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17/03/2020 | FRANCE | N°19NC01615

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 17 mars 2020, 19NC01615


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... et Mme H... épouse E... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler la décision du 11 avril 2016 par laquelle la société ERDF, devenue société Enedis, a refusé le déplacement du pylône électrique situé sur leur propriété et de la ligne aérienne la surplombant, d'autre part, de constater l'emprise irrégulière de cet ouvrage sur le terrain leur appartenant, en outre, d'enjoindre à la société Enedis de procéder au déplacement de l'ouvrage hors des limit

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E... et Mme H... épouse E... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler la décision du 11 avril 2016 par laquelle la société ERDF, devenue société Enedis, a refusé le déplacement du pylône électrique situé sur leur propriété et de la ligne aérienne la surplombant, d'autre part, de constater l'emprise irrégulière de cet ouvrage sur le terrain leur appartenant, en outre, d'enjoindre à la société Enedis de procéder au déplacement de l'ouvrage hors des limites de leur terrain ou à sa démolition et, en cas d'inexécution, de les autoriser à faire procéder au déplacement de l'ouvrage ou à sa démolition aux frais, risques et périls de la société Enedis.

Par un jugement n° 1603619 du 26 mars 2019, le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir constaté que le pylône électrique support de la ligne aérienne constituait une emprise irrégulière sur la propriété des requérants, a rejeté leur demande tendant à faire procéder au déplacement de l'ouvrage ou à sa démolition.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 26 mai 2019, 7 janvier et 18 février 2020, M. et Mme E..., représentés par Me C..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 26 mars 2019 du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il rejette leur demande ;

2°) d'annuler la décision du 11 avril 2016 par laquelle la société ERDF, devenue société Enedis, a refusé le déplacement du pylône électrique situé sur leur propriété et de la ligne aérienne la surplombant ;

3°) d'enjoindre à la société Enedis de procéder au déplacement de l'ouvrage hors des limites de leur terrain ou à sa démolition dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

4°) de les autoriser, en cas d'inexécution dans les délais indiqués, à faire procéder au déplacement de l'ouvrage ou à sa démolition aux frais, risques et périls de la société Enedis ;

5°) de mettre à la charge de la société Enedis la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- c'est à bon droit que le tribunal a jugé que l'ouvrage était implanté de manière irrégulière, en l'absence de régularisation par un acte authentique dans les six mois et d'inscription au livre foncier de la servitude ;

- la circonstance qu'ils avaient connaissance de l'existence de l'ouvrage lors de l'acquisition du terrain est sans incidence sur le bien-fondé de leur demande ;

- le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant qu'ils devaient établir avoir subi des troubles de jouissance " d'une gravité suffisante " et en exerçant un contrôle restreint sur les motifs d'intérêt général invoqués par la société Enedis ;

- l'implantation irrégulière des ouvrages appartenant à la société Enedis leur occasionne des troubles de jouissance caractérisés ;

- ils ont déposé une demande de permis de construire qui ne peut aboutir en raison de l'implantation du pylône d'Enedis sur leur propriété ;

- le coût financier du déplacement de la ligne électrique n'est pas établi par la société Enedis et est excessif ;

- le déplacement des ouvrages ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général, d'autant que la commune envisage d'ouvrir à l'urbanisation d'autres terrains surplombés par la ligne électrique aérienne ;

- l'interrupteur aérien IACM est situé en dehors de la limite de leur propriété.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 octobre 2019 et 18 février 2020, la société Enedis, représentée par Me F..., conclut :

1°) à titre principal, par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du 26 mars 2019 du tribunal administratif de Strasbourg en ce qu'il juge que les ouvrages situés sur la parcelle appartenant à M. et Mme E... sont mal implantés et au rejet de la demande de M. et Mme E... ;

2°) à titre subsidiaire, au rejet de la requête ;

3°) à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. et Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ouvrage est implanté régulièrement sur le terrain de M. et Mme E..., dès lors qu'aucune obligation de publication des conventions ayant institué les servitudes n'était applicable ;

- les ouvrages sont implantés depuis plus de trente ans sur le terrain ;

- l'inaction prolongée des propriétaires successifs révèle leur acceptation tacite de l'ouvrage ;

- les requérants avaient pleinement connaissance de la présence du pylône litigieux lorsqu'ils ont acquis le terrain et l'ont ainsi acceptée tacitement ;

- les deux conventions de servitude matérialisent l'accord des propriétaires pour l'implantation des ouvrages ;

- les travaux d'enfouissement de la ligne aérienne demandés par les requérants impliqueraient de revoir toute la configuration du réseau, y compris de l'interrupteur aérien IACM ;

- les autres moyens soulevés par M. et Mme E... ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la société Enedis n'est pas recevable à demander, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement attaqué qui rejette les conclusions de M. et Mme E....

Par un mémoire, enregistré le 6 février 2019, la société Enedis s'en rapporte à la sagesse de la cour sur le moyen soulevé d'office.

Un mémoire, présenté pour M. et Mme E... le 21 février 2020, n'a pas été communiqué.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le jugement n° 170294 du 14 décembre 2017 du tribunal administratif de Strasbourg.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'énergie ;

- la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie ;

- la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;

- la loi n° 2002-306 du 4 mars 2002 portant réforme de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, dans ses dispositions relatives à la publicité foncière ;

- le décret du 29 juillet 1927 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie ;

- le décret n°55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière ;

- le décret n°67-886 du 6 octobre 1967 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie et de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B..., présidente assesseur,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me C... pour M. et Mme E... ainsi que celles de Me F... pour la société Enedis.

Une note en délibéré, présentée pour M. et Mme E..., a été enregistrée le 3 mars 2020.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme E... ont acquis un terrain cadastré section 2 n°503, situé 22 rue de la Lisière du Bois sur le territoire de la commune de Feldbach, le 5 mars 2015. Un pylône, support de trois lignes électriques aériennes, est implanté sur ce terrain. M. et Mme E... ont demandé à la société Enedis le déplacement de ces ouvrages. La société Enedis leur a alors adressé, le 27 avril 2015, un devis de 38 663,59 euros toutes taxes comprises comportant le maintien d'un pylône sur leur terrain tout en faisant passer la ligne aérienne en souterrain. A la suite d'une nouvelle demande de M. et Mme E..., la société Enedis a refusé, le 11 avril 2016, de déplacer cet ouvrage, qu'elle estime régulièrement implanté et a invité M. et Mme E... à accepter le devis du 27 avril 2015. Elle a également proposé, le 29 mars 2017, une autre solution consistant à contourner la parcelle des requérants pour un montant de 93 490,74 euros toutes taxes comprises, aucun ouvrage n'étant alors maintenu sur leur terrain. Par un jugement du 26 mars 2019, dont M. et Mme E... relèvent appel, le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir constaté que le pylône électrique support de la ligne aérienne constituait une emprise irrégulière sur la propriété des requérants, a rejeté leur demande tendant au déplacement des ouvrages ou à leur démolition. Par la voie de l'appel incident, la société Enedis demande l'annulation du jugement du 26 mars 2019 en ce qu'il a constaté l'emprise irrégulière des ouvrages qu'elle exploite.

Sur l'appel incident de la société Enedis :

2. Les appels formés contre les jugements des tribunaux administratifs ne peuvent tendre qu'à l'annulation ou à la réformation du dispositif du jugement attaqué. Par suite, n'est pas recevable, quels que soient les motifs retenus par les premiers juges, l'appel dirigé par le défendeur en premier ressort contre le jugement qui a rejeté les conclusions du demandeur.

3. En l'espèce, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté les conclusions de M. et Mme E.... Si la société Enedis demande à la cour, par la voie d'un appel incident, l'annulation du jugement du 26 mars 2019 du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il constate que les ouvrages situés sur la parcelle appartenant à M. et Mme E... sont mal implantés, ces conclusions, qui ne sont pas dirigées contre le dispositif du jugement attaqué mais contre ses motifs, ne sont pas recevables.

Sur la régularité de l'emprise :

4. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

5. En premier lieu, aux termes de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie, dont les dispositions sont désormais reprises par les articles L. 323-3 et suivant du code de l'énergie : " La déclaration d'utilité publique investit le concessionnaire ou titulaire d'une autorisation de transport de gaz naturel, pour l'exécution des travaux dépendant de la concession ou autorisation de transport de gaz naturel, de tous les droits que les lois et règlements confèrent à l'administration en matière de travaux publics. Le concessionnaire ou titulaire d'une autorisation de transport de gaz naturel demeure en même temps soumis à toutes les obligations qui dérivent, pour l'administration, de ces lois et règlements (...) / La déclaration d'utilité publique d'une distribution d'énergie confère, en outre, au concessionnaire ou titulaire d'une autorisation de transport de gaz naturel le droit : / 1° D'établir à demeure des supports et ancrages pour conducteurs aériens d'électricité, soit à l'extérieur des murs ou façades donnant sur la voie publique, soit sur les toits et terrasses des bâtiments, à la condition qu'on y puisse accéder par l'extérieur, étant spécifié que ce droit ne pourra être exercé que sous les conditions prescrites, tant au point de vue de la sécurité qu'au point de vue de la commodité des habitants par les règlements d'administration publique prévus à l'article 18, lesdits règlements devant limiter l'exercice de ce droit au cas de courants électriques tels que la présence desdits conducteurs d'électricité à proximité des bâtiments ne soient pas de nature à présenter, nonobstant les précautions prises conformément aux règlements, des dangers graves pour les personnes ou les bâtiments ; / 2° De faire passer les conducteurs d'électricité au-dessus des propriétés privées, sous les mêmes conditions et réserves que celles spécifiques à l'alinéa 1° ci-dessus (...) / L'exécution des travaux prévus aux alinéas 1° à 4° ci-dessus doit être précédée d'une notification directe aux intéressés et d'une enquête spéciale dans chaque commune ; elle ne peut avoir lieu qu'après approbation du projet de détail des tracés par le préfet. / Elle n'entraîne aucune dépossession ; la pose d'appuis sur les murs ou façades ou sur les toits ou terrasses des bâtiments ne peut faire obstacle au droit du propriétaire de démolir, réparer ou surélever. La pose des canalisations ou supports dans un terrain ouvert et non bâti ne fait pas non plus obstacle au droit du propriétaire de se clore ou de bâtir (...) ". Selon l'article 52 du décret du 29 juillet 1927 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie : " L'enquête pour l'établissement des servitudes d'appui, de passage ou d'ébranchage prévue à l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 a lieu sur un plan parcellaire indiquant toutes les propriétés atteintes par les servitudes, avec les renseignements nécessaires pour faire connaître la nature et l'étendue des sujétions en résultant. / Le plan des propriétés frappées de servitudes, mentionnant les noms des propriétaires, tels qu'ils sont inscrits sur les matrices des rôles, reste déposé, pendant huit jours à la mairie de la commune où sont situées les propriétés. Avertissement de l'ouverture de l'enquête est donné collectivement aux intéressés par voie d'affichage à la mairie. Notification directe des travaux projetés est, en outre, donnée par le maire aux intéressés. Le maire certifie les notifications et affiches ; il mentionne sur un procès-verbal qu'il ouvre à cet effet, les réclamations et déclarations qui lui ont été faites verbalement et y annexe celles qui lui sont adressées par écrit (...) / Si l'exécution des travaux projetés comporte des expropriations, il est procédé à l'enquête pour l'établissement des servitudes en même temps qu'à l'enquête prévue par le titre II de la loi du 3 mai 1841. ". L'article 1er du décret du 6 octobre 1967 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie et de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique énonce que : " Une convention passée entre le concessionnaire et le propriétaire ayant pour objet la reconnaissance des servitudes d'appui, de passage, d'ébranchage ou d'abattage prévues au troisième alinéa de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 susvisée peut remplacer les formalités prévues au quatrième alinéa dudit article. / Cette convention produit, tant à l'égard des propriétaires et de leurs ayants droit que des tiers, les effets de l'approbation du projet de détail des tracés par le préfet, qu'elle intervienne en prévision de la déclaration d'utilité publique des travaux ou après cette déclaration, ou, en l'absence de déclaration d'utilité publique, par application de l'article 298 de la loi du 13 juillet 1925 susvisée. ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les servitudes mentionnées par l'article 12 de la loi du 15 juin 1906, codifié aux articles L. 323-3 et suivant du code de l'énergie, ne peuvent être instituées qu'après l'enquête publique prévue par l'article 52 du décret du 29 juillet 1927 ou par la convention passée entre le concessionnaire et le propriétaire prévue par l'article 1er du décret du 6 octobre 1967.

6. Aux termes de l'article 37 du décret du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière : " 1. Peuvent être publiées au bureau des hypothèques de la situation des immeubles qu'elles concernent, pour l'information des usagers : (...) / 2° Les conventions relatives à l'exercice des servitudes légales (...) ".

7. Selon l'article 38 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, dans sa rédaction applicable en l'espèce, antérieure à la loi du 4 mars 2002 portant réforme de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, dans ses dispositions relatives à la publicité foncière : " Sont inscrits au livre foncier : (...) / b) La superficie, l'emphytéose, l'usufruit établi par la volonté de l'homme, l'usage, l'habitation, les servitudes foncières établies par le fait de l'homme, (...) / k) Toute servitude dont la publicité foncière est prévue par la loi à peine d'inopposabilité. ". L'article 42 de la loi du 1er juin 1924, dans sa rédaction applicable en l'espèce, énonce que : " (...) Tout acte entre vifs, translatif ou déclaratif de propriété immobilière et tout acte entre vifs portant constitution ou transmission d'une servitude foncière ne peuvent faire l'objet d'une inscription que s'ils ont été dressés par-devant notaire. / L'acte souscrit sous une autre forme doit être suivi, à peine de nullité, d'un acte authentique, ou, en cas de refus de l'une des parties, d'une demande en justice, et cela dans les six mois qui suivent la passation de l'acte (...) ".

8. En outre, selon l'article 686 du code civil : " Il est permis aux propriétaires d'établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble, pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n'aient d'ailleurs rien de contraire à l'ordre public. / L'usage et l'étendue des servitudes ainsi établies se règlent par le titre qui les constitue ; à défaut de titre, par les règles ci-après. ".

9. En deuxième lieu, d'une part, il résulte de l'instruction qu'une convention de servitude a été conclue entre la société EDF et la personne alors propriétaire des parcelles litigieuses, le 18 juin 1963, en vue de l'établissement de deux supports en angle pour conducteurs aériens, selon le plan parcellaire annexé à cette convention. Une seconde convention de servitude, conclue le 10 juillet 1980, autorise EDF à faire passer les conducteurs aériens au-dessus du terrain alors cadastré section 2, n° 22 au lieudit " Spitalacker ". Ces conventions n'ont pas été dressées par-devant notaire ou régularisées sous la forme authentique dans les six mois suivant leur passation et n'ont pas été inscrites au livre foncier.

10. D'autre part, les dispositions combinées des articles 38 et 42 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle dans leur rédaction applicable en l'espèce, qui dérogent sur ce point aux dispositions du droit commun, s'appliquent notamment aux " servitudes foncières établies par le fait de l'homme ". Ces termes renvoient nécessairement aux articles 686 et suivants du code civil, insérés dans un chapitre relatif aux " servitudes établies par le fait de l'homme ", distinct des servitudes établies par la loi qui font l'objet des articles 649 et suivants du même code.

11. Or, la servitude relative à l'implantation sur une propriété privée d'ouvrages du réseau d'électricité, qui a une utilité publique, n'est pas au nombre des servitudes établies par le fait de l'homme au sens de l'article 686 du code civil et ne relève pas, en conséquence, des " servitudes foncières établies par le fait de l'homme " au sens de l'article 38 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, qui doivent être inscrites au livre foncier.

12. Ainsi, il résulte de ce qui précède que les conventions des 18 juin 1963 et 10 juillet 1980 n'instituent pas des " servitudes foncières établies par le fait de l'homme " devant faire l'objet des formalités prescrites par les articles 38 et 42 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. En l'absence de dérogation sur ce point résultant de la loi du 1er juin 1924, ces conventions ne sont, en conséquence, soumises à aucune obligation de publicité foncière en application de l'article 37 du décret 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière cité au point 6. Par suite, alors même que les conventions des 18 juin 1963 et 10 juillet 1980 n'ont pas été dressées par-devant notaire ou régularisée sous la forme authentique dans les six mois suivant leur passation et n'ont pas été inscrites au livre foncier, elles peuvent être opposées à M. et Mme E....

13. En troisième lieu, d'une part, si M. et Mme E... font valoir que la convention de servitude du 18 juin 1963, qui est signée par la propriétaire des lieux, ne l'est pas par la société Electricité de France et ne leur est donc pas opposable, cette circonstance n'est cependant pas de nature à remettre en cause l'existence d'un accord amiable entre les parties comme le révèle au demeurant la signature de la propriétaire.

14. D'autre part, la convention de servitude du 10 juillet 1980 est signée par M. G... en sa qualité de propriétaire et d'exploitant de cette parcelle. Si M. et Mme E... soutiennent, sans l'établir au demeurant, qu'elle aurait également dû être signée par son épouse, dès lors que M. et Mme G... sont mariés sous le régime de la communauté universelle de biens, cette circonstance n'est pas de nature à rendre cette convention inopposable aux tiers, dès lors qu'il n'est pas contesté que M. G... a la qualité de propriétaire et d'exploitant de cette parcelle.

15. Enfin, la circonstance que l'acte de vente par lequel M. et Mme E... ont acquis le terrain ne mentionne aucune servitude ne saurait être opposée à la société Enedis. Par suite, la société Enedis doit être regardée comme bénéficiant d'une servitude de supports, ancrages et surplomb en application de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906, désormais codifié aux articles L. 323-3 et suivant du code de l'énergie.

16. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription soulevée par la société Enedis, celle-ci justifie d'un titre l'autorisant à implanter des supports et une ligne en surplomb sur le terrain appartenant désormais à M. et Mme E....

17. En dernier lieu, il résulte de ce qui précède qu'en l'absence d'emprise irrégulière des ouvrages appartenant à la société Enedis, les conclusions présentées par M. et Mme E... devant le tribunal administratif de Strasbourg tendant à ce qu'il soit enjoint à la société Enedis de procéder au déplacement de l'ouvrage hors des limites de leur terrain ou à sa démolition doivent être rejetées.

18. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Sur les frais liés à l'instance :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Enedis, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. et Mme E... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. et Mme E... le versement à la société Enedis de la somme de 1 500 euros le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme E... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par la société Enedis sont rejetées.

Article 3 : M. et Mme E... verseront à la société Enedis une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E..., à Mme H... épouse E... et à la société Enedis.

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N° 19NC01615


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC01615
Date de la décision : 17/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Alsace-Moselle - Professions - Commerce - Industrie.

Droits civils et individuels - Droit de propriété - Actes des autorités administratives concernant les biens privés - Voie de fait et emprise irrégulière.

Energie - Lignes électriques - Servitudes pour l'établissement de lignes électriques.

Travaux publics - Différentes catégories de dommages - Dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'ouvrages publics - Existence de l'ouvrage.


Composition du Tribunal
Président : M. DEVILLERS
Rapporteur ?: Mme Christine GRENIER
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : LEONEM AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-03-17;19nc01615 ?
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