été rejetée comme étant dépourvue de caractère probant et qu'il a été en conséquence procédé à la reconstitution de son chiffre d'affaires.

5. Pour cela, le service a recouru à deux méthodes. Par la première, intitulée " rétablissement du taux d'espèces ", il s'est fondé sur les fichiers des bandes de contrôle sans anomalies dont il disposait, à partir desquels il a déterminé le taux moyen des encaissements effectués en espèces. Ce taux a ensuite été appliqué aux bandes de caisse présentant des anomalies, en vue d'établir le montant des recettes encaissées en espèces non déclarées par la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse. Cette méthode a permis au service de déterminer un pourcentage de recettes éludées, qui a ensuite été appliqué, par extrapolation, à la période antérieure au 8 janvier 2013, pour laquelle il ne disposait d'aucune donnée informatique. Par la seconde méthode, dite de " détermination du ticket moyen réglé en espèces ", le service a déterminé le nombre de tickets supprimés sur la base de ce qu'aurait dû être l'évolution normale du compteur général de lignes sur la période pour laquelle il disposait de données, avant de multiplier les tickets supprimés ainsi déterminés par le montant moyen réglé en espèces ressortant de ceux sans anomalies. Cette méthode a également permis au service de dégager un taux de recettes éludées sur la période de référence, avant de l'extrapoler, comme dans la première méthode, sur l'ensemble de la période antérieure au 8 janvier 2013. Quelle que soit la méthode utilisée, le taux de recettes dissimulé est ressorti à environ 5 % du chiffre d'affaires déclaré.

6. Pour accorder à l'intimée la décharge demandée, les premiers juges ont estimé que le service vérificateur s'était borné à extrapoler le montant des recettes reconstituées au titre de la période ayant couru du 8 janvier 2013 au 31 mai 2013, alors pourtant qu'il lui était loisible d'exploiter les bandes de contrôle sous format papier, disponibles sur l'ensemble de la période vérifiée, ou de corroborer son extrapolation par une autre méthode de reconstitution. Toutefois, l'administration peut valablement mettre en oeuvre des méthodes de reconstitution de recettes par extrapolation lorsque celles-ci reposent sur des échantillons suffisamment représentatifs et que les conditions d'exploitation de l'entreprise vérifiée sont restées stables sur l'ensemble de la période soumise à contrôle. En l'espèce, la période de plus de quatre mois entre le 8 janvier et le 31 mai 2013 était suffisante pour servir de base à l'extrapolation mise en oeuvre. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que des changements seraient intervenus dans les conditions d'exploitation du restaurant La Rotonde entre le 1er avril 2012 et le 31 décembre 2013, nonobstant le changement d'ordinateur auquel ont procédé ses dirigeants et l'installation, à compter du 8 janvier 2013, d'une mise à jour du logiciel Prores, sans incidence sur son activité. Enfin, dès lors qu'il n'est pas contesté que les remises à zéro du logiciel Prores ont servi de base aux écritures comptables de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse, les recettes qu'elle a omis de comptabiliser n'auraient pas été retrouvées si le vérificateur avait examiné ses bandes de contrôle papier. Dans ces conditions, et dès lors en outre que les premiers juges ont fait abstraction des résultats postérieurs au 31 mai 2013, étrangers à toute extrapolation, le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que le service avait mis en oeuvre une méthode de reconstitution excessivement sommaire.

7. Il appartient néanmoins à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SARL Financière La Rotonde, tant en première instance qu'en appel.

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition suivie à l'encontre de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse :

8. D'une part, aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la procédure d'imposition en litige : " I. - Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. / (...) IV. - Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contrôle porte sur l'ensemble des informations, données et traitements informatiques qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux et à l'élaboration des déclarations rendues obligatoires par le code général des impôts ainsi que sur la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements. / (...) ". L'article L. 16 B du même livre dispose que : " (...) V. - (...) Les pièces et documents saisis sont restitués à l'occupant des locaux dans les six mois de la visite ; toutefois, lorsque des poursuites pénales sont engagées, leur restitution est autorisée par l'autorité judiciaire compétente. / (...) VI.-(...) En présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés saisie dans les conditions prévues au présent article, l'administration communique au contribuable, au plus tard lors de l'envoi de la proposition de rectification prévue au premier alinéa de l'article L. 57 (...), sous forme dématérialisée ou non au choix de ce dernier, la nature et le résultat des traitements informatiques réalisés sur cette saisie qui concourent à des rehaussements, sans que ces traitements ne constituent le début d'une procédure de vérification de comptabilité. Le contribuable est informé des noms et adresses administratives des agents par qui, et sous le contrôle desquels, les opérations sont réalisées ".

9. D'autre part, aux termes du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " En présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés et lorsqu'ils envisagent des traitements informatiques, les agents de l'administration fiscale indiquent par écrit au contribuable la nature des investigations souhaitées. Le contribuable formalise par écrit son choix parmi l'une des options suivantes : / a) Les agents de l'administration peuvent effectuer la vérification sur le matériel utilisé par le contribuable ; / b) Celui-ci peut effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification. Dans ce cas, l'administration précise par écrit au contribuable, ou à un mandataire désigné à cet effet, les travaux à réaliser ainsi que le délai accordé pour les effectuer. Les résultats des traitements sont alors remis sous forme dématérialisée répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget ; / c) Le contribuable peut également demander que le contrôle ne soit pas effectué sur le matériel de l'entreprise. Il met alors à la disposition de l'administration les copies des documents, données et traitements soumis à contrôle. Ces copies sont produites sur tous supports informatiques, répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget. L'administration restitue au contribuable avant la mise en recouvrement les copies des fichiers et n'en conserve pas de double. L'administration communique au contribuable, sous forme dématérialisée ou non au choix du contribuable, le résultat des traitements informatiques qui donnent lieu à des rehaussements au plus tard lors de l'envoi de la proposition de rectification mentionnée à l'article L. 57. / Le contribuable est informé des noms et adresses administratives des agents par qui ou sous le contrôle desquels les opérations sont réalisées ".

10. En premier lieu, il est constant que sur la période concernée par la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse était équipée du logiciel Prores, lequel permettait de centraliser les données provenant des caisses et d'éditer des états comprenant notamment le chiffre d'affaires global ou par famille de produits, les offerts ou encore les remises. Même s'il n'était pas connecté à un logiciel de comptabilité, cet outil servait de logiciel de caisse à la société SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse et concourait par suite à la détermination de ses résultats. Quand bien même la société avait confié l'enregistrement de ses écritures comptables à un cabinet extérieur, c'est donc à bon droit que le service a regardé sa comptabilité comme étant tenue au moyen de systèmes informatisés au sens du IV de l'articles L. 13 du livre des procédures fiscales et du troisième alinéa du VI de l'article L. 16 B du même livre.

11. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'à l'occasion de la visite domiciliaire du 19 novembre 2013, le service a collecté des données informatiques du logiciel Prores et les a sauvegardées sur un CD-ROM non réinscriptible, portant le n° 2131 75MJ 1153, avant de les restituer le 6 décembre suivant au dirigeant de l'intimée, dans le délai de six mois imparti par le V de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales. Dès lors qu'aucune disposition de cet article, pas plus d'ailleurs que d'autres dispositions du livre des procédures fiscales, n'imposaient au service, à peine d'irrégularité de la procédure d'imposition, de procéder dans un délai déterminé à l'engagement d'une vérification de comptabilité consécutive à la mise en oeuvre des traitements portant sur les données en cause, la SARL Financière La Rotonde n'est pas fondée à soutenir que le service aurait fait une utilisation abusive du troisième alinéa du VI de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales en attendant le 2 juin 2015, soit plus de 18 mois après la saisie du 19 novembre 2013, pour adresser un avis de vérification à la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse. En tout état de cause, l'écoulement d'un tel délai ne saurait être regardé en lui-même comme étant de nature à caractériser un détournement de pouvoir.

12. En troisième lieu, si la SARL Financière La Rotonde soutient que les traitements informatiques réalisés par le service étaient encore " en cours " lors de l'intervention du 9 juillet 2015, il résulte de l'instruction que les éléments comptables saisis le 19 novembre 2013 ont régulièrement fait l'objet des traitements informatiques prévus par les dispositions précitées du troisième alinéa du VI de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales. Dans ces conditions, la SARL Financière La Rotonde ne saurait utilement se prévaloir de ce que la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse n'a pas bénéficié des garanties prévues par les dispositions du II de l'article L. 47 A du même livre, lesquelles relèvent d'une procédure distincte qui ne trouvait pas à s'appliquer en l'espèce.

13. En quatrième lieu, s'agissant de moyens touchant à la régularité de la procédure d'imposition, la SARL Financière La Rotonde ne peut utilement se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des diverses instructions administratives qu'elle évoque.

Quant aux autres moyens soulevés :

14. En premier lieu, il est constant que l'appréciation de la régularité d'une procédure de visite et de saisie relève de la compétence exclusive du juge judiciaire. En l'espèce, la chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt du 12 avril 2016, a définitivement jugé que celle dont la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse a fait l'objet le 19 novembre 2013, sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, était régulière. La SARL Financière La Rotonde ne saurait donc utilement soutenir que les agents de l'administration fiscale se seraient livrés à une fouille du sac à mains de l'épouse de l'un des dirigeants de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse sans y avoir été autorisés par l'ordonnance du 18 novembre 2013 du juge des libertés et de la détention près le Tribunal de grande instance de Paris.

15. En deuxème lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ".

16. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en oeuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Lorsque le contribuable lui en fait la demande, l'administration est, en principe, tenue de lui communiquer, alors même qu'il en aurait eu connaissance, les renseignements, documents ou copies de documents obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d'en vérifier l'authenticité ou d'en discuter la teneur ou la portée. Il en va autrement s'agissant des documents et renseignements qui, à la date de la demande de communication, sont directement et effectivement accessibles au contribuable dans les mêmes conditions qu'à l'administration. Dans cette dernière hypothèse, si le contribuable établit qu'il ne peut avoir effectivement accès aux mêmes documents et renseignements que ceux détenus par l'administration, celle-ci est alors tenue de les lui communiquer.

17. Il résulte de l'instruction qu'au cours des opérations de contrôle de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse, le vérificateur a été assisté d'agents en résidence à la cellule de contrôle informatisé de la direction spécialisée du contrôle fiscal Ile-de-France Ouest, qui disposaient de compétences internes pour détecter des logiciels permissifs susceptibles de masquer des dissimulations de recettes, à l'aide, notamment, de l'expérience acquise dans le cadre des vérifications de comptabilité ayant concerné d'autres restaurants parisiens utilisant le logiciel Prores. Sur la base des constats effectués par ces agents, le service, dans la proposition de rectification du 7 juillet 2014, a informé la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse des spécificités de sa comptabilité informatisée, regardée comme lui ayant permis de dissimuler une partie de ses recettes à l'aide d'un logiciel permissif. A l'appui de cette analyse, le service a joint à cette pièce de procédure deux annexes intitulées " Rappels sur les systèmes de caisse PI Electronique " et " Description détaillée des traitements ", ainsi que le CD-ROM contenant la copie des fichiers issus des traitements informatiques effectués. Si le premier document s'est fondé sur des exemples communs à plusieurs contrôles, il s'est également appuyé sur des données propres à la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse. Par ailleurs, la simple allégation selon laquelle un expert, non nommément désigné, aurait estimé que le service ne pouvait poser son diagnostic sans aide extérieure ne permet pas de présumer que celui-ci se serait fondé sur des documents obtenus de tiers, notamment sur les spécifications fonctionnelles et techniques émanant du fournisseur du logiciel de caisse en cause. Il en va de même de l'évocation par l'intimée d'un dossier dans lequel le service aurait indiqué que la première annexe produite avait été établie à partir d'un guide de lecture de caisse PI Electronique. En tout état de cause, si tel avait été le cas, il n'est pas établi que la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse, en tant qu'utilisatrice du logiciel Prores, n'aurait pu accéder à un tel document dans les mêmes conditions que l'administration fiscale. De même, la circonstance que le vérificateur ait sollicité un droit de visite et de saisie le 21 octobre 2013, veille de la remise par la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse de ses fichiers " DDT " de caisse, est à cet égard sans incidence sur la solution du litige. Enfin, si l'article 20 de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a créé dans le livre des procédures fiscales un article L. 96 J, imposant aux entreprises ou opérateurs concevant des systèmes de caisse de présenter à l'administration fiscale, sur sa demande, tous codes, données, traitements ou documentation qui s'y rattachent, une telle circonstance n'empêche pas l'administration de mettre en évidence des schémas de fraude sans aide extérieure.

18. Dans ces conditions, la SARL Financière La Rotonde n'est pas fondée à soutenir que pour rejeter sa comptabilité et reconstituer son chiffre d'affaires, le service se serait appuyé sur des documents techniques obtenus de tiers qu'il aurait délibérément décidé de ne pas lui communiquer, notamment le code source du logiciel Prores, à supposer qu'il n'ait pas été protégé par la propriété intellectuelle des auteurs. Le moyen de l'intimée tiré de ce que le service aurait méconnu les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales et porté atteinte aux droits de la défense et à la présomption d'innocence doit donc être écarté.

19. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander l'annulation de l'article 1er de ce jugement et que soient remises à la charge de l'intimée les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés contestées, en droits et pénalités.

Sur les frais de justice :

20. L'Etat n'étant pas la partie perdante à l'instance, les conclusions de la SARL Financière La Rotonde présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1812609/1-2 du 2 avril 2019 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la SARL Financière La Rotonde a été assujettie au titre des exercices clos les 31 mars et 31 décembre 2013 sont remises à sa charge, en droits et pénalités.

Article 3 : Les conclusions de la SARL Financière La Rotonde présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la SARL Financière La Rotonde.

Délibéré après l'audience du 30 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Hamon, président,

- Mme Mielnik-Meddah, premier conseiller,

- Mme B..., premier conseiller,

Lu en audience publique, le 10 juillet 2020.

Le rapporteur,

C. B...Le président,

P. HAMON

Le greffier,

C. MONGISLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 19PA02576


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